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Le MLF a quarante ans !

couv-MLF.JPGLe 1er octobre 2008, l'on fêtera le soixante-douzième anniversaire d'Antoinette Fouque ainsi que, et surtout, le quarantième anniversaire du Mouvement de Libération des Femmes que celle-ci créa, précisément en octobre 68, avec Monique Wittig et Josiane Chanel. Défini par Fouque elle-même comme "l'événement génésique" de la fin du XX ème siècle, le MLF s'imposa comme une nouvelle alternative au féminisme triomphant de l'époque, celui de Simone de Beauvoir, sinon, car l'auteur de Gravidanza n'aime pas les mots en "isme" toujours trop connotés idéologiquement, comme la première féminologie, soit une nouvelle épistémologie des sexes rendant raison et justice à la femme en tant que femme. Libérer la femme, ce ne serait plus en faire un homme comme un autre, ce serait au contraire affirmer la singularité sexuelle et ontologique de celle-ci.  Si les premières féministes avaient plaidé pour un rééquilibrage sexuel et social, ô combien légitime, de la femme dans la société, les féministes "fouquiennes" affirmaient le génie féminin à travers la fécondité, la maternité, ce qu'elles appelleraient bientôt la géni(t)alité. Avec Beauvoir, les femmes avaient accédé, du moins en droit, à une reconnaissance et à une égalité sociales. Avec Fouque, l'on passait du social au vivant. Libérer la femme, ce ne serait plus simplement lui donner le droit d'avorter, ce serait aussi celui de procréer. La liberté de la grossesse serait aussi la joie de la grossesse.

Cette joie, Antoinette Fouque la connut elle-même avec la naissance de sa fille Vincente en 1964. Faire de la grossesse une "expérience charnelle, psychique et symbolique", y voir "une rupture anthropologique et épistémologique", c'est tout le génie nietzschéen (car qui mieux que Nietzsche insiste sur l'intelligence du corps ?) de la co-fondatrice du MLF d'avoir pensé la femme à travers la chair procréatrice, d'avoir donné du sens métaphysique à l'enfantement. Surtout dans les années soixante-dix où, il faut le rappeler, la mode était de penser la chair soit à travers l'hédonisme post-soixantuitard, vaguement beatnik, et finalement toujours aussi phallocrate, soit à travers ce qu'elle appelle très justement "une subversion de l'ordre sexuel par la perversion", et qui, de Genet à Guyotat, de Foucault à Deleuze, de Bataille à Sollers, ne voit plus les choses de la chair et du monde qu'à travers Sade, Masoch, Lautréamont, et tout ce que l'art et la littérature donnent en divins tordus, pervers géniaux (et moins géniaux), freaks édifiants. Dans La condition historique, Marcel Gauchet regrettait aussi cette tendance des grands courants de pensée de l'époque, en premier lieu le structuralisme, à fuir systématiquement le centre pour ne s'intéresser qu'à la marge, à substituer l'exception à la généralité, à ne penser la vie qu'à sa limite.  La pensée du "border line" était à la fin une impasse.

En faisant de la grossesse le principe premier (pour ne pas dire l'Arché, terme trop masculin s'il en est) de sa réflexion, la très bernanosienne Antoinette Fouque (qui fit, n'oublions pas, un DES sur "Angoisse et Espérance dans le Journal du curé de campagne de Bernanos") posait l'irréductibilité de la différence des sexes et la révélation du "deuxième" dans un monde d'avant et d'au-delà de la chute.  La femme définie comme une apocalypse, tel pourrait être le titre d'une étude du MLF. En effet, procréer, ce n'est rien moins que participer à la création divine. Et si l'on n'est pas sûr que Dieu existe, on est sûr en revanche que la femme accouche. Faire un enfant, c'est, comme le dit Fouque, "créer du vivant pensant". La grossesse est en ce sens la seule réponse valable à la question "qu'appelle-t-on penser ?". Valable - car concrète, réelle, vivante, empêcheuse de symboliser en rond. Car le symbolique, la plus grande invention masculine de tous les temps,  c'est précisément ce qui crée du mythe, de l'imaginaire, d'une certaine manière : de la mort, pour ne pas dire : du masculin. Or, comme le dit avec force Antoinette Fouque :

"Si la procréation a droit de cité dans les sciences humaines, le symbolique ne pourra plus produire des mythes en lieu et en place des développements de l'espèce humaine."

La procréation, c'est la chair féminine dans laquelle nous sommes tous inscrits,  avec laquelle nous sommes tous écrits, hommes et femmes, une sorte de lettre vivante que l'esprit mortifère masculin n'a cessé de piler. Au fond, et comme ce fut le cas avec les prolétaires par les aristocrates, le matérialisme est ce qui fut sans cesse rabaissé, écrasé, martyrisé par l'esprit. La matière - et avec elle : la matrice, la maternité, la féminité  - c'est ce qui fut crucifié par l'esprit masculin, ou plutôt par l'esprit confisqué par le masculin. Issue d'un milieu prolétarien et influencé par Charles Péguy, "le seul qui exalte l'honneur et l'éthique de l'homme qui fait un barreau de chaise", Antoinette Fouque cherche à réhabiliter la créativité  spirituelle du travail manuel au même titre que le travail charnel et métaphysique de la procréation.  Même si elle récuserait peut-être cette étiquette, son combat a indéniablement un aspect "chrétien de gauche" qui insupportera autant les marxistes orthodoxes que les chrétiens papistes. Et si nous faisons partie de ces derniers,  nous ne pouvons nier que ce qui nous intéresse dans le féminisme fouquien est cette persistance (toute chrétienne) à penser l'homme et la femme selon la différenciation originelle et biblique. A l'être désexué et révolutionnaire qu'en avaient fait Simone de Beauvoir et les autres (et dont l'aboutissement sera l'infect mouvement  "queer", dans lequel il n'y a plus ni hommes ni femmes mais que des "genres" interchangeables), le MLF a voulu que la femme retrouve sa singularité élémentaire, faiseuse d'humanité plutôt que d'anges, incarnant l'esprit de la vie. A l'envie de pénis théorisée par Freud, Antoinette Fouque a substitué une envie de l'utérus propre à tous les hommes - et parallèlement instauré le monologue du vagin bien avant la célèbre pièce de théâtre du même nom.

Quoiqu'on en dise, la vie reste hétérosexuée.  L'avortement, ce n'est que le droit négatif du désir de l'enfant - et c'est parce qu'il y a ce droit que les femmes peuvent désormais affirmer, sans contraintes et sans complexes, le droit, le désir, la joie d'avoir, de concevoir, un enfant. Finie l'hystérique ! C'est-à-dire, finie la femme à qui l'on a confisqué les pouvoirs de son utérus ! Finie la colonisation phallocentrique du continent noir ! Finie l'économie patriarcale de la reproduction ! Libérer la femme, c'est la décoloniser, c'est la rendre à son identité singulière, c'est lui rendre le don de donner la vie selon son désir à elle, c'est lui redonner la conscience joyeuse de la fécondité ! Si Virginia Woolf s'est suicidée, c'est parce qu'on l'avait privée de ce désir.

Cette révélation du désir, sinon cette remise du désir aux femmes, constitue la révolution "génésique" contre la "genèse", assure Antoinette Fouque. Elle est aussi la plus grande vexation que les hommes aient connue après les vexations galiléenne, darwinienne et freudienne.

"Ce n'est pas Dieu qui crée l'homme et la femme, ce sont les femmes qui, grossesse après grossesse, génération après génération, régénèrent l'humanité."

Evidemment, les objections affluent. N'est-ce pas là remplacer le patriarcat par le matriarcat ? Est-ce si progressiste et si égalitariste que de faire de la femme la seule détentrice de la vie (qui d'ailleurs est un contresens puisque pour faire de l'humain, il faut les deux sexes) ? D'ailleurs, que devient l'homme dans toute cette féminologie ? Ne retrouve-t-on pas là-dedans la tentation régressive et masochiste de la mère originelle ? A quelle représentation renvoie cette femme souveraine ? Quel poème, quel portrait, quel film ont pu illustrer cette femme rendue à elle-même ?

Ma mère 2.jpgComme par hasard, et parallèlement à l'écriture de ce post, j’écoutais  Ma mère de George Bataille, lu par Pierre Arditi, l'un des joyaux de "la Bibliothèque des Voix" des éditions Des femmes, cette collection pionnière d'enregistrement de textes lus par des acteurs ou des actrices et créée par cette même Fouque. Ma mère ! Peut-être le texte le plus malsain, le plus limite, le plus intime de l'histoire de la littérature française. Je l’avais découvert à vingt ans et à cette époque-là j’en faisais mes délices. Aujourd'hui, j’ai bien de la peine à le supporter. Car cette histoire d'une mère qui initie son fils, Pierre, à la perversion (j’allais écrire : à la "pierversion") renvoie à toute la complicité que peuvent avoir mère et fils. L'inceste, ce n'est pas tant une affaire de gestes malheureux, de caresses douteuses, sinon de viol, que de confidences trop poussées, de rires trop complices, de  disputes trop haineuses. Pas besoin de passer par le sexe pour avoir un rapport sexuel avec sa mère, et d'ailleurs avec son père, son frère ou sa soeur ! La vérité est qu'en écoutant la voix de Pierre Arditi enregistrée dans ce texte par Antoinette Fouque,  j’ai fini par me demander si la féminologie de cette dernière pouvait, elle aussi, flirter avec une sorte d'érotisme matriciel ou de maternité trop érogène. Et que si les hommes s'étaient tant souciés de maîtriser le corps de la femme, c'était parce que celui-ci était irrésistible, et que l'envie d'utérus, en fait l'envie de s'y retrouver dedans, l'envie de ne pas naître, l'envie de rester en Dieu ou en Femme, était si violent qu'il fallait se protéger contre elles ! Que répondrait Antoinette Fouque à ce risque de fantasmagorie de sa pensée - et, à mon sens, contenue par elle ?

Quoiqu'il en soit, la maîtrise de la fécondité par la femme, ce que Fouque appelle la "gynéconomie", fut la vraie révolution sexuelle des années soixante-dix. L'accès des femmes à leur propre fécondité allait de pair avec l'accès des femmes à leur propre capacité de penser. La vraie poésie, la vraie philosophie, la vraie politique ne pouvaient plus se configurer qu'autour de la génésique - quelles que soient les éternelles résistances de l'ordre patriarcal.  Et c'est cette génésique comme nouvelle condition historique de la femme qui s'imposa progressivement au monde des hommes, et à l'inverse des hommes, le fit sans passer par la violence. Est-ce parce que le MLF était fort qu'il n'y eut pas de terrorisme en France ? L'on peut toujours créditer ou non l'optimisme d'Antoinette Fouque à ce sujet.

Ce qui est sûr, c'est que "le Mouvement de Libération des Femmes est, comme elle l'écrit, pour la première fois dans l'Histoire, absolument non refoulable." Le double droit d'avorter et de procréer, le double désir de ne pas séparer la procréation de la sexualité, la double affirmation de la liberté et de la fécondité, tout cela constitue, plus qu'un simple "progrès social", une véritable nouvelle anthropologie dont on n'a pas encore fini de voir les effets. Reste l'immense tâche de réorganiser ce pays comme d'ailleurs l'espèce humaine autour de ce qui apparaît comme l'union, jusque là impossible, de l'égalité et de la dualité.

Car il ne faut jamais l'oublier :

"Il y a deux sexes, et c'est ce qui rendra possible le passage de la métaphysique, amour de la sagesse, à l'éthique, sagesse de l'amour."

Au fond, la féminologie d'Antoinette Fouque, aussi épistémologique que poétique, se résumerait dans le mot d'Arthur Rimbaud : il faut réinventer l'amour.

(NB : Toutes les citations sont extraites de "Génésique", titre du texte d’Antoinette Fouque dans « Génération MLF 1968 – 2008 », un livre événement, véritable document d’histoire composé de 51 témoignages avec chronologie inédite et images d’archives, à paraître aux Editions des Femmes le 16 octobre. Si vous êtes journaliste, contactez Guilaine Depis à guilaine_depis@yahoo.com pour assister à la conférence de presse d’Antoinette Fouque autour du 40ème anniversaire du MLF, mardi 7 octobre dans son Espace des Femmes, 35 rue Jacob, Paris 6ème, à 18 h 30. Le cas échéant, il vous faudra patienter jusqu’au vendredi 10 octobre, 20 h 35, pour regarder sur France 5 le film de 52 minutes de la prestigieuse série « Empreintes » réalisé par Julie Bertucelli et coproduit par Cinétévé consacré à Antoinette Fouque, qui sera rediffusé pour les chaînes hertziennes dimanche 12 octobre à 9 h 30. Antoine Perraud recevra également Antoinette Fouque sur France Culture samedi 11 octobre de 19 h à 20 h comme invitée de « Jeux d’archives »)

 

(Les quatre articles consacrés aux Editions des femmes font désormais partie d'une liste intitulée "Montalte aux Editions des Femmes", que l'on trouve en bas, à gauche.)

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Commentaires

  • Rarement lu autant de bêtises dans un de tes textes, Pierre, mais elles sont peut-être moins dues à toi qu'à la "pensée" de Fouque.

    En vrac : il n'y a pas de "genres" dans la pensée queer : c'est justement sa spécificité. Virginia Woolf c'est certainement suicidée pour des tas de raisons, mais celle que tu avances est une pure connerie : elle faisait surtout des dépressions nerveuses depuis l'âge de 13 ans, et s'est tuée alors qu'on bombardait l'Angleterre, ce qui n'était certainement pas le meilleur contexte social pour une dépressive chronique cloîtrée à la campagne. Mais bon, dès qu'une femme n'a pas eu d'enfant, j'imagine qu'il lui manque forcément quelque chose, dans la pensée de Fouque.

    Car en fait c'est bien de cela qu'il s'agit : à réduire (car c'est une réduction, matrice géni(t)ale ou pas) la femme à son ventre, à sa matière, à sa procréation ; à trouver le fondement de la féminité dans l'uterus ou les ovaires, on en arrive très vite au paradoxe suivant, évident quand on te lit en train d'essayer d'expliquer une "pensée" qui n'en est pas une et qui ne réfléchit sur rien et ne propose rien : le féminisme de Fouque... est un machisme !

  • J'ouvre le feu des commentaires!

    Quand on a été élevé dans un matriarcat on se reconnait dans ce très bon (beau) texte.

    Surtout les premières lignes où enfin, on considère la femme pour ce qu'elle est, une future mère possible.

    On me rétorquera, que chacune a le choix de faire de sa vie ce qu'elle souhaite. Certes, mais tant que la biologie nous définira (ce qui ne veut pas dire nous détermine) on rencontrera des femmes, passées la quarantaine, qui souhaitent avoir leur premier enfant.

    Parce qu'avoir un enfant ça ne s'explique pas, ça se vit.

  • Hé ! Vous vous méprenez sur la pensée d'Antoinette Fouque, qui n'est, cher *Celeborn-Agent queer de service, non seulement pas réductible, mais aussi oserais-je affirmer, totalement étrangère à l'idée de la procréation à tout prix. C'est un grave contre-sens de voir Antoinette Fouque, dont l'un des slogans phares ayant permis aux femmes de remporter tant de victoires était aux débuts du MLF "Un enfant SI je veux QUAND je veux", de la sorte. Antoinette Fouque est d'abord, comme l'écrit magnifiquement *Montalte pour la liberté des femmes à disposer de leurs corps. Après, si cette liberté-réappropriation est acquise, elles sont à même de DECIDER de faire un enfant ou une oeuvre d'art (ou autre genre de création), ou des enfants et une oeuvre d'art (ou autre genre de création), ou un enfant et des oeuvres d'art (ou autre genre de création), ou des enfants et des oeuvres d'art. L'essentiel est qu'elles puissent CHOISIR la (les) voie (s) que leur "libido creandi" (faculté de procréer et/ou de créer) leur ouvre.

    C'est sensible et beau ce que vous racontez, cher Jugurta, vous me plaisez..!

  • "Et je veux que les femmes ne soient plus poussées au suicide pour avoir été privées de donner la vie, comme l'a été Virginia Woolf. Donner la vie, écrire des livres et éventuellement aimer des femmes : avoir ce large spectre de l'amour sans y perdre l'amour des hommes et sans que l'amour des hommes fasse perdre celui des femmes",

    écrit exactement Antoinette Fouque dans son texte.

    Si on tente de la comprendre, je crois que ce qu'elle veut dire, c'est que nombre de femmes ont pu sombrer dans la dépression parce que leur pouvoir de procréation leur avait été confisqué par les hommes (alors il faudrait chercher dans une biographie de Woolf si en effet celle-ci a une douleur qui correspond à ce cas, et plus généralement, débattre avec Antoinette elle-même !)

    Quoiqu'il en soit, libérer la femme, pour Fouque, c'est redonner leur ventre aux femmes. C'est donc, et c'est tout le problème, se poser dans une problématique de liberté ET de vie, ce qui en effet ne va pas socialement de soi. Rendre aux femmes le choix de faire ou de ne pas faire du vivant, ou plutôt le choix de ne pas faire ou de faire du vivant. Car l'avortement est précisément le premier moment, négatif et nécessaire, de cette décolonisation. Mais voilà, il faut rendre leur désir au femme, rendre même leur libido, qui pour Freud et pour Lacan, ne pouvait être que masculine, bref, redonner au femmes leur corps, tout leur corps - et dans lequel Fouque voit une ontologie du vivant.

    En fait, la différence entre le féminisme de Beauvoir et celui de Fouque, laissons Butler pour l'instant, est que le premier se soucie de la femme en tant qu'être social, et donc évoluant dans l'inégalité, et que le second se veut soucieux de la femme en tant qu'être de vie, qui donne, et qui par là-même, pense la vie.

  • Mais c'est quand même affligeant et aberrant, cette volonté de lier création et procréation ! Et cette volonté de placer la femme dans le "camp" de la matière, fût-elle géniale, de l'opposer au mythe et au symbolique, c'est d'un déséquilibre flagrant. Ce n'est finalement qu'un bégaiement vaguement modernisé du bon vieux matriarcat d'il y a longtemps, où l'on déifiait la Femme/Terre/Déesse-Mère pour mieux foutre les femmes au foyer et les cantonner à la sphère privée (et on avait beau jeu de dire qu'elle avaient du pouvoir et tenaient les cordons de la bourse du ménage, quand le mari tenait ceux de la bourse de l'Etat...). Heureusement qu'on a évolué depuis, notamment avec Woolf, honteusement récupérée ici à l'aide d'une imposture biographique, et Beauvoir.

    Mais bon, à la limite, tout ceci n'est qu'arguties. Le principal problème, c'est une expression de Jugurga qui le pose : "on considère la femme pour ce qu'elle est, une future mère possible."

    Définir un sexe par d'hypothétiques perspectives futures, c'est quand même énorme... On en est toujours au "considérer comme", et c'est toujours la femme qui se voit réduite (car c'est une réduction) dans ce genre de théories. J'attends la théorie "considérant l'homme pour ce qu'il est, un futur père possible", mais je sais qu'elle n'est jamais venue et qu'elle ne viendra pas, et puis ce serait vraiment ridicule de ne voir en l'homme qu'un futur père possible, hein ? Alors que la femme, allons-y : on lui fait sortir la libido creandi de l'uterus, on identifie génial et génital, c'est la fête de la théorie !

    Là où je rejoins Pierre et la femme qui s'y connaît, c'est sur les avancées sociales liées à la maîtrise de la procréation. Ca, ç'a été formidable, oui, une vraie révolution, on est d'accord. La maîtrise du corps a été un élément sans lequel le féminisme de Woolf et de Beauvoir n'aurait pu (ou plutôt ne pourrait, car s'il est globalement accompli en idées, il ne l'est pas encore en faits) s'accomplir tout à fait. Loué soit le MLF pour cela. Toutefois, je ne pense pas que l'on puisse, à partir de l'évidente amélioration par ce biais de l'état d'esprit des femmes (plus sécurisées, plus à même de mener une vie choisie et non subie), fonder une métaphysique du corps féminin comme le fait Antoinette Fouque. Je pense que c'est une imposture intellectuelle, et que cette imposture se voit dans l'extraordinaire flou de sa pensée, qui masque (mal) son absence de rigueur intellectuelle par de grandes formules creuses.
    Cela se voit dans le dernier commentaire de Pierre : on peut discuter le féminisme de Beauvoir, mais au moins on le comprend clairement, alors qu'honnêtement, la femme "être de vie qui par-là même pense la vie", quel charabia. On forge des mots et expressions abstrus (la "génésique", la "féminologie", le "vivant pensant", la "gynéconomie".... tout ça sent sa "différAnce" à la Derrida), et quand on se sent limité dans le cadre étroit de la langue française, on va même jusqu'à aller chercher la "Gravidanza"... On invoque tous les domaines possibles de la haute pensée, pêle-mêle : métaphysique, éthique, anthropologie, épistémologie, et même poétique (!), et on regroupe tout ça sous la vague appellation de "vivant", en espérant qu'une vache y retrouve ses chatons. Enfin, comble de l'irrationnel, on affirme que la grossesse empêche de symboliser alors qu'elle est elle-même présentée comme une expérience symbolique, comme ça, on est définitivement embrouillés.

    Mais bon, si le féminisme de Fouque t'apparais séduisant, mon cher Pierre, c'est peut-être parce que tu n'as pas compris (ou pas voulu comprendre) celui de Woolf et de Beauvoir. Contrairement à ce que tu affirmes, il n'est pas social mais bien existentiel : il s'agit de faire passer la femme du rang d'objet (le "deuxième" sexe par ordre hiérarchique) au rang de sujet, conscient, pensant.... en un seul mot : libre. Cette liberté s'acquiert entres autres (et peut-être principalement) socialement (l'idée de la "chambre à soi" woolfienne, qui lie entre elles la liberté intellectuelle et la possibilité physique de disposer d'un lieu où penser), matériellement (l'idée qu'une femme doit pouvoir gagner sa vie pour pouvoir envisager activement son destin). Il n'y est pas question de glorifier l'un ou l'autre sexe à grands coups de libido creandi : il y est question que chaque individu puisse se réaliser, indépendamment de son sexe, et puisse créer, diriger une entreprise, rester au foyer, faire du sport de compétition, etc. Voilà une pensée claire, belle, et vraie. Et voilà ce que n'est pas l'embrouillamini fouquien.

  • Bonjour,

    dans le texte précédent, vous écrivez :
    "Apparemment coincée entre le marteau beauvoirien de la femme qui est un homme comme les autres et l’enclume butlerien de l’indifférencialisme pur où homme et femme ne sont que des genres interchangeables, la « féminologie » fouquienne est en fait la seule qui pose la souveraineté de la femme dans son rapport à soi et non plus dans son rapport à l’autre..."

    Il y a quelques mois, dans votre texte consacré à M. Schneider (http://pierrecormary.hautetfort.com/archive/2007/09/26/la-confusion-des-sexes-de-michel-schneider.html), vous écriviez :

    "évidemment, c'est la femme qui est un homme comme les autres", cette pensée étant alors de toute évidence la vôtre.

    Malgré les apparences je ne cherche pas à vous prendre à défaut, mais pouvez-vous préciser comment concilier ces deux phrases apparemment si contradictoires ?

    Cordialement,

    AMG.

  • Et vous osez signer "cordialement" ?!

    En fait, j'avais écrit :

    "L'obsession d'abolir les sexe, la croyance qu'ils n'ont en fait jamais existé et qu'ils ne furent que des produits socioculturels que l'on est en droit sinon en devoir d'évacuer, le fantasme maso-féministe que "l'homme est une femme comme les autres" (alors qu'évidemment, c'est la femme qui est un homme comme les autres), tout cette idéologie incestueuse et régressive ne pousse pas à la volupté de vivre et encore moins de grandir".

    L'idée était de s'opposer à la tendance actuelle, à la fois matriarcale et castratrice, de démasculiniser l'homme en le forçant à admettre que ce qu'il y a de plus précieux en lui, c'est la femme. Et emporté par mon élan, j'ai pu rajouter cette parenthèse réactive que contrairement à ce qu'énonçait le titre d'un film de l'époque, ce n'était pas l'homme qui était une femme comme les autres mais la femme qui était un homme comme les autres, ce qui dans le contexte pouvait polémiquement avoir son sens, mais qui, je vous l'accord, n'en a plus dans le suivant, et apparaît même contradictoire.

    Disons qu'au moment où j'écrivais sur Schneider, je n'avais pas encore écrit sur Fouque, et que maintenant que j'ai écrit sur Fouque, je ne dirais plus les choses comme je les disais sur Schneider - et donc supprimerais cette parenthèse.

    Bon, en attendant que vous me disiez qu'ici j'ai mis une virgule, alors que dans un texte précédent j'avais mis un point virgule, j'aurais aimé que vous donniez votre avis sur le fouquisme, le beauvoirisme, et pourquoi pas, le butlerisme.

    Amicalement.

    Celeborn, à nous ! Encore que je n'ai pas grand-chose à rétorquer à tes objections qui, au niveau antimétaphysique où tu te mets, te donne évidemment raison sur tout.

    Au fond, toute ontologie du vivant, qu'elle vienne du féminisme du MLF ou de l'église catholique, a mauvaise presse, car elle semble toujours relever d'une domination transparente ou sournoise de l'homme sur la femme.
    Tu dis par exemple, et avec bcp de force, que jamais on ne traitera l'homme ainsi, jamais on ne verra dans l'homme "un père possible", et tu as tout à fait raison. Quel monstre pourrait voir dans l'homme simplement un père ? L'idée de l'homme n'implique pas nécessairement l'idée de paternité alors que l'idée de femme implique (hou là, quel adverbe utiliser ? socialement ? naturellement ? génésiquement ? gravidanziamment ?) l'idée de maternité. C'est qu'un homme tire son coup, et qu'une femme porte un enfant. Et la mémoire de l'humanité est émue à l'idée que cela soit la femme qui la porte en elle - et c'est pourquoi les premières divinités furent féminines (la Vénus de Willendorf). Et Antoinette Fouque dira que c'est la femme et non Dieu qui fait l'humanité. Et tu diras que tout cela n'est que du patriarcalisme larvé. Et je te répondrais que tu vas vite en besogne et fais un peu trop fi de la vie. Et nous tournerons en rond.

    En tentant de concilier la vie et la pensée, la liberté et la procréation, en tentant de définir la femme en tant que mère réelle ou/et symbolique, Antoinette Fouque risquera en effet toujours de se faire traiter de réductionniste. Mais dire qu'une femme donne la vie, est-ce réductionniste ? Tu affirmes que oui. Eh bien, sans aucune preuve à avancer, j'ai l'impression que non. Ou plutôt : une femme se réduit à l'état de mère quand on ne lui laisse que ce choix possible, en fait pas de choix. On en fait alors une hystérique, soit un être que l'on force à n'être que son organe. Mais une fois que la femme est libéré du joug masculin, c'est alors qu'elle peut se retourner à cet organe. En fait, la femme n'est réduit à la maternité que lorsqu'on lui impose de l'extérieur cette maternité. Et une femme qui est libre d'être mère... s'élève à la maternité. On ne se réduit à quelque chose que quand on nous force à cette chose. On s'élève à une chose que lorsque nous sommes libres de la vouloir.

    Pourtant, j'aurais d'abord tendance à penser comme toi, j'allais dire, j'aurais d'abord tendance à penser comme un mec. C'est-à-dire à penser la pensée, à penser l'être, à penser la liberté, à penser l'existence, à penser même la sexualité, sans aucun lien avec la vie, aucun lien avec la matière, aucun lien avec la matrice. En fait, j'aurais même tendance à penser la vie sans aucun lien avec la femme. Je serais purement platonico-sartrien : il n'y a que les idées et les individus libres qui comptent. Homme et femme ne sont que des modes d'êtres au sein de l'être libre et volontaire que doit être l'individu, mais pas plus. (Et l'on comprend comment le beauvoirisme peut conduire au butlérisme.)

    Et pourtant, il y a la vie, la matrice, la matière. Et une matière, nous assure Fouque, qui fut réellement crucifiée par l'esprit. Et toi-même, Celeborn, tu la crucifies, comme Beauvoir la crucifie, et comme moi-même, j'aurais tendance à la crucifier (que de clous !). Car oui, "pour nous", la matière, et d'une certaine manière la vie (car "la vie est un pompiérisme de la matière", disait Cioran), c'est ce qui est inférieur, pas intéressant pour un sou, un peu honteux. Nous sommes des vivants, certes, mais nous ne voulons surtout pas nous apesantir sur une pensée de la vie. Elle nous paraît trop basse, trop indigne, trop évidente aussi. Nous ce qui nous intéresse c'est la vie... de l'esprit, la liberté, l'égalité, et éventuellement le plaisir de la bagatelle. Mais hors de toute référence à la procréation ! Quelle barbe la procréation ! Quelle barbe le questionnement sur la vie ! Alors, OK, Jean-Rémi, oublions la vie, oublions le don de vie, oublions la première condition de notre humanité, oublions femme, et allons disserter sur l'individu libre dans lequel elle devra se couler, se nier, si elle veut exister ! Car une femme qui se pense en tant que femme et qui prend conscience qu'elle tient entre ses mains et ses ovaires la condition de l'espèce et qui voudrait être reconnue pour ça, quelle affreuse emmerdeuse !

    Décidément, Platon avait raison. Une femme qui (se) pense, quelle plaie ! Heureusement que nous avons Simone de Beauvoir qui sauve l'honneur de son sexe en le niant ! Heureusement que nous avons des femmes qui pensent comme des hommes et qui comme les hommes refusent absolument le questionnement sur la vie ! Et c'est un fait que Simone de Beauvoir et Judith Butler dominent la scène féministe plutôt que cette pauvre Antoinette Fouque ! C'est un fait que des femmes qui ont pensé comme des hommes l'ont toujours emporté sur une femme qui essayait, la malheureuse, de penser comme une femme ! Quand Antoinette Fouque cessera de penser la femme en tant que femme, quand elle cessera sa poésie génésique auquel nous les hommes et les femmes qui pensons comme des hommes ne comprenons strictement rien, quand elle cessera de penser la vie, peut-être la prendra-t-on au sérieux !

  • Pour un peu on se ferait engueuler parce qu'on lit avec un minimum de sérieux ce qui est écrit ici...

    Merci de vos éclaircissements. Dans la mesure où je n'ai lu ni Beauvoir ni Fouque ni Butler je suis un peu limité pour intervenir, je me contente de m'informer. Je trouve tout de même que vous piétinez la notion de symbolique avec un peu trop d'aisance, mais vous allez me dire que je ne vous ai pas compris, ou que vous avez été emporté par votre élan...

    Allah vous modère !

  • Pour reprendre ton expression, cher *Montalte, je voudrais juste signaler, rapidement car le reste nécessiterait de longs développements, qu'Antoinette Fouque est on ne peut plus "prise au sérieux", et qu'un livre de très belle qualité intellectuelle objective le proclame par les voix mêlées de ses onze célèbres auteurs (intellectuels, écrivains, psychanalystes, universitaires) : "Penser avec Antoinette Fouque". (Salon du livre 2008) Ouvrage fomidablement intéressant.

  • C'est vraiment trop compliqué d'être hétérosexuel, il faut faire plein de politique avant de passer au lit, moi j'ai choisi la voie la plus simple, on baise d'abord, on discute ensuite si on en a encore envie !

  • Je n'ai pas lu Antoine Fouque ni Beauvoir. Je n'ai donc pas de références mais juste du sentiment et du subjectif à écrire ici.

    J'ai toujours eu une aversion pour ce que l'on appelle le "féminisme", simplement parce que j'ai toujours cru y déceler de la haine de soi, de l'envie d'être autre que ce que la Force (la nature, Dieu, peu importe) vous a fait.

    Celeborn*, tu ne pourras jamais nier la biologie. Tant que l'on se reproduira par ce biais pour la survie de l'espèce, il en sera ainsi, les femmes plus que les hommes, même si ceux-ci aussi sont des futurs pères possibles, mais génétiquement leur horloge biologique ne les soustrait pas au temps qui passe.

    Il suffit de discuter avec une femme sans enfant passée la quarantaine pour s'en rendre compte. Le désir d’être mère sourd en toute femme. Certaines le nient d’autres le vivent.

    Enfin être mère, tout comme être père d’ailleurs, c’est le plus beau que l’on puisse faire : donner la vie pour transmettre un héritage.

    « j’ai vu naître celui que me verra mourir » Nabe.

  • Peut-être est-ce le cœur du problème: l'homme ne se voit pas a priori "comme un futur père possible" pour reprendre l'heureuse expression de Céléborn. Car si l'homme se voyait comme un père avant tout, il verrait les conséquences de cet acte primitif avant de s'abandonner à leur délices. Si on apprenait aux garçons qu'il seraient père avant tout, peut-être qu'ils verraient le monde autrement...

    Que Fouque considère cette aspect principal de la condition féminine en fait toute sa force. Car Fouque vient après Beauvoir, et entre ces deux femmes apparait une invention capitale: la pilule. Beauvoir est la dernière féministe qui est contrainte de choisir entre la vie maternelle et la vie professionnelle. Elle justifie philosophiquement le choix du professionnel. Jusqu'aux années soixante, l'indépendance féminine se faisait au prix d'une vie affective réelle. On peut penser que Virginia Woolf à la longue n'a pas pu supporter ce prix.

    Je m'amuse en lisant Céléborn, car tout notre débat sur l'homo-parentalité vient nier son assertion que l'homme ne se voit pas comme un futur père, car lui aussi après tout ressent ce désir impérieux: celui de la paternité. Si, selon lui, les hommes ne se voient pas comme père, pourquoi ne vit-il pas selon ce principe, et refuser d'être père.

    Car la philosophie qui me semble pétrie de contradictions est bien celle véhiculée par Céléborn. Car il refuse d'écouter une philosophie qui intègre le corps dans les considération existentielles d'une personne, et il est le premier à se définir en premier lieu selon son corps, sa sexualité; et il refuse d'accepter les conséquences de cette définition, sa stérilité de principe, et de construire une vie autour de ce vide. Le fait qu'il récuse toute philosophie qui incorpore la matière et ses conséquences est pour lui intolérable. Ce n'est pas étonnant. Lui-même refuse d'accepter la conséquence première de son choix premier. Toute sa vie est bâtie autour d'une contradiction existentielle, je pourrai même dire essentielle.

    Voyant qu'il est impossible de vivre pleinement ses valeurs c'est à dire de les vivre en les transmettant à la génération avenir il demande à la société et à la science de lui en donner les moyens. Est-ce leur tâche?

    Il parait qu'il est parfaitement possible de fertiliser l'ovule d'une femme par le chromosome d'une autre femme (si ce n'est pas encore le cas, on n'en est pas loin). Le produit de cette union peut-bien être un être sensible et intelligent, mais s'agira-t-il d'un être humain?

    Mais Fouque ne part pas dans des délires pareils. elle se contente d'appeler un chat un chat: une femme est une femme, et non un homme comme un autre et que ce fait est plein de conséquences. La grande révolution fouquienne est de dire qu'une femme peut-être une mère et participer à la vie sociale, et ne pas devoir choisir entre les deux. D'ailleurs ce n'est pas une si grande révolution que ça, sauf pour la frange petite bourgeoise de la société: combien de femmes tenaient les boutiques de leur maris, combien ont travaillé dans les usines, tout en ayant une tripoté d'enfants. Blanche de Castille et Anne d'Autriche ont bien été mère tout en gouvernant de fait la France.

    La grande révolution viendra quand l'homme investira la maison avec autant de force qu'il investit sa carrière.

  • J'ai rarement été fasciné par une argumentation ad hominem (qui se rapproche franchement ici du ad personam, d'ailleurs), et ça ne va pas commencer aujourd'hui. Nous avons eu un débat d'idées sur l'homo-parentalité, et non un débat de personnes. Si jamais j'avais un jour envie de confier mes désirs de paternité à quelqu'un, rassurez-vous, Hawkeye, ce ne serait pas à vous. En attendant, vous êtes au ras des pâquerettes niveau réflexion : on aurait nettement pu se passer de vous ici, si vous n'avez à proposer que mes contradictions existentielles/essentielles comme arguments.

  • 40 ans déjà, cela nous fait penser qu'on à vieillit, par contre force est de constater que nous sommes allés dans le bon sens, mais il reste du chemin à parcourir.

  • Merci de vos éclaircissements. Dans la mesure où je n'ai lu ni Beauvoir ni Fouque ni Butler je suis un peu limité pour intervenir, je me contente de m'informer. Je trouve tout de même que vous piétinez la notion de symbolique avec un peu trop d'aisance, mais vous allez me dire que je ne vous ai pas compris, ou que vous avez été emporté par votre élan...

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