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La liberté, y en a marre !

 

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Sur Causeur

 

Il a bien entendu raison, Raphaël Enthoven, avec sa liberté liberticide et il faut être un bourrin de droite pour ne pas le comprendre. La liberté totale, c’est Squid Game comme l’égalité totale, c’est le goulag. À tout, il faut des limites – et même aux limites, il faut des limites. Il faut être nietzschéen et kantien, conquérant et casuistique, absolu et procédurier. Il faut de l’anarchie et de la jurisprudence, de l’innocence et de la responsabilité, du Yin et du Yang – Elon Musk, d’accord mais pas sans Thierry Breton. C’est comme cela que ça a toujours marché dans les sociétés civilisées et c’est ainsi que nous procédons tous, même le plus libertarien ou le plus légaliste, chacun se trouvant sa propre poche d’insolence et de droit. Évidemment,  quand ces poches diffèrent, ça fait des clashes.

 

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Mes clashes à moi, en ce moment, c’est avec les droitards que je les ais. C’est que mes pauvres amis sont partis en vrille comme jamais. La crise sanitaire les a rendus dingues, complotistes, obscurantistes, occultistes. La crise ukrainienne les a achevés, révélant ce qu’il y avait de plus hideux en eux, le goût de la collaboration, du sang, du poutinisme exacerbé – et sous prétexte que Poutine est contre le mariage gay et les LGBT, la belle affaire ! Alors que le minimum syndical pour un nationaliste aurait été de prendre fait et cause pour la nation ukrainienne, qui n’est plus russe depuis longtemps et ne veut plus jamais l’être, voilà nos nationalistes qui se sont rués pour la Russie qui n’a jamais vraiment été une nation, au mieux un gazoduc dans une steppe. Il est vrai que, sous un mode soviétique ou tsariste, la Russie a toujours excité le virilisme des matamores, persuadés que le communisme ou la tradition allait sauver le monde (parce qu’il faut toujours « sauver » quelque chose, avec eux). Poutine, rempart de nos valeurs ? C’est ce qu’on se dit dans les milieux tradi, sans se rendre compte de l’imposture inouïe qu’il y a là-dedans. Il est vrai que même De Gaulle y a cédé un moment, étant à l’origine de cette fadaise d’Eurasie qui irait de Brest à Vladivostok. Et pour la raison lamentable que le vrai danger, pour les frenchies complexés, c’était l’Amérique libérale et démocratique – alors que celle-ci a toujours été notre monde. Je n’ai jamais pu comprendre comment on pouvait préférer vivre à Moscou plutôt qu’à New York.

Et donc, voilà que les mêmes qui n’ont eu cesse de blâmer le « capitalisme » et « la culture Mickey » tombent les uns après les autres dans les bras de ce grand dadais d’Elon Musk, milliardaire Bibendum, qui vient de racheter Twitter, le réseau social le plus con du monde (même si on y est tous, évidemment parce que la connerie est la chose du monde la mieux partagée.)
 
 

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Alors bien sûr, j’entends les arguments libéraux / libertaires, d’ailleurs fondamentalement humanistes, et que je pourrais moi-même fournir. Le woke est une lobotomisation de l’intelligence et de la sensibilité ; la cancel culture est la solution finale de la culture. Ce qui se passe aujourd’hui dans les universités américaines et qui arrive en force chez nous (même si la France ne se laisse pas faire et a un esprit de résistance qui n’appartient qu’à elle, preuve cette Guerre de Louis-Ferdinand Céline qui arrive à point) relève du crime contre l’esprit. Rien de plus odieux que ce puritanisme qui fait des ravages sur les réseaux sociaux, ces mises en cabane sur Facebook qui se multiplient pour un mot de trop (et je sais de quoi je parle), ces annulations de compte pour avoir « insulté » un particulier ou un groupe (même la formule de De Gaulle : « les Français sont des veaux » aujourd’hui ne passe plus) – tout cela donne envie de ruer dans les brancards et de clamer une liberté totale, forcenée, s’éjaculant partout.
 
Et c’est à ce moment-là que le peine-à-jouir en moi s’interroge. La « liberté absolue » que promet Musk sur son réseau ne serait-elle pas aussi celle des voyous, des tarentules, des sangsues, des porcs, de ceux qui en appellent vraiment au meurtre ou au viol ? Je me demande ce que Mila en pense, tiens, de cette liberté azimutée. Parce que les trolls, ça existe. Et ce sont eux qui ont pris le pouvoir sur Internet et qui du coup apportent de l’eau au moulin des censeurs. C’est que le politiquement abject a toujours été l’idiot utile du politiquement correct. Et sur la toile, on est servi. Le dissident grouille, conspire, diffame.  Le dernier de la classe se venge. Le revanchard exulte. Le vrai facho se substitue à l’antimoderne – faisant d’ailleurs et souvent la honte de ce dernier dans ses commentaires.   L’intersectionnalité de l’ultra droite rattrape celle de l’ultra gauche. La charlatan triomphe. Consécration du confusionnisme, de la désinformation, du rouge-brun. Ce ne sont pas tant les « discours de haine » qui posent problème que les mensonges, le révisionnisme en direct, l’affabulation décomplexée.
 
Alors, si c’est ça Twitter, ce sera sans moi. Je hais la censure mais la fake news ne me fait pas rêver.  Et je crois de moins en moins en la fameuse main invisible du Premier Amendement par laquelle tout devrait finir par se réguler. Dans un monde éclaté, anomique, déconstruit (et autant par les déconstructeurs officiels que par « l’individualisme de masse », comme disait Patrick Buisson, dans Le Point d'il y a deux semaines), la philosophie, la poésie et la vie ont fort peu de chance de l’emporter.  
 

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Et puis la liberté, j’en suis désolé, ça se mérite. Être libre, c’est d’abord penser contre soi, accepter la contradiction et comprendre les choses ne serait-ce que pour mieux les combattre si on est contre – ce dont l’homme du ressentiment, pourri par son idéologie régressive ou augmentée, est bien incapable. Si liberté absolue il y a, elle se situe dans le scepticisme et non dans le fanatisme. C’est Montaigne qui est libre, pas Savonarole. Pas besoin de faire allégeance au premier milliardaire venu ou au nouveau dictateur cool pour croire que l’on va enfin se délivrer du gauchisme culturel. Trump lui-même n’a pas empêché que celui-ci progresse dans son pays. Encore une fois, l’inquisition inclusive est une horreur mais ce n’est pas par la réalité alternative que l’on s’en sortira. Par ailleurs, « qui peut croire que tous les avis se valent ? » comme se le demande Papacito dans un article plus retors qu’il n’en a l’air dans le dernier Furia. L’opinion des gueux, ça va cinq minutes. Et il est pitié de voir nos « assoiffés de liberté » tomber dans tous les égouts de la matrice au nom de leur détestation du « camp du Bien » – alors que c’est le camp du vrai (et du beau) qui devrait les attirer. Mais tout à leurs convictions d’esclaves rebelles et prêts au pire pour combattre le mal, ils s’en foutent.
 
Alors, Musk ou pas Musk ? Au bout du compte, je n’ai pas de réponse à cette question – normal pour un sceptique, me diriez-vous. Sans doute faut-il prendre ses distances, même si c’est difficile vu que nous faisons tous partie du metavers.
 
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