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La France Big Brother, de Laurent Obertone - "1984" ou "La guerre du feu" ?

SUR LE HUFFINGTON POST

 

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Le revoilà, l'Avengers de la sociologie mise à bas, le X-men de l'idéologie déculottée, l'Orange mécanique de la France réelle, le journaliste enragé (et non « encarté » comme on voudrait le forcer à « avouer ») qui décrit, décrypte, défrise les expertises officielles, affole la bien-pensance et hante les cauchemars d'Aymeric Caron - j'ai nommé Laurent « Obertonnerre », celui qu'on n'ose pas ou plus inviter sur les plateaux télé, ou qu'on décommande à la dernière minute, celui à côté duquel Eric Zemmour paraît un bisounours et Michel Houellebecq un Shadock, celui dont les livres cartonnent au grand dam des observateurs officiels car ils sont une revanche des gens sur les élites, du provincial sur la capitale, du plouc imprécateur sur l'intello censeur.

Il est vrai que l'auteur de La France Orange mécanique et d'Utoya a un sens de l'intempestif peu commun. Dans ce nouveau livre, conçu comme une série de lettres envoyées par les tenants d'un Pouvoir totalitaire à un « Monsieur Moyen » qui serait chacun de nous, il s'agit rien moins d'expliquer comment « nous », habitants du pays de Voltaire et parlant la langue de Molière, avons pu être à ce point aliénés moralement, politiquement, socialement, esthétiquement, historiquement, et par-dessus tout biologiquement et zoologiquement. Car pour Obertone, il s'agit moins d'aliénation que de dressage, de cité que de zoo, de robot que de chien, de loup, de mouton, de poule et même de porc. En lecteur assidu de Konrad Lorenz (dont L'Agression, une histoire naturelle du mal pourrait servir de titre générique à ses trois livres), il traite l'homme moyen comme un animal domestique qui aurait perdu tout instinct de survie - ce qui, disons-le tout de suite, ne va pas sans poser de petits problèmes de réductionnisme. Si le darwinisme social a ses vertus, il a aussi et assez vite ses limites. Or lui, Obertone, n'a pas de limite, si bien qu'à un moment donné son livre si fort, si drôle, si exact dans ses informations, devient problématique quant à son sens profond. On a beau trouver très pertinentes les remarques sur la perte de nos immunités défensives, la chute de notre instinct de survie, notre propre haine de l'anthropologie classique qui était jusqu'ici garante de notre présence au monde, on se dit que ses comparaisons animalières permanentes font long feu. Et que même si l'on rit souvent (« Tu crois que François Hollande aurait eu une chance, face à un tigre à dents de sabre du paléolithique supérieur ? »), son approche presqu'exclusivement comportementale et « survival » de l'humanité finit par rendre perplexe - et nous donner envie de lui dire : « ok Laurent, tu dénonces la dimension 1984 de notre époque, mais tu ne plaiderais pas pour un retour à la guerre du feu, là, quand même ? »

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Konrad Lorenz

 

En même temps, et c'est toute l'ambiguïté de ce livre bien informé et mal conçu, on se régale. Les portraits font mouche (Plenel, Taubira, Barthès, BHL), les chiffres corrigent quelques vieux fantasmes (aux Etats-Unis, les Blancs sont deux fois plus victimes des Noirs que l'inverse ; en France, la différence de salaire entre hommes et femmes est ultra-marginale) ; les déclarations des uns et des autres, diaboliquement remises à jour (dont celles de Najat Vallaud-Belkacem sur la théorie du genre, affirmée comme telle en août 2011 puis niée en juin 2013), rappellent comment la manipulation est à ce point formatée, légitimée et surtout acceptée dans notre beau pays. Certes, Obertone n'hésite pas à puiser abondamment dans des travaux déjà faits, d'ailleurs très honnêtement cités, comme tel article de Science, Slate ou Capital, ou tel ouvrage de référence comme La Face cachée du Monde, de Péan et Cohen, ou encore La Barbarie intérieure, magnifique essai sur « l'immonde moderne » du regretté Jean-François Mattéi - mais qui l'en blâmerait ? L'information est faite pour circuler, et ce qu'un public intello a lu, par exemple, sous la plume de ce grand philosophe disparu l'an dernier, le grand public le lira sous la plume de ce journaliste infréquentable à force d'être intraitable qu'est Obertone. C'est d'ailleurs ce qui déplaît tant chez ses contempteurs qui sont légion. Qu'il vende la mèche à tous. Qu'il déverse des vérités grossières sans déontologie, hors de tout esprit de sérieux ou de conscience « responsable ». Obertone, au fond, est aussi « irresponsable » qu'un célèbre journal qui vient récemment de payer le prix du sang pour avoir osé être libre sans dieu ni maître. Et c'est pour cette raison que personne ne veut discuter avec lui. Quelqu'un qui écrit sans complexe, à propos du sacrifice expiatoire de Cahuzac via Médiapart, que « le pire est souvent légal », que c'est grâce à Libération, Le Monde et L'Humanité, que « la France est mentalement communiste », que « subventionner la presse, c'est exactement comme si on obligeait les gens à acheter les journaux qu'ils ont choisi de ne pas lire » ou, encore mieux, que l'antiracisme est le « knout du régime » , et que l'islamophobie, voudrait-on nous faire croire à propos de la décapitation de Hervé Gourdel, est pire que l'islamisme ne peut décemment être invité sur Canal +.

 

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Sans compter l'analyse du féminisme dans le chapitre le plus savoureux et le plus osé du livre intitulé comme il se doit « le camp des seins » et dans lequel on apprend, entre autres, comment les féministes radicales ont déclaré la guerre à l'anisogamie - soit cette réalité physiologique qui veut que « les mammifères femelles s'investissent plus que les mâles dans leurs progénitures » et dès lors développent des facultés différentes que celles de la créature qui les a ensemencées. Du fait que pour une femme, concevoir un enfant occupe neuf mois de sa vie, c'est son cerveau lui-même qui a choisi la stabilité, la paix, l'ordre invariant des choses, soit tout ce qui permet d'assurer la gestation et la protection de son enfant - alors que l'homme, qui peut avoir des centaines d'enfants par an sans même s'en rendre compte, est beaucoup plus sensible au changement de temps, aux mutations historiques, à la violence voulue comme telle - et au charme de la voisine. Contrairement à l'adage répandu, la femme est finalement beaucoup plus « invariante » qu'elle ne « varie », au contraire de son irresponsable compagnon toujours prêt à mettre en péril le monde. Même « un ver de terre mâle a un cerveau différent d'un ver de terre femelle (Science, août 2012) », va jusqu'à écrire Obertone. Mais c'est cette inégalité sexuelle qui est « le prix de la civilisation » et le garant de la vie.

 

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Avouons-le, notre ancien collègue du Ring s'emmêle parfois les pinceaux, notamment quand il parle d'art : qu'est-ce que c'est que ce jugement sur Matisse qui « dessine mal », Laurent, enfin ? Et comment mettre sur le même plan l' auteur du « Grand nu rose, couché » de 1935 avec la « performance », pour le coup bien débile, de cette « artiste » venue récemment exhiber son sexe devant L'origine du monde de Courbet au Musée d'Orsay ? En fait, c'est à partir de ce moment qu'on finit par se demander qui est exactement ce Big Brother avec lequel tu tiens à nous faire si peur. Les media ? L'Etat ? Tout le monde ? Nous-mêmes ? Moi-même ? Toi-même ? En vérité, trop de big brother tue le big brother. Si sur le plan littéraire, ton enquête fonctionne à merveille car tu sais comme pas un faire d'un livre un compte à rebours, sur le plan sociologique, celle-ci finit par faire long feu, et à flirter avec une sorte de paranoïa que pour ma part, je suis bien incapable de suivre.

Passons sur ta dénonciation du « dysgénisme » censé propager les débiles (« le contraire de l'eugénisme », sembles-tu écrire avec regret [1]), ainsi que sur ta critique plutôt douteuse du refus de l'Etat « d'armer ses citoyens », et qui semble signifier, même si tu ne le dis pas clairement, que tu es bel et bien pour que chaque citoyen possède son propre fusil à pompe !!

Non, le vrai problème de ton livre (qui se lit avec avidité, là-dessus, pas de problème), est qu'il semble que pour toi, tout finit par relever de Big Brother - non seulement la presse et certains groupes de pression (et là aussi, comment ne pas te suivre ?), mais encore les institutions en elles-mêmes, l'Education Nationale (et pas celle de la seule Najat Vallaud-Belkacem, non, mais bien celle de Jules Ferry et de Charlemagne), l'Eglise, et pourquoi pas les arts et la littérature, la philosophie et la religion. Et c'est là que je finis par me demander où s'arrête, et d'ailleurs où commence, ta critique. Parce que tout à ta dénonciation tout azimut, tu donnes l'impression de confondre « l'idéologie dominante » avec l'ensemble de nos valeurs communes, la « soumission » avec l'éducation en soi, le « Parti » avec tous les régimes que la France a connus depuis deux mille ans. Big Brother, ce ne serait donc pas simplement les mass media, le « système », le capitalisme ou le socialisme, mais bien le pays lui-même et son Histoire. La République, et avant elle, la Monarchie, l'Empire, l'Ancien Régime, la féodalité, le christianisme, le paganisme, Athènes et Jérusalem, Rome et Babylone - même l'époque Cro-Magnon. Big Brother, à te suivre, ça pourrait commencer à Lascaux ! 2001, l'odyssée de Big Brother ! Notre Big Brother qui est aux cieux ! Et je ne plaisante pas. C'est bien toi qui écris, page 70, que « le passage du polythéisme au monothéisme [est] un premier pas vers l'adoration du Maître » !

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Au bout du compte, Big Brother, ce n'est pas ce qui aliène le monde, c'est le monde lui-même. C'est l'enracinement, l'appartenance, l'hominisation, « la volonté générale » et même « le sens commun » - dont tu prétends être, un comble, le défenseur. Mais le sens commun, Laurent, implique précisément qu'on ne soit pas seul au monde pour s'en réclamer. Ton individu « libre » et affranchi du système, au fond, un être hors de toute collectivité, de toute socialité et de toute Histoire, on se demande à quoi il pourrait ressembler. A part l'homme nu hurlant dans le désert à la fin du Théorème de Pasolini, je ne vois pas...

 

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[1] Et d’ailleurs tu te trompes complètement, car la tendance actuelle est justement à la disparition clinique des trisomiques. Voir l’excellent livre de Bruno Deniel-Laurent sur ce sujet, Eloge des phénomènes.

 

 Laurent Obertone sur ma page :

1 - La France Orange mécanique

2-  Utoya.

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