RUTH (17/08/2021)
Glaneuses, Millet, maison.
Une immense bonté tombait du firmament ;
C’était l’heure tranquille où les lions vont boire.
Victor Hugo, Booz endormi
Après le livre des violences, le livre des bontés. Bonté de Dieu vis-à-vis de l'étrangère. Bonté de la belle-fille qui n’abandonne pas sa belle-mère après la mort de ses fils. Bonté du riche paysan qui demande à ses hommes de laisser des épis par terre pour que les glaneuses viennent les ramasser derrière eux. Bonté de la femme qui vient aimer l'homme endormi. Bonté de Dieu (encore) qui permet à celui-ci d'enfanter celle-là et de lui donner un fils qui sera le grand-père du roi tant attendu. Et pourtant, comme dans le Livre des Juges, Dieu n'apparait pas dans le Livre de Ruth. Dieu n'a pas besoin d'être là pour être providentiel. Dieu est de moins en moins visible mais de plus en plus grâcieux (et graciant)
Une vieille femme et une jeune fille - Pieter de Grebber (XVIIème), Musée des Beaux-Arts de Quimper
La belle-mère, c'est Noémie (« l'aimable », « l'agréable », « la grâcieuse » mais aussi « la douce »), qui perd son mari et ses deux fils. À ses deux belles-filles moabites désormais veuves et sans avenir avec elle, elle dit qu'elles peuvent la laisser là :
« Ai-je encore des enfants dans mon sein pour vous donner lieu d'attendre des maris de moi ? Retournez, mes filles, et allez-vous-en : car dans le grand âge où je suis, je ne suis plus capable du mariage. Quand je pourrais même concevoir cette nuit et mettre au monde des enfants, si vous vouliez attendre qu'ils fussent grands et en âge de se marier, vous seriez devenues vieilles avant que de les pouvoir épouser. »
[Détail savoureux et burlesque qu’un jour une Brigitte Trogneux mettra en œuvre.]
Si la première s'en retourne chez elle, la seconde, Ruth, reste. « Où vous irez, j'irai. Où vous demeurerez, je demeurerai », affirme cette bonne fille qui, peut-être, recherche une mère. En tous cas, voici les deux femmes de retour en Israël – où Noémie, dépressive, demande à ce que l'on ne l'appelle plus Noémie « la belle » mais Mara « l'amère ».
Pleurer ne nourrit pas sa femme. Il faut manger. Ruth s'en va au champ d'un certain Booz, le riche puissant du coin, connu pour sa générosité et sa façon de laisser des épis sur le chemin des glaneuses. Il s'avère que ce Booz fait partie de la famille de Noémie, autrement dit qu'il est susceptible de devenir le « rédempteur familial », personnage très important chez les Hébreux, sorte d’oncle d’Amérique qui « rachète » (« recueille », plutôt) les femmes et enfants de ses frères ou cousins morts. Ruth ne se le fait pas dire deux fois et va trouver Booz lui faire la proposition franche et nette de la racheter sur le champ. Le bonhomme est vieux, veuf, doux, timide, il faut l'amadouer.
« Lorsque Booz, après avoir bu et mangé, étant devenu plus gai, s'en alla dormir près d'un tas de gerbes, elle vint tout doucement, et ayant découvert sa couverture du côté des pieds, elle se coucha là. Sur le minuit, Booz fut effrayé et se troubla [putain, on dirait moi !], voyant une femme couchée à ses pieds. Et il lui dit : qui êtes-vous ? Elle lui répondit : je suis Ruth, votre servante ; étendez votre couverture sur votre servante parce que vous êtes mon proche parent. »
Et Booz de tomber amoureux malgré son grand âge et ses déficiences de la moabite. Celle-ci peut moralement et légalement devenir son épouse... s'il n'y avait pas un parent encore plus proche que lui de Noémie – et que Booz, trop loyal ou trop fuyant, et comme s'il recherchait les complications et les impossibilités [vraiment moi, ce mec !] va contacter. Mais celui-ci refuse le rachat et Booz peut alors en toute légitimité et en tout absolu épouser Ruth. Un enfant naît bientôt de leur union et dont Noémie devient la nourrice. La boucle est bouclée, le sang a retrouvé le sang, la lignée est assurée. Bientôt le roi David... en attendant le Nazaréen.
Ces femmes de la Bible savent décidément y faire. Je veux une femme de la Bible ! Vous entendez, Noémie H. ?
Ruth et Booz, Aert (ou Arent) de Gelder (élève de Rembrandt)
07:57 Écrit par Pierre CORMARY | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ruth, noémie, booz, victor hugo, glaneuses | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer