JEAN XI - Douze heures dans le jour (Lazare) (22/04/2024)
Première remarque : El’Lazare de Beit-ananiah est le frère de Myriam (et de Martha sa sœur), celle-là même qui oindra le Seigneur avec l'onction de Béthanie dans le chapitre suivant mais qui est déjà annoncée dans celui-ci.
Le temps qui s’annonce.
Comme si le temps se préparait à quelque chose d'inouïe. Sortait de ses gonds – comme Lazare va sortir de sa tombe. Temps qui n'est plus celui du Chronos. Temps qui obéit à d'autres règles. Temps qui se suspend le temps d'une résurrection – et qui annonce la Grande.
En tous cas, temps du Christ qui a cette formule superbe (le verset le plus important de cet épisode, à mon avis, et un des plus forts de tout l'Evangile) quand ses disciples l'exhortent à ne pas se rendre chez Lazare car là-bas on veut le lapider et qu'il rétorque :
« N'Y-A-T-IL PAS DOUZE HEURES DANS LE JOUR ?
Quand on marche le jour
on évite les obstacles
parce qu'on est dans la lumière. »
Tout ce que l'on peut faire en douze heures. Tout ce que l'on peut éviter en douze heures. Toute la lumière qui passe en douze heures. L’éternité en douze heures. Et la mort vaincue.
Christ dans la maison de Marthe et Marie, Velasquez (1618)
Deuxième remarque : tout se passe dans cet épisode EN DEUX FOIS et avec plusieurs occurrences du « deux ».
Lorsque Ieschoua apprend que El’Azar est malade, il ne va pas tout de suite à lui et reste « deux jours » au même endroit à méditer avec ses disciples. Ce que les deux soeurs de Lazare (des jumelles ? avec ce qui va suivre, on peut le penser) vont lui reprocher tour à tour.
D'abord, Martha :
« Si tu avais été là,
mon frère ne serait pas mort. »
Puis, Miryam qui lui dit exactement la même chose :
« Si tu avais été là,
mon frère ne serait pas mort. »
À la première, Ieschoua promet que celui-ci ressuscitera. Mais celle-ci comprend cette parole de manière eschatologique : son frère ressuscitera, certes, mais « au dernier jour » comme nous tous et non pas « imminemment ».
À la seconde, il ne répond rien mais « frémit intérieurement ». Et surtout, il pleure.
Les pleurs divins du Christ.
Il devait vraiment l’aimer ce Lazare – et comme il pourrait nous aimer. Comme il pourrait pleurer sur chacun d'entre nous (on est de telles merdes, aussi.) Cela me rappelle cette réflexion de Kierkegaard je ne sais plus où selon laquelle « il y a de la tristesse au ciel ». Et là, je pense à mon grand-père suicidé, Maurice Vidal, qui lui aussi, a dû être sauvé malgré tout.
Entre temps, on nous parle d'un certain Thomas « appelé [tiens, tiens] le jumeau » [didymos – soit le futur « Duduche » qui voudra plus tard tripoter les plaies du Christ]. Pour l'heure, il exhorte les autres disciples à suivre Ieschoua et à mourir avec lui si besoin est.
Deux, douze, double, jumeau. Quelque chose de numérologique.
Et donc, résurrection du moribond – plus zombiesque que proprement lumineuse comme le sera la Sienne.
C'est qu'il ne faut pas confondre.
Résurrection de Lazare, Van Gogh (1890)
Certes, Lazare renaît à la vie mais pour à peine quelques jours et dans un état plutôt putride, puant (détail dostoïevskien du « il sent déjà », comme dans la scène des Karamazov où le corps du starets Zozime pourrit dans la pièce d'à côté), sans corps glorieux ni auréole. Alors que celle du Christ sera toute différente, transfiguration ouvrant à une autre dimension de l'humain, un autre monde et avec un autre corps autrement plus splendide, véritable stargate.
Rien de tel, là.
Lazare ne fait que « revenir » comme un légume dans l’huile.
Lazare – non une transfiguration mais une préfiguration.
Et ce n'est pas un hasard si c'est dans ce chapitre de résurrection que l'on va parler pour la première fois de la mort programmée du Christ.
L'Homme qui a rendu la vie à un homme est en effet condamné à mort par ses frères.
« À dater de ce jour
ils prirent la décision de le faire mourir. »
Lazare – date de la Passion.
Et selon cette formule décisive de Caïphe :
« Ne croyez-vous pas qu'il est bon pour nous
qu'un seul homme meure pour le peuple ? »
Tout René Girard commence là. Bouc émissaire. Je vois Satan tomber comme l’éclair. Origines de la culture. Etc.
La gare Saint-Lazare (Monet, 1877).
À SUIVRE – JEAN XII L'onction de Béthanie
À REPRENDRE – JEAN X Gage et gratitude
11:36 Écrit par Pierre CORMARY | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lazare, résurrection, rené girard, marie, marthe | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer