Gravure tirée du Procès (Orson Welles, 1962)
Parfois, il faut l'avouer, des choses heurtent.
Ce passage par exemple :
« Amen, amen, je vous le dis,
celui qui n'entre pas par la porte
dans la bergerie
mais y pénètre par une autre voie
celui-là est un voleur et un bandit. »
Ce qui heurte, c'est que beaucoup d'entre nous, me semble-t-il, ont fait leur cette idée que les voies de Dieu étant impénétrables, il y avait plusieurs maisons dans la demeure du Père et que l'on pouvait y entrer par toutes les fenêtres possibles, cheminée, cave, donjon, tunnel, trou d'aération, cuvette des chiottes et pas simplement par la porte qui, à nous, semblait définitivement fermée – petit prétentieux que l'on était De quoi étais-tu fait pour t'imaginer comme ça, bandit et voleur ? Misérable dandy qui faisait son petit démon intéressant et le fait encore à ses heures perdues ! Marginal conformiste qui ne veut pas faire comme les autres. Qui crâne l'Evangile.
En fait, qui n'y comprend rien. Car à force de jouer le paradoxe et le passage secret plutôt que la porte désignée par le Christ, on s'égare.
Reprenons calmement.
La ruelle (Vermeer, 1658)
Un verset se comprend en soi mais se comprend aussi via d'autres versets.
Quand on entend parler de bandits et de voleurs, on s'imagine immédiatement (moi, en tous cas) que ce sont de « bons » bandits et de « gentils » voleurs – au fond de pauvres hères désespérés et qui veulent quand même en être. On croit se reconnaître en eux par indignité forcée et misère vaniteuse sans voir que ceux-ci sont des calculateurs – qui n'entrent par la fenêtre non pas tant par désespoir que par imposture. On ne veut pas voir l'imposture, on ne veut voir que le désespoir. On se leurre.
Passer par la porte, c'est passer par le Christ – soit le berger qui ne demande rien. Alors que passer par la fenêtre ou les chiottes, c'est passer en donnant quelque chose pour prendre quelque chose. C'est passer par un... passeur. Or, s’il y a quelque chose que le Christ n'est pas, c'est bien un « passeur », c'est-à-dire un marchand, un exploiteur de misère, un boursier du désespoir.
Et cela, l'évangéliste le précise tout de bon :
« Je Suis la porte.
Qui entre par moi est sauvé.
Il peut aller et venir,
il trouvera sa pâture. »
« IL PEUT ALLER ET VENIR » – très, très important, ça. Meilleure définition de ce que peut être la liberté. Et que perso, je trouve depuis trois ans à l'Oratoire. Aller et venir comme on veut, multiplier les points de vue, plier et déplier les idées selon Leibniz, les reprendre comme Kierkegaard. Vivre sa foi en propre.
La santé mentale que l'on trouve dans le protestantisme libéral, tudieu !
Et comme le catholicisme après coup paraît une maladie de l'esprit !
(Bon, je force le trait comme tout nouveau converti.)
Non, le mal, c'est le gage, le calcul, le donnant-donnant – le pacte, forcément diabolique.
« Le berger à gages n'est pas le vrai berger ».
Ok, là, je pige.
Le berger à gages, c'est l'imposteur qui veut vous faire entrer par les chiottes alors que la porte était ouverte et, qui plus est, en vous faisant payer le ticket d'entrée. Or, « il n'y a pas de ticket d'entrée à la communion », comme disait la merveilleuse Béatrice Cléro-Mazire un jour de culte.
La porte est ouverte à tous – même à ceux qui sont loin. D'ailleurs, la distance n'est rien. On peut être très loin du Christ alors que lui est toujours très près de vous.
« J'ai d'autres brebis encore,
qui ne sont pas de ce bercail,
celles-là aussi, je dois les conduire. »
En voilà, une parole d'espoir vrai ! Au diable, donc, nos petites tergiversations du début.
Personne n'est oublié – même celui qui a tout oublié.
Bien sûr, on peut parfois trouver le temps long et la parole peu claire.
« Combien de temps
vas-tu nous faire languir ?
Si tu es le Messie,
dis-le nous clairement. »
demandent les Iehoudim.
Mais ça veut dire quoi « clairement » ? Ça veut dire noir sur blanc pour eux, ça veut dire écrit, Ecrits, Lois, Nombres, Géométrie. Et non pas finesse, coeur, sensibilité, mystère.
Dont celui de l'Unité du Père et du Fils – le leitmotive johannique.
« Le Père et Moi,
Nous sommes Un. »
Ça, les Iehoudim ne peuvent pas. Et de nouveau tentent de le lapider – une manie.
Apprécions l'humour irrésistible (et courageux) de Ieschoua en cet instant :
« J'ai fait sous vos yeux
beaucoup de bonnes oeuvres
pour laquelle me lapidez-vous ? »
Et de finir sur une parole capitale – celle du distingo entre message et messager, je et jeu, bon dit et bon en soi :
« même si vous ne me croyez pas,
adhérez à ces œuvres ».
Même si vous pensez que je suis un imposteur, un bandit, un enfoiré, acceptez le bon, le beau, le vrai que je vous ai faits. Un peu comme l'aveugle de naissance répondait aux Pharisiens à propos de ce Jésus : je ne sais qui il est mais je sais qu'il m'a rendu la vue.
Oubliez-moi si vous voulez mais n'oubliez pas les bonnes choses que je vous ai laissées et qui sont distinctes de moi.
Crucifiez-moi si bon vous semble mais ne brûlez ni Loulou ni Cyrano ni Le Dernier Métro.
Gérard Depardieu et Catherine Deneuve (Le Dernier métro, François Truffaut, 1980)
À SUIVRE – Jean XI Douze heures dans le jour (Lazare)
À REPRENDRE – JEAN IX L'aveugle-né ou la Critique du Jugement