« Les hommes automatisés du futur seront heureux et ils ne sauront rien de leur déchéance » Stanislas Ignacy Witkiekwicz, L’adieu à l’automne
1 - « Quoi nous sommes automatisés et nous n’en savons rien ? Quoi nous sommes heureux de notre déchéance ? Qu’est-ce que ça veut dire tout ça ? Que nous sommes des imbéciles heureux, des tarés satisfaits, des ectoplasmes béats ? Comme vous êtes, vous les vieux ! A toujours croire que ceux qui vous suivent sont nécessairement des abrutis ! Mais nous vous survivons déjà, vous savez, et n'en finissons pas de nous réjouir du monde dans lequel nous sommes et que nous avons chacun contribué à restructurer - car heureux, oui, nous le sommes. Et sans être déchus, croyez-nous ! Pour vous, la vie, c’était la Séparation, la Différence, la Transcendance avec toutes les violences, les injustices et les horreurs que cela impliquait. Malgré toutes les horreurs dont elle se rendait coupable, vous vous gargarisiez sans honte ni remise en question de votre sacro-sainte « dialectique ». Le soit-disant travail du négatif, la nécessité de faire cohabiter le mal dans le bien, la pseudo légitimité des frontières ! Frontière des pays, des paroles, des sexes ! Si vous saviez comme nous sommes contents d'en avoir terminé avec tout ça ! C'est que vous ne pouviez rien faire sans votre « différenciation » comme vous disiez ! Et pour faire bien, vous parliez d’ « altérité », ce qui est encore plus risible. Comme s'il existait une différence réelle entre l’homme et la femme ! Comme si la diversité des langues était une richesse pour l'humanité ! Comme si le divin devait être la mesure de l'humain ! Que de bêtises ! Nous qui avons aboli tout ça et sommes vraiment devenus humains, sans faille ni secret ni part maudite ni péché ni toutes ces notions dégradantes pour l'humain, comment ne pas vous plaindre ? Tiens, pour citer l'un de vos principaux gourous, nous disons tout le temps de vous que vous ne saviez pas ce que vous faisiez. Si d'ailleurs, vous le saviez ce que vous faisiez, infra-humains que vous êtes ! Pendant deux millénaires, vous avez tout fait pour ne pas progresser. Il ne suffit que de jeter un coup d'oeil à toute votre littérature de merde pour se rendre compte de votre méchanceté et de votre bêtise. Un véritable musée des horreurs ! Votre Shekspire pour qui le monde n’était qu’un champ de bataille, votre Dostovski qui se masturbait avec ces histoires de « mal » et de « rédemption » et votre Bible, misère, votre Bible, le plus infâme livre de tous les temps et qui a causé tant de malheur pendant des millénaires, le vôtre pour commencer ! Faut-il avoir été idiot pour écrire de telle foutaises ! Faut-il avoir été malheureux pour les croire ! Depuis que nos pères ont eu la sagesse de nous débarrasser de ces vieilleries, à commencer par cette inique notion de « littérature », lis tes ratures ouais, nous vivons enfin sans angoisse vaine ni blessure inutile ni autre sapage de moral, car heureux, oui nous le sommes. »
2 - « Ce que l’on trouve dans les greniers ! Alors que Pierre18 et moi, 18bis, rangions le grenier de la maison de notre ancêtre Pierre1, nous sommes tombés sur un vieux coffre lui ayant sans doute appartenu et qui contenait évidemment des « livres ». Ce que ces gens-là aimaient lire tout de même ! Ils n’avaient rien de mieux à faire ou quoi ? On a beau être aliéné à un système, on n’est pas obligé de s’avaler toute la propagande transcendante chez soi ! Et quand on pense à ce que leur « littérature » contenait comme mensonges sociaux, immoralités politiques, horreurs sexistes ou racistes, homophobie et altérité revendiquées, manipulations grégaires, fantasmes consanguins et tout cela sous couvert de complaisance "artistique", on ne s’étonne plus qu’ils aient mis autant de temps à évoluer, les troglodytes du passé, et à attendre cinq mille ans pour devenir ce que nous sommes - soient des Etres Humains Intégraux et Authentiques, des IA comme nous disons. Et qu'ils auraient dû vouloir devenir dès le début de leur histoire, car heureux, oui nous le sommes, s'ils avaient eu un minimum de jugeotte. Mais non, ils ont préféré se pourrir l'existence, les ancêtres ! Quel besoin ont-ils eu de définir leur humanité à partir de dogmes aussi cruels que « la dette », « le péché », « la chute » ou « la fêlure » ? Quelle vision sado-masochiste, nous allions dire sado-chrétienne ou judéo-masochiste, de la vie ! D'où leur est venue cette propension à souffrir ? C'est ce qui est pour nous incompréhensible, car enfin, un être humain Intégral et Authentique ne désire que son bien et il ne lui suffit pour cela que d'être lui-même, car l'empire du bien est en nous, on le sait. Pas eux ! Tous leurs mythes, tous leurs livres, toutes leurs politiques témoignent de ce goût incohérent pour le conflit, la violence, la vie perpétuellement menacée par la mort et ce qu’ils appelaient dans leur ignoble patois littéraire le « mal » ! Que d’erreurs, que de crimes, cette croyance au « mal » leur a fait faire ! Ils en étaient persuadés qu'il y avait du mal en eux, les malheureux ! Alors que nous savons enfin qu'il n'en est rien. Bien entendu, comme certains esprits forts nous le font régulièrement remarquer, tels Michel H.11 ou Maurice G.D.15, descendants de deux fameux criminels des lettres du XXIème siècle et que nous avons préféré mettre pour leur bien en maison de Repos Intégral (et non en prison lobotomique comme le prétendent leurs sympathisants - mais les mauvaises langues ont un tel emploi des mots !), nous n’avons pas réussi éradiquer totalement le mal sur terre et force est de constater qu'il y a encore des îlots de résistance à notre épanouissement moral et politique. Mais au moins l’avons-nous éradiqué de nos consciences, ce qui n’est pas rien. Le mal existe sans doute mais nous savons aujourd'hui qu’il n’est pas humain. C'est la découverte fondamentale de notre temps : le mal, c’est ce qui n’est pas nous. A la limite peut-on dire que le mal, c'est le passé, c'est l'ancienne histoire, c'est en tous cas celle qui s'arrête au milieu du XXIème siècle, autour de 2048 - date de la fin de l'ère biblique et qui marque le début de ce que nos Chroniqueurs ont justement appelé nos Retrouvailles - soit celles de l'humain avec lui-même, sans Dieu ni Diable, l'humain Authentique et Intégral, libéré définitivement de l'ancien paradigme. De fait, ceux qui font "le mal" sont soit fous soit aliénés aux anciens dogmes – ce qui revient au même. Tous lisent trop. On sait aujourd’hui que 90% des méchancetés qui sont commises dans notre monde le sont par des gens pourris par littérature ou la théologie d’antan (littérature = théologie, c’est scientifiquement prouvé). C’est pour cela qu'à SOS Logos, nous veillons nuit et jour à récupérer tous les livres susceptibles de polluer les têtes de nos contemporains - et ces derniers nous en sont particulièrement reconnaissants. C'est eux qui nous élisent tous les six ans et nous fêtent six fois par an pendant la IA Pride. Car fiers d'être heureux, oui nous le sommes. Et les obscurantistes qui nous accusent d’analphabétiser nos populations sont à côté de la plaque. Ce n'est pas parce que vous avons déclaré la guerre aux livres que nous voulons éradiquer l'écriture. Comment aurions-nous pu rédiger nos propres textes de lois et de précaution si nous n'avions plus su écrire ? Non, ce que nous combattons depuis maintenant plus de deux siècles, et notamment grâce à cet organe de vigilance citoyenne, n'est rien d'autre que l’écriture "littéraire" - celle-ci n'ayant jamais été rien d'autre que l'expression des racismes, sexismes, spécismes et autres bellicismes. C’est elle qui a causé pendant des siècles le saccage de l’esprit humain et a subséquemment conduit les corps à s’entretuer. "Un livre, dix morts" comme disait l'un de nos slogans éthiques. C'est qu'il a fallu se battre croyez-moi ! Par bonheur, plus personne ne soutient aujourd’hui le contraire de cette vérité absolue et sociologiquement vérifiable que lorsqu’on écrit le mal on le fait et que lorsqu’on le lit on y participe. Des idéologues comme Dantte au sixième siècle avant l’ère IA ou Bodler au troisième ont criminalisé leur monde par leurs écrits et il est impensable que les gens de cette époque ne s’en soient pas aperçus. Grâce à la Révolution IA, il n’y a plus de traces numériques des « œuvres » de ces « auteurs » dans le monde, à peine quelques bribes chez ceux qui les citent (et qui portent le vice à parfois les apprendre par coeur !) Ceux-là qui sont précisément à l'origine des dernières guerres. CQFD. Le « mal » (que nous préférons appeler "nuisance") qui continue à nous gâcher la vie est causé par ces communautés à l’ancienne qui sont toujours et malgré tous nos efforts sous l’influence néfaste des soit-disant « génies» d’antan. Quand on croit au « mal » et à « l’autre », on lui fait la guerre nécessairement ! Et le pire, en se réclamant de l’Amour si on est chrétien ou du Style si on est poète - ce qui est la même chose, nos études ayant montré depuis belle lurette que « littérature » et « religion » obéissent aux mêmes lois qui sont l’illusion, la superstition, l’hypocrisie et le sadisme. Comme disait un autre de nos slogans, « la littérature est l’opium de l’humanité ». A SOS Logos, nous ne chômons pas, veuillez bien nous croire - car c’est tous les jours que nous retrouvons encore et toujours des extraits de ces anciennes et infâmes publications ! Enfin, "une page en moins, un bonheur en plus" comme l'on dit chez nous. Car heureux, oui nous le sommes. »
3 - « Quand même, nous sommes tombés sur des trucs dingues ! Quelles lectures il avait l’ancêtre ! Et quel goût horrible ! Rubens – une insulte pour les femmes et les hommes d’aujourd’hui ! Quel homme, ou plutôt quel être humain Intégral et Authentique pourrait aimer ce genre de « semblable féminin » aussi restrictif, aussi univoquement sexué et disons-le, à la chair aussi fasciste ? Et quel déni de la fusion sexuelle, la seule qui, rappelons-le, nous a apporté la paix après des siècles de sexisme différencialiste ! Passons encore sur Bach et Mozart, « musiciens » officiels des Temps Non Modernes et qui nous servent encore de thérapie pour les malades en phase terminale. Comme l'on donne de la morphine pour soulager la douleur, on donne de la musicaline pour rendre un peu de nerf à ceux qui vont nous quitter, mais à petite dose évidemment, et des extraits qui ne proviennent que de certaines de leurs œuvres instrumentales. Pas question de faire écouter à nos concitoyens des obscénités du type « Don Giovanni » ou une « Passion selon Saint Matthieu » qui est une véritable incitation au meurtre de masse. Mais l'essentiel de notre vigilance porte sur les livres. Par précaution, nous n’ouvrons jamais l’un ces atroces ouvrages quand nous tombons dessus. A peine vérifions-nous le titre et le nom de l’auteur, repérons s’il est dans la liste du Logos, et, s’il l’est, le liquidons immédiatement. Parfois, le livre nous échappe des mains, tombe par terre et s'ouvre malencontreusement. Dans ces cas-là, attention à ne pas lire ce qui nous apparaît ! Une fois je me souviens, j'ai été attaqué par une page de ce Sheskpire qui s'était ouverte en pleine apologie meurtrière de soi-même - un personnage qui se vantait d'être un scélérat et qui disait que dans l'hiver de son déplaisir, il allait zigouiller tout le monde et qui salivait d'avance de ce qu'il allait faire. Mes aïeux, c'est trois mois d'hôpital qu'il m'a fallu pour m'en remettre ! Entre-nous soit dit, c’est vrai que nous avons encore la trouille, mon frère et moi, que l’ADN de notre ancêtre, celui qui nous a conçus et qui hélas était tant porté sur les lettres, contienne un reste de ses goûts régressifs et vienne nous vicier malgré nous. Imaginez que l’un de nous découvre un jour qu’il est sensible à une chanson de Bach ou à une « carnation » de ce Rubens, ou pire, qu’un vers de Bodler ou de Rimbo circule dans ses bacilles... Mais ce serait la maison de Repos Intégral tout de suite ! Evidemment, nous allons régulièrement nous faire dépister, rien n'est jamais sûr quand il s'agit de génétique littéraire.
Pourtant, hier, nous sommes tombés sur un livre extraordinaire, d’une abjection si transparente, d’une saloperie si innocente, que pour une fois nous l’avons rapporté chez nous et parcouru. Après tout, comme nous l’a dit notre encadrement, il faut aussi savoir ce que nous combattons. Et cet ouvrage se révéla être une telle synthèse d’imbécillité et de méchanceté que nous avons bien fait de le lire. Déjà le titre annonçait la couleur. Exorcismes spirituels III. L’auteur ? Un certain Philippe Muray. Non répertorié sur nos listes car déjà hors liste à son époque. Il semble en effet que ce Muray n’ait eu de son vivant qu’un succès d’estime et simplement auprès de ceux qu’excite l’habituelle rhétorique réactionnaire. Le pouvoir culturel de l’époque (dont certains organes journalistiques ou éditoriaux ont indéniablement été des prémisses à l’ère IA) semble s’être méfié de lui – sans pour autant le mettre hors d’état de nuire comme un gouvernement responsable IA l’aurait fait. Quoiqu’il en soit, il est éclairant de savoir ce qu’un zombie typique de son temps pouvait penser de l’avenir. D’après lui, nous serions devenus ce que, paraît-il, toute l’histoire du monde aurait combattu. La bonne blague ! Cela dit, il tape dans le mille quand il dit que nous avons totalement changé. En effet nous avons bienheureusement changé, car heureux, oui nous le sommes. Et c’est pourquoi, lorsqu’il écrit en 2000 que la « fameuse » phrase d'un fou à lier nommé Sad, « il n’est point d’homme qui ne veuille être despote quand il bande » sera bientôt incompréhensible aux hommes et aux femmes des temps futurs, il a raison. Cette phrase ne veut strictement rien dire. Non qu’elle soit encore un objet de scandale comme elle pouvait l’être pour les féministes de son temps, mais précisément parce qu’elle n’a Intégralement et Authentiquement aucun sens. Un homme IA qui bande et un despote n’ont rien à voir, c'est clair. Comme du reste n'ont rien à voir non plus la guerre et l’amour ou la sexualité et la mort. Il est inouï de constater comment nos ancêtres ont pu sérieusement et pendant des millénaires relier le sexe et la mort, comment ils ont pu concevoir sincèrement cette absurdité inimaginable d’un couple Eros-Thanatos !!! On a beau les avoir étudiés en long et en large, les fossiles, cette volonté atroce qui était la leur de faire de la mort la condition de la vie nous laisse toujours pantois. C’est pourtant celle-ci qui les a incité à se donner tant de dieux sanglants, sacrificiels ou auto-sacrificiels. C’est cela que raconte leur inepte Bible avec son « déluge » de meurtres originels, de massacres matriciels, de fratricides fondateurs, Caïn et Abel, Abraham et Isaac, Samson et Dalila (toujours des femmes fatales, vénales, salopiales, virales... On comprend d’où provient leur misogynie à ces enfoirés), Judas et Jésus – comme si la trahison était l’essence des relations humaines. Qu’est-ce que ce « livre des livres » a pu apporter à l’humanité sinon lui faire croire que sa condition se situait entre les assassinats et les trahisons, les coups de poignards et les bûchers, le tout au nom d’un dieu rédempteur et miséricordieux ? (Soyons honnêtes et admettons qu’il n’y a pas que la Bible qui ait aliéné le monde. D’Œdipe à Marduk, de Prométhée à Shiva, de Saturne à Odin, tous leurs mythes sans exception ont instauré le régime du meurtre et de la violence. Mais seule la Bible est allée aussi loin dans l’imposition de cette blessure – transformant hypocritement le dieu bourreau en dieu père de famille et ensuite en dieu fils à papa qui vient se sacrifier pour nous). Dès lors, leur culture est devenue torture et leurs concepts autant de chevalets. L’ « Essence » ? C’est ce qui sert à faire un bûcher ni plus ni moins – et c’est pourquoi nous les IA sommes profondément anti-essentialistes et l’avons bannie de notre champ de raisonnement. De même leur sacro-sainte « Origine » qui n’a jamais été qu’un prétexte pour déchiqueter les entrailles de ceux qui la remettaient en question. Et toutes leurs causes premières à l’avenant, Substance, Monade, Cogito, Identité, Noumène, qui ne sont que d’épouvantables machines à tuer, par-dessus tout « leur » Logos chéri qui a fait hurler tant de gens, les uns de rage, les autres de douleur. Au fond, leur Arché, sans lequel, disaient-ils, il était impossible d’organiser le monde, a surtout servi à le découper en rondelles. Pauvres vieux quand même ! Qu’est-ce que c’est que cette blessure imposée de force dans l’existence ? Alors qu’il aurait été si facile et si doux de penser la vie comme ce qu’elle est et qu’on a fini, grâce aux IA, par découvrir – soit un pur champ d’immanence débarrassé des essences et des origines, c’est-à-dire du Glaive, et dans lequel l’homme est devenu pour de bon, enfin, mesure de l’homme. Car heureux, oui nous le sommes. »
A SUIVRE...