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Nabe, notre Saint-Simon

  • La réalittérature de Marc-Edouard Nabe (sur Les Porcs 1 et 2)

     

     

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    - Quoi ? Tu vas encore écrire sur Nabe ?

    - J’en ai peur.

    - Après tout ce qu’il t’a fait ?

    - Qu’est-ce qu’il m’a fait ?

    - Il t’a photomonté comme un porc égorgé. Il t’a roulé dans la farine dans ses Nabe news. Il t’a injurié dans Les Porcs 1 et tu en redemandes ?

    - Bah ! Ce qu’il disait de moi dans Les Porcs 1 était de bonne guerre et je l’assume totalement. C’est vrai, je suis un islamophobe obèse coincé entre le Figaro et Valeurs actuelles. Les photomontages, bon. J’avoue que j’aime assez le second, moi en gros bébé falstaffien enfariné, pourquoi pas même en fœtus obèse à la 2001 ?

    - Nabe déteste Kubrick !

    - J’adore qu’il le déteste ! Ça me les fait aimer encore plus, Kubrick et lui. Et il dit des choses très vraies sur Stanley. Il l’éclaire de sa vindicte. C’est ça qui est bien avec lui : qu’on soit d’accord ou pas, au moins on est d’accord dans le désaccord. Mentalement, ça fait un bien fou.

    - Donc « saint Nabe » ?

    - Saint Nabaptiste, alors. Il se compare au Christ alors qu’il est beaucoup plus un Jean-Baptiste, toujours furax, accusateur, sacrificiel, chieur mystique à mort. Il le dit un moment à Patrick Besson : « Oui, mais moi j’ai besoin de faire chier les autres pour bien jouir. Tu ne le sais pas encore ? »[1]

    - Un jouichieur.

    - Voilà. Et même un jouisticier. Un Saint-Jouist. C'est-à-dire un salaud, car le justicier absolu est un salaud qui massacre au nom d'un supposé bien et qui a plus de sang sur les mains que quiconque (voir l'idéal communiste et ses cent millions de morts). En fait, j’ai compris un truc. Dans la vérité, Nabe est un dieu. C’est dans la justice ou ce qu’il s’imagine telle qu’il devient un diable. Là, on ne peut plus le suivre, ni aujourd’hui ni dans cent ans. Sa métaphysique de la justice totale, à la Michael Kohlhaas, est intenable. Mais peu importe. On peut totalement se tromper et faire la plus grande œuvre d’art possible. Saint-Simon s’est trompé sur Louis XIV, ça n’empêche pas que ce que dit Saint-Simon sur Louis XIV est passionnant car ainsi on comprend ce que pensaient les anti-Louis XIV à l’époque de celui-ci. Je vais en parler à la fin de mon texte.

    - Tu vas encore te faire crucifier sur Nabe news.

    - On verra bien. Il paraît que je suis revenu en grâce depuis que j’ai commencé à défendre Les Porcs 2 sur mon mur Facebook contre des abrutis complotistes (dont certains contacts à moi). C’est clair que ce livre est un gigantesque piège à cons en même temps d’être une phénoménale purge, ce qui est la meilleure chose qui pouvait nous arriver car nous avons tous été conspis, ou naïfs, un jour ou l’autre, moi compris. Pour le reste, il m’a toujours semblé intéressant de se confronter à Nabe même si on mord la poussière à la fin. Chuter à cause de lui élève. Comme une de ses fans le lui dit, « avec vous, on meurt, on ressuscite, on meurt, on ressuscite »[2]. C’est tout à fait ça : on s’autodétruit puis on ressuscite avec Nabe.  Bruno Deniel-Laurent l’avait déjà écrit dans un article fameux : Subir Nabe est une chance ontologique, théologique même !

    - Maso !

    - Oui mais non.  Il faut savoir dépasser son propre narcissisme. Nabe te « massacre » mais ce faisant te met dans sa chapelle Sixtine. Ce n’est pas un « troll » comme un autre (et je m’y connais). Et puis moi aussi, j’ai un côté christique, tiens. Christ de 133 kilos, pas toujours très au fait, mais Christ quand même.

    - Mais que vas-tu dire sur Les Porcs ?

    - Que c’est le livre le plus grand livre de notre époque. Que c’est l’essai le plus antirévisionniste qui n’ait jamais été écrit. Que ça touche aux Démons de Dostoïevski et à l’Apocalypse de saint Jean. Et que sur le plan de la forme, c’est prodigieux d’inventions, d’informations, de synthèses, de correspondances, d’unité et de force.

    - Meilleur que les précédents ?

    - J’aime beaucoup Alain Zannini et L’Homme qui arrêta d’écrire mais ces deux romans n’étaient qu’une sorte de Journal intime prolongé. Or, dans Les Porcs, et pour la première fois (si l’on excepte L’Enculé qui était une parabole savoureuse mais courte sur l’affaire Strauss-Kahn), Nabe resserre toute l’époque autour d’un sujet central et capital, le complotisme – qui est devenu aujourd’hui, il a tout à fait raison, « l’axe du mal »[3]. Quand il dit qu’un écrivain doit travailler dans la vérité, ça paraît emphatique et prétentieux alors que c’est vrai. La vérité rend libre et Nabe aussi. Y compris contre lui-même.

    - Mais son apologie de Daesh ? Du terrorisme ? De Mohammed Merah ? Et dont tu disais toi-même qu’elle était dégueulasse.

    - Je le dis toujours mais j’ai compris quelque chose. Plus qu’allumer la mèche des terroristes, Nabe la vend et cela est insoutenable pour quiconque a une complaisance révolutionnaire ou islamiste. Comme il le dit un moment, ou plutôt comme il le fait dire à Yves Loffredo : « ils se réclament d’une idéologie de la violence sans assumer la violence que cela induit »[4]. C’est exactement ça ! La violence « gauchiste » nabienne est irrécupérable pour tout gauchiste. Et c’est pourquoi Nabe est beaucoup plus accepté à droite qu’à gauche (comme le prouvent ses entrées récentes dans Valeurs actuelles) car à droite ses « idées » peuvent nous « agresser » mais sans remettre en question les nôtres. Au contraire, elles nous les confirment. C’est le paradoxe : Nabe voit l’islamisme comme un islamophobe de mon genre le voit. Il trouve sublime ce que je trouve immonde mais dans le fond nous sommes d’accord. Pareil pour le principe des révolutions qu’il adule et que j’exècre. Lorsqu’il dit quelque chose comme « Che Guevara / Ben Laden, même combat »[5], j’applaudis des deux mains car à mes yeux, ce sont les mêmes sortes d’ordures révolutionnaires. C’est celui qui porte son tee-shirt che guevarien qui va devoir s'inquiéter. De ce point de vue, Nabe rend impossible l’ultra-gauche à elle-même (Badiou, Plenel, etc.) et cela est infiniment plaisant. Un peu comme Céline rendait impossible l’antisémitisme aux antisémites « sérieux ».

    - Peut-être mais tu vas encore apparaître comme un renégat.

    - Ça fait partie du jeu. Un jour, il y a une vingtaine d'années, je l’avais rencontré dans le métro. Nous avions parlé de l’extrait de mon propre journal intime que je lui avais envoyé quelque temps auparavant et dans lequel je racontais notre précédente rencontre au musée d’Orsay où il était venu voir une expo Strindberg (ça devait être en janvier 2002). Bien sûr, je fis mon faux timide en lui disant que j’avais hésité à lui envoyer ce texte, à quoi il me répondit : « ah si, si ! il faut toujours envoyer ! », rajoutant : « il y avait de très bonnes choses dans votre texte », ce qui me fit un vif plaisir même si je me demandais s’il ne se foutait pas de ma gueule. Peu importe, encore une fois. L’important est d’aller jusqu’au bout de sa subjectivité, et comme il le disait déjà lui-même lors de son Apostrophe mythique – c’est ça la grande leçon nabienne. Et une leçon protestante d’ailleurs, mais n’allons pas trop vite et procédons par étapes.

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