Contre l'enfer VI - L'indulgence de la croix (06/11/2020)

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Il y a un verset incroyable, impossible, fou, au chapitre 9.15 de l'Épître aux Romains, dans la fameuse « introduction pathétique » concernant « le rejet d'Israël ». Paul, qui juste avant (8.39) venait d'assurer que rien ne pourrait le séparer du Christ, affirme  maintenant qu'il serait prêt à être « anathème et séparé du Christ » si cela pouvait sauver ses frères. Renoncer au Christ pour amener des gens au Christ ! Refuser son salut pour assurer le salut des autres ! Se séparer de l'amour de Dieu par amour pour les autres ! Se damner à la place d'autrui ! Ca, c'est du putain de Dieu de christianisme - et le seul qui vaille. 

Il n'est pourtant pas le premier à le faire. Déjà Moïse, après l'épisode du Veau d'or, avait plaidé la cause de son peuple auprès de Yahvé, allant jusqu'à s'offrir en sacrifice pour celui-ci : « S'il te plaisait, pardonne leurs péchés. Sinon, efface-moi, de grâce, du livre de vie. » (Exode 32, 33). Sauve mes amis ou annihile-moi. Ca, c'est envoyé, Moïse ! Et Yavhé, finalement plus purgatoire qu'enfer, agréera sa demande. Moïse en sera quitte pour quarante jours et quarante nuits de prosternation devant lui puis retournera chez ses sauvés. Dieu est bon et miséricordieux et quand il utilise le mot de l'enfer, ce n'est jamais que comme arme de dissuasion. 

Et là, les catéchistes se tordent de rage, tout à leur enfer moral et punitif. 

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Tezcatlipoca

 

Il n'empêche que ce sacrifice-là pose un sérieux problème. D'une part, il n'a finalement pas lieu, Dieu cédant aux prières de Moïse et de Paul et, du reste, n'ayant aucun goût pour les sacrifices (le fameux psaume 50) ; d'autre part, s'il avait eu lieu, Dieu se serait révélé un drôle de zig, un Moloch, un Baal, un Tezcatlipoca (dieu aztèque particulièrement sanguinaire). Autrement dit, si Dieu peut susciter chez ses ouailles l'intention sacrificielle, il s'empresse de freiner les ardeurs des uns et des autres, et même d'empêcher le sacrifice au dernier moment – comme avec Abraham et Isaac –, sauvant ainsi tout ce qui bouge.

Si Paul est prêt librement à se sacrifier pour ses frères, il n'est pas libre de le faire. Toute « libre » qu'elle soit, la volonté humaine trouve ici ses limites – et c'est sans doute le meilleur de la bonne nouvelle. On ne peut se damner pour sauver autrui, même si on en a le désir fou - et la potentielle liberté. On ne peut se damner par amour, ni alors sans doute par haine. Mais d'ailleurs peut-on se damner ? Le passage de Balthasar de la damnation par amour à la damnation tout court est un raccourci qui risque encore de faire grincer des dents.

« Nous avançons ici en eau profonde, en un lieu où l'esprit humain perd pied. Dans sa révolte, l'homme peut-il véritablement résister jusqu'au bout à ce Dieu-Homme qui se livre à sa place pour ses péchés ? », demande le cardinal de JPII.

Le fait même de poser la question fait vaciller le dogme, y compris sans y répondre. Et les théologiens de se perdre alors entre « grâce suffisante » et « grâce efficace » et de s'enfermer dans la contradiction suivante : la grâce divine est infinie mais tout comme la liberté humaine est infinie à résister à cette grâce – sauf que, comme nous venons de le voir, l'homme ne peut se damner pour les autres et que l'on est alors en droit de se demander s'il peut le faire pour lui-même. Et qu'est-ce que serait une grâce qui n'atteindrait pas son but ? Qu'est-ce que serait qu'un amour de Dieu qui échouerait ? Qu'est-ce que serait qu'une liberté de l'homme qui damerait le pion à Dieu - et accessoirement se damnerait ? Impossible de savoir avec certitude quel infini va gagner. Mais tout de même, avoir la foi, tel que moi je le conçois, c'est considérer que Dieu gagnera chacun. L'espérance, c'est que Dieu ait le dernier mot. La joie, c'est qu'il s'immisce en nous et nous aide à y voir plus clair - et la clarté est bonne, la clarté est sainte, la clarté est déjà le salut. Face à la clarté, on ne peut plus être dans les ténèbres - et quelqu'un qui dirait "si, je le suis encore" serait bien fou et donc irresponsable. Il faut se tromper sur tout pour se damner et c'est pourquoi il faut pardonner d'abord celui qui se trompe. Mon Dieu, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font. Le méchant est une bête, un pauvre diable et demande de l'indulgence - L'INDULGENCE DE LA CROIX.  

« À titre d'approximation, nous pouvons dire ceci : c'est l'Esprit Saint, l'Esprit de liberté absolue, qui nous donne à voir au coeur de notre esprit libre ce que serait la liberté véritable, et il le fait en nous confrontant avec nous-mêmes, avec ce dont nous sommes ULTIMEMENT capables nous-mêmes ; dire oui sans plus à nous-mêmes, nous en serions incapables (c'est l'oeuvre de substitution du Christ qui le permet ) ; c'est pourquoi il nous est donné AUSSI d'apercevoir le caractère sensé d'un tel oui et L'ENVIE DE LE DIRE nous représentée, insufflée même. Vivras-tu toujours en contradiction avec toi-même ? »

De ce charabia salvateur s'il en est, il en sort que malgré toutes nos contradictions, l'Esprit Saint nous DONNE ENVIE de voir clair en nous, c'est-à-dire d'adhérer à la vraie liberté. Mais qu'est-ce donc cette vraie liberté, ce vrai oui, dont on me donne envie.... presque malgré moi ? Serait-ce donc que la vraie liberté est plus forte que ma fausse liberté et l'emporte nécessairement ? Balthasar ne dit évidemment pas ça mais il fait bien pire : il le sous-entend.

« La grâce peut aller jusque-là. Et si l'on veut en rester aux distinctions évoquées, il faudrait dire ceci : la grâce est efficace quand elle présente à ma liberté une image SI EVIDENTE d'elle-même QU'ELLE NE PEUT FAIRE AUTREMENT QUE SE RESSAISIR ELLE-MEME DANS SA LIBERTE, et cette grâce serait suffisante seulement si cette image ne poussait pas ma liberté à s'affirmer elle-même, si cette liberté préférait continuer à se contredire elle-même. Il ne nous est pas permis d'aller plus avant dans ces eaux profondes. »

Mais parce qu'aller plus loin signifierait que la grâce efficace l'emporte forcement sur la grâce suffisante - que la liberté propre à celle-ci de se contredire ne tient plus, à un certain moment, devant la première, qu'une fois que l'on a vu l'image évidente de la liberté, de la vérité, de la parole, on ne peut que la suivre. Résister à l'Esprit Saint serait alors comme résister à 2+2 = 4. Une absurdité improbable. Alors certes, Balthasar insiste bien, en bon roublard qu'il est, que tout cela relève plus de l'espérance que de la certitude. N'empêche qu'il a ouvert la boite de Pandore du paradis.

Et Mouchette a bien été sauvée malgré elle.

C'est encore les catéchistes qui vont faire la gueule.

 

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A suivre

07:57 Écrit par Pierre CORMARY | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hans urs von balthasar, enfer, apocatastase, bernanos, mouchette | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer