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Contre Tour d'ivoire de Patrice Jean et autres dévirilisants de la littérature. Pour une littérature de l'honneur, du courage et de la dignité, par Yves-Marie Duguesclin

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Ancien élève des Ecoles Saint-Eudes au Fouet-des-Remparts, parachutiste de la corpo « Sustine et abstine » (dissoute pour cause de suicides de tapettes et d’accusations non prouvées de tortures mentales), fondateur du mouvement « Lancelot 2018 », auto- entrepreneur dans le couteau de combat et le coup de poing américain rebaptisé « mandale gauloise », d’ailleurs très engagé dans la défense individuelle et nationale, collaborateur régulier à Cilice magazine et dresseur de pitbulls à ses heures perdues, Yves-Marie Duguesclin a lu le dernier roman de Patrice Jean, Tour d’ivoire, et nous dit son agacement d’homme viril.

 

 

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Très haut l’esprit nous élève. Très bas la littérature contemporaine nous entraine. Dans sa catabase dépressive, le demi-homme quart-écrivain d’aujourd’hui salit son pays, souille les âmes, découille les hommes. Nous parlons de Michel Houellebecq et de ses romans au désespoir masturbatoire, de Pierre Michon et de ses Vies minuscules aussi infécondes qu’un champ de blé ravagé par le nuage de Tchernobyl, de Patrice Jean et de sa Tour d’ivoire, œuvre soi-disant « bien écrite » (nous y reviendrons) mais dont le désespoir complaisant, la lâcheté existentielle et le renoncement social finissent par liquider tout ce qui aurait pu éventuellement nous complaire si nous avions été un lâche à la Pierre Cormary si à l’aise dans la déliquescence morale et le destinal infantile. Mais nous ne sommes pas du côté de Pierre Cormary. Nous sommes du côté de ceux qui serrent les dents et qui franchissent l’obstacle. Nous sommes du côté de ceux qui ne fuient pas dans l’esthétisme suranné et le fatalisme facile. Notre littérature est celle de la force et du courage, du sabre clair et du sang chaud, du désert brûlant et des idéaux de glace. Nos maitres s’appellent Maurice Barrès, Henri de Montherlant, Ernst Jünger et Yukio Mishima. Ce sont dans ces livres mâles que nous nous ressourçons. Oh oui !

En vérité, la littérature « antimoderne » ou « réactionnaire » a bon dos. Il ne suffit pas de conspuer l’époque pour être dans le vrai. Il ne suffit pas, surtout, de se cacher derrière une « tour d’ivoire » d’art et de littérature et croire qu’on fait son Flaubert, un auteur, disons-le tout de suite au risque d’ébranler le cultureux idolâtre, qui nous a toujours exaspérés car c’est lui qui a inventé cette mode du rabaissement moral, de la désespérance politique, du négatif à tout prix – et pour finir, du nihilisme. En littérature comme ailleurs, nous importe avant tout la dignité – de cette dignité qui manque tant à Patrice Jean, nouveau chantre des pitres et des sans-couilles.

Alors certes, ô certes ! Il y a quelques bonnes choses dans cette Tour d’ivoire dont le titre infâme nous débectera toujours (car quelle valeur accorder à l’homme dont le seul souci est de fuir le monde, dites-moi, Patrice Jean ? quel jugement – oui, « jugement », ce mot qui vous blesse comme il blesse tous les fins de race éminemment remplaçables, je l’emploie sans rougir – porter sur celui qui préfère l’art à la vie et le livre au réel ?). Cette France socialiste et multiculturelle est, ce serait idiot de notre part de le nier, assez bien plantée et selon une méthode que n’auraient pas déniée Michel Houellebecq et Philippe Muray (lui-même cité implicitement page 79 avec l’épisode des os transférés). Comme tout bon antimoderne (mais pas plus), Patrice Jean s’y entend pour évoquer l’acculturation générale, l’inexorabilité du Grand Remplacement, la persistance du gauchisme culturel – et, admettons-le une dernière fois, sa métaphore des « donneurs de papattes », à savoir ceux qui parmi nos contemporains ont fait allégeance à toutes les sottises post-modernes, comme un chien donne la « papatte » pour avoir un « su-sucre », nous a fait sourire. Satiriste, Patrice Jean l’est indéniablement. Ses personnages de Sonia Lamploijeune, « garde rouge de l’air du temps »[1], pour qui la vraie littérature doit être sociétale, antiraciste, vivrensembliste  et qui soutient au narrateur que « ceux qui empruntent le plus de livres, ce sont [les] marginaux, [les] gens qui ne sont pas aliénés par la société de consommation, [les] rêveurs, [les] punks, [les] rappeurs, ce sont eux les grands lecteurs d’aujourd’hui ! Alors, oui, ils ne vont pas, comme toi, se jeter sur les romans de Drieu ou de Bernanos ! Mais ils lisent deux fois plus que toi, mon vieux, ils réfléchissent à d’autres modes de vie, et tout »[2], ou de Jean-Noël Rose, l’écrivain pour enfants et adolescents, publié aux Éditions Petits Canailloux, auteur de Poupy le canard, et que le narrateur est obligé d’inviter pour ses « Les après-midi bout de chou »[3] emportent naturellement notre adhésion. De même une page comme celle-ci qui ne peut que forcer notre respect :

« La Grand’Mare dormait, elle aussi, (seuls quelques jeunes Noirs, allongés sur une pelouse, fumaient des pétards, en face de mon immeuble ; j’entendais, de mon lit, l’étrange idiome qui bruissait entre eux, murmures semblables à ceux qui, au même instant, en Afrique s’échangeaient près des acacias, au milieu de marchés terreux, sous un soleil reflétant ses palpitations sur les toits, les peaux, les bougainvilliers), je n’arrivais pas à dormir (…) Les voix africaines, au dehors, ruisselaient dans la nuit française. »[4]

 

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Mais la satire fait long feu, l’humour se fait ricanement et la fameuse tour d’ivoire étouffante. Nulle porte de sortie, chrétienne ou romaine, en ce roman morose et dépressif que l’on serait tenté de dire d’impuissant, oui, d’impuissant, nous le disons. Or, privé d'un espoir martial, la critique du monde moderne devient rapidement complice de celui-ci et tout comme ce qui se passe chez Houellebecq et tant d’autres « mécontemporains », petits bourgeois malins qui feignent de vomir leur société alors qu’ils en tirent leurs royalties. Le narrateur qui n’est rien d’autre que le prête-nom de l’auteur s’écroule peu à peu dans son « pessimisme puéril »[5] et tel que le qualifie très justement son ex-femme, un des rares personnages positifs que l’auteur a beau jeu de ridiculiser et comme il le faisait déjà dans ses précédents romans. Dans cette littérature du ressentiment, dès que quelqu’un, de gauche comme de droite (car oui nous sommes honnêtes, de cette honnêteté qui blesse les âmes faiblardes et univoques à la Pierre Cormary) apporte un peu d’espoir, exhorte au redressement moral et disons-le, à la réaction virile, il est systématiquement moqué par l’auteur, et c’est à ce moment-là que nous les virils, nous les fiers, nous les polaires, nous nous détournons de lui.

« Ma vie ne tournait pas rond. Je m’ennuyais à la médiathèque, je regardais de plus en plus la télévision, même (et surtout) les émissions les plus connes, je trainais dans les bistrots, avec les rognures de la cité dolente, les vaincus du capitalisme, je m’enivrais, je racontais des idioties. Je me demandais si la partie, tout simplement n’était pas terminée. Je n’étais plus dans le jeu. »[6]

Comme dans L’homme surnuméraire, son précédent roman, justement remis en place par Jean-Kevin Le Baptiste, petite raclure de la gauche gay mais que nous ne pouvons que féliciter pour l’âpreté morale de sa critique (car oui et ô certes, nous sommes avant tout des êtres moraux et nous tireront toujours notre chapeau à ceux qui plaident avant tout pour une morale littéraire, y compris si celle-ci est contraire à la nôtre), Patrice Jean croit que l’auto-dénigrement est un gage d’objectivité. Mauvais tic houellebecquien : cette objectivité-là est tout simplement de la bassesse littéraire. Disons-le et redisons-le : se mettre minable dans un livre n'empêche pas qu'on le soit réellement dans la vie, et pour nous, les solaires, les enflammés et les phoenix qui ne voyons pas midi à quatorze heure, l'un va avec l'autre. Le personnage minable renvoie à l'auteur minable, point barre. La fameuse « catharsis » dont se targuent toutes les larves contemporaines n’a jamais été qu’une imposture intellectuelle et le plus beau symbole de décadence spirituelle. Car oui, Patrice Jean est un décadent, et de la pire espèce.

 

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Eustache Le Sueur, Les Muses Melpomène, Erato et Polyhymnia (1652 - 655), le tableau qui a dû inspirer l'auteur et émouvoir l'ado décadent qu'il était.

 

En mettant en scène un personnage qui avoue avoir eu ses premiers émois sexuels par une toile de maître, ce Melpomène et le satyre, d’Eustache Le Sueur[7], dont sa sœur, son frère et lui viennent d’hériter et que lui refuse de vendre pour cette seule raison ontologico-érotique (« je suis face à l’essence de mon désir, pensai-je »[8]), et alors qu’il aurait bien besoin d’argent pour améliorer sa vie de sous-fifre littéraire et de sa  fille, une prometteuse étudiante, l’auteur-narrateur annonce, si l’on peut dire, la couleur. L’art comme essence du désir, le voilà, le credo décadent, par excellence.  Car non, Patrice Jean, un homme digne de ce nom ne s’accroche pas comme ça au doudou de son passé qui, en l’occurrence, n’est que l’objet régressif de ses masturbations adolescentes. La vie est quelque chose du sérieux et c’est ce dégoût que vous avez du sérieux qui nous fait vous morigéner de si belle manière.

« Ah, terrible mot, “sérieux“ ! Quand ma sœur l’emploie, je sais qu’il va être question d’argent, de maladie, de la famille et d’enfants. (….) Le sérieux est à fuir, comme on fuit le froid, l’ennui, la morve, la pestilence, les devoirs, la morale, les gens-qui-ont-raison, les vainqueurs, la mort, la bave. »[9]

Non, Patrice Jean. La bave, ce n’est pas la raison et la morale, encore moins les vainqueurs, un mot qui vous fait horreur car vous n’en êtes pas et n’en serez jamais, vous le vaincu, le médiocre, le raté, qui comme tous les gens de votre acabit, tentez de tirer une sorte de fierté incompréhensible de vos défaites et autres déroutes, allant jusqu’à évoquer, pauvre vaniteux que vous êtes, une « maturité des déclassés »[10]

Ainsi de cette admiration honteuse que vous feignez de porter à ce  personnage de gardien de musée[11] qui, dites-vous, a voué sa vie à l’art et à la pensée et est l’auteur d’une œuvre inconnue, la belle affaire, le beau mensonge – est-ce Pierre Cormary qui vous a inspiré cette insipide silhouette qui n’a d’égal que sa suffisance et son absence (absence car suffisance) ? Comme il est facile de défendre des choses dont on rougirait dans la vie réelle.  Comme il est facile surtout de faire des métaphores à son avantage et de ridiculiser sa famille forcément matérialiste et anti-artistique :

 « Le confit tournait à l’allégorique : l’art contre l’argent, la pauvreté plutôt que la rapacité et, plus banalement, au drame familial » [12],

en plus de rabaisser encore et toujours le sens sérieux des choses, comparant sans rougir scènes d’enfance et situations d’adulte :

« J’avais, disons le mot, joué au “sale gosse“, et il n’était, dès lors, pas étonnant qu’Isabelle, à son tour, réclamât l’aide d’un notaire, comme jadis, elle appelait mon père ou ma mère, de façon que je ne mangease pas tous les Choco BN. »[13]

 

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Telle est la ridicule et grotesque (ridicule car grotesque) vision du monde de l’écrivain néo-antimoderne d’aujourd’hui. Telle est surtout sa conception puérile de la littérature :

« Et je voyais, dans le crépuscule des choses littéraires (au moins d’un point de vue social),  l’annonce d’une catastrophe définitive, à tout le moins l’amputation de la part d’imperfection propre à notre race, que seule (cette part) la littérature avait en charge ; elle était du côté de la faiblesse, du chagrin, du doute, de la bêtise, des remords, des désirs impurs, du hasard – de la défaite. “Sans la défaite, dis-je, l’homme n’est rien. Ce peu que nous sommes, la littérature doit l’exprimer sinon nous resterons, pour nous-mêmes des inconnus, béant, courant, aspirant à une Perfection qui nous dépasse et nous humilie. »[14]

« ... du côté de la faiblesse, du chagrin, du doute, de la bêtise, des remords, des désirs impurs, du hasard – de la défaite.» Tout est dit. Au moins Patrice Jean a-t-il le mérite de vendre la mèche. Sauf que cette mèche n'allumera aucun feu, à part sans doute celui de notre mâle colère devant tant d'affaissement. Car non, non, non, Patrice Jean ! La littérature n’est pas une consolation pour âmes mortes ou défaites. La littérature est le réveil viril de l’homme vrai et conquérant, le nouveau soleil du Verbe – et qui ne se fait pas, ô certes non, contre la science, votre bête noire, et qui prouve combien la littérature est pour vous le cache-sexe de votre incompétence. La vérité est que la vérité passe par le Logos autant que par les Nombres, et que la Science mâle est aussi là pour corriger les approximations de la femelle poésie. Las ! Les approximations, c'est votre domaine et pire votre cause. Car vous voilà sans rire ni rougir à défendre le dilettantisme, le brouillon, le maniérisme, l’humeur au nom de la seule humeur, mais aussi plus grave, tellement plus grave, l’obscénité et la pornographie.

« Pourtant, le chercheur en littérature, à son tour, sacrifiait au culte du sérieux, pensais-je, rien ne le satisfaisait plus qu’un statut de savant, d’universitaire ; rien ne le rebutait plus que l’amateurisme, la fantaisie, la gratuité, l’arbitraire, la plaisanterie, l’à-peu-près, la privation, le parti pris, la mauvaise foi, la sensibilité, les pieds dans le plat, la claque dans la gueule, l’ironie, la faiblesse, le hasard, le désordre, la pine, le cul, la pine dans le cul, l’inachèvement, la paresse, le j’me-en-foutisme, la vérité, le rien, la peur, les soirées d’été, le découragement, l’excommunication, la relégation, la provocation, les obsessions, le jeu, la langue tirée ; rien ne rebutait plus le chercheur en littérature que la littérature. »[15]

Ah ces débats artificiels entre science et littérature bien dignes de l’élève de troisième que vous êtes fondamentalement resté ! Et cette façon de vous venger dans vos livres de ceux, des professeurs, ces transmetteurs d'éternité, qui vous ont sans doute cloué le bec dans la vraie vie, pauvre petit Jean !

« La colère de Thomas tomba, un soir, sur la tête de Denis. Ce dernier, à tout bout de champ, réclamait des preuves “scientifiques“ de ce que nous disions, qu’on remarquât l’enlaidissement d’un paysage ou la beauté d’une vague frôlée par un rayon de soleil. Même l’enthousiasme pour un roman de Proust devait, à ses yeux, être relativisé par des considérations sociologiques sur les “classes bourgeoises“, le succès de la Recherche se réduisant, pour un “scientifique“ (comme il se désignait) par une approbation statistique et bourgeoise. Un soir, donc, après le repas, en ces heures où les conversations desserrent le nœud de cravate, Emmanuelle avait regretté que l’estuaire de la Seine, en face de Trouville, fût souillé par des torchères et des édifices pétroliers, ce à quoi Denis avait répliqué : « qu’est-ce qui te permet de dire, objectivement, que des raffineries sont moins belles que des collines vertes où paissent de grosses vaches normandes ? En tant que scientifique, moi, primo, je trouve ça beau et secundo, j’aimerais que tu me donnes les chiffres exacts de ceux qui aiment ça et de ceux qui n’aiment pas ça ! » Thomas qui, depuis une heure ne parlait pas, sortit de son mutisme : “Mais tu vas nous emmerder longtemps, avec tes chiffres ? Tu ne peux pas, ducon, émettre un avis sans t’appuyer sur des statistiques ou des preuves scientifiques ? Tu ne sais pas, pauvre crétin, qu’il y a des domaines qui ne relèvent pas de la science ? Le jugement, par exemple ! Et je vais t’en donner un de jugement : des idiots de ton espèce, on devrait les empêcher de polluer, par leur sale gueule, la côte normande. »[16]

 

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Qu’importent dès lors les déboires du narrateur avec ses voisins, la rixe avec le black dans l'escalier, l'aventure avec Magalie, la femme de Jimmy, les hésitations à quitter cette vie rouennaise pour vivre à Paris, édité par Grasset, autant de prétextes à la basse rigolade et accessoirement à la masturbation, l'auteur putassier croyant bon d'y aller de ses quelques pages sexuelles d’une vulgarité propre à exciter tous les solitaires et autres vieux garçons (vieux garçons car solitaires) qui doivent constituer le gros des lecteurs (lecteurs car gros) de Patrice Jean. Oh certes ! L’auteur tente de nous faire rire avec ces saynètes de vaudeville social mais nous ne rions pas, nous avons une trop haute idée de l’Homme et de la Littérature pour rire. La Littérature comique est de toute façon un oxymore que même Molière n’a pu résoudre en son temps, réduisant souvent son indéniable talent dramatique à de piètres canevas grotesques et ridicules (grotesques car ridicules) qu’un Boileau dénonça justement à son époque (son époque car justement). Quant au scepticisme bon teint dans lequel l'auteur voudrait nous enfermer depuis le début et qui n'est que le symptôme de son relativisme à lui, bien typique de son époque et de sa modernité à laquelle il appartient en plein malgré ses pleurnicheries, il est bien le signe de son échec spirituel.

« Les athées comme les croyants m’exaspéraient, aucun n’ayant la force, je dis bien la force, de rester dans l’incertitude (…) je leur reprochais le confort de l’entre-soi et la paresse des certitudes » [17]

Et votre paresse à vous, dites-nous, Patrice Jean ? Ne reste alors plus qu’au triste comique de se s’autoflageller une énième fois comme si l’autoflagellation était suffisante pour se corriger et éviter la vraie flagellation, celle qui n’est pas dupe de la première, et que nous lui faisons subir pour son bien. 

« Un marxiste aurait, avec raison, analysé mon dilettantisme comme la conséquence de ma situation sociale : ni pauvre (je vivais dans un bel appartement bourgeois), ni riche (j’exerçais un poste sans valeur financière), de sorte que n’étant rien de défini je balançais facilement d’une vision du monde à l’autre, de la gauche à la droite. Mais ce marxiste aurait eu tort et moi raison : je considérais l’art, et la littérature en particulier, comme la chose la plus importante de l’univers, si bien que toute prise de position politique, à mes yeux, d’un choix de moindre importance, et il me plaisait d’en avertir, par d’infantiles provocations, mes interlocuteurs de circonstance. »[18]

L'art et la littérature contre le monde. Encore le raisonnement esthétisant et décadent. Et l'engagement, Patrice Jean ? Et la transcendance ? Et tout ce qui fait la dignité d'un homme ? Las ! Au lieu de répondre à nos dures questions, l'auteur préfère encore se réfugier dans son petit jeu de la fiction dans la fiction, dispositif éculé déjà utilisé dans L’Homme surnuméraire et comme si la fiction pouvait avoir un quelconque impact sur la réalité, avec sa nouvelle "fantastique" dans laquelle un nommé Albert Guilbert vit physiquement les insultes qui lui sont adressées. Ainsi l’accuse-t-on d’être une merde qu’il se met à sentir la merde, une tête à claques qu'il se met à sentir des rafales de gifles tomber sur lui. C’est là l’astuce kafkaïenne des littérateurs qui, ne supportant pas d’être responsables dans leur vie comme dans leurs livres, cherchent à tout prix à discréditer cette responsabilité en la rendant odieuse par la métamorphose outrancière. Sauf que cela ne prend plus.  La littérature comme vengeance du monde et déresponsabilisation militante, merci bien. Et c’est pourquoi nous serons d’accord avec le personnage de Jimmy, que l’auteur a beau jeu de décrire comme un rustre mais qui comme nous « ne mange pas de ce pain-là » et ne se fera avoir ni par Flaubert ni par Bukovski qu’insidieusement le narrateur lui propose de lire.

« Lire, m’expliqua-t-il doctement, c’était une activité de personnes âgées ou un truc de bonnes femmes. »[19]

Oh certes, Jimmy n’est pas un lettré, mais foi de Duguesclin, c’est par lui et rien que par lui que la revilirisation du monde aura lieu. La scène où il oblige le narrateur à le regarder faire l'amour à sa femme dans le lit de ce dernier n'est-elle pas une preuve de la nouvelle donne sociale et vitale ? En écrivant Tour d'ivoire, Patrice Jean se sera déshonoré mais ce déshonneur nous aura montré la voie : celle de faire non plus cette littérature de la complaisance et du désespoir bonne qu'à rassurer les lâches et les ectoplasmes à la Pierre Cormary et ses amis mais bien une littérature de l'honneur, du courage et de la dignité qui leur fera une sainte horreur (horreur car sainte.) Oh certes, nous sommes conscients que notre genre de littérature dorienne aura beaucoup de résistances à briser, mais nous le disons, redisons et re-redisons une anti-pénultième fois : nous plaidons pour l'écrivain authentique, soit tout ce que Patrice Jean n’a jamais été, n’est pas, ne sera jamais, ne pourrait jamais être, ne put voir été, ne saurait été être et ne le serait pas été s'il avait voulu l'avoir pu - un homme tout simplement. Oh certes non (ou plutôt oui.) 

 

Yves-Marie Duguesclin

 

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[1] Page 70.

[2] Page 70.

[3] Page 89.

[4] Page 106

[5] Page 22

[6] Page 109

[7] Œuvre inventée… comme celle des Onze, de Pierre Michon, cet autre écrivain décadent et maniériste.

[8] Page 21.

[9] Page 18.

[10] Page 209.

[11] Page 46.

[12] Page 51.

[13] Page 53.

[14] Page 154.

[15] Page 159.

[16] Page 213.

[17] Page 83.

[18] Page 221.

[19] Page 202.

 

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Commentaires

  • ah ah ah très drôle, pierre, ce pastiche d'asensio. on croirait le vrai.

    et puis ça donne envie de lire le livre.

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