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PÉRICLÈS, PRINCE DE TYR ou Les heureuses infortunes

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Marina (admirable Amanda Redman, dans la non moins admirable version BBC, 1984, dont seront tirées les photos qui suivent, faites à la one again à partir de mon écran plat.)

 

La pièce la moins connue, la moins jouée, de Shakespeare (du moins aujourd’hui, car à son époque elle fut l'un de ses plus grands succès, montée et réimprimée tout le temps) et qui pourrait pourtant inspirer une saison de Game of Thrones. Intrigue se déroulant sur des années, aventures et tempêtes en rafales, situations glauques et violentes, sexe partout, mélange d'historique, d'héroïque et de fantastique (l'apparition de Diane à l'acte  V) - quoique tout se terminant bien, la catharsis ayant lieu à sang pour sang, tout ceci n’ayant été montré aux spectateurs que pour « glorifier les vertus », tel que l’annonce Gower, le Prologue, au début de la pièce et comme il reviendra le dire au début de chaque acte. Périclès, Prince de Tyr, la pièce la aventureuse et la plus édifiante de Shakespeare ! Allons-y pour les aventures édifiantes de la vertu  ! Les heureuses infortunes !

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Le Prologue, Gower (génial Edward Petherbridge.)

 

ACTE PREMIER -  Périclès, jeune prince de Tyr (qui n’a rien à voir avec l’homme de son siècle mais dont Shakespeare emprunte le nom comme pour provoquer dans l'esprit du spectateur une analogie entre l'historique et l'héroïque) arrive à Antioche afin de relever le défi (très « Turandot ») d’Antochius : répondre justement à une énigme impossible et épouser sa fille – ou bien échouer et se retrouver décapité, sa tête plantée avec d’autres sur les murs du palais.  

 

« Je ne suis vipère, pourtant me nourris

De chair maternelle qui me donna vie.

Cherchant un mari, j’ai trouvé un père

Qui par son grand cœur m’est devenu cher.

Lui est père, fils et époux aimant ;

Je suis mère, épouse, pourtant son enfant.

Tout cela peut-il en deux exister ?

Si vous voulez vivre, percez mon secret. »

 

Pour Périclès, c'est clair. La vipère ne peut être que la fille d’Antochius (qui n’a pas de nom)  et son secret, la relation incestueuse avec son père. Le dédoublement, qui intéresse tant Shakespeare dans ses dernières pièces, est pour une fois un retour du deux en un (« tout cela peut-il en deux exister ? »), et le plus scandaleux qui soit. Dans Tout est bien qui finit bien, Hélène couchait avec Bertrand en lui faisant croire qu’elle était une autre femme, Diana. Dans Mesure pour mesure, Angelo couchait avec son ancienne femme, Marina, croyant coucher avec Isabella. Le dédoublement était un leurre afin de ramener le méchant à l’unité, la fidélité et l’amour. Déjà, dans Troïlus et Cressida, il n’était plus qu’un espoir fantasmatique de cocu - le malheureux Troïlus dédoublant Cressida pour ne pas voir celle-ci le trompant avec Diomède. Ici, il est bien devenu synonyme d’unité mortifère et de destruction.

Et Périclès se rend bien compte qu’il ne peut dire la vérité - à peine la suggérer :

 

« Si Jupiter s’égare, qui ose blâmer Jupiter ?

Il suffit de savoir ; ce qui deviendrait pire

A être mieux su, il convient de l’étouffer.

Tous aiment le sein qui leur a donné l’être ;

Permettez donc que ma langue aime aussi ma tête. »

 

Le roi comprend l’allusion et décide de laisser partir Périclès – quoiqu’ordonnant à un de ses serviteurs, le sinistre Thaliard, de suivre le Prince de Tyr et de le zigouiller au plus vite. Mais Périclès pressent le danger, et une fois arrivé à Tyr, confie son pouvoir au dévoué Hellicanos et va se réfugier à Tarse.

Il y découvre une ville affamée. Son gouverneur Cléon et sa femme, Dioniza, se meurent comme leurs habitants.

 

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Mais Périclès qui a eu vent de la situation débarque avec toute sa flotte remplie de blé - et devient le sauveur du royaume.

 

ACTE II - Hélas ! Thaliard, ayant appris que Périclès se protège à Tarse, y débarque à son tour. Périclès doit de nouveau fuir. Mais une tempête ravage son bateau et, tel un nouvel Ulysse, il est rejeté sur une île. Recueilli par des pécheurs dont il loue la sagesse populaire et qui est aussi la sagesse des poètes, car la vérité est l’éclat de la réalité, comme dirait Simone Weil, et que ce que l’on dit dans la boue se dit aussi dans le ciel :

 

 « A partir des bourbeux sujets de la mer,

Comme ces pécheurs savent dire les tares humaines

Et dans l’empire marin recueillir

Ce qui peut glorifier les hommes ou les démasquer ! »

 

....il est ramené à  la cour royale où se prépare un tournoi sous l’égide du bon roi Simonide et de sa fille Thaïsa – le pendant filial et moral d’Antochius et de sa fille. Naturellement, c’est Périclès qui l’emporte et qui,  célébré par le monarque, tombe, comme il se doit, amoureux de sa fille - amour immédiatement partagé. Le roi perçoit leur amour et, comme le faisait Pandare avec Troïlus et Cressida, ne craint pas les blagues graveleuses pour exciter celui-ci :

 

 « Je refuse d’entendre pour excuse que

Cette musique est trop forte pour que les dames en jouissent,

Car un homme armé leur plaît au lit autant qu’aux lices. 

A aimable demande, aimable satisfaction.

- Venez, monsieur, en voici une qui a besoin, elle aussi, d’exercice,

Et j’ai ouï dire que vous, les chevaliers de Tyr,

Excelliez à faire glisser les dames

Et possédiez aussi d’excellents instruments. »

 

Constatant quelques temps après que leur amour persiste, il décide de les marier et les envoie au lit sans plus tarder !

 « Cela me plaît tellement, je veux vous voir unis ;

Après, sans plus tarder, allez vous mettre au lit ! »

 

ACTE III - Gower résume les dernières années : Antochius et sa fille ont péri dans un feu vengeur ; Périclès et Thaïsa sont mariés et attendent un enfant ; aux quatre coins du monde, on recherche le Prince de Tyr afin qu’il revienne gouverner sa province ; le couple repart en mer et de nouveau une tempête s’abat. Une petite fille arrive à naître mais sa mère rend l’âme – et selon le rituel des marins, l’on doit jeter son corps à l’eau, du moins dans un cercueil. Celui-ci échoue sur une plage d’Ephèse et est rapporté par deux serviteurs au seigneur Cérimon qui le fait ouvrir. Thaïsa semble vivante ! On fait jouer de la musique (qui n’est jamais trop forte pour les dames, donc !), elle se réveille :

 

 « Cette musique, rude et triste, que nous avons,

Faites-la retentir, s’il vous plaît. La viole, continuez !

Tu te bouges, empoté ? La musique, j’ai dit !

Je vous en prie, donnez-lui de l’air ! Messieurs,

Cette reine vivra : Nature se réveille, un souffle tiède

S’échappe d’elle. Elle n’est pas restée en léthargie

Plus de cinq heures : voyez-la qui commence

A refleurir. 

 

(…)


« Elle est vivante ! Regardez,

Ses paupières, écrins des joyaux célestes

Perdus par Périclès, commencent à écarter

Leurs franges d’or éclatant ; des diamants

D’une eau illustre apparaissent

Et redoublent la richesse du monde.

- Vivez, et faite-nous pleurer d’entendre votre destin. »

 

Quatre cent ans avant les films et les séries américaines, le bon, ou le méchant, n'est jamais mort ! La résurrection - un rebondissement (redoublement ?) comme un autre.

A Tarse où Périclès vient de nouveau de se réfugier, avec la nourrice Lychorida qui porte sa petite Marina, l’on retrouve Cléon et Dioniza. Ceux-ci acceptent d’adopter l’enfant et de s’en occuper jusqu’au retour de Périclès qui doit impérativement retourner à Tyr où la guerre civile gronde. Dioniza promet de s’occuper de Marina comme de sa fille.

 

ACTE IV -  Des années ont passé. Le Prologue nous apprend que Périclès a repris sa couronne à Tyr ; que Thaïsa est devenue prêtresse de Diane à Ephèse ; que Lychorida, la nourrice est morte, et que Marina est devenue une adolescente si splendide qu’elle jalousée par Philotène, la fille de Cléon et de Dioniza.

 

« L’action qui en naîtra,

Je la recommande à votre plaisir ;

Je n’ai pu que faire marcher le Temps

Ailé sur mes vers boiteux prestement

Et ne pourrais jamais y parvenir

Si vos  pensées refusaient d’accourir. 

Mais voici Dioniza qui vient,

Avec Léonin l’assassin ».

 

En effet, la reine a décidé de faire tuer sa fille adoptive qui fait trop d’ombre à sa fille nucléaire. Coup de théâtre : au moment où Léonin va poignarder Marina, une bande de pirates tombe sur eux et enlève cette dernière pour la vendre dans un affreux bordel de Mytilène (une des villes où saint Paul est passé et auquel la pièce fait sans cesse géographiquement allusion.)

Et c’est le grand moment de la pièce - soit le triomphe de la vertu contre le vice, c’est-à-dire celui de la parole contre le mal. Entre l’affreuse maquerelle, son homme de main, « Bardefer » et leurs clients vérolés, tous usant du langage le plus vert jamais utilisé par Shakespeare, Marina se révèle une vierge inviolable, triomphant par son seul verbe des intentions vénales des hommes qui défilent dans sa chambre et repartent sans jamais l’avoir prise, au contraire, convertis « malgré eux » à la pudeur et à la chasteté – ce qui provoque la fureur de la maquerelle, se rendant compte que personne ne peut rien contre cette Justine glorieuse qui sème la vertu chez les plus vicieux, y compris chez Bardefer quand celui-ci sera chargé de venir la violer !

Puissance de la parole féminine, qu’elle soit vertueuse comme chez Marina, ou vicieuse comme chez Dioniza qui, telle une nouvelle Lady Macbeth, persuade son mari qu’elle a bien fait de faire assassiner cette dernière - et que s’il veut continuer à faire le roi, il a intérêt à obéir à « ce que lui dira sa bouche ». Pour l’heure, à faire croire à Périclès que sa fille, qu’il revenait chercher après seize ans, est bien morte de mort naturelle et enterrée honnêtement.

 

« Et Périclès, dévoré de douleur,

Transpercé de soupirs, baigné de larmes,

Quitte Tarse et reprend la mer. Il jure

De ne plus laver sa face ni couper

Ses cheveux, revêt un sac, prend la mer.

La tempête rompt son vaisseau mortel

Qui ne sombre pas. »

 

Troisième tempête, donc.

A Mytilène, Marina continue ses ravages vertueux.

Ayant persuadé deux gentilhommes de ressortir du bordel chastes pour le reste de leur vie :

 

 

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 … ulcéré la maquerelle :

 

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 ….résisté aux avances de Lysimaque, pourtant gouverneur de la ville :

 

« Je n’aurais pas cru,

Ni même rêvé, que tu puisses parler si bien.

Serais-je arrivé ici l’esprit corrompu,

Ton éloquence l’eût changé ; tiens, voici de l’or

Pour toi, persévère dans ce clair chemin qui est le tien

Et que les dieux te rendent forte ! »

 

….puis à  la tentative de viol de Bardefer, lui lançant une telle imprécation :

 

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…que celui-ci se résout à placer celle-ci chez d’honnêtes familles où elle pourra faire l’institutrice des enfants.

 

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ACTE V – Encore Gower qui nous invite à ce que « notre pensée soit encore notre regard » et à retrouver Périclès,  désormais marin errant, et qui vient d’aborder Mytilène. Mutique, comme ayant renoncé au langage, ne s’alimentant que pour prolonger son affliction, personne ne le reconnaît. Emu par cet homme qui semble avoir connu tous les malheurs du monde, Lysimaque, le toujours vaillant gouverneur de la ville, envoie chercher Marina qui pourra certainement lui parler et surtout le faire parler. Et d’abord lui chanter une chanson. Périclès réagit, regarde celle qui vient de le tirer de sa torpeur – et peu à peu, père et fille se reconnaissent en un dialogue qui ne peut que tirer les larmes. A coup sûr, les plus belles retrouvailles du théâtre de Shakespeare. Et que va suivre, à la scène suivante, celles avec Thaïsa, quoique provoquées par Diane elle-même, apparue un instant à Périclès (« quelle est cette musique ? ») et qui l’exhorte à se rendre à Ephèse. Depuis le début, ce sont les voix de femmes qui sauvent les hommes et les musiques (autre voix de femmes) qui ressuscitent les morts.

Réunion de la sainte famille :

 

Périclès : - La voix de Thaïsa qui est morte !

Thaïsa : - Je suis cette Thaïsa, supposée morte, noyée.

Périclès : - Diane immortelle !

Thaïsa : - A présent, je vous reconnais mieux. Quand en larmes, nous quittâmes Pentapolis, le roi, mon père, vous donna un anneau comme celui-ci.

Périclès : - Le même, le même ! Suffit, dieux bons ! Votre faveur présente transforme en jeux mes souffrances passées ; faites seulement qu’en touchant ses lèvres, je fonde et disparaisse ! Oh ! Viens, sois de nouveau ensevelie, dans ces bras !

Marina : - Mon cœur bondit et s’élance vers le sein de ma mère.

Périclès : - Regarde qui s’agenouille ici : la chair de ta chair, Thaïsa, celle que tu portais sur mer, celle qui s’appelle Marina car c’est en mer qu’elle a vu le jour.

Thaïsa : - Bénie sois-tu, ma toute mienne ! 

 

Tout est bien qui finit bien. Chacun tombe dans les bras de l’autre. Marina épousera finalement Lysimaque ( !!!).  Hellicanos, le substitut de Périclès à Tyr, qui n’a pas failli, est tout autant célébré. Et l’on apprend que Cléon et Dioniza ont été brûlés vif dans leur palais. Tempêtes de vertus !

 

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Addendum :

Les heureuses infortunes est une pièce fleuve de Sieur Bernier de la Brousse écrite en 1618 et qui brode sur le thème de la jeune fille persécutée mais qui triomphe de ses persécuteurs (Périclès est de 1608).

 

CYMBELINE - Les merveilleux instincts ou l'amour défanatisé, le 04 septembre 2016

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Commentaires

  • Ahlala, cette nostalgie - quand les blogs étaient lus & commentés. Et aujourd'hui comme on dit les parents facebookent & les enfants instagramisent (suis la deuxième option) Des bisous P1, quel grand texte. Mais crève tant que tu es happé chez les vieux (fb) façon névrose d'échec, j'attends ton livre.

  • Crève, crève... Tu en as de bonnes ;)
    Et je t'en foutrai, des vieux.
    Merci en tous cas d'être toujours là - sur ce vieux blog qui fait partie d'un autre monde (encore que...)
    A un jour ?

  • Rassure-toi Pierre, il y a encore des vieux de la vieille sur ton blog. Nous sommes de plus en plus discrets mais n'en continuons pas moins de former une société secrète des plus irréductibles.
    Apparemment je ne suis pas le seul à exiger de te lire sous un format moins confiné...

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