Genèse 29 – 30 – 31 - Jacob, ses femmes, ses chèvres, ses fils.
Dans la Bible, les romances se font toujours autour d'un puits avec du bétail autour.
C'est autour d'un puits, en effet, que Jacob fait la connaissance de Rachel, la fille de Laban, son oncle, qui vient faire boire son troupeau.
Galant comme pas deux, Jacob se propose d’abreuver lui-même le troupeau de la belle.
Puis commence à flirter avec elle.
« Jacob donna un baiser à Rachel puis éclata en sanglots. »
Un sensible, ce Jacob.
Et un naïf.
Amoureux fou de Rachel, il accepte de travailler sept ans pour son oncle qui lui accordera alors la main de sa fille.
Mais le jour du mariage, et comme dans Shakespeare ou Cervantès, a lieu une substitution d'épouse, et Jacob se retrouve marié avec Léa, la soeur ainée de Rachel.
Il est vrai que les mariées étaient voilées.
Jacob fait tant et tant la gueule que Laban accepte de lui donner son autre fille mais après que le mariage avec la première soit consommé.
Jacob se retrouve ainsi mariée à deux soeurs. Bien sûr, il préfère la seconde et néglige la première.
Dieu (qui n'est jamais loin) s'en mêle et fait à Jacob un sacré coup de pute.
« Yahvé vit que Léa n'était pas aimée et il la rendit féconde, tandis que Rachel demeurait stérile. »
Concours de grossesses.
Léa donne quatre fils à Jacob.
Désespérée, Rachel donne sa servante Zilpa à ce dernier et, selon la tradition, le supplie d'engrosser celle-ci au lieu d’elle (redite de la situation de Sarah, d'Abraham et d'Agar).
Jacob s'exécute.
La servante a deux fils.
Rachel exulte.
Léa commence à s'inquiéter.
Mais elle redonne deux fils à Jacob.
Rachel est de nouveau distancée.
« Alors Dieu se souvint de Rachel, il l'exauça et la rendit féconde. Elle conçut et enfanta un fils ; elle dit : Dieu a enlevé ma honte ; et elle l'appela Joseph. »
Des frères suivront.
Jacob s'est enrichi et veut rentrer chez lui avec femmes, enfants et bétail. L’oncle Laban accepte.
Echange de troupeaux.
Laban croit céder à Jacob les bêtes les plus faibles (les striées ou les blanches) mais Jacob s'arrange pour prendre les plus fortes (les noires) en les disposant devant des baguettes striées de manière à ce que lorsqu'elles s'accoupleront, elles verront les stries noires et blanches et concevront des embryons eux-mêmes striés.
Et il fait pareil avec les striées en leur foutant devant la gueule des barres noire qui influeront sur leur agnelage et feront que les petits soient noirs - et donc paraitront plus forts.
De l'élevage sélectif avant la lettre !
Pas si naïf que ça, ce Jacob.
Genèse 32 - Lutte avec l’ange
Jacob prépare sa réconciliation avec Esaü.
C'est déjà un progrès par rapport à Caïn et Abel.
Revenir au bercail.
Partager le bétail.
Offrir le veau gras à son frère.
Dépasser la "frérocité" originelle.
Se faire pardonner son élection divine, ses succès économiques, son bonheur familial - car tout ce qui arrive à Jacob depuis le début relève de la grâce totale.
Mieux que l'élu, Jacob est le privilégié de Dieu.
Sinon, son vainqueur
C'est là le sens de l'épisode fameux de la « lutte avec l'ange ».
Un ange qui ne veut pas dire son nom.
Un ange qui n'est que Dieu lui-même.
« Et quelqu'un lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore.
Voyant qu'il ne le maîtrisait pas, il le frappa à l'emboîture de la hanche, et la hanche de Jacob se démit pendant qu'il luttait avec lui.
Il dit : - lâchez-moi, car l'aurore est levée, mais Jacob répondit : - JE NE TE LACHERAI PAS, QUE TU NE M'AIES BENI.
Il lui demanda : quel est ton nom ? - Jacob, répondit-il. - On ne t'appellera plus Jacob, mais Israël, car tu as été fort contre Dieu et contre les hommes et tu l'as emporté.
Jacob fit cette demande : - révèle-moi ton nom, je t'en prie, mais il répondit : - et pourquoi me demandes-tu mon nom ? Et là même, il le bénit.
Jacob donna à cet endroit le nom de Penuel, car, dit-il, J'AI VU DIEU FACE A FACE, ET J'AI EU LA VIE SAUVE. »
Se battre avec Dieu.
Faire du corps à corps avec Dieu.
Forcer Dieu.
Vaincre Dieu - ou plus exactement l'obliger à nous bénir et à nous sauver.
Avant Moïse, avant Job, avant le Christ Lui-même, Jacob est celui qui éprouve la relation divine dans sa chair et son âme, et prouve la proximité passionnelle de l'homme avec Dieu - et le fait que Dieu se met de plus en plus au service de l'homme.
Jacob luttant avec l'ange, par Rembrandt
L'histoire de Jacob finit bien. Les retrouvailles avec Esaü se font dans la paix et la reconnaissance - Esaü allant jusqu'à refuser le cadeau de son frère :
« j'ai suffisamment, mon frère, garde ce qui est à toi. »
Jacob insiste :
« Non, je t'en prie ! Si j'ai trouvé grâce à tes yeux, reçois de ma main mon présent. En effet, j'ai affronté ta présence comme on affronte celle de Dieu. »
Quelle différence avec Caïn et Abel - et plus tard avec le frère du Fils Prodigue !
C'est la première réconciliation de la Bible - donc de l'Histoire.
Mais hélas, la vie continue avec ses drames et ses complications.
Suit une histoire de viol et d'amour.
La fille de Jacob, Dina, est violée par Sichem, fils de Hamor, mais qui s'éprend d'elle après.
Jacob est prêt à accepter la réconciliation avec Hamor par le mariage de leurs deux enfants. Mais voilà que ses propres fils, Siméon et Lévy, veulent venger leur soeur et massacrent la famille d’Hamor. C'en est fini de la paix sociale.
Dernier voyage de Jacob.
A Béthel, Dieu lui réapparaît et lui dit une ultime fois qu'on ne l'appellera plus Jacob mais Israël.
Le peuple élu est né.
Naissance des derniers enfants de Jacob et d'Esaü.
Mort d'Isaac, leur père (celui du sacrifice.)
Descendances.
Royautés.
L'Histoire est désormais humaine.
Tout cet épisode de rivalité fraternelle, de conflits à l'intérieur des familles, de discordances morales (le mariage ou la vengeance), d'inceste et de tromperie, d'intérêts et de morale bafouée, de voyages et de fuites, de retour au bercail et de départ définitif, n'est en effet rien moins que l'histoire de l'humanité réelle.
La Bible n'est pas un livre d'amour mais un livre qui raconte l'humanité - comme le western.