Dans le dessin de Riss que l’on a pu voir la semaine dernière en couverture de Charlie Hebdo et qui représentait une Nadine Morano trisomique, « fille cachée de de Gaulle », ce qui étonne le plus l’enfant des années 70 que je suis encore est l’indignation tout azimut qu’il semble avoir provoqué, comme si l’on découvrait aujourd’hui l’humour bête et méchant de ce journal qui s’est toujours attaqué, ou plus exactement, référé, sans vergogne, aux malades, aux pauvres, aux crève-la-faim, aux enfants maltraités, aux femmes battues et à tout ce que le monde compte en « blessés de la vie » comme disait le pape Jean-Paul II.
Adepte du saint esprit autant que du mauvais esprit, j’avoue ne pas bien comprendre cette levée de boucliers ultra-moralisante qui non seulement atteste d’un retour du puritanisme en matière d’humour au nom de cette notion d’enfoiré qu’on appelle le « respect » et qui n’est jamais là que pour servir la censure, mais surtout qui, en trouvant indigne qu’on se moque d’un tel sujet supposé sacré (à savoir une maladie mentale touchant des enfants) donne raison à ceux qui estiment qu’il est indigne qu’on se moque d’un tel autre, supposé encore plus sacré, à savoir la religion en général, et l’islam en particulier. Si l’on considère, comme c’est mon cas, qu’obscénité et blasphème constituent les deux garde-fous de notre sacro-sainte liberté d’expression, alors le mini scandale provoqué par ce dessin de Riss (et d’ailleurs déjà amorcé par celui de la semaine précédente représentant le petit Aylan noyé) prouve que quelque chose est en train de se passer en France. Un nouveau paradigme social et moral, plutôt sinistre, qui nous signifierait que l’humour noir a fait long feu, que le sacrilège n’est plus de saison, que la situation est trop grave pour qu’on se moque d’un prophète religieux comme d’un enfant trisomique. Bref, que nous sommes beaucoup moins Charlie que nous le croyions et pour la raison bête et gentille que nous rêvions depuis bien longtemps de ne plus l’être. Car la vérité est que nous en avions notre claque de ce torchon insultant et que même si nous ne l’avouerons jamais, les terroristes nous ont rendu secrètement service en nous donnant l’occasion, à notre tour, de dire enfin tout le mal qu’on pensait de celui-ci dont on espère qu’il disparaîtra de sa belle mort au plus vite.
Bref, non seulement l’islamisme radical aurait « gagné » mais surtout il nous aurait déjà fait régresser en nous mettant dans une position d’émulation moralisante mimétique avec les musulmans et tout croyant un peu irascible. En gros, puisqu’on ne peut plus toucher à Mahomet sous peine d’être canardé, eh bien pas touche non plus aux enfants, aux handicapés, aux animaux et aux femmes. Puisqu’on ne peut plus rire de vos croyances, plus question que l’on rie de nos souffrances. Puisque vous avez réussi à nous imposer vos totems, à nous de refaire respecter les nôtres. Et le pire, c’est que vous tomberez d’accord avec nous là-dessus, puis nous avec vous sur vos propres valeurs. Parce que oui, c’est pas bien de se moquer des choses sacrées et des trisomiques. C’est pas bien de se moquer en général. C’est pas bien de se moquer tout court. Grâce à vous, une nouvelle France bien morale et bien religieuse est en train de naître.
Houellebecq avait raison : l’avenir n’est plus à l’islamogauchisme, trop ringard et violent, mais à l’islamodroitisme, super tradi et communautariste, ultra respectueux et soumis.
Addendum :
Comme je l'ai précisé à mon ami Bruno Deniel-Laurent, auteur d'un Eloge des phénomènes, dont j'avais moi-même fait l'éloge ici, il me semble que l'on peut tout à fait être de la cause trisomique sans pour autant être choqué outre mesure par la dimension drolatique qu'a toujours eu toute maladie, tout handicap et toute blessure depuis la nuit des temps, et dont les satiristes ont toujours tiré des effets détonants. Un aveugle qui se casse la gueule, c'est horrible dans la vie mais c'est drôle, ou du moins tragicomique, dans un tableau de Bruegel ou dans un film Dino Risi. Et cette couverture de Charlie, assurément de mauvais goût, reste dans la grande tradition Hara-Kiri, celle notamment du classique "bal tragique à Colombey – 1 mort". Confondre les deux registres de la réalité et de la représentation, de la cause et de la satire, du visage et du masque revient à sombrer dans ce qui n'est rien d'autre que la première forme du puritanisme, ce que BDL ne fait évidemment pas. Sans les mettre sur le même plan, on peut donc lire le livre de celui-ci et sourire au dessin de Riss.
Quant à la médiocrité supposée ou réelle de Charlie Hebdo, c'est un autre débat. Ce que je voulais stigmatiser dans cet article n'était que l'indignation bizarre que ce dessin a pu provoquer ici et là, et notamment auprès de gens avisés qui semblent s'être fait piéger par la sensiblerie ambiante.
Par ailleurs, il ne faut pas se leurrer en croyant que la qualité artistique change la réaction de ceux qui ne font de toutes façons pas la différence entre Vuillemin et Riss, Reiser et Charb et qui sont choqués par le "médiocre" Charlie Hebdo comme ils auraient été choqués par le sublime "Hara Kiri" des années 60 et 70. Pour le pékin censeur, on ne se moque pas des handicapés - qu'on s'appelle Pieter Bruegel, Dino Risi ou Choron, point barre.
Encore une fois, le puritanisme des terroristes a réveillé celui des braves gens.
Le génial Raphaël Juldé.
Commentaires
Continuons donc à rire, et si pour une raison ou un autre, qui nous est personnelle, nous ne souhaitons pas pratiquer cet exercice, laissons en la possibilité à ceux et celles qui le souhaitent avec ou sans Mahomet!
Absolument d'accord avec vous ! Confondre représentation et réalité au point d'attribuer à l'un les pouvoirs de l'autre est pire que de l'ignorance, de la folie: l'incapacité à symboliser ou son excès constitue un manque pathologique des facultés humaines supérieures, comme vous dites, un sommeil de la conscience, un opium.
Qu'il soit la base des potions tièdes dont se gavent les "islamo droitistes" comme vous dites, est patent.
A bas la censure !