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Houellebecq, un visage et un seul.

 

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« Tout devrait pouvoir se transformer en livre unique, que l’on écrirait jusqu’aux approches de la mort ». Ce n’est pas Montaigne, Proust ou Borgès qui a écrit cette phrase, mais Michel Houellebecq, l’ex-star littéraire des médias et que les médias ont décidé désormais de liquider par le silence – le scandale profitant finalement trop à l’intéressé. On n’est pas le témoin capital du monde post-moderne sans qu’à un moment donné celui-ci ne se retourne contre vous. Il n’empêche. Houellebecq déstarifié reste en France le plus grand écrivain de son temps. Et ses précieuses Interventions II, recueil de textes canoniques et d’interviews saisissantes, continuent de laisser ce qui apparaîtra dans un siècle, et selon le mot de Daniel Rops, « la trace émouvante d’une civilisation ».

Jacques Prévert restera donc un con, et Le mirage de Jean-Claude Guiguet un des films les plus émouvants jamais faits. C’est que Houellebecq le cynique, le provocateur, le beauf, le chien, a toujours aspiré à l’amour, à l’apaisement, à la consolation. Etonnant, d’ailleurs, de constater comment le besoin d’amour réel (et qui n’a rien à voir avec la « solidarité » contemporaine tellement prisée) suscite la haine. Que l’écrivain le plus sensible et le plus blessé soit en même temps l’écrivain le plus honni est un phénomène fort instructif quant à l’état délabré de nos sociétés. On veut nous bien nous faire pleurer sur ces petites masses arrogantes que sont aujourd'hui les minorités (sans papiers pratiquant l'éternel retour, étudiants braillards et militant pour leur propre acculturation, transsexuels exigeant le droit à la différence indifférente) dont nous n’avons que foutre, mais on nous refuse la compassion pour celui ou celle qui ne représente pas une « grande cause ». L’amour des autres, oui, mais à condition qu’on ne privilégie personne. Or, l’amour, le vrai, est toujours un privilège, un dévolu porté sur quelqu’un de particulier, un visage et un seul. C’est la raison pour laquelle houellebecquiens et anti-houellebecquiens s’affrontent sans pitié. Pour les uns, il est un romancier génial qui fait dans l’affect, pour les autres, il est un trublion dégueu qui fait dans l’infect.

Au fond, c’est l’usage des choses qui est toujours en question. Avec ses « temps  morts », ses « cieux vides », sa conception capitaliste et o combien juste de la sexualité contemporaine (et qui ne peut mener qu’à la pédophilie), Houellebecq n’est pas précisément l’homme qui approuve notre (im)monde. Et cela même s’il plaide pour la beauté pure, celle de la brume se levant sur la mer (Ciel, terre, soleil), la croyance en l’amour des femmes (J’ai un rêve), ou les plaisirs de la conversation – celle-ci rendue bel et bien impossible aujourd’hui par la vigilance citoyenne. Tant pis pour les citoyens, la beauté sauvera le monde. L’important est de changer sa perception des choses. Par le cinéma muet. Ou par une chanson de Neil Young. Ou par un essai de Jean Cohen sur le langage poétique. Même l’art contemporain peut, malgré sa laideur déprimante, être le meilleur commentaire, sinon la meilleure représentation des Dasein de notre temps.

Avoir un sentiment humain, et qui peut être autant altruiste que raciste, amoureux que bestial, légitime qu’injuste, voilà ce contre quoi s’élève notre monde post-moderne qui ne rêve que d’idées généreuses et de sentiments justes – alors que ce sont les idées qui doivent être justes et les sentiments qui doivent être généreux.

Pourquoi Houellebecq est-il si honni ? Parce qu’il est le seul humain qui nous reste, le dernier des humains qui ose l’être, avec sa grandeur et sa médiocrité, sa générosité et ses bassesses, sa chair et son péché – deux concepts insupportables au siècle. Parce qu’il est l’un des rares (comme par exemple le Pape) à résister à la déshumanisation du monde. Au fond, l’Eglise et la Littérature se sont toujours opposées au monde, aux modes, et à cette culture de mort qui fondamentalement reste celle du pouvoir culturel. Voilà pourquoi « les Occidentaux contemporains ne parviennent plus à être des lecteurs ; ils ne parviennent plus à satisfaire cette humble demande d’un livre posé devant eux : être simplement des êtres humains, pensant et ressentant par eux-mêmes » (Approche du désarroi). Lui a lu et lira toute sa vie (Pif le Chien, Lamartine, Charles Dickens). Même s’il est assez lucide pour savoir que « la littérature ne sert à rien. Si elle servait à quelque chose, la racaille gauchiste qui a monopolisé le débat intellectuel tout au long du XX ème siècle n'aurait même pas pu exister. » (Sortir du XX ème siècle). Ecrits en 1872, Les Possédés de Dostoïevski qui exposaient clairement ce que seraient les méfaits et les crimes des utopistes socialistes n’ont en rien empêché la révolution et le goulag. Tout s’est passé comme si Dostoïevski n’avait pas écrit une ligne. Tant pis, le marché a fini par remplacer le marxisme, les historicismes se sont substitués les uns aux autres, et Chatov continue d’être assassiné partout et toujours.

Dans une société qui passe son temps à s’évaluer et à mettre le paquet sur la « valorisation » individuelle, la sexualité est devenue impossible. Car « il faut quand même oublier sa propre valeur pour faire l’amour » (Entretien avec Christian Authier). Le seul Sentiment Moderne admis, c’est précisément le SM et son dégoût triomphant de la chair. Dénigrement charnel, dénigrement national, dénigrement spirituel. En nous décourageant de penser que « la civilisation occidentale a pu être supérieure sur certains points », on fait tout pour que « celle-ci se dissolve dans le cynisme », et ce faisant, l’on condamne les générations futures. Comment se projeter dans l’avenir avec un tel dégoût – la vie réduite à des valeurs d’usage ? Le paradoxe est que c’est celui qui exprime ce dégoût et cet usage dans ses livres qui est stigmatisé. On a aboli le négatif, haro sur celui qui nous le rappelle ! On reconnaît une société forte et sûre d’elle-même à ce qu’elle peut supporter la littérature négative, ce qui n’est visiblement plus le cas de la France d’aujourd’hui.

Dès lors, comment résister aux impératifs catégoriques de la publicité et du management ? Comment cesser de désirer dans un monde où l’on nous exhorte à désirer tout notre saoul, à aller toujours plus vite dans le sexe, la communication, l’urbanité ? C’est simple, il suffit de s’immobiliser quelques instants. D’éteindre la télé, la radio, de ne plus rien acheter, de « suspendre temporairement toute activité mentale ». Et de réapprendre à lire, à écouter, à humer. Que tout s’arrête et la vraie vie reprendra… C’est la raison pour laquelle lorsque quelque chose tombe en panne, un réseau de transmission qui ne transmet plus, un système d’information qui n’informe plus, un centre informatique qui bugue, ou même une coupure de courant (qui fait si souvent la joie des enfants), bref, « une fois donc l’inconvénient admis, c’est plutôt une joie secrète qui se manifeste chez les usagers ; comme si le destin leur donnait l’occasion de prendre une revanche sournoise sur la technologie. » Le salut a toujours été une affaire de suspension.

Michel Houellebecq, Interventions II, traces, 288 pages, 20 euros.

 

(Cet article est paru dans Le magazine des livres n° 19 de septembre-octobre 2009)

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Commentaires

  • "Approches du désarroi" est une merveille. Dommage que Houellebecq n'écrive plus (ou si peu) de textes courts de ce genre. Dites-moi, Montalte, vous qui le croisez régulièrement, il a bien arrêté de fumer ? Non parce que ce serait bête de le perdre. On attend avec impatience sa probable collaboration avec Haneke.

  • Beau texte, je suis d'accord avec beaucoup de choses, mais il manque selon moi, une chose essentielle à Houellebecq, dont j'ai suivi le parcours pendant plusieurs années : l'amour de Dieu, même s'il tourne autour, sans se décider à franchir le pas. Sans cette transcendance, sa quête ne pourra être qu'imparfaite, car elle revient finalement à mettre l'Homme, ou la Femme, ou l'Amour Humain, aussi exaltant soit-il, mais sans sa dimension mystique, au sommet de la Création, ce qui ne peut se terminer qu'en impasse.

    Par exemple, sa démarche pour une spiritualité athée, comme on peut le voir dans son film, sa tentative de s'en remettre à la Science et au clonage pour se substituer à la Religion et atteindre la Vie Eternelle ne sont pas très convaincantes.

  • "... sa conception capitaliste et ô combien juste de la sexualité contemporaine (et qui ne peut mener qu’à la pédophilie), ..." ou alors à la chirurgie esthétique !


    On a l'impression que la société contemporaine occidentale est un éternel dîner de cons auquel nous sommes tous conviés, de gré ou de force !
    Dommage que Houellebecq n'ait pas assez de souffle pour traiter le sujet.

  • La grande heure de Houellebecq, c'était il y a une dizaine d'années, avec "Extension, "les Particules" et "Plateforme". Il est arrivé au bon moment pour remettre certaines pendules à l'heure, pour dire ses quatre vérités à notre société libérale-libertaire auto-satisfaite, pour gratter où ça lui faisait mal, et aussi pour tenter de lui redonner le goût de l'Amour, comme tu l'as très bien écrit dans tes articles, Pierre.

    Mais on a l'impression, peut-être fausse, qu'il a tout dit alors, ce qu'il a produit depuis, que ce soit dans "La Possibilité", livre et film, dans son livre-dialogue avec BHL, ou ses différentes déclarations est souvent très intéressant, mais pas bouleversant, pas aussi essentiel que pouvaient l'être ses oeuvres précédentes. C'est un esprit brillant, mais il semble avoir atteint ses limites, sans doute par son refus de la transcendance, il tourne en rond, il est condamné à rester "humain, trop humain", bloqué devant la Porte.

  • Comment cela il n'y a plus de transcendance ? Et les lunettes de soleil que portent les grosses vedettes des médias cela ne prouve-t-il pas qu'elles sont éblouis par leur propre rayonnement ? Même Juan Asensio s'abrite derrière des raybans comme Maurice Dantec ... c'est dire à quel point nos grands esprits ont peur d'être aveuglé par la clarté des évidences !
    La mystique des ray-bans est impénétrable ...

  • Vous avez tous l'air d'en vouloir à Houellebecq de ne pas s'être converti au christianisme. Personnellement, je préfère les écrivains qui s'arrêtent au seuil de "la Porte" à ceux qui se vautrent dans l'amour de Dieu. Sans la déchirure provoquée par l'absence de Dieu, Houellebecq n'aurait jamais rien écrit de bon.

  • Il serait intéressant (et comique) de mettre en parallèle,
    dans leur rapport à la société, la "stratégie" de Houellebecq, et celle de Sollers..
    Là où Houellebecq détone entre autres, c'est qu'il dépasse
    le grand spécialiste Sollers en intelligence stratégique, de
    façon nonchalante et apparemment naturelle (sans effort).
    Alors que Sollers y consacre sa vie.

  • En vérité, malgré tous leurs efforts, la bande à Zagdanski-le-Juste, s'avère très improbable et très peu convaincante, face à Houellebecq, sur l'époque (malgré l'idée fabuleuse du NIHILISME).

    Je me souviens du mépris et de la désinvolture avec lesquels ils ont parlé de Houellebecq dans certaines de leurs videos... (cela dit Parole des Jours est un site précieux).

    Et ce sont les mêmes qui n'ont de cesse de critiquer le mépris, le mépris, le mépris, le MEPRIS sous toutes ses formes...

    Avec leur positionnement vis-à-vis de Houellebecq, Zagdanski Haenel Meyronnis, se sont définitivement grillés.

  • Cher Rataxès,

    D'abord je n'en ai jamais voulu à Houellebecq de ne pas s'être converti à quoi que ce soit, il fait ce qu'il veut de sa vie. Mais d'évidence le sujet le travaille beaucoup, puisqu'il y fait souvent référence, et pas seulement le christianisme d'ailleurs, le bouddhisme aussi dans "les Particules". Il parle souvent de sa nostalgie pour les temps où les gens pratiquaient leur religion, maintenant s'il ne veut pas aller plus loin, c'est son problème et sa liberté de conscience

    Ceci dit je suis d'accord pour dire que Houellebecq n'aurait pas écrit ses meilleurs livres sans cette absence de Dieu qu'il ressent douloureusement. Ce que je voulais dire, c'est que depuis il me donne l'impression de stagner, sans doute en grande partie parce qu'il a décidé de ne pas aller plus loin dans sa quête spirituelle.

    Mais vous qui venez nous donner des leçons de "tolérance" et d'"ouverture d'esprit", pourquoi tant de mépris pour ceux qui ont choisi une autre voie que la vôtre ? Il ne me viendrait jamais à l'idée d'utiliser des termes aussi insultants vis à vis de ceux qui ne partagent pas mes convictions. Enfin cela confirme mon opinion selon laquelle à l'heure actuelle, les plus intolérants sont souvent les athées. D'ailleurs Alina Reyes, qui comme vous le savez et c'est peut-être à elle que vous faisiez allusion, est devenue une fervente chrétienne, a déclaré qu'elle choque plus aujourd'hui en parlant de Dieu qu'hier en parlant de cul dans ses romans érotiques.

  • Cher Fabien,

    Je ne critique nullement la religion chrétienne, je l'apprécie beaucoup, quoique de l'extérieur. J'attends d'ailleurs avec une grande impatience le jour où Pierre Cormary écrira un article sur Simone Weil, cette philosophe qui a détruit mon nietzschéisme, mais ce n'est pas le sujet.

    Simplement, je le maintiens, l'hésitation au seuil de la conversion est selon moi plus fertile, artistiquement, qu'une foi bien assurée. Houellebecq dit avoir cru en Dieu quelques minutes chaque dimanche à la messe, dans les années 1990. Il a également affirmé que le monothéisme était absurde.

    Michel Houellebecq a écrit ses meilleurs textes en équilibre instable entre la pesanteur et la grâce, et la littérature perdrait beaucoup s'il faisait un choix définitif entre ces deux termes.

  • Houllebecq était un peu en avance sur son temps il y a une dizaine d'années mais maintenant il retarde plutôt !
    Voir cet article http://www.lemonde.fr/europe/article/2009/11/18/a-londres-la-double-vie-de-belle-de-jour_1268740_3214.html qui prouve que la prostitution ce plus vieux métier du monde est aussi celui qui a le plus bel avenir possible dans nos sociétés dites avancées !

  • TOUT CE QUI est extrême dans cette société, me fait peur.

    Je ne peux plus me formuler à moi-même comment fonder une famille.

    Comment je peux rencontrer une femme fiable dans cette société et fonder un foyer. ?

    Je suis abandonné, je veux fonder un foyer (y compris d'enfants mongols) mais rien n'y fait.

    J'attends une réponse de l'écrivain Houellebecq...

  • Votre Houellebecq est un produit jetable de l'industrie éditoriale.
    Celui qui, "le premier, a compris notre monde" est un impuissant de verbe et donc - de pensée. D'ailleurs, seuls les sots cherchent à "comprendre" le monde ; les meilleurs le vivent ou le recréent.
    Un seul manque le disqualifie - celui de talent. Quelle audace de mots, d'images ou d'idées peut se permettre un eunuque de style ? Et l'homme ne vaut que par ses audaces. Et l'écrivain - encore davantage.
    Ce profond ignare, qui aurait lu 7 fois Pascal, n'a, la-dessus, rien exprimé de sensé qui éveillerait la moindre curiosité.
    Et comme tous les incapables, il se cache derrière les références à Dostoïevsky ou Tolstoï, sans en avoir retiré la moindre leçon. Comme Sollers- derrière le nom de Heidegger.
    "Dieu", "esprit", "tolérance" - ces mots, à côté du nom de Houllebecq, produisent le même effet comique qu'affublant un garagiste.
    Bref, la robotisation du métier d'écrivain est en marche ...

  • Si Houellebecq était le robot que vous décrivez, il produirait plus que 2 livres 1/2 et un film en 10 ans !

  • Le robot n'est pas dans la productivité, mais dans la qualité des produits.
    Ce qui est métaphore, chez un artiste, devient rouage, mode d'emploi ou recette de cuisine - chez un manant.

  • Ce qui est métaphore, chez un artiste, devient rouage, mode d'emploi ou recette de cuisine - chez un manant.

    Ecrit par : Scythe | 19/11/2009

    Il faut pourtant bien une main à l'écrivain ... enfin sauf pour Stephen Hawking !

  • Il faut surtout qu'il sache caresser. Il faut du doigté.
    Que ce soit par le toucher, la vue, l'ouïe, l'arôme ou le goût.
    Chez votre artisan - ni musique ni volupté ni métaphores.
    Grincement de roues dentées, mal graissées, rouillées.

  • Traduit le Scythe perd beaucoup de sa saveur ...

  • Oui, c'est exact et juste. On a connu la même mésaventure et la même déception, chez certains de nos amis quadrupèdes, après une malencontreuse (in)digestion des perles qu'on répandait devant eux et qu'ils avaient pris pour glands. Eux aussi, ils ne comptaient que sur leur palais pour juger de la "valeur/saveur". Confusion de sens. Qui n'a que les yeux est aveugle dans le noir.

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