Série noire (Alain Corneau, 1979)
13 – Essence et âme
Tout le monde ne pense pas et même ceux qui pensent ne pensent pas tout le temps. Penser, en effet, c'est se séparer du corps, des sens, des passions, des intérêts (ce à quoi, paradoxalement, nous préparait l'Eros dans Le Banquet : d'abord, aimer les corps, ensuite aimer les âmes ; d'abord aimer les actes, ensuite aimer les connaissances). Penser, c'est se retrouver en son âme propre et se concentrer sur les choses en elles-mêmes. Penser, c'est rechercher de soi-même par soi-même l'essence des choses. Il y a un besoin de l'âme à connaître l'essence des choses, soit ce qu'il y a de plus vrai et de meilleur en elles. L'essence est une nécessité de la pensée – et donc de l'âme. L'essence est une expérimentation de la pensée – et réciproquement. L'âme est donc en contact secret avec les choses. L'âme pense « chaque fois précisément qu'elle se concentre elle-même en elle-même (...) C'en est fini alors de son errance : dans la proximité de ces êtres, elle reste toujours semblablement même qu'elle-même puisqu'elle est à leur contact. Cet état de l'âme, c'est bien ce que l'on appelle la pensée. » (Phédon 79d). Ceux qui ne pensent pas sont ceux qui ne sont jamais en rapport ni avec les choses (ou leurs essences) ni avec eux-mêmes (leur âme.) Un peu ce que disait Pierre Blouque du Frank Poupard de Série noire d’Alain Corneau :
« Ce qui arrive à Frank Poupart, le héros de Série noire, est la chose la plus terrible au monde : l'impossibilité d'être sincère. Un mal qui nous touche tous un jour l'autre, et dont il faut s'évader en courant, sous peine d'être dévorés vivants par nos petites comédies minables. Frank, lui, ne vit plus que cela. Ce qui fait de Série noire un récit universel. Les idiots y voient les mésaventures d'un loser-né. Les plus lucides savent que chacun d'entre nous est en lui, par bribes. Et c'est insupportable. Seul l'amour peut nous sauver du Frank que nous sommes. Mais pour Frank, même l'amour ne suffit plus. Il a rompu les ponts avec sa propre définition. »
Dès lors, on ne peut plus dire laquelle de l'âme ou de l'essence précède l'autre – et mieux est intérieure à l'autre. Le sensible est en ce sens contredit. Le devenir universel cher aux Sophistes et à Héraclite est brisé – ou du moins ne suffit plus. Que l'âme précède les choses ou le contraire signifie dans les deux cas que l'âme se souvient de celles-ci ou d'elle-même. La pensée s'apparenterait donc à une réminiscence. Bon sang mais c'est bien sûr ! Penser, c'est se ressouvenir.
Tous les matins du monde (Alain Corneau, 1991)
14 – Réminiscence 1 (Ménon)
Donc, réminiscence, immortalité, âme.
L'âme a tout vu, tout connu, tout retenu. Apprendre, c'est se ressouvenir – et il suffit de se ressouvenir d'une seule chose pour que tout le reste ressurgisse. Une madeleine = une pièce montée. À condition d'être curieux, courageux, gourmand de vérité.On connaît la démonstration de Socrate : demander à un jeune esclave, Ménon, qui jamais sa vie n'a fait de géométrie de construire un carré double d'un autre. Celui-ci y parvint, preuve qu'il avait la démonstration en lui pour l'avoir connue dans une vie antérieure. La mémoire est d'abord matheuse. L'intelligence, géométrique.
Certes, il faut faire un effort de recherche en soi-même, suspendre un temps ses opinions, se rendre compte qu'on ne sait rien pour y parvenir. Reconnaître qu'on est ignorant pour reconnaître tout le savoir en nous – ce qui n’est pas donné à tout le monde (car il y a une hiérarchie des âmes, etc.) N’empêche « qu’en droit », cet infini est possible. Connais-toi toi-même et reconnais l'univers en toi. Comme dans Life of Chuck de Mike Flanagan qui triomphe en ce moment. Tout homme, même le plus médiocre, a l'univers en lui. Tout homme est l'univers en soi.
Life of Chuck (Mike Flanagan, 2025)
15 – Réminiscence 2 (Phédon)
Pour autant, la preuve mathématique de la réminiscence ne suffit pas. Après tout, le savoir matheux pourrait être un savoir inné, mental, a priori comme dira l'autre, qui a plus un rapport avec les neurones qu'avec la mémoire. Les maths, c'est beau, c'est éternel mais c'est abstrait. Pour comprendre la réalité de la réminiscence, il ne faut plus partir d'une abstraction mais d'une sensation, d’une aspiration, d’un désir véritable, autrement dit, de quelque chose qui nous manque (comme dans l'amour, tiens !). Et Socrate de s'en référer précisément au comportement amoureux : « tu sais, ce qu'éprouvent les amants à la vue d'une lyre ou d'un vêtement ». Tout ce qui appartient ou appartenait à l'être aimé et qui le rappelle. Tout souvenir est une douleur joyeuse ou une joie douloureuse. La réminiscence est d'abord un phénomène érotique. Et c'est pourquoi l'amant n'a rien à voir avec l'esthète. L'amant regrette une personne réelle alors que l'esthète n'a besoin que d'images pour être heureux – et l'image, comme on sait, c'est la mort. L'esthète est un mort vivant, un homme en noir, un Ardisson. L'amant, même en deuil, reste immortel. L'amant, surtout, a une âme, est une âme – contrairement à l’esthète qui n'a que des goûts et n'est que dégoût.
Le philosophe ne procède pas autrement que l'amant mais à l'échelle intellectuelle. Sa réminiscence est celle des idées.
Bref, du Ménon au Phédon, on passe de la conscience de ne pas savoir à la douleur de ne pas savoir, de la réminiscence mathématique à la réminiscence sensible, de l’abstraction géométrique à la vibration existentielle. La réminiscence nous rappelle au temps de « l'avant », soit celui où notre âme n'était pas encore liée à notre corps – temps de la pureté ontologique et épistémologique, temps de l'en soi s'il en est. Mieux : « dire que notre âme existait “avant“, c'est dire qu'elle existait au même titre et de la même façon qu’existent les réalités en soi ». L'âme n'est pas exactement une réalité en soi mais a « une égale nécessité d'existence » du fait qu'elle les a côtoyées et qu’elle s’en souvient. Prendre conscience de son âme, c’est prendre conscience de son « avant » et de son « toujours » – et par extension de toutes les réalités éternelles, formes et essences. L’âme accède ainsi au savoir, défiant le temps. Grâce à la réminiscence, tout n’est plus que retour et progrès, souvenir et ressouvenir, éternité de plus en plus palpable – "hôtel du temps", aurait dit Ardisson. Surtout que, et ça c’est assez génial, il suffit de se souvenir d’une seule chose pour que tout le reste suive ! « Chaque pensée postule sa capacité de réapprendre toute la pensée », écrit Monique Dixsaut. La conséquence est que la vie (et la mort) perdent de leur importance. Vivre ne nous apprend rien. C’est penser, c’est-à-dire se ressouvenir, qui nous apprend les trucs. « Vivre ne nous regarde pas », comme aurait dit Flaubert. Seule la pensée importe.
Alors, on pourra dire que tout ça est délirant. Sauf que la majeure partie de l'humanité croit en l'immortalité de l'âme, sous le mode monothéiste ou polythéiste. La métempsychose, ça n'est pas rien. Et même, croire en Dieu, c’est croire en l’immortalité de l’âme et des réalités qui nous dépassent. Du platonisme au christianisme, il n’y a qu’un pas – le dogme en moins. Car Dixsaut le précise à l’endroit des antiplatoniciens : « l’existence des essences et des Formes n’est pas présentée par Platon comme un fait mais comme une interprétation ou si l’on préfère une hypothèse ». Tout de même, la réminiscence est une hypothèse fort plausible. L’idée de Dieu vient peut-être de là.
Thierry Ardisson "avec" Jean Gabin (Hôtel du temps, janvier 2024)
16 – L'éclipse du soleil (Timée, 99e-100a)
Anaxagore avait déçu Socrate. Sa théorie de l’Intelligence comme cause ordonnatrice de toutes choses avait quelque chose de trop matérielle, mécanique, « causale ». Voilà, ce n'était qu'un principe de causalité, logique et abstrait. Or, ce n'est pas le causal que recherche Socrate mais l'ontologique, l'existentiel, sinon le moral. Découvrir « la meilleure manière pour chaque chose d'être », telle est la fameuse « seconde navigation » du philosophe : à la lettre, passer du principe de causalité au principe de raison – pour ne pas dire du matériel au spirituel, au moins au rationnel. Car, comme l'esprit ne souffle pas toujours, il faut parfois, souvent, toujours, recourir aux rames de la raison qui rend intelligibles les choses. « Ce qui mérite véritablement le nom de cause n'est pas ce qui engendre ou fait être mais ce qui rend intelligible. » Comprendre plutôt que constater. « Il faut donc concevoir autrement la cause et fuir vers les raisonnements. »
Et pour commencer, voir les choses en biais plutôt qu'en face – car en face, on risque toujours de se brûler les yeux. Non, si l'on veut regarder le soleil, il faut le regarder dans l'eau (son contraire ?). Il faut médiatiser les choses pour les comprendre – et la médiation est déjà une forme de dialectique. C'est que le réel en soi ne vaut rien. Le réel en soi est inintelligible. Il faut passer par autre chose pour le cerner et qui s'appelle le raisonnement. C'est lorsqu'on raisonne qu'on devient véritablement un être ou, dans le cas de Socrate, qu'on en perce un autre. Croire qu'une saisie directe est possible (parce qu'on se croit libre et volontaire), c'est détruire la possibilité du savoir, sombrer dans l'ignorance en plus de mettre en péril ses organes. Toute saisie du réel est indirecte, médiatisée, dialectique – un jour, on le dira, phénoménologique.
Life of Chuck
17 – Platon, l’anti-tragique
Qu'est-ce que la philosophie ? nous expliquait un jour Jacques Billard, le dernier grand professeur que j’ai eu dans ma vie (même si à l’IUFM, la pire section de l’université) et aujourd’hui médiologue à Marianne. Une volonté de rendre raison à toute chose. Une « croyance » qu'à toute chose sa raison. La philosophie comme principe de raison.
Cette raison, chez Platon, s'appelle Forme. Tout chose participe à une Forme – un « idéal », un « modèle », un « absolu ». Toute chose est participation à cet absolu. Ainsi, dira-t-on que c'est par le Grand que les choses sont grandes. Par le Beau, que les choses sont belles. Dès que nous pensons, percevons, désirons quelque chose, nous la référons tout de suite à une forme parfaite d’elle-même qui pourrait s’apparenter au divin. La plus belle fille ne peut donner que ce qu'elle a, dit-on avec mépris – mais ce qu'elle a, c'est sa participation au divin. Divin peut-être abstrait mais divin quand même. Cette conception « formelle » des choses (et des êtres) permet de les éterniser. Plus de corruption et de destruction via la Forme. Plus de confusion non plus. La Forme est l' « éponyme » des choses. Ce qui permet de comprendre (car il s'agit toujours de comprendre – Platon ou le désir de comprendre) la présence de la chose, son intelligibilité, sa dénomination. Autrement dit, la chose se comprend non pas tant par sa réalité (immédiatement inaccessible) que par son intelligibilité. A la lettre, une réalité inintelligible n'existe pas. Ce qui nous étonne tout de même et peut nous laisser perplexe – car enfin, « tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas d'être » disait Pascal. Par ailleurs, plein de choses absurdes nous arrivent et qui n'avaient aucune raison véritable de nous arriver. Cela s'appelle le tragique. Avec ses Formes-Causes imparables, Platon nous apparaît alors comme l'anti-tragique par excellence. Et là, ça coince un peu. Qu’en dirait Jacques Billard ?
Life of Chuck
18 – Nous sommes tous platoniciens
La Forme (Eidos) – ce qui participe à la chose, la dénomme, la rend intelligible.
La Forme : mélange, éponymie, sens.
La Forme : tautologie supérieure des choses.
On comprend le grand par le Grand, le petit par le Petit, le beau par le Beau, etc. Une chose peut être grande ou petite selon le point de vue dont on se place mais cette grandeur relève de la Forme Grande tout comme sa petitesse de la Forme Petite.
La Forme permet de penser les choses dans leur mêmeté et leur altérité, leur unité et leur multiplicité, leur définition et leur (apparente) contradiction. Ainsi de la toupie de La République (436e), immobile par son axe et en mouvement par sa circonférence.
La Forme contraint la chose à posséder sa propre idea. L'idea est la maimise de la Forme sur la chose. Grâce à la Forme, la chose acquiert son être propre. La chose est oeuvrée par la Forme, conformée par la Forme.
La Forme conquiert la chose au sens quasi guerrier du terme (d'où le vocabulaire « militaire » du Phédon).
La Forme passe outre les affectations de la chose.
La Forme ne saurait être affectée par les affectations de la chose – ce qui évidemment pose problème si l'on « politise » ou « idéologise » celle-ci, car dans ce cas, on pourrait dire à la lettre que l'idéal communiste n'est pas affecté par le goulag ou le réel ne compte pas par rapport à l'idéel. Alors oui, de ce point de vue-là, il est impossible d'être platonicien. Mais d'un autre point de vue, il est impossible de ne pas l'être. Car quoi que nous ayons vécu ou vivions, nous sommes tous sensibles aux Formes idéales des choses. Nous nous référons toujours à un Absolu – même si nous ne l'avons jamais connu dans la vraie vie. Absolu amoureux, artistique, social, sexuel, filial, fraternel, maternel.
19 – Le troisième homme
Complexifions avec le Parménide.
On le sait, dans ce dialogue, l'un sinon le plus difficile de Platon, chaque personnage est l'homonyme d'un autre : hors Zénon d'Elée, Céphale n'est pas le Céphale de la République, Antiphon pas Antiphon le sophiste, Parménide pas forcément celui que nous connaissons, Aristote de même et du coup même Socrate ne semble pas être Socrate. Serait-ce à dire que les Formes, plutôt que d'être les éponymes des choses, seraient plutôt leurs homonymes ? Mieux – ou pire : y aurait-il une Forme de la Forme ? Insupportable question car donnant l'impression qu'elle pourrait se reposer à l'infini : après la Forme de la Forme, la Forme de la Forme de la Forme, puis la Forme de la Forme de la Forme de la Forme, etc. Or, comme le dira plus tard, Aristote, la sagesse consiste à s'arrêter. ANAGKÉ STENAÏ
Essayons pourtant.
Et d'abord, réglons un préjugé. Les Formes ne sont pas forcément nobles. S'il y du Beau, du Bon, du Vrai, il y a aussi de la boue, de la crasse, du poil – ou plus exactement des Formes idéales de boue, de crasse et de poil. Socrate (qui semble être ici le premier Socrate, jeune, idéaliste un peu con) ne se résout pas à le croire mais le vieux Parménide insiste : si, il existe bel et bien un idéal de boue, un absolu de crasse, un modèle de poil. Aucune chose, même la plus moche, n'échappe à la Forme – et c'est cela qui est beau. Les Formes épousent la multiplicité des choses. Tout ce qui est mérite d'Être. On pense au poème de Hugo : j'aime l'araignée, l'ortie, etc.
C'est le statut de la pluralité qui se joue là. Le tout formel est-il possible ? Si oui, alors il n'y a plus de contradiction entre les choses (et leurs Formes) et l'on est dans le multivers. Si non, alors il n'existe plus rien qu'un être en soi, indistinct, impalpable, impensable qui ne sert à rien. Car si l’on ne distingue pas l’être du non-être, l’être n’est plus rien pour nous. Tout cela nous mène à la question de l'être du non-être mais n'allons pas trop vite.
Ensuite, la Forme est-elle ce qui éclaire la chose (thèse de Socrate : la Forme est le jour des choses) ou au contraire ce qui la recouvre (thèse de Parménide : la Forme est le voile des choses) ? Disons autrement : la Forme serait-elle un simple nom commun, « générique » des choses ou plutôt une hypostase de celles-ci ? Allons plus loin : la Forme existe-t-elle dans la chose ou simplement dans l'âme ? La Forme est-elle une réalité idéelle, si l'on permet cet oxymore, ou plutôt une catégorie mentale ? En voilà des questions de questions.
Encore une, tiens, plutôt vertigineuse : à chaque chose, sa forme, avons-nous dit. Bien. Mais cette proposition « à chaque chose, sa forme » constitue un groupe à part entière. Et dans ce cas, quelle est la Forme de ce groupe ? Puisqu'il y a toujours une Forme de quelque chose, il peut y en avoir une de ce groupe qui contient la chose et sa forme ou la forme et sa chose. Chaque « forme/chose » est alors une chose qui se réfère à une autre forme – et ainsi de suite. Chaque Forme peut devenir la chose d'une autre Forme (alors que l’inverse n’est pas vrai). C'est le fameux argument du troisième homme. Si l'homme participe à la forme « homme », alors cette participation « homme / Forme homme », ou si l’on préfère « homme / Homme » participe à une autre forme qui la contient – et si cette deuxième forme contient la première, alors il faut qu'il y en ait une troisième pour contenir la deuxième, et cela à l'infini. Troisième homme ou poupée russe, contenant contenu ou arroseur arrosé, chaque participation s'élève dans une autre, chaque « chose / Forme » s’élève dans une Forme « chose / Forme ». Et là, on est en plein Platon. On n'arrête pas de s'élever, d'hypostasier, de se diviniser. Platon, Maître Eckhart, même combat.
Alors, je ne sais pas pour vous, mais perso, je trouve ça très exaltant. Car cela veut dire que la participation l'emporte toujours sur la séparation. Plus on participe, plus on monte – et réciproquement, moins on participe, plus l'on se sépare, plus on descend. Anabase de la participation, catabase de la séparation. Assomption / chute. Paradis mutualiste, enfer rupturant. On comprend que le platonisme sera un outil génial pour le christianisme.
La Dame de Shanghai (Orson Welles, 1947)
20 – Platon, Forme de Parménide.
La Forme est donc une science, du moins pour Parménide. Alors qu'elle sera une activité de l'âme pour Platon – pour ne pas dire une psychologie. La différence ? Celle du vieux problème entre vérité externe et vérité interne, sinon entre réalité et sujet (du genre de la vieille question esthétique : la beauté est-elle dans le paysage ou dans le regard ? ou épistémologique : l'intelligible est-il en soi ou de moi ?). Monique est formelle : « POUR PLATON, LES FORMES SONT BIEN DANS L'ÂME » – mais attention ! Non pas en tant qu’elles seraient produites par elle mais en tant qu’elles sont médiatisées par elle. Et cela pour éviter l'aporie parménidienne de l'Être seul qui, s'il ne se reflète pas dans l'âme, risque de lui rester inaccessible. Il faut qu'il y ait ressemblance, médiation, écho, correspondance, signe ou LIEN, entre Formes et âme, Formes en âme, pour que quelque chose se passe. Et je ne pense pas exagérer que tout le platonisme tourne autour de cette question. Comment penser l'Être ? Comment comprendre les choses ? Comment comprendre au sens intransitif du terme ?
En fait, entre Parménide et Platon se jouent deux nécessités. La première est de poser la Forme comme telle, inaccessible, indistincte, impensable, à peine concevable – c'est la proposition parménidienne. La seconde est de donner un mode d'existence à cette Forme via l'âme – c'est la proposition platonicienne. Il faut de la Forme pour être mais il faut de l'âme pour la penser.
Âme ----> pense -----> Forme ----> donne-----> Être
Parménide pose la Forme. Platon la pense.
Parménide conçoit l'Être. Platon l'éclaire.
Si j'osais, je dirais que Platon est la Forme de Parménide – parce que Parménide, tout seul, est sans doute, mais n’existe pas.
Et nous avons fini ce difficile chapitre IV Essences et formes qui n'est rien par rapport au suivant : L'un et le multiple.
Life of Chuck (Mike Flanagan, 2025)
À suivre : l'un et le multiple