Iliade XVI - Virilité (homosexualité) (16/07/2013)
Achille et Patrocle jouent au Jeu des Villes (Poleis en grec), une variante de notre jeu de dames (amphore peinte, Quatrième siècle avant Jésus-Christ.)
Chant XVI - Achille et Patrocle n'ont jamais voulu « se marier », encore moins avoir des enfants. Ils s'aimaient fraternellement, tendrement, métaphysiquement - peut-être physiquement après tout. Mais ce qui touche, ce n'est pas tant le désir qui est le grand absent de cette scène extraordinaire qui ouvre le chant XVI, que l'amitié profonde, l'attention à l'autre, le partage de la peine :
« PARLE, NE CACHE RIEN, dit Achille à Patrocle en pleurs, AINSI, NOUS SERONS DEUX A CONNAITRE TA PEINE. »
S'il y avait une parole à retenir de l'Iliade, ce serait celle-là. Parole d'humanité, d'altérité, de tendresse infinie. Achille et Patrocle, ce sont les frères amis, le contraire absolu de Caïn et Abel.
S'en suit cette scène étonnante dans laquelle Patrocle demande à Achille de porter ses armes, de se revêtir comme lui afin que les Troyens, le prenant pour lui, fuient la bataille. Et le comble est qu'Achille... accepte. Achille accepte que Patrocle aille à la bataille à sa place, avec son apparence. Que n'entend-il les vers d'Homère qui scellent à l'instant le destin de ce
« grand fou de Patrocle : c'est son propre malheur et la funeste mort qu'il appelle sur lui ! ».
Et non content d'affirmer cette substitution, triomphe du mimétisme s'il en est, Achille recommande encore à Patrocle d'acquérir pour lui, Achille, « grand honneur [et] grande gloire ». A Patrocle, le combat farouche, à Achille, la gloire du combat ! Et qu'il n'en fasse pas trop non plus, même s'il en a le désir, non, au contraire :
« repousse le désir de combattre sans moi les belliqueux Troyens, car tu diminuerais ainsi mon propre honneur. »
Achille et Patrocle, Roberto Roméo
L'allégeance de Patrocle (qui est pourtant l'aîné) à Achille est totale, absolue, indiscutée, une sorte de rapport tacite surfraternel - et c'est là que le sacrifice au nom de la fraternité est réellement outrepassé, et qu'on peut alors y voir autre chose que de la pure amitié. Si homosexualité il y a entre Achille et Patrocle, celle-ci ne s'exprime pas dans le désir mais bien dans le sacrifice ultime de l'un pour l'autre. L'homosexualité relève dans ce cas non pas tant de la sexualité que de la charité, et de la charité héroïque - de l'effusion militaire. L'homosexualité est donc bien un mode de la virilité, peut-être le suprême mode - l'idée étant qu'à la fin seuls eux deux restent face au monde détruit, ignorant superbement le camp adverse comme le leur :
« que pas un des Troyens, que pas un des Argiens non plus, tous tant qu'ils sont, n'évite le trépas, et que nous soyons seuls à survivre tous deux pour dénouer le saint diadème de Troie. »
C'est encore dans cette scène incroyable qu'une fois Patrocle, travesti à l'image de son ami et parti combattre les Troyens, que ce dernier se livre, en compagnie de sa mère Thétis, à une étrange libation où il commande à Zeus lui-même :
« Zeus Roi, Dodonéen, dieu lointain, Pélasgique, qui règnes sur Dodone, en ce rude pays des Selles, (...) Tu n'as pas refusé de m'exaucer naguère et d'accabler, pour m'honorer, les Achéens. Donc, cette fois encore, ACCOMPLIS MON SOUHAIT. Moi, je vais demeurer dans le cercle des nefs, mais au combat j'envoie, avec les Myrmidons en foule, mon ami. Fais que la gloire, ô Zeus à la puissante voix, accompagne sa route; rends son coeur intrépide (...) Mais sitôt que, des nefs, il aura repoussé la bataille et ses cris, fais qu'il revienne sauf. »
Mais Zeus ne peut à tout complaire et s'il accorde le premier voeu, il refuse le second :
« Il veut bien que Patrocle écarte des vaisseaux la guerre et le combat, mais non pas qu'il revienne ensuite sain et sauf. »
Achille pansant une blessure de Patrocle, médaillon datant de 500 avant J.-C., découvert à Vulci.
Et ce vers, comme tous les vers « déterministes » (« destinaux » ?), fait froid dans le dos.
Zeus, pour autant, n'est pas en reste question soucis existentiels dans ce chant. Ne voilà-t-il pas qu' à propos d'un certain Sarpédon qu'il s'agit de sauver ou pas, lui aussi se met à douter de ses choix. Il en est si troublé qu'il en appelle à l'aide de bobonne :
« Zeus - Hélas ! malheur à moi ! Le sort de Sarpédon, le plus cher à mon coeur entre tous les mortels, est de tomber devant le films de Ménoetios. Mais mon âme se trouble et reste partagée : je suis, soit l'arracher vivant à la mêlée, source de tant de pleurs, puis le faire porter dans sa grasse Lycie, soit l'abattre à l'instant sous les mains de Patrocle. »
Comme Wotan plus tard, Zeus est prêt à rompre les lois du destin par amour filial pour un humain. Et comme Fricka admonestera Wotan, Héra rappelle à Zeus son devoir de Dieu qui est avant tout de respecter le destin, ne serait-ce que pour éviter le crépuscule des dieux. Si les dieux antiques, puis celtiques, ont disparu, c'est peut-être aussi parce qu'ils ont fini par trahir leurs propres lois, qu'ils en avaient marre d'être assujettis à quelque chose de plus fort qu'eux. Quoiqu'il en soit, Zeus accepte de faire mourir Sarpédon et
« répand sur terre une averse de sang pour honorer son fils que va tuer Patrocle en Troade fertile et loin de sa patrie. »
Quant à la mort de Patrocle, « il forme plusieurs plans » !!!! Celle-ci n'est pas pour autant compliquée à organiser vu que ce « fou de Patrocle » commet sa grande faute en allant plus loin qu'Achille ne le lui avait dit et en rencontrant Hector animé par Apollon. S'en suit la mort promise, programmée, déterminée et en celle-ci celle d'Hector, car la mort rend extralucide celui qui meurt :
« Ecoute encore un mot, mets-le bien dans ta tête, dit Patrocle à Hector. Toi-même tu n'as plus à vivre bien longtemps. »
Hector est donc prévenu mais se demande, son seul espoir, si Achille ne mourra pas avant lui. En attendant,
« de la plaie, il retire le bronze, en repoussant du pied le cadavre du preux, qu'il plaque dos au sol pour dégager sa pique. »
Achille soutenant le corps de Patrocle mourant - Loggia des Lansquenets à Florence
07:58 Écrit par Pierre CORMARY | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : homère, achille, patrocle, iliade, rachel bespaloff | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer