Contre l'enfer VIII - Apokastasis ou l'espérance de l'espérance (08/11/2020)

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[D'abord, une remarque préliminaire : Les catéchistes arguent que l'apocatastase est une doctrine qui a été condamnée par l'Église. Certes, mais ce n'est pas cette condamnation qui a empêché que l'apocatastase ne se diffuse pas dans les esprits et les sensibilités – pas plus que l'abandon de la thèse augustinienne selon laquelle les nouveaux nés non baptisés vont en enfer a fait oublier celle-ci et diminuer la cruauté théologique de saint Augustin. Pour l'éternité, le « plus grand père de l'église » reste celui des foetus en enfer et c'est justice. Rarement on n'aura été aussi loin dans la négation féroce de l'humanité - et si quelqu'un mériterait l'enfer, ce serait bien saint Augustin pour avoir autant conçu un truc pareil, en plus de son désir de "massa damnata". Ce que je veux dire, c'est que la condamnation d'une doctrine n'empêche pas du tout celle-ci de se diffuser dans les esprits. D'Origène à Hans Urs von Balthasar ou de Grégoire de Nysse à Henri de Lubac, sans oublier L'Eglise orthodoxe, et sans parler même des poètes comme Victor Hugo, l'apocatastase est comme l'espérance secrète de l'Espérance et qu'être catholique ne se réduit pas à être catéchiste.]

Anyway.... Le mot apokatastasis apparaît une seule fois dans la Bible, au 3.21 des Actes des Apôtres. S'adressant aux juifs, Pierre déclare que si ces derniers font pénitence, Dieu leur enverra

« le Christ qui vous a été destiné, Jésus, que le ciel doit recevoir jusqu'aux temps de l'apokatastasis pantôn [du rétablissement - ou de l'établissement - de toutes choses] dont Dieu a parlé par la bouche de ses saints prophètes. »

Rétablissement ou établissement, restauration ou instauration, retour du même ou aboutissement – dans tous les cas, boucle bouclée, alliance enfin réalisée, univers enfin en ordre, connexion totale entre créateur et création (entre alpha et omega, dirait Teilhard de Chardin), conversion cosmique, auto-contemplation de l'homme en Dieu et de Dieu en l'homme, sinon auto-amour de Dieu (comme chez Dante), rose céleste, happy end, et tel que Jean l'avait prédit : « je suis sorti du Père et entré dans le monde, et maintenant je quitte le monde et je vais au Père » (16.23), verset origénien s'il en est. On quitte Dieu pour y revenir. 

 

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Origène (185 - 253)

 

Car c'est à ORIGENE (185 - 253), père de l'exégèse biblique faut-il le rappeler, que revient le primat de ce concept fantastique. Si Dieu a chassé Adam et Eve du jardin d'Eden, les condamnant à un corps simplement humain alors que leur premier corps était glorieux, il ne les a pas totalement abandonnés et, la preuve, il les réintègre à la fin. Adam "réintégré" est donc la suprême bonne nouvelle. Car si le premier est revenu, en toute logique, le dernier reviendra – la chair de l'humanité n'en faisant qu'une etc. Il ne peut en effet y avoir de déchet, de résidu, de rapport minoritaire, de particule divine définitivement perdue. Comme dans le cochon, tout est bon en Dieu et rien ni personne ne peut échapper à sa remontée en lui (même si, ok, ok, il faut y mettre un peu de soi et notre devoir de créature est de presser le mouvement – mais dans tous les cas, l'enfer devient plus une salle d'attente qu'une prison perpétuelle). Tout cela répond à une logique parfaite. Si nous sommes tous créatures de Dieu, Dieu ne peut perdre aucun de ses cheveux, aucune de ses rognures, aucun de ses débris. C'est sur son fumier que repoussent les fleurs. La logique de l'apocatastase est d'une divinité antisymétrique : amour et liberté se s'équivalent pas. Dieu n'est pas relativiste avec d'un côté le salut, de l'autre la damnation. Dieu pose la damnation comme Parménide pose le non-être. C'est par le non-être que l'on saisit l'être. C'est par le risque de la damnation que l'on entrevoit le salut. L'enfer est, pourrait-on dire, la lumière négative qui mène au paradis. L'enfer est un repoussoir. Et personne ne va dans le feu volontairement - sauf s'il est fou (et dans ce cas, il sera soigné) ou ignorant (et dans ce cas, il sera corrigé). Dans les deux cas, ils seront sauvés.

 

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Grégoire de Nysse (335-395)

 

GREGOIRE DE NYSSE (335 - 395) dira à sa manière la même chose. Il est dans la logique de Dieu de faire triompher le bien contre le mal, sinon l'infini contre le fini. Le mal ne peut dès lors être infini. Par conséquent, ce qui le punit, non plus. Le corps humain, terrien, sexuel, punissable n'est que provisoire. Le mal n'est que provisoire.

Comme on le lit dans l'Apocalypse, « les jours du diable sont comptés » (12. 12). L'enfer ne peut donc avoir qu'un terme. 

 

 

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Maxime le confesseur (580-662)

 

MAXIME LE CONFESSEUR (580 - 662) va radicaliser cette thèse. Si Dieu s'est fait homme pour nous sauver, s'il y a eu ce scandale fou de l'incarnation, ce n'est pas pour avoir des résultats « relatifs ». Or, l'enfer est ce qui relativise l'amour de Dieu. L'enjeu de l'incarnation, c'est la divinisation de l'homme. Alors, cela prendra le temps que cela prendra, mais à la fin la réalité véritable de l'homme sera identique à la réalité véritable de Dieu – ou si l'on préfère, la vérité de l'homme sera conforme à l'idée divine. Maître Eckhart, Scot Érigène, Teilhard de Chardin, tous sont allés dans ce sens.

- Oui, mais eux ne font pas partie de la doctrine catholique, orthodoxe (et dans le sens catholique, pas dans celui d'orthodoxe !)

- Ils s'en inspirent, mais en effet affirment une doctrine hétérodoxe.

- Hétérodoxe = hérétique !!!!!!

- Eh bien non justement.

- L'apocatastase a été condamnée par notre Sainte Mère l'Église !!!

- Sauf que notre Sainte Mère de l'Église a continué de conserver Origène, Grégoire et Maxime dans son sein et en leur attribuant tous les honneurs. Les concepteurs de l'apocatastase sont des saints de la patristique.

- M'en braaaaaaanle !! L'apocatastase est un truc de démon pour nier la liberté !! Et nous sommes liiiiiiiiiiiiiiiibres !

- Sur un plan existentiel, d’indétermination, sartrien, certainement. Sur un plan mystique, c'est moins sûr.

- Vade retro !!!!!

- Voilà, je vous laisse à votre nausée, vos mouches et votre huis-clos.

 

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La Descente aux Enfers , Fresque byzantine (Thessalonique)

 

Comme le prêtre de Saint-Nicolas le dit au prêtre progressiste de Saint-Merry dans L'Enfer, la formidable pièce de Jean-Luc Jeener vue hier soir au Théâtre du Nord Est, avec le cher Richard de Seze (et grâce à lui), l'enfer n'est pas une invention médiévale pour faire peur aux ouailles mais bien une réalité contenue dans les paroles du Christ lui-même. Du feu éternel préparé par le Diable et les siens (Mt 25, 41) au péché contre l'esprit saint qui ne sera pas remis (Mt 12,32), en passant par un « je ne vous connais pas » définitif (Mt 25, 12) et même un « je ne vous ai jamais connus » (Mt 7, 23), l'Evangile regorge de ces versets qui attestent de l'enfer et qui sont prononcés par Jésus lui-même.

Le problème, fait immédiatement remarquer Balthasar, est que l'on y trouve aussi, et heureusement, autant de versets qui attestent de l'excès de la grâce sur le péché (Rm 7, 17), de la miséricorde pour tous (Rm 11, 32) et même de l'apocatastase (Actes 3, 21 ; Éphésiens 1, 10) ! Et comme me le faisait remarquer ma divine Cornu, le dernier verset de l'Apocalypse, de la Bible est quand même « pour tous » : « La grâce du Seigneur Jésus soit avec tous ! Amen ! ». Pour tous ! Pas pour trois élus égarés, pour tous ! Vous trouverez ça naïf. Peut-être. N'empêche que cette naïveté salvatrice vaut mille fois les candeurs cruelles et légales des partisans de la rôtisserie éternelle.

Autrement dit, et comme toujours, on oscille entre le Jésus qui condamne le monde (il le dit) et celui qui le sauve (il le dit aussi.) A chacun de choisir selon sa sensibilité (et l'enfer est une question de sensibilité, comme tout le reste...).

Pour ma part, j'aime beaucoup toute l'Épître aux Éphésiens, et notamment son chapitre premier où il est dit qu'apôtres et saints ont quand même été « PRÉDESTINÉS » bien avant la fondation du monde à être les fils adoptifs de Dieu (la prédestination, ça existe donc... de temps en temps). Et d'ajouter un peu plus loin, que c'est bien

« selon son bon plaisir que [Jésus] s'est proposé de dispenser le mystère de sa volonté dans la plénitude des temps, à savoir : rassembler toutes choses dans le Christ, ce qui est aux cieux et ce qui est sur la terre. »

L'apocatastase est contenu dans ce "tout" qui ne contient aucun "sauf" - au grand dam des catéchistes gyriophiles qui ne jurent que par le "sauf".

 

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Quoiqu'il en soit, Balthasar enfonce le clou, parlant bien des « affirmations inconciliables de la Bible » et qui du fait qu'elles aient été gardées telles nous obligent à envisager autant l'enfer que l'apocatastase. Pour autant, admirez son jésuitisme qui penche quand même du côté d'une nécessité logique de l'apocatastase :

« Tous sont obligés d'envisager l'idée d'une apokatastasis d'abord conçue comme cyclique, mais sans se détourner avec condescendance ou indifférence devant l'idée effrayante que des frères ou des soeurs du Christ, créés pour lui par le Père et pour lesquels il est mort en expiation de leurs péchés, pourraient se perdre éternellement au lieu d'atteindre leur destination assignée en Dieu : ils ne seraient alors pas exposés seulement à des souffrances sans fin, mais ils feraient aussi échouer le plan de salut universel de Dieu. »

Autrement dit, si l'enfer existe, ou plus exactement s'il est rempli, même par une seule âme, Dieu a échoué. CQFD.

Bien sûr, ce que ne dit jamais Balthasar, et qui serait l'objection définitive contre l'apocatastase et cette idée hérétique que Dieu pourrait échouer, est que l'enfer, loin d'être un « échec » de Dieu, en est au contraire sa victoire principale et totale, la torture éternelle des damnés participant comme jamais à sa gloire éternelle. La "bonté" infernale de Dieu consisterait justement à ne ne pas avoir supprimé l'enfer et laissé les méchants le choisir de plein gré. En enfer, ceux-ci se rendraient alors compte combien ils se sont trompés sur la vérité, combien ils ont fait les mauvais choix et combien, surtout, ils vont en morfler pour le reste de l'éternité. L'enfer est le fer rouge de la justice de Dieu et sa plus grande jouissance. Au paradis, les élus se réjouissent des supplices infligés aux damnés exactement comme la foule de l'Ancien Régime assistait à l'écartèlement de Damiens. À cela, on ne peut rien objecter. La théologie catholique est la plus logique, la plus morale et la plus divine du monde – mais aussi la plus sadique et la plus infâme jamais imaginée. La théologie catholique, c'est l'écartèlement de Damiens sublimée.

 

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Vêtements et couteaux de Damiens.

 

Là-dessus, le Père Brune a tout dit. Les théologies antiques n'atteignent pas ce degré de férocité morale et punitive – et dont la violence n'est jamais qu'un rapport de force qui tourne mal, une bagarre, une guerre, une Iliade, mais non un Jugement dernier, une Parousie, une peine atroce considérée comme juste. Même Apollon écorchant Marsyas ne fut pas aussi cruel que ce Dieu révélé qui parle d'écorcher pour l'éternité et au nom de la morale, de la justice, de la liberté et de l'amour. Apollon est un sadique qui s’assume.

 

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Apollon et Marsyas, 1637, Jusepe de Ribera (1591-1652). Peintre baroque espagnol. Musée national de Capodimonte. Naples. L'Italie.

 

Quels versets donc vont l'emporter ? Ceux de la justice impitoyable de Dieu, de la perdition éternelle et tellement méritée des méchants qui étaient libres et qui auraient dû faire d'autres choix – ou ceux de la grâce surabondante qui vainc tous les mauvais choix du monde, de la miséricorde tout azimut qui ne peut que l'emporter sur le mal (et donc sur la liberté), de l'amour surpuissant devant lequel nul ne peut résister ? 

Enfer de la liberté ou apocatastase de l'amour ? 

Chacun sa merde ou son or, en fait. 

Quelques dernières approches :

1 – « Les premiers siècles [orthodoxes, donc] sont l'occasion d'une première décision. Le but désiré par Dieu se réalisera nécessairement PAR-DELA les résistances liguées contre lui. Outre Clément, Grégoire de Naziance, Grégoire de Nysse, Evagre le Pontique, on trouve là les Antiochiens : Diodore de Tarse, Théodore de Mopsueste, et les Syriens : Etienne Bar Sydail et Isaac de Ninive ; à mon avis, il y a aussi Maxime le Confesseur et à coup sûr Scot Erigène. Tous ceux-là penchent plutôt vers les paroles de Jean : "En ce ceci consiste l'accomplissement de l'amour pour nous : que nous ayons pleine assurance au jour du Jugement... La crainte ne va pas avec l'amour, au contraire, le parfait amour bannit la crainte, car la crainte suppose un châtiment, et qui celui qui craint n'est pas parfait en amour" (1 Jn 4, 17-18) »

Encore une fois, l'accomplissement de l'amour ne saurait aller de pair avec la damnation. Pour le coup, c'est l'un ou l'autre, soit l'on pense que l'amour s'accomplit totalement, infiniment et merveilleusement, soit on pense que.... non. 

C'est à ce moment-là que surgit, chez Origène et d'autres, la tentation gnostique. D'un côté, les esprits simples qui auraient besoin de l'enfer pour croire en Dieu et adhérer à sa loi ; de l'autre les chrétiens "sachants", c'est-à-dire plus avisés, sages et et sanctifiés qui sauraient que celui-ci n'est qu'un leurre. Et si Origène parle de « châtiments durant des éons », on fait remarquer que les éons (intervalles de temps géochronologique correspondant aux temps géologiques) peuvent se terminer, car ils ne sont pas divins.

 

 

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Lanzarote

 

2 - La deuxième approche, d'Origène à Henri de Lubac, est encore un peu plus gnostique. On considère qu'un feu spirituel va brûler en nous ce qu'il y a de mauvais mais qu'après.... eh bien on se retient de le dire car, comme l'écrit Joseph A. Fisher, « le simple croyant se porte mieux avec son ignorance qu'Origène avec son savoir » et encore « ce qu'on pourrait dire sur le sujet ne saurait être proclamé devant tous ni entendu partout. Il est même dangereux d'écrire des choses de ce genre ; la plupart ont simplement besoin de savoir que les pécheurs sont châtiés. »

Il faut protéger les âmes simples, les esprits vertueux, les punitifs punissables - les crétins du catéchisme. 

3 - La grande objection à l'enfer reste tout de même celle de Grégoire de Nysse avec son idée de la supériorité dans l'être du bien sur le mal (autrement dit de l'amour sur la liberté) et que c'est l'essence du mal d'être limité, donc non éternel.

« Le pécheur atteint un seuil où tout mal possible est réalisé et où il lui est impossible d'aller plus loin, de même que la nuit, ayant atteint son intensité maximale, se retourne vers le jour. Cette idée est complétée par celle du médecin qui laisse mûrir l’abcès avant de l’opérer, de sorte que l’incarnation n’est intervenue que lorsque le mal est arrivée à son apogée. On comprend la doctrine de Grégoire (qui n’a pas été condamné) si l’on a en mémoire deux aspects : d’une part, la forte influence de Plotin, selon lequel toute sortie de l’Un-Divin atteint nécessairement un seuil où se produit une INVERSION (epistophrê) ontique et éthique ; d’autre part, la conception typiquement nysséenne que la béatitude éternelle consiste en un mouvement sans fin en Dieu, car l’Être de Dieu est illimité. »

Voilà. Contrairement au mal, le bien est infini, surabondant, éternel. De fait, le retour de toutes les créatures à Dieu, « même des méchantes », apparaît comme nécessaire à l'intelligence de Dieu. Un damné éternel serait un déchet de Dieu, ce qui ne se peut. Notons que contrairement à Origène, Grégoire de Nysse n'a pas été condamné – car il dit quelque chose de profondément théo-logique, à savoir qu'il n'y a pas d'équivalence entre le bien et le mal, entre Dieu et le diable, équivalence induite par l'idée de liberté absolue et qui au fond conduit au relativisme. Car il faut le redire, la liberté absolue conduit au relativisme absolu. Comme le dit Karl Rahner :

« la possibilité du Non conscient de la créature face à Dieu ne doit pas être comprise comme une possibilité de la liberté ayant une puissance existentiale et ontologique EQUIVALENTE à celle du Oui à Dieu. »

Le Oui à Dieu est bien plus fort et plus motivé que le Non à Dieu, toujours un peu neuneu, tristement humain, sincère sans doute mais non véridique. Croire en Dieu, c'est croire en un être infiniment bon et dont la bonté est plus forte que moi et mes petites ou grandes méchancetés. Impossible qu'il y ait symétrie entre perdition et élection, bien et mal, amour et haine, grâce et liberté. Les premiers doivent nécessairement l'emporter sur les seconds et même s'il faut deux éternités pour cela. Pour la dernière fois, croire en l'enfer, c'est croire au relativisme de Dieu. DIEU N'EST PAS UNE BALANCE.

 

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Le Paradis du Tintoret, Palais des doges à Venise

 

4 - La quatrième approche est encore déduite d'Origène : « le corps mystique du Christ n'aura atteint la béatitude bienheureuse que lorsque lui, le dernier et le plus terrible pécheur, se sera converti. » Voilà qui est d'une clarté bouleversante : moi le dernier (ou l'avant-dernier, ne soyons pas prétentieux) permet à lui le premier d'accomplir le salut général, et selon cette idée grandiose que si les premiers seront les derniers, les derniers ne seront pas les exclus. Et Urs de citer ces pères du désert à la recherche du secret de Dieu, c'est-à-dire du Royaume pour tous, mais qu'il n'est pas bon de révéler aux ouailles. On se consolera alors avec Kierkegaard qui écrivait :

« Dire aux autres : vous êtes perdus pour l'éternité : voilà qui m'est impossible. Pour moi, une chose est sûre : tous les autres seront bienheureux, et c'est bien assez - pour moi seul, l'affaire reste aléatoire. »

Encore une fois, si j'ai besoin de croire à l'enfer, c'est pas rapport à moi, non par rapport aux autres. 

5 - La cinquième approche reprend la précédente : « est-il possible que la dernière des brebis perdues de son troupeau manque à Dieu ? ». A quoi bon l'Incarnation, la Passion, la Résurrection si une personne résiste ? Au fond, l'enfer relativise la venue de Dieu, relativise l'Incarnation, relativise l'amour, relativise le Saint Esprit – mais peut-être, encore une fois, parce que les chrétiens sont profondément sartriens : tout est relativisable sauf la liberté humaine. Leur doctrine est avant tout celle de la liberté absolue, c'est-à-dire de la nausée et du Huis-clos. Et Balthasar de conclure en arguant qu'il ne faut de toute façon pas conclure, que tenter de répondre à ces questions de l'au-delà est prendre le risque de s'avancer « dans une région où l'imagination défaille » - ce qui est assez tordant vu que c'est lui qui est en train de finir un livre sur cette question et donné toute une série d'éléments de réponse en faveur de l'apocatastase, donner à penser que celle-ci est le secret de Dieu, l'espérance de l'espérance.

 

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Plans finaux d'Underground, d'Emir Kusturica

 

 

 

Disputation avec Donner

Donner - Les erreurs gravissimes du modernisme à propos de la foi‼️

La foi n’est pas principalement un sentiment, c’est une erreur du modernisme condamnée par le pape saint Pie X en 1907 dans son encyclique Pascendi. Cette dernière frappe d'anathème l'affirmation que la foi serait un sentiment issu du subconscient qui exprimerait le besoin du divin.

L’acte de foi n’est pas un sentiment, mais la réception consciente et volontaire de la Révélation divine, telle qu’elle se présente à l’homme dans la sainte Écriture et la Tradition !

Pour la majorité des modernistes, la Révélation se produit quand le sentiment religieux passe de la sphère du subconscient à celle de la conscience. La foi ne serait alors que quelque chose de sentimental et de subjectif. La Révélation ne serait pas donnée de l’extérieur (d’en haut), mais monterait de l’intérieur de l’homme.

Beaucoup de modernistes agissent et prêchent comme si l'Église catholique était née de ce besoin des fidèles de communiquer à d’autres leurs expériences religieuses et de former une communauté.

L'Église ne serait donc pas une institution divine, elle serait seulement, à l'instar des sacrements, des dogmes, le résultat des besoins religieux des croyants. Tout serait donc réformable lorsqu'un autre besoin se ferait sentir avec le temps.

Or, le sentiment religieux naturel doit être soigneusement distingué de la foi surnaturelle du catholique. Il y a certes dans le cœur humain un besoin de Dieu, mais qui reste un sentiment très obscur si Dieu n’intervient pas pour se révéler à l’homme. De plus, comme tout ce qui est naturel en nous, le sentiment religieux est blessé par le péché originel : il peut facilement mener à l’erreur et même au péché (superstition, idolâtrie, etc…)

Il est exact qu’un sentiment de sécurité et de bien-être est lié à la foi, mais là n’est pas l’essence de la foi. Les hérétiques et schismatiques protestants prétendent eux aussi avoir ce sentiment. En vérité, ce sentiment du cœur et de l'âme, comme tous les autres sentiments, est changeant et sera tantôt plus fort tantôt plus faible ; il peut même pendant quelque temps complètement disparaître.

De grands saints, comme St Vincent de Paul ou Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus ont été parfois privés de cette certitude sensible, sans pour autant devenir hésitants dans leur conviction sur la vérité et la certitude de la foi.

Sur ce point on peut trouver l’enseignement certain de l'Église dans le serment antimoderniste imposé par le pape saint Pie X et que tous les prêtres devaient prononcer avant leur ordination, jusqu’en 1967, supprimé après le Concile Vatican II :

« Je tiens en toute certitude et je professe sincèrement que la foi n’est pas un sentiment religieux aveugle surgissant des profondeurs ténébreuses de la subconscience sous la pression du cœur et de l’impulsion de la volonté moralement informée ; mais bien qu’elle est un véritable assentiment de l’intelligence à la vérité reçue du dehors, ex auditur (par l’audition, Fides ex auditu, Romain X,17), assentiment par lequel nous croyons vrai, à cause de l’autorité de Dieu souverainement véridique, tout ce qui a été dit, attesté et révélé par le Dieu personnel, notre créateur et notre maître. »

Voilà, Pierre Cormary, sans polémique, juste parce que c'est mieux dit que je ne pourrais le faire moi-même : personne ne croit à l'enfer ou à autre chose, parce que ce serait le fruit de ses désirs ; juste par ce qu'il a confiance, à tort ou à raison, dans une source d'enseignement, et que sa foi n'est ni une affaire de sentiment, ni des emplettes au supermarché des croyances sympa !

Cormary - Dans ce cas-là, moderne ou pas moderne, je n'ai pas la foi, ne l’ai jamais eue et doute même qu’on puisse l’avoir. Cette critique de la subjectivité ne tient pas une seconde - ce serait comme renier le sujet cartésien, quelque chose d'impossible à faire, même contre sa volonté. Il y a un rejet de la psyché humaine de la part du catholicisme qui m'a toujours sidéré. Et le fait qu'il y ait plusieurs sensibilités catholiques, pour ne pas dire évangéliques, prouve qu'il y a plusieurs sentiments religieux - donc certains qui penchent vers l'enfer et d'autres non. Comment voulez-vous adhérer à quelque chose, à quelqu'un autrement que par les sens et/ou la raison ? Le fidéisme est la mauvaise foi par excellence - et je ne peux dire "oui" à un dogme si je ne le pense pas, ne le sens pas ou pire, ne l'aime pas. Dieu m'appelle, certes, mais ma venue, ou, ma revenue à lui, ne peut être que subjective. Je ne sais s'il existe mais c'est un pari que je fais, et un pari qui soit ne me fait rien perdre, soit me fait tout gagner.

Par ailleurs, demander aux futurs prêtres qu'ils disent "Je tiens en toute certitude et je professe sincèrement que la foi n’est pas un sentiment religieux" est un contresens qui revient à dire "je professe SINCEREMENT que la foi n'est pas SINCERE."

Kierkegaard, et même Pascal, vont dans ce sens. Mais peut-être eux-aussi sont-ils modernistes ? ;) Le pauvre Pie X se trompe sur tout. Même si modernité il y a, nous ne pouvons de toute façon pas repenser les choses avant elle. Le Grand Inquisiteur a perdu. La foi "objective", celle de saint Thomas ou de saint Augustin a disparu à la fin du Moyen Age. Depuis, on ne peut croire que par des voies subjectives - et c'est pourquoi Pascal et Kierkegaard sont grands.

Enfin, si la remise en question de l'enfer est "moderne", c'est une modernité qui remonte à Origène lui-même, soit au IIIème siècle.

Pire : la question "qui peut être sauvé ?" est dans Marc lui-même (10 - 17,30).

Le questionnement chrétien est dans les origines chrétiennes elles-mêmes - et la foi passe aussi par ce questionnement.

Mais merci de ce cette objection papale qui m'a obligé à préciser ma pensée. Il est clair que si j'ai la foi (mais l'ai-je encore ?), ce n'est pas celle du charbonnier et encore moins celle du fidéiste (qui ne l'a d'ailleurs pas plus que moi même s'il fait semblant.)

Ce que je crois est qu'on ne peut pas aller contre soi, contre sa nature (parabole du scorpion) et si Dieu existe, il ne peut que révéler ma nature (et mes talents) à la sienne.

Donner - Pierre Cormary Encore une fois, nous sommes d'accord, en gros, sur nos désaccords, et ça, cela me fait toujours plaisir !

1/ Mais je me demande si vous avez bien lu, car le fidéisme est clairement rejeté par l'Église et bien-sûr que j'adhère "par les sens et/ou la raison"... : "véritable assentiment de l’intelligence à la vérité reçue du dehors" c'est clair non ? Kierkegaard (protestant) et Pascal, semi-janséniste, sont en effet considérés comme les pères de l'existentialisme, à mon avis à raison...et pas de l'Église. 2/ La parabole du scorpion n'est valable que si l'on se rappelle que nous ne sommes pas scorpion, mais scorpionisés, le Christ est d'ailleurs venu pour "régler" ça, il faut "tuer le vieil homme en soi" comme dit st Paul : "Or, le sentiment religieux naturel doit être soigneusement distingué de la foi surnaturelle du catholique. Il y a certes dans le cœur humain un besoin de Dieu, mais qui reste un sentiment très obscur si Dieu n’intervient pas pour se révéler à l’homme. De plus, comme tout ce qui est naturel en nous, le sentiment religieux est Blessé par le Péché Originel : il peut facilement mener à l’erreur et même au péché (superstition, idolâtrie, etc…). 3/ Que veut dire "révéler ma nature à la sienne" ? PS je rejette de toute mes forces le "sujet cartésien" et en reste à st Thomas et à notre Foi Objective ! Il aurait fait des sophismes de celui-là ce qu'il a fait de ceux d'Origène

Cormary - 1/Mais l'assentiment rationnel et sensible n'est pas une affaire de volonté mais bien de nature, ou d'être. On ne dit jamais oui par devoir si vous voulez, ou par fidélité, mais bien parce qu'on adhère profondément à ce auquel ou à laquelle on dit oui. Et l'existentialisme est fondamentalement chrétien, ou le christianisme fondamentalement existentiel, oui, absolument.

2/Tuer le vieil homme en soi, tuer le serpent dans le scorpion alors ? Tuer ce qui nous empêche de devenir nous-mêmes. Je parlais de devoir plus haut, un mot que je n'aime pas, mais pour le coup, je vais le réemployer : notre seul devoir d'homme et de femme est de devenir ce que nous sommes, comme dirait Nietzsche - ou Jésus lui-même : "qu'as-tu fait de tes talents ?" Alors que Dieu m'aide à y voir clair en moi et à réaliser mes talents, parfait. Se réaliser est déjà une forme de salut (oups ! la dimension protestante de ce que je viens de dire sans m'en rendre compte... Mais au moins, je démontre ce que je veux prouver : il s'agit de développer la forme religieuse que l'on a en soi et peut-être suis-je un protestant qui s'ignore après tout.)

3/Dieu m'a fait tel mais peut-être, sans doute, le diable m'empêche-t-il d'être tel. Dieu peut alors me révéler à moi-même et par là à lui-même.

4/ Mais non, vous ne rejetez pas Descartes ! Personne ne rejette Descartes, même pas Pascal. Descartes et les rationalistes ont découvert une vérité humaine qui est désormais la nôtre. On ne peut plus revenir en arrière - tout comme en politique : la Révolution, tout hideuse qu'elle soit, est faite et l'on ne pourra plus jamais revenir avant elle. Surtout si l'on est chrétien, d'ailleurs - puisque quand l'on est chrétien, l'on ne croit pas au temps cyclique mais au temps vectoriel, qui ne repasse plus.

(Ce qui fait que je peux dire à la lettre que si je crois à l'apocatastase, je ne crois pas à la Restauration en histoire –  et l'un va avec l'autre, car des choses qui ne sont pas possibles sur terre le sont au ciel.)

Donner -  Pierre Cormary Notre désaccord est donc clairement exposé ! 1/ Je crois que nous disons oui par devoir et fidélité envers l'autorité que l'on reconnait comme telle, quoi que nous "éprouvions" au sujet du contenu du message (ce que je réponds à mes enfants, de manière fort politiquement incorrecte ? je sais : Obéis ! Pourquoi ? Parce que je l'ai dit ! Si on obéit que lorsque on est d'accord, lorsqu'"on le sent"...bè, ce n'est plus de l’obéissance !) 2/ Devenir nous-même, dans le sens chrétien, ce n'est pas s'épanouir dans notre nature blessée, c'est Au Contraire la tuer (le vieil homme) afin de se diviniser (un philo-orthodoxe devrait savoir ça). Bref, le contraire du pas tellement philo-chrétien, et pour cause, Nietzsche. 3/ Le diable nous trouve très très bien comme nous sommes au contraire ! Il ne demande que ça que nous nous "accomplissions", il le dit tous les jours dans les revues : "just do it", devenez ENFIN vous-même!", "parce que je le vaux bien!", "et si vous vous occupiez ENFIN de vous?" "et si vous étiez à l'écoute de votre moi profond/sentiments/cœur/ressenti/corps", etc. ad nauseam 4/ Le temps ne repasse pas, mais l’Éternel ne passe pas. La modernité n'est qu'une parenthèse, une maladie de croissance. J'attends le Roi à Paris, et Descartes au chiot.

Cormary - 1/ Mais il n'y a pas d'obéissance, pour ne pas dire de soumission, à Dieu qui vaille ! Quand nous disons oui à l'autorité ou à la loi, c'est que nous reconnaissons que celle-ci a sans doute raison, ni plus ni moins, y compris quand on est enfant. On obéit au mieux parce qu'on pense que papa et maman ont raison, au pire, parce qu'on n'a pas envie de souffrir. Et devenu grand, on a toute latitude pour rejeter leur éducation si celle ne nous a pas apporté profit ou/et les pardonner !

2/ On peut se diviniser dans ses talents. Devenir ce que l'on est n'est pas forcément en contradiction avec la divinisation (j'aime bien votre "philo-orthoxode" que je vais reprendre - mais pourquoi rajoutez-vous "pas tellement philo-chrétien" ?).

3/ Dieu nous demande-t-il donc de renoncer à nos talents ? Pour ma part, j'aurais l'impression que c'est parce que notre nature est blessée qu'elle n'arrive pas à se réaliser - c'est la blessure à laquelle il faut renoncer pour devenir soi-même.

4/ La modernité est le mouvement naturel de l'Histoire, chaque époque étant plus moderne par rapport à la précédente. Même s'il y a des choses qui ne varient pas depuis Eve.

 

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Une prière turque pour finir

15:05 Écrit par Pierre CORMARY | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : enfer, apocatastase, maxime le confesseur, origène, grégoire de nysse, hans urs von balthasar | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer