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Contre l'enfer II - Du Maranatha au Dies irae

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Continuons donc dans notre théologie de comptoir avec ce pauvre hérétique malhonnête de Hans Urs von Balthasar qui ose questionner la légitimité de l'enfer contre sa propre doctrine qu'il n'a même pas lu contrairement à ceux qui voudraient brûler son livre et lui avec.

La foi chrétienne, explique Urs, peut se définir comme une confiance en Dieu, (« fides » signifiant autant foi que confiance), un abandon en Dieu (« je crois en Dieu » = « je m'abandonne à Dieu »), ce que d'aucuns appelleraient une foi insouciante. En toute logique, on peut considérer que plus le croyant s'abandonne à Dieu, plus il est empli de Son amour et réciproquement plus il résiste à Dieu, plus il s'en éloigne (mais que signifie exactement un croyant qui s'éloignerait de Dieu, pire, qui n'aurait plus confiance en Lui ? J'allais dire : un chrétien malheureux de croire ? Un catholique que le catholicisme fait vomir ? C'est peut-être ça le début de la damnation...)

Qu'importe. Tout dans le credo et la confession va dans le sens du salut – et de la tripartition des trois Personnes : création du Père, Rédemption du Fils, Sanctification de l'Esprit, et sans qu'il ne soit nulle part question du diable (ce qui serait un peu fort.) Mieux, l'appel de nous aimer les uns les autres, qui est quand même le fondement de l'enseignement christique, implique de ne juger personne. Seul Dieu jugera. Mais l'Homme ne jugera pas l'Homme. Paul exhorte ses frères à ne pas se juger :

« Le Christ est mort et revenu à la vie pour être le Seigneur des morts et des vivants. Mais toi, pourquoi juger ton frère ? Et toi, pourquoi mépriser ton frère ?... Chacun de nous rendra compte à Dieu POUR SOI-MÊME. » (Rm 14,7). Et là, Pierre Blouque marque un point.

Et Urs de renchérir : « As-tu le droit de refuser à ton frère l'espérance que tu as investi à ton compte ? ». La question de l'enfer pourrait alors s'arrêter là. L'enfer est l'affaire de Dieu et certainement pas la nôtre. Prions pour notre salut et pour celui des autres et basta. Espérons que nous irons tous au paradis même si Dieu jugera autrement. Croyons en l'apocatastase même si ce ne sera pas le cas.

Sauf que l'on sent bien que l'on ne peut ni intellectuellement ni spirituellement en rester là, que la question du jugement, et donc de la sanction, se pose naturellement. Et qu'en effet, il y a dans l'Evangile et dans la Bible nombre de versets allant dans le sens de la géhenne du feu. Par ailleurs, « un amour qui abolirait la justice créerait une injustice et ne serait plus qu’une caricature de l'amour. L'amour véritable, c'est la surabondance de la justice, surabondance débordant la stricte justice, mais sans jamais la détruire », ce qui en toute logique est assez vrai (surtout pour le diable qui est logicien). En vérité, la contradiction devient de plus en plus infernale : jugement et miséricorde commencent à sembler incompatibles. De même, amour et justice – car quoi qu'on dise, l'amour n'est pas juste, la justice n'est pas aimable. L'amour privilégie, console, apaise ; la justice compense, corrige, rééquilibre (et cela depuis la Parole d'Anaximandre ; l'amour est individuel ; la justice est sociale. Entre le Maranatha (Seigneur, viens !) et le Dies irae, le torchon brûle.

Alors... Est-ce que c'est la justice qui prend le pas sur l'amour ou est-ce l'amour qui déborde la justice ? Ou mieux : est-ce le bien qui l'emporte totalement sur le mal – au sens qu'il convertit le mal à lui-même ou ne se contente-t-il que de le punir éternellement ? Et qu'est-ce qu'un mal puni éternellement sinon un mal éternel ? Le damné, à sa manière, l'emporterait-il ? (d'autant qu'en plus même Dieu ne peut revenir sur ce que le démon a fait – sauf au cinéma bien sûr)

 

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Charles Manson (Damon Herriman) dans Once upon a time in Hollywood.

Disputation avec Fricka et Donner

Donner - "Croyons en l'apocatastase même si ce n'est pas le cas." Peut-on croire à quelque chose de condamné par le 2ème Concile de Constantinople (543 et 553) ?

Cormary - La croyance ne se commande pas. Comme l'amour. Comme n'importe quoi, d'ailleurs.

Donner - Bien sûr. Mais encore une fois, si on est tout à fait "libre" de ne pas croire à l'enseignement du 5ème concile, peut-on encore se dire orthodoxe ? On peut très bien pêcher ici ou là ce qui nous plait dans la Bible (ou ailleurs) et se confectionner sa religion. Mais moi, si le 5ème concile condamne une proposition, ce n'est pas un théologien lui-même très suspect au niveau de son orthodoxie qui m'influencera. Cherche-t-on la vérité ou ce qui nous ferait plaisir ? Tout est là.

Cormary - Balthasar se fait-il plaisir avec L'enfer, une question ?

Donner - Ce n'est pas ce que je dis. Je dis qu'il semble pour lui ET POUR MOI, que l'éternité des peines de l'enfer se concilie mal avec l'idée que l'on se fait du Dieu de Jésus-Christ. Mais je ne crois pas qu'en théologie (ou en philosophie ou dans n'importe quel aspect du logos), le fait que l'on soit fortement gêné par une donnée, qu'on la comprenne très mal, etc. prouve quoi que ce soit. Contre les faits, pas d'argument disaient les scolastiques. Et pour un chrétien (non protestant), le jugement d'un concile que l'on reconnait est une donnée. Un fait.

Cormary - Oui, mais notre foi ne dépend pas de tous les conciles. On ne se convertit ni pour des raisons sociales ni pour des raisons concilaires. Et si l'on est libre, on discute forcément la doctrine. Et un jugement conciliaire est moins un "fait" qu'une opinion autoritaire.

Donner - Je m'exprime mal : ma foi ne dépend pas d'un concile ou d'une quelconque autorité. Et en dernière instance, elle dépend de Dieu. Mais si "je crois", implicitement, "je crois fermement à toutes les vérités que Dieu nous a révélées et nous a enseignées par Son Église". Et donc, je crois à tout ce qu'ont enseigné les conciles par moi reconnus. Et je ne "discute pas la doctrine" car d'une part j’appartiens à "l'Église enseignée" et non à "l'Église enseignante" et d'autre part l'enseignement d'un concile œcuménique n'est pas au même niveau qu'une discussion entre deux théologiens aussi compétents et bien intentionnés soient-ils. J'appelle protestantisme toute position contraire. Et ce n'est pas une insulte, je suis un admirateur de Ellul !

Cormary - Mais on a tous une dimension protestante. Si lire Balthasar, Bloy, Bernanos, Claudel ou ma chère Marie Noël, est une protestation contre la doctrine catholique, eh bien vive la protestation ! Perso, les poètes et les romanciers ont plus nourri ma foi que les arguments d'autorité. D'ailleurs, j'ai toujours eu une sainte horreur du catéchisme.

Donc, oui, à un certain moment, je fais à ma sauce. MAIS TOUT LE MONDE FAIT A SA SAUCE, EN FAIT. Y compris et surtout dans le catholicisme où vous pouvez être janséniste avec Pascal, quiétiste avec Fénelon, jupitérien avec Claudel, et même sataniste avec Bloy. Alors, c'est très bien la doctrine, mais ce n'est pas avec la doctrine que l'on prie.

En fait, Fricka, sur l'autre fil, a, par hasard ou non, apporté un vrai élément de réflexion, à savoir l'écart qu'il peut exister entre la croyance (doctrinaire) et l'espérance. Croire en l'enfer et espérer qu'il soit vide.

Et c'est cette question qui subsume tous ces problèmes : notre espérance ne contredit-elle pas, un instant, notre croyance ? Alors certes, il est dit que l'on peut résister en droit à l'Esprit Saint (péché irrémissible, etc...), d'accord, mais en fait ?

Quant à la liberté, j'ai toujours un problème avec elle, parce que je continue à croire que ma liberté, à laquelle je tiens beaucoup, surtout dans ces dialogues, n'est pas "libre" en elle-même, je veux dire, ne dépend pas de moi, par décision ou calcul. Je n'ai pas "décidé" de penser ce que je pense ou de dire ce que je dis. Ça m'est venu par mon être, mes tripes, mes flux, mon système nerveux, ma nature, mon corps, tout ce que l'on veut mais pas par moi en tant que sujet neutre. En fait, on ne décide de rien de ce que l'on est et de ce que l'on pense, on ne décide éventuellement que de l'accepter. L'être, la pensée, comme l'amour, ne se commande pas. Quand je me suis reconverti en 1996, ce n'était pas une "décision". Et de même aujourd'hui avec mon élan orthodoxe, ce n'est pas moi qui décide, ça décide en moi, ça veut en moi, ça croit en moi. De ce point de vue-là, je m'en remets totalement au hasard ou à la grâce (pour ne pas dire au hasard de la grâce !!!)

Donner - Le hasard de la grâce... Il y en a qui ont fini en Enfer pour moins que ça !

Fricka - Hans Urs von Balthasar devait être un grand angoissé pour développer cette théorie. Tout comme Luther. Et comme il était très religieux, son angoisse s'est portée sur la religion. L'exemple de Luther est intéressant. Luther était angoissé de ne pas arriver à avoir la certitude du salut. Il a voulu demander cette certitude du salut à la foi. Or la foi ne pouvait pas la lui donner car le salut personnel de chacun de nous n'est pas enseigné dans la révélation. Toute l'erreur de Luther a été de ne pas voir que ce qu'il ne pouvait pas obtenir de la foi, il pouvait l'obtenir – mais sur le plan cette fois pratique - de la certitude infaillible de l'espérance fondée sur la miséricorde infinie de Dieu qui ne peut en aucun cas nous manquer. Tout ceci a amené Luther à voir en la foi, non pas l’adhésion de l’intelligence aux vérités révélées par Dieu, mais à voir dans la foi une confiance que nous serons sauvés. Donc à transformer la nature de la foi pour la confondre avec l’espérance. De là est sortie sa conception de la foi, dans la théorie de Luther, conception qui aboutit à des drames d'angoisse. L'angoisse de se demander : est-ce que j'ai confiance que je serai sauvé ? Car d’après Luther on est sauvé grâce à la confiance qu’on a qu’on serait sauvé. D’où l’importance de faire la distinction entre la certitude infaillible de la foi, qui est d’ordre spéculative, et la certitude infaillible de l’espérance, qui est d’ordre pratique.

Cormary - Parce que vous n'êtes pas angoissée, vous ? Tout va bien, youplaboum les méchants punis les gentils récompensés ? (Très remarquable définition du protestantisme, soit dit en passant, et qui m'éclaire prodigieusement.)

Fricka - Je prie tous les jours pour que chaque membre de ma famille obtienne la grâce de la persévérance finale. J'offre quasiment toutes mes communions pour cela. Je suis peut-être simplette mais je crois aux promesses de la Vierge à Fatima. L'idée d'un enfer plein ne me fait aucun plaisir. Mais la thèse de HVB me paraît fumeuse et je ne choisis pas une religion pour être délivrée de la crainte mais parce qu'elle me semble vraie.

Cormary - La thèse de HVB est en fait la vôtre : la croyance d'une part, l'espérance de l'autre. 

Car si, l'on choisit toujours une religion en fonction de sa sensibilité (et de sa culture). Or, il y a des sensibilités catholiques, protestantes, orthodoxes.

Fricka - Je ne crois pas en l'apocatastase, en la restauration finale. Je crois que des gens se damnent. Cela ne me fait aucun plaisir mais j'y crois.

Cormary - Je ne sais pas si je crois en l'apocatastase mais j'espère en elle.

Quant à se damner, je ne sais pas. Tout est possible. Y compris que Dieu perde une créature, deux créatures, mille créatures, peut-être toute sa création finalement. La "massa damnata" est une hypothèse éminemment catholique (augustinienne) et que l'on pourrait développer comme "totalité damnée". Dieu a laissé aux hommes une liberté infinie jusqu'à pouvoir le rejeter.  Très bien. Si ça se trouve, tous les hommes se sont damnés depuis Adam. Plutôt en enfer entre nous qu'avec le Vieux !

Peut-être seul le bon larron a été sauvé et tourne en rond dans son paradis.

(Alors je délire peut-être mais c'est un délire catholique. Si l'enfer vide est une hérésie, le paradis vide est d'une logique absolue.)

Fricka - Il ne faut pas y penser toute la journée. Ce n'est pas bon pour la santé mentale. Recours aux sacrements, vie de prière et œuvres de charité pour vous unir à Dieu. La vertu d'espérance est la certitude infaillible que la grâce Dieu ne saurait en aucun cas nous manquer. Raccrochez-vous à cela.

(...)

Donner - Pierre Cormary Je crois que dans votre question réside toute votre approche et je ne dis absolument pas ça de manière critique ou dévalorisante : vous cherchez une croyance qui vous "épanouirait". Je ne suis pas calviniste. Mais je suis certain, car j'en connais, qu'un calviniste vous répondrait que sa croyance ne l'épanouit pas plus, ne lui fait pas plus plaisir, qu'un chimiste de connaître la composition de l'eau, ou qu'un architecte savoir calculer les forces à l'oeuvre dans un bâtiment. Il croit que c'est vrai. Sincèrement.

Cormary - A cela Dostoïevski répondrait cette énormité magnifique qu'il préfère rester avec le Christ plutôt qu'avec la vérité.

Plus platonicien, je préfère dire que la vérité est belle, bonne et (donc) désirable.

Et si la vérité est amour, alors elle doit être telle. D'où les images sublimes de Dieu, iconiques ou non.

(...)

Fricka - Vous êtes drôle. Vous nous déchiquetez la religion catholique donc on rappelle qu'elle est raisonnable pour vous tirer de vos raisonnements tortueux, faux, plats comme des haricots plats et affreusement déprimants. Avec des révoltes qui ne dépassent pas l'adolescence, si je puis me permettre.

 Ensuite vous dites que c'est nous les binoclards. Non mais allez-vous faire voir !

Quand vous voyez une sataniste qui dit qu'elle aime Satan vous applaudissez et la trouvez sexy. Ce qui est vrai ne vous intéresse pas.

Et pour vous rassurez sur le sort de cette pauvresse vous dites que l'enfer est le néant. Vos propos n'ont aucun sens.

Cormary - Ah non, j'ai dit plusieurs fois que l'enfer n'était justement pas le néant. Et que ce dernier me faisait moins horreur que le premier.

La sataniste de Gabriel N. que j'ai qualifié de sexy, c'était une blague - mais son propos "que le diable me délivre de la vie éternelle" avait beaucoup de sens dans notre débat.

Quant à l'objection de la révolte adolescente, je ne sais pas... La plupart des vraies questions ont toujours une jeunesse dépoussiérante et la jeunesse d'esprit est toujours une preuve de recherche de la vérité, non ? Par ailleurs, il me semble que le théologien Balthasar et le Père Brune étaient plus vieux que moi quand ils se sont intéressés à ces histoires.

Fricka - C'est adolescent parce que c'est passif si vous vous arrêtez à la révolte.

Ça ressemble au mouvement existentialiste de base de celui qui se réveille, sort de son rêve d'enfant et se rend compte que la vie n'est pas un immense goûter fait de BN et de Nesquik et se met à bouder. Balthasar et Brune ont donné leur vie en se faisant prêtres pour les brebis que nous sommes. Face au scandale de ce mystère, le zèle apostolique, la prière, les œuvres de miséricorde seront toujours plus élégants et adultes qu'un "non serviam". Je suis désolée mais votre révolte n'a pas d'allure. Faites-en quelque chose.

(...)

 

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A suivre

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