Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Eternités minuscules (à propos de Panorama I, d'Etienne Ruhaud.)

 

Panorama I.jpg

Panorama I 2.jpg

 
Il y a Catherine Andrieu, ses suicidés, ses anges et ses chats ; Claire Boitel, ses eaux d'épouvante, sa bouche d'ombre, mais aussi ses "crochets jouissifs", ses "extases syntaxiques" - l'écriture étant toujours ce qui transforme le plomb en or et l'eau des noyés en fontaine de jouvence. Voyez Odile Cohen-Abbas et son enfer (renommé Perditio), ses auto-mutilations mais qui vont avec ses Prières, son paradis possible et le dépassement de ce "mystère sordide" qui "serait d'être sans joie". Et sans parler d' Eric Dubois qui, lui aussi, revient de loin, sait ce que c'est que "La merde la pluie les pavés" - et a réussi à se sublimer dans la poésie, cette "signature du bonheur qui transforme les fantômes".
 
Impossible de citer tout le monde tant ce premier volume de Panorama de notre ami Etienne Ruhaud (illustré par Jacques Cauda pas moins - "Killer Cauda" comme l'appelle amicalement Jean-Paul Gavard-Perret), enfin édité aux Editions Unicité, est riche, foisonnant, généreux, aventureux, plein de merveilleuses suprises (Denis Montebello et son Pétrarque, Pierre Merot et ses Mammifères - roman culte s'il en est, Jean-Louis Costes et ses Guerriers amoureux et même Bécassine qui aura cent-vingt ans l'année prochaine).
 
Tout cela, bien évidemment, à lire en désordre - et même en Désordre (Eric) à l'instar du Grand Catalogue des livres imaginaires proposé par ce dernier - bien réels, en l'occurrence. Alors oui, encore un mot pour La Douce histoire du triste éléphant, son "Elephant man" s'il en est, de Diana Adamek (bientôt à l'honneur avec son nouveau roman Adieu Margo ! toujours chez Unicité), Le Brutaliste de Matthieu Garrigou-Lagrange, L'Homme-ravin de Raymond Bozier, La Viveuse d' Aymeric Patricot, cette infirmière d'un genre spécial qui prodigue des soins sexuels aux handicapés.
 
Beaucoup de freaks comme on le comprendra, d'animaux étranges (et qui ne sont pas sans rappeler ceux d'Etienne Ruhaud lui-même) : chienne d'Olivier Massé, otaries crépusculaires de Marc-Louis Questin, chiens-fantômes de Prisca Poiraudeau, enfant poisson-chat de Christophe Esnault, de situations limites souvent "surréalistes" (l'autre rayons d'Etienne comme on sait), de terreurs en tout genre - quoi qu'agencées dans une grande Fête la mort ! (encore Cauda) qui donne envie de vivre.
 
Car ça a toujours été cela la littérature : un pleure-misère (Flann O-Brien) qui est aussi une célébration du bonheur (Emmanuel Jaffelin) ; un blues-romain (Radu Bata - beaucoup de Roumains autour d'Etienne Ruhaud et ce ne n'est pas moi qui m'en plaindrais) qui va de pair avec un Beaudésir (Denis Montebello) ; et ce n'est pas parce qu'on loge à L'Auberge de la tête noire (Paul Sanda) qu'on n'irait pas non plus à La Maison de la gaieté (encore Montebello). Comment écrire un livre qui fait du bien ? se demande d'ailleurs ce dernier. Mais tout livre qu'on écrit fait du bien - même Ecrire sur le suicide (Edouard Levé), Néant de Didier Ayres ou Configurations du dernier rivage (Michel Houellebecq). En une époque qui confond violence symbolique et violence réelle (la définition du wokisme), nous n'avons jamais eu autant besoin de bouches d'ombres, de poésie du malheur, de savoir tragique.
 
C'est cela qui fait le charme, disons-le, "borgésien", de ce volume, ses contradictions très cohérentes, sa subjectivité pas si foutraque que ça et revendiquée comme telle, et même, l'auteur l'affirme sans ambages en introduction, sa communauté Unicité et Rafael de Surtis assumée. Il y a une grandeur de l'esprit de famille et qui en littérature s'appelle affinités électives.
 
Alors gloire aux inconnus comme aux connus (et il y en a dans ce livre, et pas des moindres ! Houellebecq, Sportès, Millet, Butor, Cortanze, Levé, Noguez, Jourde), aux notables comme aux anonymes - aux marginaux, enfin, comme l'écrivait un jour Naomi Hal, tous ces auteurs perdus dans leur siècle et auxquels ce Panorama (qui aurait pu s'appeler Traces) donne une sorte d'éternité minuscule.
 
 
 
Déjà chez Amazon
Lien permanent Catégories : Dasein 2024, LIRE - Les contemporains Pin it! Imprimer

Commentaires

  • Dans ce monde où livres comme tomates sont calibrés à peu près de la même façon, et à peu près de la même façon rentabilisés dans leur fadeur, merci Pierre Cormary de saluer l'initiative rarissime du passionné de culture et de littérature Étienne Ruhaud.

Écrire un commentaire

NB : Les commentaires de ce blog sont modérés.

Optionnel