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Amour et vieillesse, de Chateaubriand

Un des plus beaux textes de Chateaubriand, assez peu connu, est cet Amour et vieillesse, qu'il a composé entre la fin de la rédaction des Mémoires et le début de celle de la Vie de Rancé et qui aurait dû faire partie des premières mais auquel il renonça pour des raisons obscures (de pudeur ?). Retrouvées par Sainte-Beuve, ces quelques pages bouleversantes, dont ce dernier disait qu'elles auraient eues leur place dans Le Cantique des Cantiques, constituent une sorte de confession du dernier amour d'un homme mûr (du moins pour l'époque, 61 ans) et dont celle qui l'inspira reste encore à controverse. S'agissait-il de Hortense Allart (hypothèse Fumaroli) ou de la fameuse "Occitanienne", cette Léontine de Villeneuve, toulousaine de quarante ans sa cadette et avec laquelle il eut une correspondance secrète, puis une nuit encore plus secrète ?

Quoi qu'il en soit, il s'agit là d'un texte incroyable de poésie et de sincérité où le coeur (si souvent dénié à son auteur) se révèle dans sa transparence et sa douleur. Intitulé pendant longtemps et de manière injuste "Confession délirante", celui-ci se lit aujourd'hui comme une esquisse de roman sur la vieillesse de René et dont son auteur avoue dans une lettre à Juliette avoir écrit "comme on se fait saigner quand le sang porte à la tête."

En voici quelques extraits :

 

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1 - "Chant de tristesse" à une inconnue.

"Il y a dans une femme une émanation de fleur et d'amour.

Elle n'avait pas l'air d'être mise en mouvement par les sons, mais elle avait l'air de la mélodie elle rendue visible et accomplissant ses propres lois.

Non, je ne souffrirai jamais que tu entres dans ma chaumière. C'est bien assez d'y reproduire ton image, d'y veiller comme un insensé en pensant à toi. Que serait-ce si tu t'étais assise sur la natte qui me sert de couche, si tu avais respiré l'air que je respire la nuit, si je te voyais à mon foyer compagne de ma solitude, chantant de cette voix qui me rend fou et qui me fait mal...

Comment croirais-je que cette vie sauvage pourrait longtemps te suffire ? Deux beaux jeunes gens peuvent s'enchanter des soins qu'ils se rendent ; mais un vieil esclave, qu'en ferais-tu ? du soir au matin au soir supporter la solitude avec moi, les fureurs de ma jalousie prévue, mes longs silences, mes tristesses sans cause et tous les caprices d'une nature malheureuse qui se déplait et croit déplaire aux autres ?

(...)

... le jour viendrait où le regard d'un jeune homme t'arracherait à ta fatale erreur, car même les changements et les dégoûts arrivent entre les amants du même âge. Alors de quel oeil me verrais-tu ? quand je viendrais à t'apparaître dans ma forme naturelle Toi tu iras te purifier dans des jeunes bras d'avoir été presse dans les miens, mais moi que deviendrais-je ? Tu me promettrais ta vénération, ton amitié, ton respect, et chacun de ces mots me percerait le coeur.

(...)

Alors tous les tourments de l'enfer entreraient dans mon âme et je ne pourrais les apaiser que par des crimes. (...) Je te pardonnerai ton bonheur avec un ange. Avec un homme, jamais.

(...)

L'amour s'enivre, mais l'ivresse passe. Il ne vit pas de poésie, il ne se nourrit pas de gloire, découvrant tous les jours, que l'idole qu'il a créée perd quelque chose à ses yeux. il voit bientôt les défauts et le temps seul le rend infidèle en dépouillant l'objet qu'il aima de ses grâces. Les talents ne rendent point ce que le temps efface. La gloire ne rajeunit que notre nom.

Vois-tu, quand je me laisserais aller à une folie, je ne suis pas sûr de t'aimer demain. Je ne crois pas à moi. Je m'ignore. La passion me dévore et je suis prêt à me poignarder ou à rire. Je t'adore, mais dans un moment j'aimerai plus que toi le bruit du vent dans ces roches, un nuage qui vole, une feuille qui tombe. Puis je prierai Dieu avec larmes, puis j'invoquerai le Néant.

(...)

Objet charmant, je t'adore. Mais je ne t'accepte pas. Va chercher le jeune homme dont les bras peuvent s'entrelacer aux tiens avec grâce ; mais ne me le dis pas. (...) Hier, lorsque tu étais assise avec moi sur la pierre, que le vent dans la cime des pins nous faisait entendre le bruit de la mer, prêt à succomber d'amour et de mélancolie, je me disais : - ma main est-elle assez légère pour caresser cette blonde chevelure ? Que peut-elle aimer en moi ? Une chimère que la réalité va détruire. Et pourtant, quand tu penchas ta tête charmante sur mon épaule, quand des paroles de tes charmes comme d'une guirlande de fleurs, il me fallut tout l'orgueil de mes années pour vaincre la tentation de volupté dont tu me vis rougir. Souviens-toi seulement des accents passionnés que je te fis entendre et, quand tu aimeras un jour un beau jeune homme, demande-toi s'il te parle comme je te parlais et si sa plus grand'amour approchait jamais de la mienne. Ah ! N'importe ! Tu dormiras dans ses bras, tes lèvres sur les siennes, ton sein contre son sein, et vous vous réveillerez enivrés de délices : que t'importeront les paroles sur la bruyère !

(...)

Va chercher un amant digne de toi. Je pleure des larmes de fiel de te perdre. Je voudrais dévorer celui qui possèdera ce trésor. Mais fuis environnée de mes désirs, de ma jalousie et laisse-moi me débattre avec l'horreur de mes années et le chaos de ma nature où le ciel et l'enfer, la haine et l'amour, l'indifférence et la passion se mêlent dans une confusion effroyable. (...)

2 - "Un vieux René"

Avant d'entrer dans la société j'errais autour d'elle. Maintenant que j'en suis sorti, je suis également à l'écart ; vieux voyageur sans asile, je vois le soir chacun rentrer chez soi, fermer la porte ; je vois le jeune homme amoureux se glisser dans les ténèbres : et moi, assis sur la borne, je compte les étoiles, ne me fie à aucune, et j'attends l'aurore qui n'a rien à me conter de nouveau et dont la jeunesse est une insulte à mes cheveux.

(...)

Il faut remonter haut pour trouver l'origine de mon supplice, il faut retourner à cette aurore de ma jeunesse, où je me créai un fantôme de femme pour l'adorer. Je m'épuisai avec cette créature imaginaire, puis vinrent les amours réels avec qui je n'atteignis jamais à cette félicité imaginaire dont la pensée était dans mon âme. J'ai su ce que c'était que de vivre pour une seule idée et avec une seule idée, de s'isoler dans un sentiment, de perdre de vue l'univers et de mettre son existence entière dans une sourire, dans un mot, dans un regard.

(...)

... et je me croyais coupable, parce que je n'étais plus aimé."

 

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Portrait de Mademoiselle Lange, Anne-Louis Girodet

 

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