Sainte-Maxime, Noël 2018
(Ecole Siméon Fabre, 1979, CM2)
Pierre Cormary, Sainte-Maxime, le 24 décembre - A la recherche de madame Fillol
Mon grand-père paternel, Georges Roy (le gouverneur de l'AOF dans les années 30), venait de mourir en 1977 (le 18 octobre, à 80 ans. C'est lui qui me raconta un jour l'histoire du Cheval de Troie.) Nous nous étions installés à Sainte-Maxime dans notre maison de vacances en 1978. J'entrais en CM1 à l'école Siméon Fabre. Nous avions deux enseignants, le matin une institutrice dont je ne me rappelle ni le nom ni le visage, l'après-midi, monsieur Espinassi, le directeur de l'école lui-même et dont ma mère disait qu'il avait "une gueule de militaire", un type très gentil au demeurant. Mais dès cette première année, je lorgnais sur Madame Fillol, l'institutrice que nous allions avoir en CM2 et dont on disait qu'elle était "géniale", attentive, affectueuse, souvent drôle, mais aussi sévère de temps et temps et partisane de méthodes traditionnelles. Dans la cour de récréation où elle discutait avec ses collègues, je le dévorais des yeux. Elle n'était pas vraiment belle au sens classique du terme mais avait quelque chose de félin, une démarche souple et solide, une gestuelle sûre, un regard quasi bionique derrière de bonnes grosses lunettes, une chevelure rousse flamboyante. Le premier jour de CM2, elle nous hypnotisa tous en effet par son autorité rassurante, sa présence scénique captivante et sa parole précise qui nous mis en garde tout de suite bien qu'éveillant aussitôt notre curiosité. Allait-elle vraiment faire ça un jour ? J'étais déjà un enfant bien tordu mais je n'avais jamais été en face d'une personne de ce genre si bien incarnée et que je me mis évidemment à chérir tout de suite, la craignant plus ou moins, me faisant de délicieuses paniques intérieures. Durant l’année, elle n'officia que deux fois et mon coeur bat la chamade rien qu'en y repensant. Deux garçonnets, Philippe Thomas (le quatrième à la deuxième rangée en partant du bas et qui avait perdu sa mère) et un petit italien pervers dont j'ai oublié le nom, passèrent en effet sur ses genoux, derrière son bureau, et je me souviens de mon émoi quand elle opéra. Je ne pense pas avoir été le seul dans la classe, je crois, à avoir été tétanisé. Le comble est que personne dans la classe n'aurait pensé, je crois, à de la maltraitance ou de l'abus de pouvoir tant madame Fillol avait su créer une ambiance de famille autour d'elle et se faire aimer et respecter par nous tous ! - y compris par les deux garçons qui s'en retournèrent presque radieux à leur place. Philippe avait des airs d'élu et le petit italien osa même, une fois assis sur sa chaise, lancer à notre maîtresse : « ah mais c’est malin, maintenant ça brûle quand je m'assois ! »
Ancien collège de Sainte-Maxime, aujourd'hui Maison des associations (dont le Théâtre de Calidie dont je fis partie trois ans entre 83 et 85) et poste de police.
L'année suivante, je rentrais en Sixième au collège de Sainte-Maxime, à deux pas de Siméon Fabre, et où je confirmais ce que j'étais déjà au Primaire, soit de plus en plus nul en math et de plus en plus meilleur en français. J'avais quand même lu à mon âge Jules Verne, Alexandre Dumas, Hector Malot, Victor Hugo et la comtesse de Fillol - je veux dire, de Ségur ! Et comme j'avais un très bon souvenir de celle-ci, j'eus le privilège d'aller de temps en temps chez elle, dans sa vraie maison du quartier Bello-Peiro, prendre des cours de soutien en math - et avec tout le contentement secret que l'on peut imaginer. Un jour, elle me dit en pleine leçon et devant sa fille, un grand cygne langoureux qui faisait ses devoirs à la même table que nous et avait l'air d'attendre cette annonce depuis longtemps : « et si tu me rends un résultat fausse, tu y auras droit, tout grand que tu es ». Comme le dernier des imbéciles, je gardai le silence et trouvai la réponse juste. Alors que je me revois imaginer donner un résultat improbable et hurler dans ma tête : « surtout ne vous gênez pas, apprenez-moi à compter !»
Aujourd’hui, je crains qu'elle ne soit morte. Il y a quelques années, je suis tombé sur un site funéraire dans lequel on lisait qu'une certaine Hélène Fillol, habitante du Var, venait de mourir à plus de quatre-vingt dix ans et d'être enterrée dans un cimetière de la région. Cela devait être elle. Qu'importe, je remonte par le boulevard Lex le quartier de Bello-Peiro, à la recherche de sa maison.
La dernière fois que je suis venu ici, c'était il y a trente-huit ans et en voiture avec ma mère. C'est dire si mes chances sont minimes de retrouver et sa maison et elle ! Qu’importe, je me perds dans ce quartier qui me permet au moins de me promener, de respirer et d'admirer le golfe de Saint-Tropez. Il fait doux, le soleil brille, les noms des avenues sont jolies et je me demande si ce boulevard des Quatre vents n'était pas le sien à l'époque. Derrière une clôture, je tombe sur une particulière en train de jardiner chez elle – et qui ressemble comme deux gouttes d’eau à madame Fillol, une grande vieille classe aux longs cheveux roux, qui porte des lunettes et qui se déplace comme un félin ! Je l'interpelle, lui demande si le nom de "Fillol" lui dit quelque chose - mais non, ce n'est pas elle, ou c'est elle dans une réalité alternative comme dans Twin Peaks, à moins que je ne me fasse une bilocation improvisée. Car elle lui ressemble vraiment. Nous parlons quelques instants de Sainte-Maxime, des années 70, de l'école Siméon Fabre. Elle me dit qu'un de ses enfants y est allé à cette époque et que peut-être il fut dans la classe de cette madame Fillol, car elle se rappelle de ce nom en y pensant. Mais les signes n'iront pas plus loin. Je salue la dame et redescends mon chemin. Le pélèrinage est fini. Adieu Hélène Fillol.
Pierre Cormary, le 25 décembre - 12:31 – Au Tennis de la Croisette
Aussi étonnant que cela puisse paraître, j'ai fait plusieurs sets ici de 1978 à 1988, au "tennis de la Croisette" et dont le principal prof de tennis, un ours mal léché du nom de Christian Fayard (mort ? vivant ?) me lançait des "Anto'neuuuuh !" quand je venais prendre ma leçon avec lui et que je rate ou réussisse ma balle.
Pierre Cormary - 23:48 - Au Casino
Ayant déjà une collection de pathologies, perversions, déviations, tares et complications plutôt gratinées, doublée d'immaturité grandissante et d'infantilisme triomphant, je n'ai grâce à Dieu (avec qui je me bats déjà trop) pas celle du jeu. Ce monde-là m'est absolument étranger - sans doute parce je suis trop attaché à mon matérialisme pour le perdre en spiritualité vénale. Même si boire un calva au bar d'un casino (celui de Ste-Maxime) n'est pas si désagréable - un peu comme dans un sex-shop dans lequel on n'achèterait rien. Sinon je crois qu'il est interdit de prendre des photos à l'intérieur d'un casino. Le voilà mon jeu réel.
Pierre Cormary, le 26 décembre, 06:00 - En rêve avec Ava
Grande soirée littéraire consacrée à mon livre qui vient juste de paraître. Grande pièce rectangulaire, type hall d’hôtel ou salon de Shining. Bougies et lampions, ambiance Années Folles. Ava Prackowiak, au loin, installée sur une banquette avec des amis à elle. De ma place, je plaisante avec mes propres amis qui rient de mes bons mots – et c’est là que je la vois rire de mes blagues, ce qui me fait chaud au cœur car je pensais qu’elle était encore fâchée contre moi depuis l’affaire de L’Amie de mon ami. On se retrouve devant un téléphone où j’attends un coup de fil de Cendrine Leffe et Oriane Deguy qui doivent me rejoindre. Ava s’approche de moi et vient me parler de mon livre qu’elle a apprécié. Un petit téléphone sort du muret, ou plutôt c’est le muret qui sort du mur avec le téléphone [mon pénis, je suppose] et elle prend le combiné. La laissant discuter, je vais observer sur la terrasse une bonne femme pisser dans les escaliers. Je reviens au téléphone. Ava a terminé son coup de fil, je vais pour prendre le combiné à mon tour mais elle s’approche alors franchement vers moi et me fait reculer, reculer, reculer pendant qu’elle s’approche, s’approche, s’approche, comme à l’infini et avec une douceur extraordinaire. J’ai peur mais je suis conquis. J’en ai même les larmes aux yeux. Se pourrait-ce que… ? Tout en marchant, elle me raconte sa vie, son intimité, ses désirs – autant de choses que j’entends à peine mais qui me charment à mort. Je vois ses yeux verts, ses lèvres fines de vampire, son long nez. Tout le monde a cessé de parler autour de nous et regarde notre manège, se demandant si elle va finir par m’embrasser. A ce moment, la musique est trop forte et je n'entends plus ce qu'elle me dit. Qu’importe mes oreilles puisque j’ai son souffle dans le cou. Ava finit par me coincer contre le mur et par m’embrasser longuement dans un magnifique ralenti. Je me réveille, émerveillé.
Pierre Cormary, 16:00 - A la Nartelle
Massilia, Les Sardinaux, Les Heures claires, le Rond-point du Débarquement - La Nartelle ou la pla
ge du Débarquement. Pendant des décennies, on dit qu'un tank amphibie était enseveli sous l'eau et le sable près du ponton. Ce n'etait pas une legende. En 2011, on l'a repêché et exposé.
Ici aussi, je suis venu dix ou quinze étés en famille, avec des amis, puis seul - l'époque où je conduisais. Des journées où l'on restait quatre ou six heures à bronzer, se baigner et où je lisais Sade, Joyce - et même, pendant le mois d'août 90, l'Esthetique transcendantale de Kant, et cela au lieu de faire de la planche à voile comme aurait voulu mon père (et j'en ai fait quand même, faut pas croire. Du moment qu'on m'amènait ma planche et qu'on me la préparait, je n'avais rien contre.) Souvent, à quelques serviettes de moi, il y avait Cendrine Leffe, Oriane Deguy et Magali Noiraude, des filles que j'avais connues en CM2, Sixième et au Catéchisme mais que depuis mes seize ans, je n'osais plus aborder (sauf Magali, peut-être, la fille du Caté). Je ne sais pas pour vous mais pour moi, un souvenir sur deux est celui d'un manque, d'un ratage, d'un fiasco - et donc d'un idéal, d'une Silphyde, d'une Clairwill.
De la Nartelle, je me rappelle aussi les guignoleries du Henri d' "Henri Plage", le Tonton Mayonnaise du lieu, de la famille Berlue si je me souviens bien, et qui doit être mort depuis longtemps. Et aussi de Marlène, l'animatrice, qui était venue animer le Cythère un été et que j'ai dû observer ou rêver observer une nuit (la seule) où j'y suis allé, blonde flamboyante avec une tête un peu disproportionnée, enrubannée dans une robe turquoise et que je vois encore dans un halo de fumée et d'eclairs.
Je me remets à mes traces. Mon coin de plage. Mes vagues. Mon écume. Le ponton. La Reine Jeanne. Le petit chemin qui ramenait à la route et par laquelle nous rejoignons La Canasta, notre villa de l'époque et dans laquelle nous vécûmes de terribles heures dallasso-dynastiques et dont les incendies en nous ne s'éteindront jamais. Car rien ne s'arrête, au fond. Et c'est pourquoi il faut chérir ses regrets.
Pierre Cormary, 22:54 - Le bruit de l'eau - de l'être.
(Et au fond, le bruit de la moto - la technique.)
Demain, chouffe au Suffren.
Bonne nuit à tous.
Pascal Labeuche – Eh bien mon cher Cormary vous ne m’aurez pas du tout donné envie d’aller à Ste Maxime, que je trouve (sur votre mur en tout cas) incroyablement insignifiante par rapport à Saint-Malo. Et puis vous n’habitez pas cette ville, je veux dire : vous ne la remplissez pas, ne l’investissez pas, l’effleurez parce qu’il le faut bien vu que vous y avez vécu, oui mais voilà le cœur n’y est plus, ce me semble.
Pierre Cormary Pascal Labeuche je vais vraiment consulter chez vous ! Car c’est exactement ça. La vérité est que Ste-Maxime est une ville que je n’ai jamais connue. J’y ai des souvenirs d’enfance et d’adolescence auxquels je suis attaché mais cela aurait été Tourcoing que cela aurait été la même chose. Je n’ai jamais investi cette ville ni cette région – contrairement à Nice par exemple dans laquelle je me vois revivre (encore que.) Non, mon avenir et mon passé rêvé, c’est Saint-Malo.
(L’autre ville qui m’intéresse, dans un autre genre, et que je découvrirai un jour, c’est Annecy - ou plutôt Talloires. Allez savoir pourquoi.)