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LE BANQUET - « Sortant du bain et chaussé de sandales ». 

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Aquatonic, Saint-Malo

 

A Laurence P.



1 – Chez les gens bien
 

« D'ailleurs, je dois avouer que parler, ou entendre parler philosophie, sans même considérer le gain que j'en escompte, me remplit à tout coup de joie. » 

Platon, Le Banquet (173c). 

Le nom de Socrate rend heureux. 

L'apparition de Socrate, « sortant du bain et chaussé de sandales ». 

« Au repas des tragédiens (non ! des gens très bien) seuls s'invitent les gens très bien »  la merveilleuse traduction de Philippe Jaccottet (en Livre de Poche). « Gens de bien » s'écrit en grec Agathon. 

Fameux, ce passage où Socrate se plante devant la maison d'Agathon et au lieu d'y rentrer se met à méditer, retardant son arrivée. « C'est son habitude de s'isoler ainsi et de rester planté où bon lui semble ». La médiation, la pensée, le recueillement, la rêverie, même, avant tout.

 

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2 – Propos de table 

SOCRATE NOLI ME TANGERE 

« Viens ici, Socrate, prends place à mes côtés, que je puisse à mon tour, rien qu'en te touchant, bénéficier des sages pensées qui te sont venues dans le vestibule » (175d) 

IN VINO VERITAS 

« On se mit en devoir de boire » (76a). 

« Socrate, fort buveur et fort abstinent » (176c) 

LES DISCOURS DANS LE BANQUET 

Phèdre – L'amour, c'est moral. 

Pausanias – La seule morale (ou le seul rapport amoureux) qui vaille est homosexuelle, quoique chaste si possible [tu parles !]

Interlude – Ça donne le hoquet à Aristophane. 

Eryximaque – Ok les pédés mais l'amour, avant tout, c'est cosmique [comme le vouloir-vivre de Schopi ?], ça meut le soleil et les autres étoiles [comme dira Dante], ça va de la voie lactée à la circulation du sang. L'amour est médecine. « Il s'agit de susciter l'amitié et l'amour mutuels entre les éléments du corps les plus hostiles entre eux » (186d). Il s'agit d'unir les nerfs, unifier les humeurs, pacifier les globules – bref, harmoniser les contraires. Faire de la musique. La médecine est musique et réciproquement. L'amour est mantique – soit science de l'amitié entre hommes et dieux. 

Son hoquet calmé, Aristophane fait son célèbre discours LGBTQ transe – d'où il ressort quand même que seuls les hommes-femmes, c'est-à-dire les hétéros, peuvent procréer. Le véritable trans, c'est l'hétéro.  Et le modèle biologique, tout autant. La vie est hétéro. Ce qui n'empêche pas que nous sommes tous à la recherche de notre moitié, tous en état de manque, de chute, de séparation – la séparation en deux de notre être originel par Zeus correspondant à Adam et Eve chassés du jardin d'Eden par Dieu. L'amour est donc preuve de notre souffrance, de notre angoisse, de notre condition humaine mais aussi et surtout possibilité de la sublimer. 

Agathon (étymologiquement « le mec bien ») tente une synthèse supérieure. L'amour sublime la vie. L'amour est sublime. Il rend sage, héroïque, fort. Il est apaisant, consolateur, salvateur – encore un peu et il pourrait dire chrétien si on n'était pas au cinquième siècle avant JC. Le mec bien est un pré-chrétien. 

Ne reste plus que Socrate.

 

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Pinocchio (Walt Disney, 1940)

 

3 – Diotime et Socrate. 

Comme on pourrait dire la fée bleue et Pinocchio ou Aurora et moi.

C'est donc une femme qui va parler à travers Socrate. Diotime, accoucheuse d'accoucheur. Peu importe qu'elle ait existé ou non, que cela soit une femme (et quelle ! prêtresse, prophétesse, sorcière de Mantoue, plus ou moins fille de Zeus) qui délivre le secret de l'amour, dans cet univers de pédérastes, est hautement significatif et ô combien rafraîchissant. Enfin, un peu d'altérité érotique.

Et que commence par dire cette femme que nous aurions tous aimés rencontrer ? Que l'amour n'est ni humain ni divin mais démonique. L'amour est un démon, daimôn – non au sens chrétien méchant mais au sens grec d'intermédiaire. L'amour est un intermédiaire entre les hommes et les dieux. Un mélange. Un metaxu – notion capitale qui permet le lien entre tout et tout et notamment entre vie et mort. Car l'amour, et là nous touchons le coeur du sujet, c'est ce qui ne veut pas mourir en nous. L'amour est dépassement de la mort. On aime pour ne pas mourir. On aime pour dépasser sa condition humaine – sa misère. On aime pour ruser avec la mort. Or, l'amour est précisément enfant de Misère (Pénia) et d'Expédient (Poros). L'amour est un va-nu-pieds, pas forcément aimable, menteur et voleur, manipulateur, pervers narcissique, embrouilleur, séducteur, prédateur – sophiste ! Mais qui vise l'immortalité, l'au-delà, l'union mystique, celle-ci commençant ici-bas avec une femme. Car seules les femmes donnent la vie, seules les femmes procréent, comme dirait Joanne Rowling. Bien sûr, on repasse bientôt à « l'enfantement de l'âme » et de fait de la femme aux pédés – mais quand même, quelque chose s'est passée. Est passée. Une femme. Une parole de femme. Une sagesse de femme. Une sage-femme au sens propre sinon pléonastique. Une femme comme paradigme, modèle, première étape, incarnation, réalité de l'amour. Ils peuvent homosexualiser tout ce qu'ils veulent après, l'amour, c'est Diotime. 

 

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Fellini Satyricon (1969)

 

4 – Platonisme et christianisme. 

La grande différence entre l'amour grec et l'amour chrétien est que le premier part de l'esthétique, sinon de l'érotique, et le second de l'éthique. Nul Éros dans l'Evangile. Nul élan vers la Beauté, jamais.  Aucune Ruse, Ressource, Séduction. Aucun Expédient, Excitant. L'Amour chrétien est le contraire d'un excitant. Non, que du manque, de la peine, du pénia. Du devoir pas marrant. De l'Autre sale, bête et méchant. Tout se fait dans le sang et les larmes. Les coups de fouet et les épines. Les clous et le marteau. Lire l'Evangile plombe le moral. Lire Platon revigore (peut agacer aussi), apaise, réjouit les sens et l'intelligence, élève. L'Evangile triture, touille, vitupère, menace, maudit, damne. Charité qui rend coupable. Espérance qui désespère. Foi qui inquiète. Rien de mesuré, d'humain, de plaisant. L'Evangile est un passage à tabac permanent. Le Banquet, une caresse intelligente. Et qui permet de faire passer crème cette idée a priori improbable que « ce n'est rien dont les hommes soient amoureux si ce n'est le Bien » (205d). C'est le Beau qui conduit au Bien – le Sexe qui conduit à l'Amour, d'abord des corps, ensuite des âmes. La dialectique est érotique. L'érotique est la voie droite – orthodoxe – pour ne pas dire phallique. L'érection tend vers le bien. L'érection prépare à l'assomption. Jouir, comprendre, s'élever. Sexe ------> Science -------> Salut.

CQFD.

Halte aux abris ! Arrivent Alcibiade et sa bande d'avinés ! 

 

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5 –  Eloge de Socrate 

Socrate est laid, Socrate est sale, Socrate est obscène. Socrate ressemble à un Silène, impudent et paillard. Mais Socrate est aussi une sirène : une fois qu'on l'écoute, on est sous son charme, captivé, hypnotisé, prêt à tout pour lui. Socrate met en transe, Socrate ensorcèle, Socrate dépossède, Socrate révèle, Socrate accouche, Socrate brûle.  « Oui, c'est devant lui seul qu'il m'arrive d'éprouver de la honte » (215b-216a), dit Alcibiade qui vient d'arriver, faisant passer le banquet de l'éloge de l'amour à l'éloge de Socrate. Les rapports sado-homos entre eux. « Songe donc à me défendre, lance Socrate à Agathon, car aimer cet homme-là [Alcibiade] quelle histoire ! Du jour où j'en suis tombé amoureux, je n'ai plus pu entretenir ni même regarder un seul beau garçon sans que celui-là, avec son caractère envieux et jaloux, ne fasse aussitôt je ne sais quelles folies, ne m'insulte et ne soit à deux doigts de me rosser » (213d). Socrate, femme battue par son homme. Socrate comparé à une vipère venimeuse. Socrate comparé à Marsyas. Socrate avec sa manie d'apparaître et de disparaître tout d'un coup, 213c (comme le Christ après sa résurrection, tiens.) Socrate plus vaillant que les autres à la guerre, ne sentant ni la faim ni le froid. Socrate, habituellement sobre mais qui peut boire plus qu'un soudard sans être ivre. Socrate qui considère amis et ennemis avec le même calme. Socrate finalement plus beau que n'importe qui dès qu'on le considère sérieusement. Socrate, comparé à un dieu avec qui il fait bon de dormir. Socrate dont la parole ébranle. Socrate, enfin, qui affirme qu'un bon poète tragique est aussi un bon poète comique. Socrate autour duquel tout le monde, épuisé et saoul, finit par s'endormir alors que lui reste éveillé (comme le Christ avec ses disciples à Gethsémani). Socrate, force de la nature. Socrate, naturel philosophe. Socrate, l'amour devenu savoir. 

 

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Le baiser de l'Hôtel de ville (Robert Doisneau, Françoise Bornet)

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