Iliade VII - Le mur athée (07/07/2013)

 

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Tête d'Apollon, Bourdelle, Musée d'Hors c'est


Chant VII - La seule marge de manoeuvre des dieux ou des hommes, c'est l'époché. La suspension. La trêve. La mise en retard de la mort pour une heure, un jour, dix ans.

« Arrêtons maintenant la guerre et la tuerie, pour aujourd'hui du moins »,

dit Apollon le pacificateur de l'Iliade. Freiner le cours des choses - c'est, je suppose, l'attitude de droite par excellence au contraire de l'attitude de gauche qui croit réellement à la volonté humaine et sa capacité à changer les choses, qui croit réellement, la malheureuse, à l'Action, et à la pire, la collective.

Et c'est pour faire cesser un instant l'Action collective, la guerre de tous contre tous, qu'a lieu ce chant VII, l'un des plus beaux d'Homère, un combat singulier entre Ajax et Hector. C'est dans ce duel d'individus que les deux camps ennemis sont prêts à reconnaître leurs valeurs et faire en sorte que l'humanité retrouve sa noblesse :

« Fais triompher Ajax et permets qu'il remporte une éclatante gloire, demandent les Achéens à Zeus, juste avant d'ajouter : si tu prends soin d'Hector et si tu le chéris, fais du moins que tous deux aient force et gloire égales. »

Et Ajax bondit. Hector lui-même en frémit.

« [Son] coeur bat fort dans sa poitrine, mais maintenant il est trop tard pour s'esquiver, retourner en arrière et venir se plonger dans la foule des siens : lui-même a provoqué les Argiens au combat. »

Humanité de la peur. Et autonomie grandissante de cette humanité à l'égard des dieux.

Le lendemain de ce duel (dont personne n'est sorti vainqueur), les Achéens construisent un mur pour protéger leur camp et leurs navires. Mais ce mur de défense est surtout un mur de défense contre les dieux, UN MUR ATHEE, le premier mur athée de l'Histoire - car les Achéens, en l'édifiant, n'ont pas fait d'offrandes aux dieux, prouvant ainsi qu'ils commençaient à agir de leur propre chef, sans se référer à ceux qui au fond se révélaient de plus en plus inutiles pour eux. Poséidon, le seul des habitants de l'Olympe, s'en rend bien compte :

« Ah ! Zeus Père, à ce compte, est-il donc désormais sur la terre infinie un seul homme qui veuille encore confier à l'un des Immortels un projet, un dessein ? Ne vois-tu pas qu'ainsi les Argiens chevelus ont bâti cette fois un rempart pour leurs nefs, l'ont muni d'un fossé, sans accorder aux dieux d'illustres hécatombes ? Le renom de ce mur se répandra partout où l'aurore s'étend, tandis que tombera dans l'oubli l'autre mur, celui qu'avec Phoebos Apollon j'ai construit à grand effort pour le héros Laomédon. »

L'Iliade comme crépuscule des Dieux, l'Odyssée comme ultime combat entre les dieux et les hommes - entre Poseidon et Ulysse, et c'est Ulysse qui gagnera.

 

A suivre.

07:46 Écrit par Pierre CORMARY | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : homère, iliade, rachel bespaloff | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer