V - Cosa nostra (07/03/2016)
7 - L'angoisse et le néant.
« Le contraire du péché n'est pas la vertu mais la foi. La foi, c'est la foi en Dieu à qui tout est possible, pour qui l'impossible n'existe pas. Cependant la raison humaine ne consent pas à admettre que tout soit possible : cela équivaudrait pour elle à fonder l'univers sur un arbitraire illimité. »
Croire le contraire - que le contraire du péché n'est pas la foi mais la vertu -, c'est tomber dans le pélagianisme, l'hérésie la mieux partagée du monde et qui consiste à croire que le péché est d'abord mauvaise volonté, mauvais choix, erreur de jugement, et subséquemment, que l'homme se sauve d'abord par ses propres forces et non par la miséricorde divine. Dans ce cas, la foi serait moins un "tout" qu'un "plus" -un "petit plus". Face à cela, il faut être honnête et reconnaître que nous sommes tous peu ou prou pélagiens. Dans la plupart des situations dans lesquelles nous sommes impliqués, nous comptons bien plus sur nos forces que sur la grâce - et nous aurions même tendance à considérer celle-ci comme peu fiable, car trop souvent arbitraire, n'obéissant qu'au bon plaisir de Dieu. Quand j'entends le mot grâce, je sors mon révolver : c'est plus sûr pour se défendre contre les méchants, ou l'être contre mes ennemis.... Par ailleurs, même sur un plan théologique, comment rejeter complètement la vertu du salut ? Il faut bien être humain, moral, méritocrate.
Mais dans ce cas, que deviennent Job et Abraham ? Que deviennent ceux qui n'ont plus que le salut ou le miracle comme horizon ? C'est alors que Kierkegaard se met lui-même à douter de la foi et à raisonner comme Hegel. La vérité est que le péché originel reste fondamentalement incompréhensible. Les destins de Job et d'Abraham, totalement révoltants. Dieu, bien insensé et cruel. Pourquoi nous avoir créés coupables - ou laissés tomber dans la culpabilité ? Pourquoi ne serions-nous pas innocents après tout ? INNOCENTS ? Mais même dans ce cas-là, nous serions encore dans l'angoisse. Créés libres, donc, dans angoissés. Nous y voilà. Le concept de l'angoisse réside dans notre liberté. L'angoisse, c'est notre possible. L'angoisse est en nous bien plus forte que le culpabilité - qui n'est qu'une occurrence psychologique. Alors que l'angoisse est structurelle de par la fait que nous soyons là et que le monde dépende de nous.
Telle est donc l'alternative. D'un côté, Dieu, à qui tout est possible, nous donne ce possible ; de l'autre ce possible apparaît comme ce qui pourrait nous briser plus que mille autres "dons". Par le possible, Dieu pourrait nous briser - ou pire, nous laisser nous briser.
Comme nous étions plus à l'aise dans le destin où tout était décidé à l'avance, où tout était nécessaire, où le néant n'était pas un si grand problème. Le néant nous apaisait. Avec le christianisme, il nous angoisse. Car c'est nous qui avons fait tuer notre frère, pas Dieu ni le destin, nous. Le fratricide a été notre possible, notre chose, notre orange. Le possible est cosa nostra - « ce qui est à nous ».
8 - Le génie et le destin.
Si Kierkegaard se méfie des mystiques, c'est parce qu'à ses yeux, ces derniers ne sont que des « sublimes rationnels », c'est-à-dire des gens qui, dans l'unité où ils sont avec Dieu, n'ont pas besoin de reprise, d'alternative, ni même de liberté - la liberté étant précisément cet écart ontologique entre le pécheur et son péché, sinon entre l'être et le néant, ce qui crée précisément l'angoisse. Or, à l'instar de l'innocent ou de l'ignorant, que le mystique n'est pourtant pas, celui-ci ignore l'angoisse. Il est cet « hors-sol », trop dans le ciel, qui se fout d'être libre ou pas puisqu'il est en Dieu.
De même le génie (artistique, politique, scientifique) qui, bien souvent, est un être qui ne croit pas tant à la liberté qu'au Daemon qui l'a fait génie. Le Daemon comme heureux destin. Le destin comme unité de la Nécessité et du hasard. Et mieux : le destin comme don. C'est pourquoi « le génie est le pécheur par excellence ». Car si tout qui ne vient pas de la foi est péché, alors le génie, qui en effet ne vient pas de la foi, et auquel on risque de tout sacrifier, est péché suprême. Au fond, le génie est une sorte de chevalier de la résignation... comblé - qui identifie son don au dieu, sa volonté à la vérité, son art à la nécessité, et pour qui le seul souci est de se développer lui-même. Pour le génie, l'expression « à Dieu tout est possible », s'applique à lui-même. La liberté, c'est comme la relativité, c'est pour les autres. Pas pour lui.
07:56 Écrit par Pierre CORMARY | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : coppola, le parrain, tetro, angoisse, choix | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer
Commentaires
Intéressant, ça rejoint ce que j'ai lu dernièrement dans L’Évangile de Thomas commenté par Osho...
Écrit par : sylvain fesson | 08/03/2016