Genèse 11
« L'épisode de Babel, a écrit Philippe Muray, est une insulte à notre idéal de culture interculturelle et transfrontalière. »
Après la différence irrémissible des sexes, la différence irréfragable des langues.
Lorsqu'il voit les hommes s'échiner à faire un seul peuple à une seule langue, Dieu fulmine :
« Tel est le début de leurs entreprises ! Maintenant aucun dessein ne sera irréalisable pour eux. Allons ! Descendons ! Et là, confondons leur langage pour qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres. »
Donc, confusion des langues, dispersion des peuples, et de fait, constitution de ce qu'on appellera un jour les Etats-Nations.
Dieu veut la diversité et la frontière.
La Bible est une longue histoire de frontière.
Une épopée de la différence.
Une Iliade faite au Même.
Le Même, la bête noire de Dieu.
L'altérité, la divinité de Dieu.
Pas étonnant que l'on cherche aujourd'hui à
« liquider le fond culturel juif de l'Occident »,
écrit encore Muray (et l'arrière fond grec, pourrait-on rajouter, nos contemporains ne se reconnaissant ni en Adam ni en Oedipe, et de manière plus général par ce qui les contredit.)
Or, c'est par la contradiction que nous sommes libres (Kierkegaard), par la chute, le négatif, le polémos, d'aucuns diraient le tragique. Il y a une tragédie du déterminisme et de la prophétie (Oedipe and co.) mais il y a aussi une tragédie de la liberté – et cette dernière me semble bien pire que la première car elle nous rend responsables de nos malheurs.
La responsabilité, voilà le malheur, la malédiction, la condition humaine.
Sartre ne dira pas autre chose. Nous sommes affreusement libres et la mauvaise foi n'est qu'une façon d'échapper à cette liberté qui nous oblige - et finit par nous conduire en enfer.
« DIEU NOUS A ABANDONNES A LA LIBERTE », disait le Grand Arnauld.
Tant pis, il faudra s'y faire. Muray nous y aidera.
« La nouvelle existence sans contradictions que le turbo-droit-de-l'hommisme, dans sa course en avant calquée sur celle du turbo-capitalisme, entreprend d'imposer partout, ne peut que se heurter à l'Ecriture, qui est la Contradiction de toutes les contradictions. La part d'ombre, le flou, le louche, le tortueux, l'ambivalent, la négativité, caractéristiques il n'y a pas encore si longtemps de ce qu'il y avait de plus humain et de plus libre dans la condition humaine, ne sont plus que des crimes ou des infirmités. En tout cela, c'est le processus de dépersonnalisation des êtres qui s'accélère. Il ne faut plus que l'individu puisse prétendre avoir une seule mauvaise pensée à soi, ni même une seule pensée. Cette menace doit être conjurée par l'arrachage des racines bibliques de toute pensée. Et le reste suivra, à commencer par la prohibition de la littérature, du moins chaque fois que celle-ci n'aura pas eu le bon goût de faire progresser les valeurs de justice et de citoyen ».
(Parc d'abstractions, Exorcismes spirituels III, pages 35-39.)
Denis H. - Bon, là je m'ennuie un peu alors je mets une pierre dans le jardin de Pierre :
"En résumé, la liberté, répétons-le, ne se conçoit que par l’ignorance de ce qui nous fait agir. Elle ne peut exister au niveau conscient que dans l’ignorance de ce qui meuble et anime l’inconscient. Mais l’inconscient lui-même qui s’apparente au rêve, pourrait faire croire qu’il a découvert la liberté. Malheureusement, les lois qui gouvernent le rêve et l’inconscient sont aussi rigides, mais elles ne peuvent s’exprimer sous la forme du discours logique. Elles expriment la rigueur de la biochimie complexe qui règle depuis notre naissance le fonctionnement de notre système nerveux."
Henri Laborit, Éloge de la fuite, Robert Laffont, 1976.
Pierre Cormary Mille fois d'accord. Notre seule liberté est de savoir que celle-ci n'existe pas. Notre seule liberté est de se connaître soi-même, dons et limites. Le reste est foutaise.
Denis H. - Ah, bizarre, je pensais que vous ne seriez pas d'accord...
Pierre Cormary - Au contraire. Plus je sais que je ne suis pas libre, plus je le suis. Ma seule liberté est de persévérer dans mon être (et donc le connaître un peu mieux.)
Denis H - Ok.