JEAN XII - La notion de dépense (l'onction de Béthanie) + Si le grain ne meurt (23/04/2024)

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Après la puanteur lazarienne, le parfum béthanien.

Perso, mon épisode préféré, le plus glamour, scandaleux, féminin, éternel féminin même ! érotique, antimarxiste, anti-social, et puisque c'est son jour, le plus rachida datien.

Parce que je l'imagine très bien, moi, Rachida faire ce geste impensable, laver les pieds du Christ avec « une livre d'un parfum de vrai nard, très coûteux » [somme représentant dix mois de travail, précise Leloup] puis les essuyer avec ses cheveux.

Et avec ce détail délicieux (qui renvoie au « il sent depuis quatre jours » du chapitre précédent, la résurrection de Lazare) :

 

« La maison en était toute parfumée. »

 

Et de stigmatiser pour l'éternité celui qui n'aime pas le gaspillage, celui qui fait semblant de penser aux pauvres, celui qui déteste le luxe, l'encens, les bijoux, sans doute les femmes, celui dont le souci n'est que social, humanitaire (et rien de pire que les humanitaires, n'oublions jamais que la deuxième tentation au désert est la tentation humanitaire), le rapia, l'économe, le gâcheur de fête, le pisse-froid, celui qui dit qu'il faut « penser aux autres » dès que vous êtes heureux – nous avons nommé « Iehouda, l'homme de Qériot », Judas, bien sûr.

À lui, Ieschoua dit :

 

« Laisse la tranquille »

 

[deuxième fois qu'il prend publiquement la défense d'une femme et d'une femme érotisée, parfum, cheveux etc. Et tout comme l'était la femme adultère. Ieschoua défend les chaudes, qu’on se le dise.]

 

« C'est pour le jour de ma sépulture

qu'elle devait garder ce parfum. »

 

Autrement dit, c'est mieux de s'en servir de son vivant, c'est mieux de jouir tout de suite.

 

« Des pauvres, il y en aura toujours avec vous,

mais moi,

vous ne m'aurez pas toujours avec vous. »

 

A-t-on jamais prononcé une phrase aussi exquisement, légitimement, saintement antisociale, égoïste, scandaleuse ? Et qui est abyssale : la Présence plus sacrée que l'absence, la Parole plus essentielle que l'action (sociale), l'instant plus privilégié que le reste du temps.

 

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En fait, l'onction de Béthanie marque le moment de gloire du Christ – le premier et dernier de sa vie terrestre. Le lendemain, Il entrera à Jérusalem, rameaux, ânesse, fête. Beaucoup de Juifs et quelques Grecs qui le célèbreront.

Lui-même est légèrement enivré et se lance dans des discours fameux, fébriles, où tout se mélange, ciel, terre, magie de la vie et de la mort :

 

« Si le grain de blé ne tombe en terre

et ne meurt,

il reste seul,

S'IL MEURT,

IL PORTE BEAUCOUP DE FRUITS. 

Qui s'attache à la vie la perd

qui la hait la gagne éternellement ».

 

Parole étrange, belle, paradoxale qu'il faut creuser.

Mourir à soi, mourir à ses intérêts, à sa santé mais mourir pour ses œuvres, ses passions, sa vita nova –  on peut prendre cette exhortation fameuse dans tous les sens. Dans l'héroïsme sacrificiel ou dionysiaque.

 Mourir (symboliquement) pour vivre. Tomber pour se relever – et mieux, relever (autrui), fertiliser, féconder. Se couper pour (se) trouver. Partir pour revenir. Et pas simplement comme dans un film de Claude Lelouch. Quelque chose de très important se dit là sur le plan ontologique. Quelque chose qui va contre l'inceste naturel et l'entre-soi fin de race. Quelque chose qui dépasse la survie de l'identité, altère, tourne vers l'altérité. Mourir à soi pour vivre vraiment. Penser contre soi pour penser vraiment. Connaître ses faiblesses afin de se fortifier. Un peu comme dans la fameuse formule de Nietzsche : « ce qui ne me tue pas me rend plus fort. »

Laissons-nous donc tomber, mûrir, grandir – y compris, précise Jean-Yves Leloup, si nous n'en avons pas conscience. Ça se fera dans la nuit. Le tout est d'avoir confiance – d'avoir la foi. Si j'ai la foi, l'Amor Fati, ce genre de chose, tout ce qui me fait mal pourra me servir. Ce qui me destructure pourra me restructurer. Simplement, il ne faut pas que je me braque – que je m'attache.

« Qui s'attache à sa vie la perd » (on a dit symboliquement, Hegel, tout ça).  Et pas simplement sa vie. Son orgueil, son quant-à-soi, sa bulle, sa « race », tiens, allons-y. Celui qui ne pense qu'à se préserver s'anéantise – et c'est bien fait pour lui. Plus on se rebiffe, plus on se perd. Plus on se protège derrière sa vérité, plus celle-ci nous échappe. Où ai-je lu cet aphorisme si juste : « qui revendique la vérité la perd » ?

Si le grain ne tombe, il reste seul – c’est-à-dire en enfer.

Alors apprendre à se détacher du psychique pour le spirituel, du temporel pour l'éternel, du volontaire pour l'être. Impossible à temps plein, on est d'accord. Mais tout de même possible de temps en temps. Un peu d'être pur ici ou là. D'air pur. De pneuma. D'Ouvert, comme dirait Rilke.

Je n'ai pas assez lu Gide, au fait.

 

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Suit un moment de désespoir pré-géthsémanien :

 

« Maintenant, mon âme est troublée,

que dire ?

Père sauve-moi de cette heure ?

mais c'est pour vivre cette heure

que je suis venu ? ».

 

Invocation au ciel et ciel qui répond :

 

« Père glorifie ton Nom.

Une voix vint alors du ciel :

Je l'ai glorifié,

Je le glorifierai encore »,

 

Annonce d'apocatastase on ne peut plus claire :

 

« C'est maintenant le jugement de ce monde,

C'est maintenant que le prince de ce monde

va être jeté bas. »

 

Ai-je bien compris ? Le prince de ce monde, le diable, c'était le jugement ? Le jugement dernier serait donc le jour où le jugement (le diable) n'est plus ? S'écroule ? Le jugement dernier serait le jour où le jugement s'abolit ?

En tous cas, une chose est claire :

 

« Et Moi, élevé de terre,

j'attirerai tous les hommes à Moi. »

 

Non quelques-uns, élus comme ça – mais tous. 

En attendant,

 

« Marchez tant que vous avez la lumière »

 

Parole magnifique où tout est dans le « tant  que » qui renvoie au « n'y-a-t-il pas douze heures dans le jour ? » du chapitre précédent. Ne pensez pas au lendemain ni aux ténèbres, vivez votre vie comme vous devez la vivre. Perdez-la au sens de l'amortir. Faites votre oeuvre. Exploitez vos talents. 

TANT QUE VOUS AVEZ DU TEMPS, FAITES, SOYEZ, DEVENEZ, JOUISSEZ, DÉPENSEZ, LUMINEZ.

 

« Tant que vous avez la lumière,

adhérez à la lumière. »

 

Ce sera déjà ça de pris. L'important est de ne pas avoir de regrets.

Surtout, FAIRE SIENNE SA PAROLE. C'est-à-dire comprendre le texte, l'aimer, l'intérioriser, l'interpréter, le vivre, s'y installer. L'objectiver, le subjectiver. L'intégrer. C'est pour cela que je me suis fait protestant. Ne plus être à l'extérieur, dans l'abstrait, le général, le moralisant, le mort-né, le jamais-venu, le toujours-jugeant. 

 

« Si quelqu'un écoute ma parole

sans la faire sienne

ce n'est pas moi qui le jugerai,

car je ne suis pas venu

pour condamner le monde

mais pour le sauver. »

 

Quelque chose de fou là-dedans.

Sauver au lieu de condamner. 

L'impensable.

L'impossible. 

Le fantasme absolu.

 

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Golshifteh Farahani, campagne Cartier ici.

 

 

À SUIVRE –  JEAN XIII Le cas Judas

À REPRENDRE – JEAN XI Douze heures dans le jour (Lazare)

07:33 Écrit par Pierre CORMARY | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : onction de béthanie, judas, georges bataille, la notion de dépense, si le grain ne meurt, andré gide | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer