DUMBO - Elephant child (11/08/2007)

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En 1947, le festival de Cannes existe depuis un an mais l’on ne parle pas encore de Palme d’or – il faudra attendre 1955 avec Marty de Delbert Mann interprété par Edward G. Robinson pour que celle-ci apparaisse et devienne l’emblème de celui-ci. Pour l’heure, on décerne des « Grands Prix » de genres, ce qui est très pédagogique mais fort peu ludique. Ainsi, sur les vingt-quatre films en compétition cette année-là, sont récompensés Antoine et Antoinette de Jacques Becker («  Grand Prix - films psychologiques et d’amour »), Les Maudits de René Clément (« Grand Prix - films d’aventures et policiers »), Crossfire d’Edward Dmytryk (« Grand Prix - films sociaux»), Ziegfield Follies de Vincente Minnelli (« Grand Prix - comédies musicales »), Inondations en Pologne de Jerzy Bossak et Wacław Kaźmierczak (« Grand Prix - documentaires »), et… Dumbo de Walt Disney, ou plutôt de Ben Sharpsteen (« Grand prix du dessin animé »). La « googlisation » étant désormais inévitable, c’est Dumbo qui est retenu par les sites cinémas quand on lance la recherche « palmes d’or » et c’est Dumbo que nous aurions de toutes façons choisi parmi les primés de 1947.

Contrairement à la peinture ou à la musique, le cinéma est le seul art auquel un jeune enfant peut être immédiatement sensible et grâce auquel il peut commencer à former son goût et sa critique du jugement. Les Grands Classiques, ça commence à quatre ans, et les seuls Grands Classiques que peut intégrer un enfant de quatre ans sont les dessins animés de Walt Disney. Puisqu’il paraît que tout se joue avant cinq ans, alors autant faire jouer l’intelligence et la mémoire du petit d’homme avec ce qu’il y a de meilleur dans le monde, c’est-à-dire ce qu’il y a d’éternel. Ce n’est pas un des moindres mérites de Disney que d’avoir donné mouvements, formes et couleurs aux personnages de la tradition populaire occidentale et cela pour encore au moins dix générations*. Un bambin qui préfère Dumbo ou Bambi aux Bisounours sera à coup sûr un adulte qui préfèrera Elephant Man de David Lynch aux Bronzés III. Rien de plus structurant pour un individu en effet que les contes de fées ou les fables animalières - hors peut-être les critiques kantiennes.

Le moyen aussi de résister à l’éléphanteau muet ? Car, on le sait, il ne dit pas un mot, le petit Dumbo tout au long du film, ce qui permet aux enfants du monde entier de s’identifier à lui. Pur personnage d’animation dessinée et non d’animation numérisée (c’était le temps où les vingt-quatre images secondes se faisaient entièrement au crayon et à la gouache et avaient un charme fou), il évolue dans le monde apparemment le plus simple mais qui rend compte à merveille de toutes les essences de la vie : l’origine, le lien filial, l’amitié, les obstacles sociaux, la volonté de les surmonter, le corps à la fois comme impuissance et comme puissance vitale - chez Dumbo, les oreilles handicapantes qui se révèleront des ailes. Pour autant, la simplicité filmique peut se dérégler comme dans la célèbre et fabuleuse séquence « psychédélique » dite « la marche des éléphants roses », ou Disney semble avoir voulu continuer les expériences visuelles de Fantasia, sorti l’année précédente et qui n’avait remporté qu’un succès d’estime.

Donc, Dumbo se tait. La parole, il la laisse aux autres, à son ami d’abord, la souris Timothée, toujours là pour lui remonter le moral, mais aussi aux commères éléphantes qui snobent sa mère, aux clowns qui se servent de lui pour leur numéro, aux corbeaux qui le charrient mais qui finiront par l’aider, et par-dessus tout aux enfants méchants qui le persécutent. Si tous les enfants du monde, persécutés ou non, se reconnaissent en Dumbo, je me suis toujours demandé en quoi se reconnaissaient les enfants persécuteurs**. Elle pleurait aussi aux aventures de l’éléphanteau volant, cette petite brute qui tape son camarade ? Ah ! La divine pornographie lacrymale de Walt Disney ! Que n’a-t-on dit sur sa façon de nous prendre en otage, de nous faire pleurer malgré nous, de nous forcer à retrouver l’état de petit enfant que l’on arrache à sa maman ! Il n’y a que Charlie Chaplin pour avoir autant fait dans la poignance sirupeuse, le dégoulinage abject, la branlette à chagrin. Tant pis. Tant mieux. Comme le disait Marc-Edouard Nabe dans Chacun mes goûts à propos de l’auteur du Kid, on peut dire tout le mal qu’on veut de Walt Disney, c’est toujours lui qui gagne à la fin.

* Sauf si bien sûr les tenants du pouvoir culturel et éducatif décident un jour de supprimer Walt Disney des programmes pour enfants pour cause d’incompatibilité idéologique entre les valeurs dites «universelles » drainées par ces dessins animés et celles du « vivre ensemble » pour qui l’universalisme n’est qu’un impérialisme, donc un racisme à combattre, et pour qui la culture se réduit de plus en plus à la communauté.

** Dumbo lui-même, avec son air de fils à maman qui pleure une image sur deux, n’a-t-il pas idéalement cette « tête de victime » que les casseurs de banlieues, ceux qui ont sévi notamment pendant les manifestations anti CPE en mars 2005, disaient avoir envie de cogner ? Dumbo, stéréotype de l’enfant ultra protégé, qui de plus, lorsqu’il se met à voler, décide de devenir vedette de cirque, au lieu précisément de s’envoler vers d’autres contrées ? Dumbo, symbole du capitalisme larvé ? Dumbo, héros des enfantins nantis ? Décidément, nous ne faillissons pas à la règle de la politisation générale qui touche tous les domaines et même les dessins animés….

 

(Cet article est paru dans le hors-série n°2 SPECIAL FESTIVAL DE CANNES de la Revue du cinéma d'avril 2007)

07:40 Écrit par Pierre CORMARY | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : dumbo, walt disney, festival de cannes, têtes de victimes, casseurs. | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer