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JEAN XX - Epiphanies

 

résurrection,

Les Disciples Pierre et Jean courant au sépulcre le matin de la Résurrection (Eugène Burnand, 1898, Orsay)

 

 

« Ils couraient tous les deux ensemble

mais l'autre disciple plus rapide

que Petros le distança et arriva

le premier au tombeau

(...)

mais il n'entra pas.

(...)

Shimon Petros, qui le suivait, arriva à son tour,

il entra dans le tombeau

et il vit sur le sol la tunique de lin

ainsi que le suaire qui couvrait son visage

[dont on nous précise qu'il est soigneusement plié dans un coin, détail capital, qu'on n'imagine pas "inventé" et qui apparaît, au contraire, comme ultra-réaliste et par conséquent ultra-troublant.]

(...)

Alors entra à son tour l'autre disciple,

celui qui était arrivé le premier au tombeau :

il vit et il crut. »

 

Résultat des courses (c'est le cas de le dire) :

Jean, premier arrivé.

Pierre, premier entré.

Jean, premier croyant.

 

« Il vit et il crut »

 

Mais lui seulement et à travers une expérience personnelle, non communicable ni universalisable.

Pour autant, ce n'est pas par eux que ça commence.

Ca commence par une femme. 

 

résurrection,

Marie-Madeleine, détail (Carlo Crivelli, vers 1480)

Sur ce peintre extraordinaire, voir ici

 

Car la première arrivée, stricto sensu, et sans doute la première entrée, c'est Miryam de Magdala qui arrive à l'aube (et même avant l'aube – « il faisait encore sombre »), découvre le tombeau ouvert et vide et va prévenir les autres.

La toute première, c'est elle.

Elle est ensuite devancée par les hommes mais dès que ceux-ci s'en retournent, l'un sidéré, l'autre « croyant », mais tous les deux sans rien comprendre à ce qu'ils ont senti (car, et cela sera important jusqu'à la fin, on ne comprend pas la résurrection, ou on la comprend par à-coups), elle reprend la main.

Elle reste près du tombeau. Pleure. Se rappelle. A tout le comportement d'une veuve éplorée.

Et là,

 

« elle voit deux anges, vêtus de blanc,

assis là où reposait le corps de Ieschoua,

l'un à la tête, l'autre aux pieds ».

 

Apparition. Ou mieux, manifestation. Présence réelle dont elle, la femme, est le témoin privilégié – l'élue.

Les anges lui demandent pourquoi elle pleure.

Elle répond que c'est parce qu'on (lui) a pris son Seigneur (parce que c'est le sien, aucun doute là-dessus : « On a enlevé mon Seigneur ») et qu'elle ne sait pas « où on l'a mis. »

Notons qu'elle pense d'abord à un enlèvement. Un coup des Romains ou des Juifs. Comme les deux apôtres, elle ne peut concevoir ni imaginer une « résurrection » (et même si lui l'avait dit – mais pour ces choses-là, le dire ne suffit pas.)

 

« En disant cela, elle se retourne

et voit quelqu'un qui se tient là,

mais elle ne voit pas que c'est Ieschoua. »

 

Elle ne le voit pas mais elle le voit quand même.

Miryam, première « voyante » du Christ.

Certes, qu'elle prend d'abord pour un jardinier.

Mais dès qu'il parle, tout change. 

Sa première parole est de dire son nom à elle.

On comprend bien ce qui se passe ?

La première parole du Christ ressuscité est de s'adresser à Marie-Madeleine en énonçant son nom.

La première parole du Christ revenu des morts est de dire le nom de sa femme (car là, je suis désolé, mais on ne peut plus en douter).

 

« Ieschoua lui :

Miryam. »

 

Et elle de le reconnaître tout de suite – à sa voix, sinon, à son intonation.

Et de lui répondre alors « en hébreu » (détail capital que Jean précise).

 

« Elle le reconnut et lui dit en hébreu :

Rabbouni,

ce qui veut dire mon maître. »

 

Et là encore, c'est Jean qui traduit.

Jean très soucieux de dire en quelle langue Miryam parle et qu'est-ce que ça veut dire.

La reconnaissance est donc orale, linguistique, mais par-dessus tout intime, supra-intime même (et pour ne pas dire plus.)

D'ailleurs si, disons plus.

Ce

 

« - Myriam !

   - Rabbouni ! »

 

nous fait immanquablement penser au

 

« - Isolde !

   - Tristan ! »

 

dans l'opéra de Wagner.

C'est comme ça, on n'y peut rien. Et vous non plus. Je vous ai mis ça dans la tête, ça restera.

Le reste va encore plus dans ce sens.

Miryam va se précipiter sur Ieschoua mais lui, tout de suite, la retient :

 

« Ne me touche pas ! »

'[« Noli me tangere ! »]

 

Ce qu'elle allait donc faire avec passion, sans aucun doute  – et comme avant.

Or, on ne peut plus toucher Ieschoua.

Non par pudeur mais parce son corps n'est plus terrestre. Son corps est autre. 

Et c'est sans doute pour cela que Miryam ne l'a pas reconnu au premier coup d'oeil – et comme ne le reconnaîtront pas les disciples par la suite et même après l'avoir vu plusieurs fois.

C'est que cette résurrection-là n'est pas une résurrection à la Lazare. Un truc de zombie où c'est l'ancien corps qui renaît tant bien que mal avec ses bandelettes. 

Non, le corps glorieux ne pue pas. Le corps glorieux ne ressemble pas à ce qu'il était – la preuve, on ne le reconnait pas.

Le corps glorieux est trop beau pour être vrai.

Trop nouveau pour être touché.

« Toucher, c'est trouver la limite de l'idée que l'on se faisait d'un objet », dit Saint Augustin.

Et « l'amour physique est sans issue », chantera un jour Gainsbourg.

Non, non, là, quelque chose a changé.

« Quelque chose se passe » avec Socrate, disait Kierkegaard.

« Quelque chose change » avec le Christ.

Un changement de monde, de sphère, d'ontologie.

Et encore une fois, qui ne sera pas facile pour la raison à amortir – et même aux sens à sentir.

En attendant, le « jardinier » dit quelque chose de très important – ou plutôt de très banal mais sur un mode très important.

 

« Je ne suis pas encore monté vers mon Père,

va vers mes frères,

dis-leur :

Je monte vers mon Père

et votre Père,

vers mon Dieu

et Votre Dieu ».

 

« Mon Père »,

« Votre Père »,

« Mon Dieu »,

« Votre Dieu ».

 

« MON, « VOTRE » – ET NON PAS « NOTRE. »

 

Toute la christologie est là.

Ieschoua ne dit jamais « notre Père, notre Dieu ». C'est le sien, c'est le « nôtre » à nous les hommes, mais ce n'est pas le « nôtre » à Lui et à nous.

Distinction et Don.

Filiation et adoption. 

Et c'est à elle, Marie-Madeleine qu'est confiée la première parole du ressuscité.

 

résurrection,

Sainte Marie-Madeleine (Carlo Crivelli, 147, Montefiore)

 

*

 

Après les narrations féminines, les professions de foi masculines.

 

« Le soir de ce même jour,

le premier après le Shabbat

toutes portes étaient closes

par crainte des Iehoudim.

Ieschoua vint au milieu de ses disciples. »

 

« Vint » ou « apparut » ?

Quoi qu'il en soit, il est bien là alors que toutes les portes sont closes. Il est là en dépit de la matière et de la raison. Il est là en dépit du réel.

Il change le réel.

Et il montre ses plaies. Car là, il faut bien apporter les « preuves » du truc qu'on peine encore à appeler « résurrection ».

 

résurrection,

 

Là-dessus, Benoît XVI est insurpassable.

On me permettra de me citer le citant (le 30 mars 2013) :

La Résurrection de Jésus n’est pas une Résurrection des morts au sens traditionnel. Ce n’est pas une « réanimation de cadavre » comme il en arrive, paraît-il, de temps en temps, et comme ce que Jésus a fait Lui-même avec la fille de Jaïre ou Lazare. Jésus n’est pas un zombie, un golem ou un miraculé provisoire. Il ne revient pas à la vie pour aller bouffer chez son beau-frère – et ensuite « remourir » comme Lazare. En vérité (c’est le cas de le dire), Il ne ressuscite pas pour Lui, mais pour nous. Il ressuscite pour que nous ressuscitions à notre tour. Et encore une fois sur un mode qui n’est pas celui d’un retour au bercail. Lazare ressuscité ne sortait pas de l’Histoire. Il ne bouleversait rien – hors ses proches et à peine quelques jours. Jésus ressuscité transforme radicalement notre rapport au monde. Grâce à Lui, la mort n’est plus l’horizon de la vie. Fini « l’être-pour-la-mort » !  A la niche, Heidegger ! La Résurrection est un phénomène physique qui rend la métaphysique possible, un événement historique qui nous fait basculer hors de l’Histoire – Hors Satan, dirait Bruno Dumont. Quelque chose de nouveau dans l’ordre du temps et de la chair. « Je crois en la Résurrection de la chair », dit-on dans le Symbole des Apôtres. Mais une chair nouvelle. Une chair qui n’est plus corrompue. Une chair éternelle. Et c’est pourquoi Paul dit que si le Christ n’est pas ressuscité, notre foi chrétienne est morte – elle n’est plus que « philosophie » chrétienne. Devoirs de l’Homme avant la lettre. Respect du prochain seulement comme moi-même (et comme il n’est pas sûr que je me respecte moi-même…). Et tajine chez ma cousine.

La Résurrection n’est donc pas du tout une affaire d’occultisme. On ne communique pas avec le Christ comme on communique avec les « esprits ». Le Christ n’est pas un esprit « à travers les âges », ni un Beetlejuice quelconque, mais le Dieu vivant toujours là auprès de moi. Son mystère n’est pas une énigme et ne relève pas d’un « secret ». Il est là, Il m’appelle, Il m’attend. Et au lieu de pleurer sur moi, je devrais pleurer en Lui. Mais veux-je être consolé ?

La Résurrection est ce saut qualitatif qui nous fait passer à une nouvelle dimension de la vie et de l’être – un être qui n’est plus soumis au devenir matériel et culturel des choses. La Résurrection comme « nouvelle vie » et non pas comme « seconde vie ». « Nouvelle vie » au sens d’une vie qui n’existait pas avant. Comme si l’on mourrait « homme » et que l’on se réveillait « surhomme » ou plutôt, car « surhomme » est une métaphore fâcheuse ici, « supervivant ». La Résurrection à la fois comme altération (du latin populaire pascua, « nourriture » et du verbe pascere « paître ») et comme passage (de l’hébreu « Pessa’h », Pâque.) Quelque chose qui se passe entre l’être et le temps. Quelque chose qui se passe dans l’être contre le néant. Qui altère, annihile le néant.

La Résurrection comme nouvelle incarnation – comme retour éternel de l'incarnation. Comme incarnation qui s'invite à table.

 

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Les Pèlerins d'Emmaüs (Rembrandt, 1628, musée Jacquemart-André.)

 

C’est pourquoi l’on est en droit de dire qu’il y a dans la Résurrection quelque chose qui va au-delà de la création elle-même, au-delà des lois que Dieu a lui-même instaurées. Ce fut un vieux problème théologique que de se demander si Dieu aurait pu créer un autre monde que le nôtre (Leibniz), si la réalité aurait pu suivre un autre mode que celui que nous lui connaissons. Avec la Résurrection, on a la preuve que oui. On a la quadrature du cercle, si l’on peut dire.

La Résurrection comme quadrature du cercle.

Ou la possibilité que deux plus deux fassent cinq. C’est le seul cas d’impossible réalisé, d’inconcevable en ligne, d’invraisemblable « live ». La preuve que Dieu ne se confond pas avec le réel comme dans la philosophie de Spinoza. La preuve que le créateur est libre dans sa création jusque dans le paradoxe, l’insensé, le scandaleux. La preuve que ce qui est impossible à l’homme est possible à Dieu – et que cet impossible sera désormais l’horizon de l’homme. 

La Résurrection n’est donc ni biologique, ni spirite, ni même mystique – une expérience mystique étant en effet, et comme l’explique le pape, « un dépassement momentané du domaine de l’âme et de ses facultés perceptives », un moment où l’esprit humain est « soulevé au-dessus de lui-même et où il perçoit le monde du divin et de l’éternel pour revenir ensuite à l’horizon normal de son existence ». Rien à voir, donc, avec la Résurrection qui est avant tout « une rencontre avec une personne qui, de l’extérieur, s’approche de moi » et que je reconnais de l’intérieur, rencontre du reste transmissible, ce que l’expérience mystique n’est pas, et qui accompagne ma vie dans l’extase comme dans le temps.

La Résurrection, phénomène sinon noumène métaphysique, réelle et vivante.

« La Résurrection fait entrevoir l’espace nouveau qui ouvre l’histoire au-delà d’elle-même et crée le définitif. En ce sens, il est vrai que la Résurrection n’est pas un événement historique du même genre que la naissance ou la crucifixion de Jésus. C’est quelque chose de nouveau. Un genre nouveau d’événement », écrit encore Benoît.

Un événement historique qui fait rentrer l’Histoire dans une autre dimension, un saut qualitatif radical par lequel s’ouvre un nouveau mode de la vie et de l’être-homme, un nouvel existentialisme où se friende le fini et l’infini. Quelque chose qui s’inscrit dans le temps et l’espace mais qui va bien au-delà. Même la matière – la corporéité – en est transformée. Corps cosmique du Christ en lequel tous les hommes vont pouvoir entrer en communion. Non une « revitalisation » clinique d’un mort mais bien une éruption ontothéologique d'un supervivant. Lui pour nous. Nous en Lui.

Et c'est cela que nos bons apôtres vont avoir du mal à comprendre – même, et c'est le plus important, après l'avoir éprouvé.

 

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L'incrédulité de saint Thomas (Le Caravage, 1603)

 

Et d'abord « Duduche ».

Je veux dire « Didyme ».

Plus exactement, « Thomas ».

Avec lui, on va aller profond dans la preuve.

Le doigt dans la plaie.

Remarquons le protocole de la résurrection.

Devant Madeleine, le Christ se contentait de parler (et lui dire « Ne me touche pas ».)

Devant les apôtres, il doit montrer ses mains et son flanc.

Devant Duduche, accepter que celui-ci le tripote.

[Remarquons aussi que l'épisode Duduche se passe « huit jours après » sa première manifestation. Il y en aura trois en tout (quatre si l'on compte le premier avec Madeleine.)]

Il faut bien s'adapter à la nature fervente ou sceptique de chacun. Le tangible grossier des uns, le spirituel pur des autres. Même si le Christ met en garde : mieux vaut croire sans voir. Mieux vaut croire dans l'absurde – toute « croyance » étant par nature absurde (et tout absurde, sublime pourrait-on rajouter.)

Tertullien plutôt que Thomas d'Aquin, en un sens.

Pascal plus que Perceval.

Le graal est spirituel.

Souffle.

Et Jésus souffle sur ses disciples.

 

« Recevez l'esprit saint ».

 

Et c'est pourquoi ils sont grotesques tous ces nouveaux Duduche qui veulent « prouver l'existence de Dieu » avec leur science (« le best-seller aux 250 000 exemplaires ») ou plus récemment leur saint Suaire. On se croirait à Kaamelot avec eux.

Non, les signes sont nécessaires mais ne doivent pas l'emporter.

Et c'est le sens du très étrange verset 30 de ce chapitre XX :

 

« Ieschoua a fait en présence de ses disciples

de nombreux autres signes

ils ne sont pas écrits dans ce volume. »

 

Qu'est-ce que c'est que cette remarque de conteur qui ménage ses effets ? Ça me rappelle Amélie Nothomb qui dit tout le temps qu'elle a écrit des tas de livres secrets qu'on ne lira jamais.

Le seul moment où Jean « joue » à l'écrivain.

Et qui va réitérer dans le chapitre suivant au dernier verset :

 

« Il y a encore beaucoup d'autres choses

que Ieschoua a faites.

Si on les racontait une à une

le monde entier ne suffirait pas

pour contenir tous les livres

qu'on écrirait. »

 

Fin borgésienne s'il en est de l'Evangile de Jean.

Mais on n’en est pas encore là.

Il reste à faire le XXI (demain et après-demain) et se pencher sur le mot le plus important du Christ (à Pierre) :

 

« QUE T'IMPORTE ? »

 

A REPRENDRE : Jean XX - Passion.

A SUIVRE : Jean XXI - Que t'importe ?

 

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Souper à Emmaüs (Le Caravage, 1606)

 

À SUIVRE –  JEAN XXI "Que t'importe ?"

À REPRENDRE – JEAN XIX Passion

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