Eddy Frederic (1961 - 2015) (31/05/2015)

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"On ne perd pas ses amis, on les démasque", écrivait-il dans sa Règle.

Eddy Frederic, belge de Knokke-le-Zoute, quinquagénaire parti en vrille depuis des lustres, vivotant de ses seules rentes maternelles, d'ailleurs paumé depuis la mort de celle-ci ; cinéaste raté, auteur in extremis de quelques courts-métrages improbables et de scénarios refusés (dont son grand oeuvre, "La Règle", chronique mal foutue traitant de la toxicité des relations amicales et qu'il m'avait un jour supplié de lire contre deux pintes de Carlsberg, ainsi que d'un "Verdun" qu'il concevait comme Kubrick concevait son Napoléon) ; se vantant de connaître le monteur de Francis Veber, son seul contact cinématographique, et avec qui il réaliserait, disait-il entre six rouges, un jour tous ses films ; homme-enfant rêveur, attachant et puéril, nous parlant à Manu, M. Alain, Carole, Florence, Christophe dit "le colonel", et moi, de "Sabrina" et de "Melancholia", ses films préférés, avec des trémolos dans la voix ; d'ailleurs drôle quand il le voulait, ayant un culte pour William Holden, son modèle mâle, vibrant comme on vibre quand on aime le cinéma, cet art de foire qui nous fait oublier notre condition - car pour le reste, pochtron attitré du Suffren, et mon convignon de bar depuis des années, parfois agressif, mythomane, parlant tout seul au téléphone et croyant nous faire croire à des conversations d'affaires qu'il aurait pu avoir avec son "producteur" dans une autre vie, en quête de sylphide et que je vis une fois bien peigné, presque propre, parce qu'il avait un rendez-vous galant, quoique reconnaissant "n'être pas un cadeau pour une femme", celle-ci étant quand même venue lui parler, j'en fus témoin ; de plus en plus pauvre type avec le temps, pathétiquement seul, pour qui j'étais devenu, avec le "colonel", son autre grand ami de beuverie, de confidence forcée et de soutien désespéré, presque sa seule vie sociale, et qui nous aurait payé cent verres pour nous retenir encore un instant avec lui au zinc et l'entendre se plaindre de la méchanceté de l'espèce humaine et de tous ceux l'ayant trahi au cours de sa vie malheureuse et paresseuse ; ce que, sans doute, je serais le prochain à faire, le trahir, et pour la raison bonne que, répétait-il jusqu'au délire, je lui étais "supérieur" et que tous "les gens supérieurs" avaient fini par l'abandonner, lui, sa gueule, ses projets, son fric, et que c'était certainement bien fait pour lui qui ne valait pas tripette à côté de "nous" ; mais quand même, espérant, avant que cela n'arrive, avant que je ne le laisse tomber comme les autres, que je daigne participer à l'immense soirée dont il rêvait depuis toujours et qui serait le couronnement de sa vie, fête cosmique ordonnée selon sa "Règle", à savoir que chaque personne de sexe masculin devrait venir avec une personne, ou deux, de sexe féminin, l'idée étant de constituer une sorte de communauté amicale et élective, où les femmes seraient plus nombreuses que les hommes (et les sauveraient d'eux-mêmes), où un petit groupe d'happy few surgirait dans ce quartier béni du XVème arrondissement, quelque chose entre La nouvelle Héloïse de Rousseau et Le Coeur absolu de Philippe Sollers, ménage à dix, trouple au cube, clan soeuroral ; soirée qui bien entendu ne s'est jamais faite, l'homme étant bien trop destructuré pour organiser quoi que ce soit, et qui, de toutes façons, était au bout du rouleau, oubliant tout ce qu'il disait excepté le mal de lui-même, et qui est mort dans son lit d'une crise cardiaque la semaine dernière. Adieu, Eddy. 

 

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(600ème note.)

15:12 Écrit par Pierre CORMARY | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : eddy frederic, belge, cinéaste, la règle | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer