Ecce homo (12/06/2005)
"Car, mis à part le fait que je suis un décadent, j'en suis aussi le contraire. J'en veux pour preuve, entre autres, que d'instinct j'ai toujours choisi les remèdes adéquats aux mauvais états de santé : tandis que le décadent en soi choisit toujours les remèdes qui lui font du tort. Comme summa summarum j'ai été sain, comme recoin, comme spécialité j'ai été décadent."
Nietzsche.
HOUELLEBECQ ! Le seul écrivain français qui ait compris l'époque ! Le seul qui mérite vraiment d'être lu ! Anti-moderne, anti-réac, irréversible et irrécupérable, post-apocalyptique, il est l'homme blessé idéal. En lui purulent nos stigmates d'hommes et de femmes du XXIème siècle fatigués de vivre. Impuissance existentielle, dégoût de la vie, haine de l'espèce, tare sexuelle, faiblesses honteuses, fatigue générale. Houellebecq, c'est le type qui a toutes les tares de son époque mais qui ne s’en félicite pas. Qui souffre de faire ce qu'il ne veut pas et de ne pas faire ce qu'il veut. Mais qui refuse de se faire le militant de ses tares, de légaliser ses aberrations. Qui ne change pas de valeurs au fur et à mesure qu'il change de boîtes à partouze. Qui pourrait dire « je suis allé dans les partouzes car je suis un connard, j’ai quitté ma femme car je suis un minable, j’ai fait avorter ma maîtresse car je suis un salaud. » Houellebecq (se) constate et déprime. Il est ce pécheur modèle qui ne peut sortir de sa fange mais au moins reconnaît qu'elle en est une. En ne créditant pas ce que son corps fait, au moins prouve-t-il qu'il a une âme. Pour la modernité qui confond les désirs et la volonté et qui croit qu'il suffit de se contenter d'être soi pour être beau, bon et vrai, l'homme sans qualités mais non sans morale à la Houellebecq peut paraître hypocrite alors qu'il est d'une rare probité spirituelle. Quand on boite, l'important est de marcher droit en esprit - car un corps boiteux nous irrite moins qu'un esprit boiteux etc. Houellebecq est ce qu'il est mais pense et écrit contre ce qu'il est. S'il est malade, son point de vue sur la maladie est sain. Et c'est pourquoi on l'aime ! Envers et contre tout, il reste vivant. C'est le dernier des vivants.
Voir en lui un nouveau modèle de chrétien fera sourire. Pourtant, n'est-il pas déjà passé du marxisme à l'amour de la femme comme le prouvent ces trois romans (trois romans d'amour !) - et que ne lui ont pas pardonné ces ex-collègues gauchistes ? Et s'il est allé vivre en Irlande et ensuite en Espagne, n'est-ce pas aussi pour respirer encore un peu de catholicisme ? En vain, bien entendu. En bon schopenhaurien, Houellebecq ressent l'inanité des religions comme nul autre - ce qui ne l'empêche pas d'établir entre elles une hiérarchie intellectuelle (le crime antimoderne absolu !) - et que si l'islam est définitivement la religion la plus con du monde, le catholicisme contient en lui "des développements intéressants." (cf son entretien dans le DVD des Inrockuptibles) Voilà pourquoi le désespoir de ce petit homme souffreteux et lucide en appelle à l'espérance. Rien à voir donc avec ces marchands d'Apocalypse qui se font les cavaliers de leur soupe ! Ces chrétiens Play Station qui ont pour apôtres la pire racaille identitaire (alors que le christianisme est précisément la religion anti-identitaire par excellence !), aussi islamiques que les islamiques dans le fond, et qui surtout écrivent "aware". - "nous avons dit oui au non et no au yes. We sommes les gens du vrai world qui voulons vivre leur life en paix mais qui feront la war si les bad nous attaquent. We sommes les real Mercredaye du Chraist qui nous battons contre Foncé Vador et contre tout l'empire fuck blooding de la death money. We sommes le pipaule qui s'est waking enfin ! Alleluya pour tous les free gens ! Et Apocalypse, présentement !"
Que faut-il être aujourd'hui pour choquer ? Nazi ? même pas. Communiste ? Bien sûr que non. Intégriste ? Peuh, ils le sont tous. Libertaire ? fi, y en a encore. Non, ce qui dégoûte tout le monde, c'est s'affirmer centriste de droite ou libéral de gauche. Là, vous pouvez être sûr que ça va chier pour vous. Centriste ??? Beauf ! dictateur ! salaud ! riche ! même pas ! plouc ! tiède ! vomi ! vendu ! anti-Maldoror ! anti-Raskolnikov ! anti-tout ce qu'on aime, nous-les-énervés-de-la-laide-époque ! Et pour les plus méchants : porc sulpicien ! (c'est vrai, je fais du surpoids et j'aime beaucoup les bondieuseries.) Tant pis pour moi et mon mauvais goût. Je continuerai à mettre au même niveau de manipulation et d'imbécillité (j'aime décidément beaucoup ce mot) Le monde diplomatique et Rivarol, Joseph de Maistre et Herbert Marcuse, déplorant que seuls les consanguins et les sangs mêlés gangrènent le débat contemporain. Nabe avait raison : nous sommes décidément condamnés à errer entre les intégristes et les désintégrés. Dommage que lui soit devenu les deux... Avec Dantec, ils font la paire. Manquent plus que Soral et Ramadan !
L'essentiel, c'est la belle humeur, l'allégresse sereine, cette "Heiterkeit" si chère à l'auteur du Zarathoustra. Je m'amuse beaucoup depuis que j'ai ouvert ce blog. Et je suis très heureux des commentaires que certains m'invitent à fermer. Qu'importent le fiel, la fiente ou la pituite de nombre de mes interlocuteurs ! C'est aussi cela la vie. "
Il me semble aussi que la parole la plus grossière, la lettre la plus grossière sont encore plus bénignes, plus décentes que le silence. Ceux qui ne disent rien manquent presque toujours de finesse et de politesse du coeur ; ne rien dire, c'est objecter, ravaler détériore nécessairement le caractère - cela gâte même l'estomac. Tous ceux qui ne disent rien sont dyspeptiques. - On le voit, je voudrais que l'on ne sous-estime pas la grossièreté, elle est de loin la forme la plus humaine de la contradiction et, à l'époque de l'amollissement moderne, une de nos premières vertus"
dit encore Nietzsche. On peut venir dans l'arène, mon flanc se prête à toutes les embardées. Quant à mon équivoque tiédeur, suffisamment cuisante pour les uns et glaçante pour les autres, elle me sied à merveille. Elle me dispense de me défendre. Je déteste me défendre quand j'ai dit quelque chose. D'ailleurs, tacler m'est trop facile, et il faut que je me retienne pour ne pas jouer trop longtemps au chat avec la souris. Je préfère voir l'effet que cela va faire chez celui ou celle qui me fait l'honneur de me lire, gargouillis ou réflexion, rôt ou sourire complice, baffe dans l'air ou tape dans le dos. Je me fais une collection de tonalités affectives. Dans tous les cas, je dis exactement ce que je sens - même si dans ma bouche, ou sous ma plume, les mots les plus durs n'ont pas la signification sournoise, putride et lourde qu'ils ont chez d'autres - on chercherait en vain une trace de fanatisme en moi - et c'est pour cela que les lourds me tombent dessus. Enfin ! Un peu de Mozart, un peu de Rubens ("rien qu'entendre le nom de Rubens, cela fait du bien" disait Claudel), un bon Sin City avec Kz à l'UGC Ciné cité, un fête entre amis le soir, des danses et des rires, et me revoilà, taureau et torero à la fois. Ce que je m'y crois !
Rubens - Portrait de Clara Serena Rubens (fille de l'artiste), vers 1626
17:40 Lien permanent | Commentaires (23)
A MACHIE : Bah, l'islamophobie n'est rien d'autre que de l'anticléricalisme, sport national de notre pays. Quand on pourra dire du Coran et de Mot à merde ce que l'on dit de Jésus et de l'Evangile, ou quand on pourra projeter Submission de Théo van Gogh au Max Linder sans dommages, on pourra peut-être dire que l'islam a été enfin intégré.
A SEBASTIEN : Houellebecq parlait de certains dépressifs, pas de tous. Et en effet, combien d'entre eux font de leur petite souffrance leur seule possibilité d'existence et tendent à contaminer tout le monde autour d'eux ? Je pense naturellement aux anorexiques dont on a trop dit qu'ils (souvent elles) étaient super intelligents et super profonds à force d'être creux. Ces femmes qui ont même des blogs où elles vantent les mérites "métaphysiques" de leur refus de manger. Les voilà les militantes de leurs propres tares ! Orgueil et égoïsme extrêmes, résistance pathologique à tout, fierté de flirter avec la mort, haine absolue de tout ce qui dérange leur morbidité. Il suffit d'ouvrir un livre de Valérie Valère pour se rendre compte de la nocivité morale de l'anorexique...
A FODIO : j'ai récolté quoi de quoi ? On me fait payer cher quoi de quoi ? Et Dieu, Moïse, oui ? Mon dieu, un dépressif ! Non, je plaisante... Houellebecq balzacien ou flaubérien ? Pourquoi pas, en effet. A creuser.
Ecrit par : montalte | 13/06/2005
A NIOUBI : Vrai que ce film n'est pas terrible, une sorte de poursuite du bonheur érotico-M6-raélienne. Et tu as raison de parler de la niaiserie filmique des littéraires, on dirait toujours qu'ils illustrent des phrases écrites par eux ou par d'autres mais qui sur l'écran ne signifient rien. Sur celui-ci, on croirait que Houellebecq s'est récité des poèmes de Baudelaire et qu'il a cru qu'il suffisait d'y penser pour filmer des scènes saphiques.
A ALIX : La radicalité "profonde" ? Direction bétisier, ça. Vous êtes mûr pour entrer dans le courant "radicaux libres" de Jalons.
A FABIEN : La vérité scientifique décevante ? voilà ce que l'on pourrait appeler les véracités déprimantes de Houellebecq qui n'ont rien à voir avec la vérité, mais qui vont avec la sincérité du personnage. S'il n'a pas la foi en Dieu, au moins l'a-t-il en l'amour. Et nous sommes bien d'accord. D'Extension à Plateforme, on est passé du salut par Marx au salut par la femme.
A VACHETTE : Boeuf et garçon boucher ? Excellent !
A TRACIS : Démocrate chrétien ? Libéral ? Certes, certes, mais cela risque d'être moins énervant non ?
Ah Rubens ! sans doute moins léger, subtil, moins "mozartien" que Raphaël, mais quelle promesse de bonheur dans ses tableaux ! Ces amas de chair m'enchantent. Ce débordement de chaleur et de couleur me rassure. Le peintre du corps béat. Comme le dit si bien Claudel dans l'Oeil écoute (l'un de mes livres cultes), "c'est un électuaire pour la pensée que ce sang respirable, que cet hydromel miraculeux dans la main de la déesse de la maturité, que cette chair sacrée à l'abri des intempéries qui rayonne de sa propre lumière, que cette couleur de femme, que cette corbeille portée jusqu'à nos lèvres, que ces roses humaines, que ce visage vers nous glorifié, à grands pans et plis d'étoffes et campagnes verdoyantes, vermeil comme l'azur !"
Bonne journée à tous !
[Remis en ligne le 28 mai 2025 - mon texte initial Houellebecq dont j'allais donner plusieurs versions par la suite avant de le reprendre pour Les Cahiers de l'Herne en 2017.]
12:00 Écrit par Pierre CORMARY | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michel houellebecq, ecce homo, rester vivant, olmeck louchebem | |
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