Sur Causeur, le 03 novembre 2012
Réponse à MM. Jérôme Leroy, Pasolini et Genet
Rédacteur dans de nombreux journaux parisiens et grand habitué des raouts parisiens, Jean-Kevin Le Baptiste, 24 ans, titulaire d’un master de sociologie sur Judith Butler et Boy George, auteur d’un mémoire intitulé « Homogynéphilie et parentalitude ou pourquoi l’homopolyparentalité est une chance pour l’enfant unique », militant surengagé d’« Agis Debout » et de « Terre Neuve », nous livre ici ses réflexions de citoyen intersexuel. Quelques mauvaises langues prétendent qu’il n’est qu’un artefact auquel le taquin Pierre C. ne serait pas étranger.
Je préfère le dire tout de suite et au risque de faire grincer des dents : moi, je suis dans la Vie, et pas chez pépé. Pasolini, « pédé martyr », j’en ai rien à foutre. En 2012, l’heure n’est plus à la subversion par des classiques- d’ailleurs surestimés – de la littérature et du cinéma gays mais à la réforme progressiste des sexes et des identités. L’homoparentalité, ç’a toujours été l’avenir. Et l’avenir, c’est maintenant. Et maintenant, c’est tout de suite.
Pour les gens de ma génération qui ont eu la chance de naître à mon époque et qui ont très vite pris conscience de tout le mal que le passé a pu faire aux hommes et aux femmes de bonne volonté, l’urgence a toujours été d’abolir définitivement les anciens paradigmes. Oui, je le dis avec mes mots à moi, ces mots de citoyen du monde dont vous vous faites des gorges chaudes à Causeur, mais le bien, c’est l’antiracisme, l’antiracisme, c’est le goût des autres, et le goût des autres, c’est la fête – cette fête à laquelle vous avez déclaré la guerre, on se demande bien pourquoi. Quant au mal, y a pas photo, ç’a toujours été le passé. L’Histoire nous montre que plus l’on avance dans le temps, plus la justice et l’égalité triomphent. Moyen Âge < Renaissance. Ancien Régime < Révolution. Droite < gauche. TF1 < Canal +. Imparable. Avant, c’était la peine de mort, la colonisation, l’esclavage, l’Inquisition, l’homophobie, l’hypocrisie bourgeoise (à laquelle appartiennent autant une Christine Boutin qu'une Nancy Huston, toutes les deux bien d'accord pour condamner la théorie du genre, comme par hasard !), la prostitution permise, l’ignorance des pauvres à cause des riches, et tout cette littérature soi-disant « géniale » qui ne faisait qu’entériner la fracture sociale et la culture des possédants, ces Balzac, ces Proust, ces Céline (un vrai salaud, lui) que des gens comme moi ont bien raison de trouver illisibles et pire – nocifs.
D’ailleurs, la littérature, dont les snobs réacs disent qu’elle sert à exprimer le « Tragique » du monde, moi, ça ne m’intéresse pas, et je pense que ça n’intéresse personne. Au contraire, je suis sûr que moins on fera d’œuvres tragiques, moins il y aura de tragique dans le monde. Logique. Comme il y en a qui sont ni Dieu ni maître, moi, je suis ni Bible ni Freud. J’aime mes papas, j’aime mes mamans, j’aime mes frères et soeurs, y compris quand ils sont ensemble (car pour nous il n’y a que l’amour qui compte, et le seul droit valable, c’est le droit de l’amour), personne n’a jamais voulu faire l’amour de force avec personne, et je peux vous assurer qu’on est d’accord tous les quinze pour dire qu’on n’a vraiment pas besoin de Sophocle, ni d’Eschyle, ni de Saint Paul, ni de Shakespeare, ni de Pascal, ni de Sade, ni de Lévi-Strauss ou d’Elisabeth Lévy pour comprendre la vie. Nous ne sommes pas pécheurs, nous ne sommes pas castrés, nous ne sommes pas sadiques, nous n’avons jamais compris pourquoi des fleurs pouvaient avoir un quelconque rapport avec le « mal », comme un poète d’extrême droite du XIXème s’est complu à le dire, nous emmerdons tous les Oedipe et tous les Job de la terre, nous ne croyons pas aux structures élémentaires de la parenté, et nous plaignons de tout cœur ceux qui respectent encore ce genre de balivernes ou de superstitions. Car heureux et innocents, oui, nous le sommes…
Alors que M. Leroy parle de Pasolini et de Jean Genet avec des trémolos dans la voix, c’est son affaire, mais il se plante complètement quant au statut de l’homosexualité d’aujourd’hui. Toutes ces idoles des années 70 nous apparaissent comme les idiots utiles du pouvoir judéochrétien, et qui sous couvert de « subversion » renforçaient le fascisme conservateur le plus inique. C’est la libération des gays qui nous importe, et non la subversion du système qui est toujours un truc de dandy. Et c’est pourquoi il est pitié de constater que cette foutaise intellectuelle qui veut que l’on accepte les homosexuels qu’à la condition qu’ils s’appellent Marcel Proust, Reynaldo Hahn, Jean Genet, Jean Cocteau, Fassbinder ou… Pasolini, autrement dit qu’à la condition qu’ils soient d’inoffensifs esthètes, a encore de beaux jours devant elle. L’homosexualité tolérée comme singularité d’intellectuel raffiné destiné à provoquer les conventions sociales, la voilà, la vraie, et la plus ignoble, homophobie. Et c’est pourquoi nous aurions largement préféré que les Burroughs, Proust, Cocteau, et autre Francis Bacon militent de manière responsable pour le droit au mariage et à l’adoption pour tous plutôt que perdre leur temps à faire de la provocation littéraire ou pictural avec leur cul, entretenant une guerre bien inutile avec les clercs et au fond les servant.
Alors, comme tout le monde, je l’ai vu, le Salo de Pasolini, et n’en déplaise à vous autres, les intellos des années 70 sur le retour et pour qui ce film est le truc « ultimate » de tous les temps, franchement j’ai trouvé ça gerbant de bien-pensance et de puritanisme larvé. Il n’y a vraiment que les bourgeois et les ringards pour s’exciter sur un machin pareil. Un film aussi laid, stupide, puritain, antisocial, antilibertaire, qui tourne en bourrique tout ce que la modernité a pu nous apporter, et qui passe pour un « chef-d’œuvre » de la dérangeance – moi, j’aimerais bien qu’on m’explique. Que nous dit en effet le Salo de Pasolini ? Que le fascisme était abominable ? Bien sûr. Sauf que le fascisme, pour Pasolini, c’est le produit de l’anarchisme. « Nous autres fascistes sommes les seuls véritables anarchistes », ose déclarer l’un des quatre libertins. Ca, c’est le raisonnement typique réac des ganaches de droite. Pas étonnant que Le Figaro aime… Dès qu’on leur promet un peu de liberté et d’hédonisme, ils y voient une menace de fascisme, les réacs !
Mais voyons la suite. Que penser de ce règlement des quatre libertins qui prévoit que « les plus petits actes religieux soient punis par la mort » ? Bon sang mais c’est bien sûr, le fascisme, pour ce monsieur Pasolini, c’est l’anarchisme plus l’athéisme ! En voilà une idée qu’elle est bonne ! Sérieusement, moi, rien que là, j’avais envie d’arrêter. Dans ce film, les victimes, ce ne sont pas les libres penseurs, ce sont les religieux, attends, mais on rêve complètement, là ? Le voilà donc le message « subversif » de ce cinéaste italien qu’on aurait pu penser plus ouvert d’esprit vu son orientation sexuelle, et paraît-il son « marxisme », qui défend la religion et fait passer des anticléricaux pour des salauds ? C’est le monde à l’envers, vraiment…
Et puis, ça veut dire quoi toutes ces scènes immondes ? « Le cercle des manies » ? « Le cercle de la merde » ? « Le cercle du sang » ? Que la sexualité libre entre adultes consentants est forcément quelque chose de répugnant et de violent – une descente aux enfers, c’est ça ? Que « la jouissance sans entraves », ça mène à bouffer ses propres excréments ? La libération sexuelle amalgamée à la merde, c’est ça la subversion de votre cinéaste pédé martyr ? Un contempteur des corps désirants ? Un répressif qui trouve à redire de l’idéal queer ? Non, ça pue la morale judéo-chrétienne tout ça. Et je passe sur la scène du concours du plus beau cul comme s’il avait voulu se moquer, trente ans avant, de la Starac ou de Secret story ! Ce n’est pas un crime de vouloir être le plus beau ou la plus belle que je sache, non ? Monsieur Pasolini, si vous avez un problème avec la jeunesse, il faut le dire !
Mais le pire, ce sont les mariages homosexuels que monsieur l’artiste filme de la manière la plus dégueulasse qui soit. Un mariage entre mecs qui s’aiment, ça doit avoir l’air aussi grotesque ? C’est là que Salo devient réellement un film homophobe tant le cinéaste s’acharne à nous dégoûter de ce que pourrait être l’union entre deux êtres du même sexe. Il rend hideux et abject ce qui devrait être la plus belle chose du monde : la possibilité pour tous de se marier avec tous, une forme d’amour cosmique quand on y pense. Désolant.
Quant au final immonde, je préfère ne pas en parler. Car les tortures qui font rire et jouir les quatre types et qu’on dirait que les quatre types c’est nous, c’est moi, ça, je n’accepte pas. Je n’accepte pas qu’un prétendu artiste me manipule de manière aussi grossière, je n’accepte pas qu’on se complaise à montrer le pire visage de l’humanité sous prétexte qu’il y a des fous qui ont fait ce genre de choses, je n’accepte pas qu’un cinéaste fasse du salaud son propre spectateur (un peu comme cet ordure de Stanley Kubrick l’avait aussi fait aussi avec son Orange infecte), je n’accepte pas enfin qu’on fasse d’une communauté gay un camp de concentration ! Et c’est exactement ce que fait ce film indigne.
Alors, avec ma tribu, mon copain, mon autre copain, et le copain de mon père, mais aussi avec avec ma mère, sa sœur et leur petite fille, nous lançons un appel à la vigilance culturelle et artistique et refusons de toutes nos forces citoyennes qu’on dise, comme dans le Salo de Pasolini, que le fascisme est athée, hédoniste, anarchiste, libéral et gay !!! Parce que le fascisme, c’est exactement le contraire !! Et nous espérons que ce film répugnant disparaîtra au plus vite des ventes et des écrans ! Car un cinéaste qui déclare, et comme nous pouvons le lire dans une vieille interview de 1975 contenue dans le livret du DVD, des choses aussi abjectes que : « Nous vivons dans ce qui arrive aujourd’hui, la répression du pouvoir tolérant (putain, j’hallucine !) qui, de toutes les répressions, est la plus atroce (non, mais vraiment n’importe quoi !) Il n’y a plus rien de gai dans le sexe (si, mes amis et moi, et on t’emmerde !!!) » ou que « les jeunes gens sont laids ou désespérés, méchants ou vaincus » (ouh le jaloux !), ne fait rien d’autre qu’insulter la jeunesse, inciter à la haine et, pire que tout, mettre en branle ce qui n’est rien d’autre qu’une régression sociale et morale, et tout ça sous couvert « artistique ».
On savait que ce Pasolini avait osé dire, en plein 68, que les vrais prolétaires, ce n’étaient pas les étudiants qui lançaient des pavés mais bien les CRS qui les recevaient (faut-il avoir une haine de la vie pour préférer un flic à un djeun ?), on sait désormais que l’auteur de Théorème n’a jamais été qu’un ennemi du progrès des moeurs. Non, l’homosexualité n’est plus, n’est pas, n’a jamais été une singularité. Et pour pour nous, gays du XXIème siècle, il ne s’agit plus de provoquer la société, mais d’en être, au même titre que les hétéros. Et vous pouvez faire tout ce que vous voulez, nous en serons bientôt, car la science, l’éthique, les sondages et Najat Vallaud-Belkacem sont de notre côté. Contre tous les « pasoliniens » du monde, nous apporterons bientôt du bonheur et de la candeur. Car heureux et innocents, oui, nous le sommes.
Jean-Kevin Le Baptiste
(Première version de ce texte en juin 2007)
Commentaires
J'avais déjà jubilé lors de sa lecture sur Causeur mais mieux vaut deux fois qu'une.
Vous avez tout de même reconnu que les opposants au mariage homo étaient franchement ridicules avec leurs manifs de vieux catho déguisé en papillon.
Vous verrez, ce ne sera pas la fin du monde ni celle du monde de la famille traditionnelle. Au contraire, les homos ont le droit d'être aussi conservateurs que les hétéros.
C'est vrai que sur cette question, j'ai fini par faire mon coming out. Non pas tant pour des raisons morales que politiques. Pour dire les choses en une phrase, le réel a gagné et mes beaux principes métaphysiques n'y feront rien. D'autant que moi-même, je suis partagé entre mon "ordre symbolique" et mon libéralisme. Et puisque vous faisiez référence à mon statut Facebook de la semaine dernière où je "jetais l'éponge", je copie-colle celui-ci et mets en ligne toutes mes interventions développant largement mon "nouveau" point de vue entre quelques cent commentaires. On pourrait appeler cela "mémoire d'un repenti" :
"Pierre Cormary - Eh bien je jette l'éponge. Qu'ils se marient, aient des enfants et comprennent leur douleur - la vie étant de toutes façons une aberration en soi."
(....) "Je dois dire que la manifestation anti-mariage gay à La Défense de l'autre jour était composée de gens tellement anormaux, débiles mentaux, à enfermer d'urgence, que je me suis dit que non, entre deux aberrations, il fallait choisir la moindre - et que comme, lorsque je regarde The kid de Chaplin, je ne me voyais pas vraiment dans le rôle des dames patronnesses qui le lui arrachent, mieux valait finalement laisser faire, le laisser faire étant aussi et dans certains cas une marque de sagesse. Du désordre peut naître un certain ordre. Et le Christ est moins venu pour organiser la vie que pour sauver l'individu."
(....) "Et c'est vrai que la photo des deux filles (d'ailleurs hétéro) s'embrassant en souriant devant la horde des mégères est irrésistible. C'est comme avec Chaplin : on ne peut pas ne pas être de leur côté. Alors en effet, tout cela est le triomphe de l'imagerie libérale, et alors ?"
(....) "Ce qui fout peut-être la trouille aux familles traditionnelles, c'est d'avoir enfin la preuve que l'homosexualité, pas plus que l'hétérosexualité, n'est une question de transmission. Autrement dit, que l'individu, qu'il vienne d'une famille gay ou hétéro se révèle l'un ou l'autre sans "causalité psychique" - et avec même le "risque" que d'une famille gay se développent plein de petits hétéros comme d'une famille tradi catho naissent plein de petits homos. Ainsi l'autonomie sexuelle de l'individu apparaitra totale et l'ipséité existentielle aussi légitime que l'altérité - l'une d'ailleurs garante de l'autre."
[A Babbie Ogilvy qui me disait qu'elle continuait à résister] : "Mais si, vous jetez l'éponge, Babbie Ogilvy, comme moi, comme d'ailleurs Lionel Lumbroso aussi la jette, vous parce que vous n'avez pas envie d'argumenter (autrement dit, quoique maugréante, vous vous retirez du débat et n'êtes plus malgré votre mauvais humeur une menace pour le mariage gay), et lui parce qu'il a trop envie d'argumenter, sauf que ces arguments sont aujourd'hui dépassés par le réel. Celui-ci l'a en effet emporté contre nous et quels que soient nos beaux principes métaphysiques - ceux-là mêmes que je me suis escrimé à défendre pendant des années avec et contre mon grand ami Jean-Rémi Girard, et qui encore aujourd'hui ne me paraissent pas du tout caduques sur le plan moral, social et métaphysique, sauf que ce n'est plus ce plan-là qui domine, et s'il ne domine plus, ce n'est pas pas pour d'obscures raisons complotistes, mais peut-être pour de bonnes raisons sociales et humaines.
Comme le rappelle JR, c'est un fait qu'il y a aujourd'hui cent mille, et certainement plus, de familles homoparentales, c'est un fait qu'un homosexuel non déclaré (un célibataire, quoi) peut adopter un enfant, c'est un fait que la famille gay existe officieusement. Le problème des gays est alors d'officialiser cet état de fait, de le déclarer, de le rendre transparent, légal, normal, pour les raisons exposées par JR : égalité des droits, reconnaissance des situations et donc finalement indifférence à celles-ci. Le mariage gay profitera à quelques malheureux qui veulent se marier, simplifiera quelques situations, et basta. Je ne dis pas que cela m'enchante, mais comme je ne me vois pas "agir" (et vous non plus je crois), c'est-à-dire aller faire le guignol dans des manifs grotesques et encore moins arracher les enfants à leurs parents, briser cent mille familles parce qu'elles ne correspondent pas à mon idée de "sainte famille" (et franchement vous en connaissez vous des saintes familles ??), il ne me reste plus qu'à accepter tout cela en me disant que ce changement de paradigme n'est peut-être pas aussi grave que je le pensais - et qu'encore une fois il peut correspondre, malgré l'irritation que j'en ai, à des mutations profondes, des nouveaux besoins sociaux qui doivent avoir leur légitimité. "Il faut que tout change pour que rien ne change", comme disait le prince Salina. Et puis quoi ? Peut-être le mariage gay va-t-il renforcer par contraste le mariage religieux ? Le mariage civil n'en sera que plus profane, le mariage religieux plus sacré. En fait, le mariage gay risque de resacraliser une partie de la société, et tout le monde sera content.
Quant aux enfants, et Dieu sait que j'ai souvent pensé et que je pense encore sans doute que rien ne vaut pour un enfant la perception de la différence sexuelle incarnée par l'homme et la femme qu'il a devant lui pour constituer son identité, eh bien, ils trouveront malgré tout leur agencement symbolique ailleurs - car le symbolique sexuel, au fond, est partout, autant dans la Bible que dans Harry Potter, tout simplement parce que l'homosexualité reste une singularité (Dumbledore !), une minorité. Que la minorité ait les mêmes droits que la majorité, ne serait-ce que pour être enfin acceptée légalement par la première (parce que la reconnaissance sociale, contrairement à ce que vous disiez, Lionel et Pascal, passe par par définition par le légal et non pas par votre sympathique individualité - pour dire les choses autrement, les gays veulent autre chose que du "gay friendly"), ne serait-ce que pour avoir la paix civile, ne fera pas que la minorité renversera la majorité. Bref, le mariage gay avec adoption n'est pas une révolution mais un nouvel agencement social qui concerne des gens dont ceux et celles que je connais feront certainement des parents bien meilleurs que moi...
En revanche, ce sont les partisans de la théorie queer qu'il ne faut pas cesser de combattre, car ce sont bien eux les hérétiques. Et je crois que si le mariage gay passe, ce seront alors les gays qui brûleront les queer. Car un gay marié et parent aura alors son identité fixée et reconnue par la loi et donc risquera de voir d'un assez mauvais oeil l'anarcho-libertarisme prônée par Butler and girls. Parce que les gays married deviendront les plus conservateurs d'entre nous - et aussi les plus anti-islamistes ! Et ça, je pense que JR s'en souvient, je l'avais écrit il y a longtemps : depuis Pim Fortuyn, on sait que ce sont les pédés qui seront le meilleur rempart aux islamistes. Le mariage gay, en fait, c'est une victoire néo-conservatrice, libéralo-nationaliste, occidentalisto-centrée, impérialiste blanche."
(...) [A Bernard B.] "Non, là où la comparaison de Bernard avec la polygamie ne tient pas la route est qu'elle fait fi des us et coutumes des uns et des autres, les premiers étant avec le mariage gay à la pointe du progrès (ou de la décadence comme on voudra) de la culture occidentale, les seconds étant avec la polygamie (d'ailleurs minoritaire chez les intéressés) à la pointe de la régression orientale. A la limite, la question se poserait si cette polygamie était mixe, ce qui est loin d'être le cas. Bref, c'est comme si on craignait que le droit au piercing amène le droit à l'excision."
(....) "La différence entre le mariage gay et la polygamie est que le premier suppose une égalité parfaite et la seconde une inégalité parfaite. Ce n'est pas donc pas du tout la même chose. Même en faisant semblant d'accepter les "richesses culturelles" des uns et des autres, la République n'admettra jamais un droit à l'inégalité (ce qu'est en effet la polygamie version orientale) même réclamée au nom de l'égalité. Mais les "trouples", j'avoue que ça me la couple."
(....) "Ce que je veux dire, Bernard, c'est que le mariage gay va être ressenti dans les communautés traditionnelles, musulmanes en premier lieu, comme une négation totale de leurs valeurs. Là, ils risquent de se sentir encore moins "français", les mecs... Tous les new gay maried finiront au FN, vous verrez...."
(...) "Lionel, Bernard, ce qu'il faut comprendre, c'est que l'homosexualité à la papa façon Pasolini et Jean Genet, c'est fini depuis belle lurette. "La grande figure homosexuelle qui aurait un discours secouant et novateur" comme vous dites n'a plus aucun sens en 2012. Les homosexuels sont passés de l'affirmation baroque de leur différence à la revendication militante et extrêmement bien construite (c'est-à-dire hargneusement pénale) d'une égalité juridique, administrative et symbolique - et c'est cela que que l'on ne supporte pas. Parce que leurs anciennes postures de dandys subversifs étant en fait fort commode à gérer, surtout dans les années 70, année schizophrènes s'il en est où l'on votait pour Pompidou et Giscard tout en allant se pâmer devant Le dernier tango à Paris ou Emmanuelle. On était de droite centriste mais on ne détestait pas les "expériences interdites". On était à la fois dans la loi du père et le zut au père et on trouvait ça très bien. Cet ancien ordre des choses a fini par voler en éclat. La loi du père a fini non pas tant par céder à loi de la mère ("la féminisation de la société" est en fait une vieille topique des années 80 et je pense qu'on l'a largement dépassé) qu'à la loi de la Loi, qu'à à la volonté au fond ultra-républicaine de donner les mêmes droits à tous, sans plus aucun souci des anciens paradigmes et de l'ordre symbolique lui-même fondé sur la distinction des êtres, des sexes, des races, etc. Houellebecq a très bien vu ça : l'ère de la dualité est terminée. L'unité domine partout. L'autonomie libérale de l'individu est le premier souci social. La marge est devenue normative. le gay veut aller à la mairie. Le punk veut Bayrou. Et ma foi, pourquoi pas ?
Ne restent plus que des Jean-Kevin Le Baptiste, nouveaux cathares qui ne voient le mal nulle part et en sont d'autant plus méchants, impitoyables juges et procureurs des temps passés, affranchis redoutables qui ne laisseront jamais rien passer des anciens codes (http://www.causeur.fr/pour-le-mariage-ladoption-et-le-bonheur-de-tous-pour-tous-avec-tous,19307) pour qui, et c'est là où le dialogue de sourd avec Jean-Sébastien Chauvin est très intéressant, ceux qui passaient naguère pour des provocateurs ou des "modernes" apparaissent aujourd'hui au mieux comme de pauvres ringards qui n'ont pas vu les nouvelles mutations sociales, au pire comme des post-fachos nostalgiques d'un passé répressif et moyenâgeux - alors qu'à mon sens les uns sont les enfants des autres, et les vrais ennemis des gays ne sont pas leur pères ou grands-pères mais leurs frères musulmans, rappeurs et autres, sans compter certains de leurs petits frères et soeurs blancs ultra underground en même temps qu' ultrapuritains (les néonazis ont quinze ans)."
(....) "Avant de repasser à l'Iliade XVII :
- Pascal, l'argument cratylien est évidemment imparable (mariage = union entre un homme et une femme ; et même pour aller plus loin : couple = union entre mâle et femelle - et fait en ce sens qu'il ne saurait y avoir de "couples" homosexuels mais simplement des duos), sauf que c'est bien ce cratylisme-là que l'on a abattu aujourd'hui. Il ne saurait y avoir de théologie du langage à notre ère sophistique ou seul l'individu et son désir sont la mesure de toutes choses. Comme le dit Humpty Dumpty dans Alice :"les mots signifient ce que je veux qu'ils signifient", le langage est enfin libéré de ces référents nominaux et symboliques. Et si je veux qu'un carré soit rond ou que deux hommes ou deux femmes ensemble constitue un couple marié, aucune instance langagière, platonicienne ou biblique ne devra me l'empêcher. L'absurdité que nous y voyons, nous, les réacs ou anciens réacs,n'existe que dans un vieux cadre hiérarchique et divin qui n'a plus lieu d'être aujourd'hui. Jean-Rémi le disait sans ambages : la Bible, il s'assoit dessus, et sur Platon aussi, mais où est le souci ? C'est l'homme qui fait l'humanité, plus la Nature ni le Divin. Le génie de l'homme, c'est l'artifice, l'anti-nature, le social, le feu volé aux dieux. "Que faire ?" comme dirait Lénine.
- Et c'est pour cela, Lionel, et aussi Gabriel, au contraire de ceux qui n'argumentent rien, vous, vous argumentez trop, et ce faisant, vous loupez le coche de la situation. Car le débat est bien derrière nous. L'homoparentalité existe de fait et il ne s'agit plus tant de débattre que de se demander comment on va gérer cet état de fait. Pour ma part, je ne vois que trois directions :
- soit se livrer à une répression féroce : l'homoparentalité annulée par une loi qui interdirait désormais à tous les célibataires d'adopter et ne promouvrait que des couples hétéros triés sur le volet + une campagne cratylienne dure où l'on ferait en sorte que le Logos redevienne le garant de l'ordre symbolique + une obligation pour la communauté scientifique de redéfinir l'homosexualité comme un "désordre mental" comme c'était le cas selon l'ancien protocole ;
- soit continuer à jouer l'hypocrisie ou la schizophrénie sociale (typiquement catholique et française), c'est-à-dire admettre l'homoparentalité de fait mais non l'officialiser par le droit, et continuer des débats sans fin menés au nom de "l'intérêt de l'enfant" (à moins que l'on permette l'adoption sans le mariage, solution bâtarde et monstruosité juridique à la François Bayrou) ;
- soit se soucier un peu de logique sociale et juridique et accorder ce droit de mariage et d'adoptions "pour tous" (même s'il il faut bien avouer que cette expression est la plus malheureuse car elle contient en effet tout ce que les ennemis du mariage gay pourront y mettre), parce qu'après tout la vie a des possibilités infinies, s'adapte à toutes les situations, les sublime toutes, et ne saurait être "bloquée" par l'homosexualité, singularité profonde de l'être humain et peut-être altérité véritable au sein de celui-ci, et qu'à un certain moment, il faut peut-être prendre des distances avec ses Arché et faire aussi un peu confiance aux hommes et aux femmes de bonne volonté. Loin de relever d'un credo régressif, infantile ou sadique-anal, comme le soutiennent encore certains psychanalystes, le mariage et l'adoption gay représenteraient bien au contraire un pas de plus de l'humanité dans son autonomie adulte. Putain, j'ai mal." (....)
Bonjour Pierre,
" Pour dire les choses en une phrase, le réel a gagné et mes beaux principes métaphysiques n'y feront rien. D'autant que moi-même, je suis partagé entre mon "ordre symbolique" et mon libéralisme.
J'en suis au même point depuis le jour de ma naissance, je crois. Et j'ai beau être viscéralement contre cette mesurette socialo de fisc fucking - le mariage gay comme vaseline du racket fiscal -, je suis radicalement pour.
Certes, ça ne fera pas taire les bruyants imbéciles d'ActUp, lesquels, n'étant quantitativement personne, ne seraient plus rien sans le brouhaha médiatique que suscite à l'infini leur incohérent bavardage (la cohérence, pudique et lapidaire, est le pire ennemi des médias).
Mais, de deux choses l'une : soit le mariage homo sera un bide, tout comme l'excellent pacs devenu comme prévu la solution de facilité préférée des hétéros ("ensemble, mais sans engagement hein !"), si bien que seuls trois pédés et quatre clitoridiennes feront/adopteront/achèteront des gosses ; auquel cas la révolution sociétale annoncée fera flop. Soit, au contraire, ce sera une catastrophe civilisationnelle massive (moi, contrairement à ton ado sociologue libéral libertaire - crétin narcissique -, je ne crois que ce vieux réac de Freud n'ait dit que des conneries)... auquel second cas, ce même principe de réalité, devant lequel toi et moi nous agenouillons aujourd'hui comme devant un totem inébranlable, obligera ce qu'il reste de civilisation à un soudain et vigoureux bond en arrière.
Moyennant, au passage, bon nombre de drames, de tragédies parfois. Mais, on le sait, le tragique est un mythe - et même, selon nos radieux coryphées festifs, une illusion primaire.
Bref, dans les deux cas, je suis assuré de me marrer à pleins tubes !
PS : les psy progressistes - enthousiastes jusqu'au délire, au contraire de leurs pairs conservateurs - exercent un monopole médiatique... au diapason justement de la culture marchande du Moi-Je qu'ils se veulent prompts à fustiger.
Cordialement Pierre, il est toujours stimulant de te lire
PS 2 : Powys, Montaigne, Traité d 2005, etc... à quand un bouquin de tes meilleurs textes bordel, je ne dois pas être le seul à l'attendre !
Merci à toi, Guit'z. Mais je suis tellement orgueilleux que je n'ose pas faire ce qu'il faudrait faire. Encore que....
Orgueil et préjugés.
Argent et mariage.
Sinon quid ?
Le mariage ne me dérange pas : sur terre ferme, on guettera sadiquement les voies d'eau, l'écopage, le capitaine, seul, le dernier avec son orchestre en train de jouer Rachmaninov plaintivement.
L'adoption des enfants, oui, me gêne : ils en ont ras le cul les enfants.
Ils voudraient bien être de vrais enfants et puis devenir grands.
De plus en plus, on les pousse à ne pas choisir.
Qui est ce on ? La question se pose, je sais.
Texte très intéressant piqué chez Coralie Delaume et qui dit en gros que le mariage gay n'est qu'une extension du mariage civil - et confirme l'intuition que nous sommes quelques uns à partager que le mariage gay va laïciser au maximum le mariage civil en même temps que par contraste il sacralisera encore plus le mariage religieux. L'ordre républicain ira jusqu'au bout de sa logique. L'ordre symbolique sera préservé par les seules églises - et tout le monde sera content. Le mariage gay comme aboutissement de la séparation de l'église et de l'état - CQFD.
http://www.mezetulle.net/article-le-mariage-homo-revelateur-du-mariage-civil-112162494.html
(...) Ce texte a l'intérêt d'aller au bout du raisonnement "athée" et "laïc" s'il en est - c'est-à-dire faisant totalement fi de l'ordre symbolique (au contraire de la position agnostique qui est par définition une position flottante et désengagée). Non, ce qui, je crois, nous fait tous chier dans le mariage gay, en dehors même de notre homophobie mise à mal, c'est l'idée que l'homme n'a plus d'essence propre, et surtout plus d'essence fondée sur la distinction sociale, que l'existence précède l'essence comme disait l'autre, que toute origine n'est qu'une situation hasardeuse et artificielle, qu'il n'y a plus aucune origine des choses, aucune essence des êtres, mais que des situations et du devenir. Bref, que l'être se déploie librement sur fond de néant - et que c'est là sa chance.
Et cette "désessentialisation" de l'être humain qui abolit la distinction sexuelle en apporte paradoxalement une autre, celle d'une distinction entre la vie et l'humanité. Tout l'argumentaire d'ailleurs cohérent des opposants au mariage gay est de dire que l'identité de la personne dépend exclusivement de la condition humaine sexuelle qui est une condition hétéro. La vie est hétéro - et cela personne ne peut nier. Seulement voilà, l'être humain n'est pas seulement fruit de la vie (ou de la nature), il est aussi et surtout fruit de la volonté. Et la volonté est totalement amorale, ni hétéro ni homo. Il y a donc bien une distinction partielle, mais de première importance à faire, entre vie et humanité. S'il faut toujours du sperme et des ovules pour faire physiquement un être humain, rien ne dit qu'on ait besoin d'un homme ou d'une femme pour faire spirituellement ce même être humain. La croyance que l'identité sexuelle est dépendante des conditions sexuelles a volé en éclat. La croyance que l'humanité ne dépend que de la vie n'est plus - et c'est cela, cette nouvelle pilule qui est difficile à avaler. A la distinction sexuelle s'est substituée une distinction d'un genre nouveau qui foudroie l'ancien paradigme, affirmant sans complexe que ce n'est pas parce que l'on a besoin d'un homme et d'une femme pour faire un enfant que l'on a besoin d'un homme et d'une femme pour le construire.
Et il ne s'agira pas du tout de "mentir" aux enfants - comment cela serait possible techniquement d'abord ? - mais de leur dire qu'ils ont été choisis, donc encore plus spirituellement "voulus" par leurs parents homos. Que l'enfant ait alors ensuite envie de connaître ses parents biologiques, parce que l'origine, sexuelle qui plus est, est l'affaire de la curiosité par excellence (la curiosité est d'essence sexuelle), certainement, mais dans ce cas-là pas plus les enfants issus d'une famille d'homo que ceux issus d'une famille hétéro.
(...) Bon, sinon, pour me rassurer un peu, je suis toujours pour la corrida, contre le végétarisme, pour la messe en latin et contre la théorie du genre - parce que justement elle n'est qu'une théorie !
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