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LE LIVRE DES JUGES (ou le jeu des trônes)

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1 – Cariath-Sépher

Juges, à nous ! Othoniel, Aod, Samgar. Débora, surtout (Débora et Jahel – le plus magnifique duo de dominas bibliques qui soit), puis Gédéon (pas si con), Abimélech (trop sanguinaire pour être honnête et d'ailleurs défait de suite). Suivent les juges dits « bibliques » (Thola, Jaïr, Ibtsan, Elon, Abdon) plus ou moins oubliables. Mais pas Jephté (qui fait avec sa fille ce que Stannis Baratheon faisait avec la sienne dans l'épisode le plus insoutenable de GoT). Samson, enfin, qui nous a tous fait rêver pour des raisons avouables (l'élection divine, la force surhumaine, la libido siffrediste) autant qu’inavouables (le suprasensualisme évident du personnage qui passe son temps à dire à sa belle de l'attacher – avant qu'il ne se retrouve sur ses genoux, aveuglé). Pour finir, la maison de Michas, plein de bassesses, de stupre et d'arrangement au viol, épisode lui aussi ô combien GoTien !

Du point de vue dramatique, le Livre des Juges est donc bien le pire, c'est-à-dire le meilleur. Une saga féroce et sexuelle incroyable rapportée avec un sens narratif de plus en plus précis. On ne « dit » plus simplement les choses, on les « raconte », on les met en scène, on les décrit – scènes d'action comme scènes d'intérieurs. On suggère, on montre, on filme, on est conscient de faire du Cecil B. DeMille et de l'HBO avant la lettre. Il y a des épisodes « merveilleux » et des détails psychologiques (et physiques) étonnants. On frôle le porno mystique. Et tout cela pour bien signifier que sans roi, tout est chaos. C’est que ces Juges sont moins des « juristes » que des chefs charismatiques, efficaces un certain temps mais violents, corrompus, carrément idiots et surtout peu légitimes. Or, la légitimité est une nécessité politique. Mais il faut passer par le chaos pour le savoir.

Et le premier chapitre où l'on « taille en pièce » un verset sur deux, quand on ne coupe pas « les extrémités des mains et des pieds », commence fort. Pour autant, on a beau se saigner de part et d'autre, on commence à soupirer de tant d'horreurs. On est même tenté de freiner celles-ci. « Mais les enfants de Benjamin ne tuèrent point les Jébuséens qui demeuraient à Jérusalem » (I-21). Et « Manassé aussi ne détruisit pas les Bethsan et Thanac avec les villages (...) et les Chanadéens commencèrent à demeurer avec eux » (I-27). Mieux : « Lorsqu'Israël fut devenu plus fort, il les rendit tributaires ; mais il ne voulut point les exterminer » (I-28). Et tout à l'avenant : « Ephraïm aussi ne tua point les Chananéens (...) Zabulon n'extermina point les habitants de Cétron et de Naalol (...) Aser n'extermina point non plus les habitants d'Accho (...) » (I-29-30). L’extermination systématique, c’est trop antique – ou trop moderne.

À son corps défendant, Israël s'humanise. Et puis on a attaqué Cariath-Sépher, « la ville des Lettres » et on s'en veut un peu. Car les livres, pour un juif, ça compte.

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2 – Eglon le gros

Donc, Josué est mort et les Israélites rechutent – et cette fois-ci, sans plus aucune retenue. Idolâtrie tous azimuts, immoralité décomplexée, corruption généralisée. Retomber toujours – si ce n’est pas le signe de la condition humaine, ça. Quant à la condition divine, elle consiste à passer sans cesse de la colère à l'amour, de l'envie de tout casser au pardon inlassable – d’intervenir encore et encore, quoique de manière de moins en moins transparente. Ce sera un des motifs de ce Livre. Dieu n’agit plus que discrètement, indirectement, se retirant de la scène, invisible mais présent, providentiel mais caché. Ainsi de ces « Juges » nommés par Lui et qui seront chargés de gérer le peuple au mieux. Hélas ! Ceux- se révèlent très vite aussi corrompus que ce dernier tant chaque bonne volonté a sa mauvaise part, chaque juste sa part d'injustice, chaque humain son inhumanité ou son « trop humain ».  Des premiers Juges, Othoniel, Aod et Samgar, on retient surtout l’épisode du meurtre par Aod du gros Eglon, roi de Moab, dans lequel je refuse de me reconnaître.

« Or Eglon était extrêmement gros. (…)

Aod s’approcha du roi qui était seul assis dans sa chambre fraîche et il lui dit : j’ai à vous dire une parole de la part de Dieu. Aussitôt, le roi se leva de son trône.

Et Aod ayant porté la main gauche à la dague qu’il avait à son côté droit, la tira, et la lui enfonça si avant dans le ventre, que la poignée y entra tout entière avec le fer, et se trouva serrée par la grande qualité de graisse qui se rejoignit par-dessus.  Aod ne retira donc point sa dague ; mais, après avoir donné le coup, il la laissa dans le corps ; et aussitôt les excréments qui étaient dans le ventre s’écoulèrent par les conduits naturels. » (III 17-22)

Au-delà du sourire ou du dégoût que peut susciter cet épisode, ce qu'il faut noter est que l'on commence dans la Bible à décrire physiquement les personnages. Préciser qu'Eglon est « gros » (et donc facilement tuable), c'est prendre en compte le corps, la chair, la graisse – c'est décrire son âme du point de vue de son corps. La personne n'est plus seulement un nom ou un esprit mais un être de chair et de sang. Ce que l’on disait plus haut : il ne s'agit plus simplement de dire mais de décrire, de peindre, d'ouvrir au sens propre et figuré l'homme et ici jusque dans sa graisse, son sang, ses excréments – son « cormary » diront mes fans. Eglon, le premier « gros » de l'histoire de l'humanité.

Et Aod, le premier gaucher. Pourquoi donc croyez-vous que le narrateur précise qu'Aod porte « la main gauche » à la dague qu'il porte à droite si ce n'est pour explorer la physiologie et la psychologie qui en découlent ? Car si le gros est toujours un bon con, le gaucher est toujours un peu démoniaque car tordu, rusé, dangereux. Gaucher contre gros, c'est un peu la bataille des freaks. Mais c'est aussi l'attention extrême portée aux singularités de l'humanité. Et les singularités, c’est le sujet de ce livre qui aurait dû s’appeler telles plutôt que Juges.

Le Livre des Juges ou l'invention de la physiologie, de la singularité, de la perversion –de l'humanité. 

Hagen – Oui, des gros, des juges, des fourbes, des gauchers et des méchants : la Bible hébraïque sort du temps mythique pour entrer dans le temps réel, exactement à l'inverse de ce qui se passe en Inde dans les Védas et la Baghavad-Gîta. La longue destitution du sacré païen qui aboutira aux miasmes théologiques de votre hérésie genevoise commence ici. Mais, pour autant, c'est bien : on se croirait déjà chez Shakespeare. 

 

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3 – L’abeille et la chèvre

Déborah, ou Dvora (en hébreu : דְּבוֹרָה, qui signifie « abeille »), c’est la prophétesse qui rend la justice sous un palmier qui porte son nom. C’est elle que Dieu nomme afin de mener bataille contre les Cananéens et leur roi Yabin qui tient les Hébreux sous son joug depuis vingt ans. Déborah convainc Barac de lever une armée et lui promet la victoire contre celle de Siséra, général de l’armée de Yabin. Mais elle le prévient que la gloire de tuer Siséra en personne ne reviendra pas à lui, Barac mais à une femme, Yael [en hébreu :  יָעֵל - Ya`el qui signifie chamois, bouquetin ou chèvre de montagne.]

Et c’est ce qui se passe : Barac écrase les troupes de Siséra et celui-ci s'enfuit à pied dans la maison de Yaël, qui lui propose de s'y cacher. Pendant le sommeil de Siséra, elle le tue en lui transperçant la tête avec un piquet.

Cette victoire amène la défaite finale du roi cananéen Yabin qui sera également tué. La paix est rétablie pendant quarante années sur la Terre d'Israël grâce à cette femme élue, première héroïne du monde non antique, et sa consoeur inouïe, sorte de "femme qui tua Liberty Valance". Le chant de victoire qu’elle entonne à la fin résonne comme un avertissement aux princes et rois étrangers qui pourraient constituer une menace pour les Hébreux – en plus de s’imposer comme le premier grand poème hébraïque.

Débora – Palmier et poésie, donc. Héroïsme et harmonie. Autorité et beauté. Car on l’imagine belle, comme il se doit dès qu'il s'agit de femme (le fameux male gaze), altière mais généreuse, guerrière mais clémente, une sorte d’Athéna juive. Pour elle, oserait-on dire, le texte se fait plus romanesque, inerrant, émouvant comme dans cette phrase extraordinaire :

« Elle s’asseyait sous un palmier qu’on avait appelé de son nom (…) et les enfants d’Israël venaient à elle pour faire juger tous leurs différents. » 

Tout aussi splendide, suggestif, suspensif, celui consacré à Yael au moment fatidique :

« Elle lui apporta un vase plein de lait, et l'ayant découvert, elle lui en donna à boire et remit le manteau sur lui » 

mais aussi gore :

« Jahel, femme de Haber, ayant donc pris un des grands clous de sa tente, avec un marteau, entra tout doucement, sans faire aucun bruit, et ayant mis le clou sur la tempe de Sisara, elle le frappa avec son marteau, et lui en transperça le cerveau, l'enfonçant jusque dans la terre ; et Sisara, ayant été tué de cette sorte, passa du sommeil naturel à celui de la mort. »

Les hommes ne sont plus rien, comme disait Ygrid.

« On a cessé de voir de de vaillants hommes dans Israël. Il ne s'en trouvait plus, jusqu'à ce que Débora se soit élevée, jusqu'à ce qu'il se soit élevé une mère dans Israël. »

Le féminisme, aussi, est une singularité.

 

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4 – Gédéon, le lâche élu

Comme Ulysse, il ne voulait pas y aller. Alors quand l'ange se présenta à lui pour l'exhorter à aller vaincre les Madianites et délivrer une nouvelle fois Israël, il rechigna. Il fit le libre penseur : si Dieu est avec Israël, pourquoi toutes ces merdes qui nous arrivent ? Et surtout pourquoi moi qui ai bien autre chose à faire que l'Achille de service ? L'ange insista : Dieu sera avec toi et tu battras les Madianites comme s'ils n'étaient qu'un seul homme. Alors, Gédéon demanda un signe : si c'est vraiment Dieu qui me parle, qu'il me fasse un signe. Dieu fit un signe. Gédéon s’enhardi : 

« Alors Gédéon dit à Dieu : si vous voulez vous servir de ma main pour sauver Israël, comme vous me l'avez dit, je mettrai dans l'aire cette toison ; et si, toute la terre demeurant sèche, la rosée ne tombe que sur la toison, je reconnaîtrai par-là que vous vous servirez de ma main, selon que vous l'avez promis, pour délivrer Israël.

Ce que Gédéon avait proposé arriva. Car s'étant levé de grand matin, il pressa la toison, et remplit une tasse de la rosée qui en sortit.

Gédéon dit encore à Dieu : que votre colère ne s'allume pas contre moi, si je fais encore une fois une épreuve, en demandant un second signe dans la toison. Je vous prie, Seigneur, que toute terre soit trempée de la rosée, et que la toison seule demeure sèche.

Le Seigneur fit cette nuit-là même ce que Gédéon avait demandé. La rosée tomba sur toute la terre et la toison seule demeura sèche. »

Au-delà de la poésie prodigieuse contenue dans cet épisode, ce que celui-ci montre avant tout est que l'on peut parlementer avec Dieu, qu'on peut lui demander des tas de trucs – et plusieurs fois de suite. Dieu écoute toujours l'homme – c'est là sa supériorité et notre privilège que même un Gédéon finit par comprendre.

 

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Car Gédéon, c'est l'homme un peu lâche, un peu dans son coin, qui répugne à l'action. C'est pourtant lui que Dieu va chercher car sans doute sait-Il que Gédéon est capable de grandes choses malgré sa mauvaise volonté et sa petite nature. Bien mieux que nous, Dieu sait qui nous sommes et de quoi nous sommes capables, son rôle à lui étant de nous donner l'occasion de le découvrir. Dieu nous psychanalyse pour nous rendre notre dignité. Et Gédéon se découvre bien plus valeureux qu'il ne le croyait – très efficace dans la bataille et même très féroce comme lorsqu'il va massacrer à coups d'épines et de ronce toute une tribu d'ennemis ! Sacré Gédéon si sédentaire, si sans histoires, si passif et qui se révèle un Samson avant la lettre (car on y arrive, on y arrive, au colosse maso !)

Donc, Dieu décide. Dieu désigne. Et comme il ne veut pas qu'on croit que la victoire revienne aux seuls Israélites (car il faut toujours réfréner l'illusion du mérite et du libre-arbitre chez les mecs), parmi les trente-deux mille hommes qui constituent l'armée de Gédéon, il en choisit seulement trois cent et selon une méthode fort étonnante consistant à ne retenir que ceux qui auront bu l'eau de la rivière en la lapant dans leur main. Celui qui aura utilisé un récipient sera privé de bataille !  Sacré Dieu !

Enfin, on ne saurait ne pas citer la dimension burlesque de cette bataille : les trois-cents hommes de Gédéon qui encerclent dans la nuit le camp des Madianites, crient d'une seule voix « l'épée de Dieu et de Gédéon ! », provoquant une panique folle chez leurs ennemis qui, pris de court, se mettent à courir partout et se battre entre eux, se tuant les uns les autres sans que l'armée de Gédéon n'y fasse rien ou presque.

On ne s'ennuie jamais avec ce dieu-là.

 

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5 – Abimélech, le bâtard

Après Gédéon, son fils illégitime : Abimélech. Lui, c’est le bâtard typique, traître, méchant, sans foi ni loi, pervers narcissique – qui commence à manipuler toute sa famille pour le faire élire Juge, puis qui zigouille ses soixante-dix frères « légitimes » afin de ne plus avoir de rivaux alors que ces derniers avaient renoncé à l’être. Son règne dure trois ans et ce n'est pas celui de Saint Louis. Finalement, une femme lui jette une pierre de haut de sa fenêtre et lui casse la tête (en en faisant sortir sa cervelle, précise le texte). Avant de mourir, il hurle à ses gardes de le tuer au plus vite de peur qu'on ne dise qu'il a été tué par une femme – ce qu'un garde, soit par zèle soit par vengeance, s'empresse de faire.

 

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De cette histoire, on retient surtout le magnifique épisode des Arbres qui discutent entre eux de la question du roi (qui est celle de tout le livre des Juges – comment inventer la royauté qui nous sortira du chaos) et qu’un Walt Whitman n’aurait pas dénié : 

« Les Arbres s'assemblèrent un jour pour s'élire un roi, et ils dirent à l'Olivier : soyez notre roi.

L'Olivier leur répondit : puis-je abandonner mon suc et mon huile, dont les dieux et les hommes se servent, pour venir m'établir au-dessus des Arbres ?

Le Figuier leur répondit : Puis-je abandonner la douceur de mon suc et l'excellence de mes fruits, pour me venir établir au-dessus des Arbres ?

La Vigne leur répondit : Puis-je abandonner mon vin, qui est la joie de Dieu et des hommes, pour venir m'établir au-dessus des Arbres ?

Le Buisson leur répondit : Si vous m'établissez véritablement pour votre roi, venez-vous reposer sous mon ombre ; que, si vous ne le voulez pas, que le feu sorte du buisson, et qu'il dévore les cèdres du Liban. »

Le sens de ce conte est clair : être roi n'est pas une sinécure et demande bien des sacrifices – et si l'on se trompe de personne, on peut courir au pire. C'est pourquoi on n'a eu pour l'instant que des « Juges » mais qui, pour un ou deux valables, se sont révélés peu légitimes, souvent nuls et parfois féroces. Mais c'est dans cette misère historique que l'idée royale émerge peu à peu. En attendant le roi David. 

 

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6 – Jephté, la lettre ou le symbole

Après Abiméléch de triste mémoire, Thola et Jaïr d'aucune. L'histoire de Jephté est plus intéressante. Fils d'une pute, donc bâtard (lui aussi), il succède à Jaïr comme chef d'Israël – quoique sans ambition dévorante de sa part ni même peut-être envie du pouvoir. Contrairement à ce qui s'était passé avec Abimélech, ce n'est pas lui qui déclare la guerre à ses frères légitimes mais eux qui la lui déclarent. Il l'emporte contre eux comme il l'emporte, un peu plus tard, dans la guerre contre les Ammonites. Tout semble réussir à cet humble élu. Hélas ! Dans sa soumission à Dieu, il a promis à celui-ci qu'en cas de victoire il sacrifierait la première personne qui viendrait à lui. Et c'est sa fille unique qui accourt la première « au son des tambourins ». Mortifié, Jepthé est contraint d'obtempérer (avec le consentement de celle-ci qui accepte son sacrifice avec un héroïsme tout adolescent mais à la condition qu'elle puisse aller pleurer sa virginité deux mois dans les montagnes avant de revenir mourir.)

Alors que se passe-t-il quand elle revient ?

Pour certains, les littéraux, Jepthé la sacrifie pour de bon et selon le chapitre 27 du Lévitique (et particulièrement son verset 29) qui dit que Dieu, exceptionnellement, peut accepter voire imposer le sacrifice humain. Et là, on est dans Iphigénie ou dans GoT avec l'épisode le plus terrible de la série où la jeune Shireen Barathéon est brûlée vive par son père lui-même sous l'emprise de Mélisande, la sorcière rouge, qui lui a promis le pouvoir s'il etc.

Pour les autres, les interprétatifs, le sacrifice en question n'est pas tant celui de la vie de la jeune fille que celui de sa vie de femme. La fille de Jepthé restera vierge (d'où les deux mois de retraite à la montagne pour s'habituer à cette idée) et servira Dieu le reste de sa vie sans être aucunement immolée. Elle deviendra une sorte de bonne soeur du Seigneur.

 

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Alors, on peut toujours sourire de l'interprétation « douce » qui déviriliserait ou désanguiniserait le texte et surtout lorsqu'on est amateur de sang, c'est-à-dire de littéralité. Il n'empêche qu'on est là au coeur de l'épistémologie biblique, du problème de l'interprétation, de l'herméneutique – de cette idée fondamentale que « DIEU DIT UNE CHOSE, J'EN ENTENDS DEUX » (Psaume 61-11).

Or, que me dit exactement la lettre ? Qu'est-elle avant tout ? Une réponse ou une question ? Une exécution ou un suspens ? un laisser-passer ou un laisser-penser ?

Ce n'est sans doute pas un hasard si une page plus loin est rapportée cette « épreuve phonétique » infligée aux ennemis et aux fuyards – et où la survie relève d'une question de prononciation.

« Mais ceux de Galaad se saisirent des gués du Jourdain par où ceux d'Ephraïm devaient passer à leur pays ; et lorsque quelqu'un d'Ephraïm, fuyant la bataille, venait sur le bord de l'eau, et disait à ceux de Galaad : je vous prie de me laisser passer, ils lui disaient : n'êtes-vous pas Ephratéen ? et lui répondant que non, ils lui répliquaient : dites donc SCHIBBOLETH, qui signifie un épi. Mais comme il prononçait SIBBOLETH, parce qu'il ne pouvait pas bien exprimer la première lettre de ce nom, ils le prenaient aussitôt et le tuaient au passage du Jourdain, de sorte qu'il y eut quarante-deux mille hommes de la tribu d'Ephraïm qui furent tués en ce jour-là. »

Encore et toujours, c'est ce qu'il faut retenir : la lettre (dans son énonciation et ici dans sa prononciation) tue, l'esprit vivifie. Les littéraux sont toujours des barbares. Ceux qui n'entendent jamais qu'une chose, des cons. Et je crois que c'est le cas de nos antivax et autres radicaux – toujours en retard sur la réalité des choses mais toujours en avance dans leurs manifs contre celle-ci (oui, je sais, ça n'a rien à voir et je fais mon malin...)

 

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6 – Samson et Dalila (ou Séverin et Wanda)

Qui est ce Samson qui naît d'une femme stérile mais dont on nous précise plusieurs fois que son pouvoir commence « dans le ventre de sa mère » ? Qui est cet homme, annoncé par un ange, qu'on appelle le « Nazaréen », qui a la force d'Hercule, la libido de Rocco Siffredi et les moeurs du Séverin de la Vénus à la Fourrure de Sacher-Masoch ?

Car il faut suivre son histoire extraordinaire à ce costaud élu et chevelu, « sur la tête duquel le rasoir ne passera point », et qui se voit interdire toute boisson née de la vigne et toute nourriture « impure », c'est-à-dire trop riche, grasse et gourmande. C'est vrai que sur ce point, je ne lui ressemble pas beaucoup au Musclor.

Déjà c'est sa mère qui domine dans le couple. Après que l'ange leur soit apparu à elle et à son mari et que celui-ci ait craint qu'ils ne meurent « car ils ont vu Dieu », celle-ci réplique que si Dieu s'est laissé voir à eux, et pour leur annoncer de surcroît cette bonne nouvelle d'un fils surpuissant à venir, ce n'est certes pas pour les faire mourir.

Et voici le petit Samson (baptisé ainsi par sa maman - de l'hebreu שִׁמְשׁוֹן, de la racine chemech, qui signifie «  soleil »), tout de suite béni, fervent, croyant mais intenable. À peine pubère, il veut épouser une Philistine qui lui a tapé dans l'oeil : « donnez-moi celle-là, parce qu'elle m'a plu quand je l'ai vue ». On maugrée car cette fille n'est pas de notre peuple mais on accepte. Difficile de tenir tête à ce garçon qui déchire un lion comme si c'était un chevreau, qui mange le miel de l'essaim d'abeille qui a trouvé refuge dans la gueule du lion sans en craindre une seule et qui fait des énigmes étonnantes : « la nourriture est sortie de celui qui mangeait et la douceur est sortie du fort. » Samson est ce doux fort, ce sensuel amoureux, ce naïf qu'il ne faut pourtant pas mettre en colère – car d'une baffe il est capable d'étourdir voire de tuer trente hommes.

Mais il ne lève jamais la main sur une femme et surtout pas sur sa Philistine qui l'a pourtant trompé en en épousant un autre. Pour se venger, Samson attrape trois-cents renards dont il noue les queues par deux, y attache des flambeaux et les envoie brûler toutes les récoltes des Philistins. Par représailles, ces derniers vont brûler son ex et son père. Samson en tue alors mille autres avec une mâchoire d'âne. Après quoi, il retourne chez son père.

« Étant dans une étrange colère, il revint dans la maison de son père ». Samson est un Tanguy étrange.

Pour le consoler, Dieu ouvre une des dents de la mâchoire d'âne et en sort une fontaine. Par ce ruisseau, il fait de Samson le nouveau Juge d'Israël au moins pendant vingt ans.

 

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Mais les femmes perdront toujours Samson.

À Gaza, il va chez une courtisane, Dalila, qui lui demande d'où lui vient cette force extraordinaire. Réponse de Samson : attachez-moi avec de grosses cordes et je deviens faible comme n'importe qui. Elle le lie. Sans doute font-ils des « choses » pas racontables avec bandeau, plume, cire et cravache. Mais voilà qu'une bande de Philistins fond sur lui et que le faible redevient fort, rompant les cordes et le cou d ses adversaires.

Le jeu semble lui avoir beaucoup plu et il redemande à Dalila de le réattacher avec des cordes encore plus solides. Trois fois de suite, la même action a lieu : bondage, soumission et... correction des butors qui viennent le tuer. Pas une seconde, Samson ne pense que c'est Dalila qui est dans le coup. Il l'aime trop, la désire trop, lui pardonne trop – quitte à sombrer dans une certaine mélancolie. Samson déprime.

« Et comme elle l'importunait sans cesse, la fermeté de son cœur se ralentit et il tomba dans une lassitude mortelle. »

Il finit par lui dire la vérité : la force vient de ses cheveux que l'on n'a jamais rasé, coupé, castré. Mal lui en prend. Dalila le laisse s'endormir sur ses genoux et lui rase la tête (et peut-être les poils pubiens, on ne saura jamais). À son réveil, son ancienne force n’est plus et les Philistins s'emparent de lui, lui crevant les yeux au passage (comme Oedipe tiens...). On l'attache à une meule et voilà le malheureux à jouer les Sisyphe de la ferme.

Mais ses cheveux commencent déjà à repousser.

Les Philistins n'en tiennent pas compte et retournent à leurs fêtes et leur stupre. Pour l'humilier, on attache Samson entre deux colonnes. Tout le monde sait alors ce qui se passe : Samson, dont la force est progressivement revenue, écarte des deux mains les colonnes, fait tomber toute la maison et meurt avec trois mille personnes « de l'un et l'autre sexe » – mais dont on ne saura jamais si Dalila en était. Ce qui est sûr, c'est que la femme fatale existe et qu'elle est une invention de la Bible.

 

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À part ça, Hedy Lamar, une des actrices les plus sexy d'Hollywood, la première nue dans un film et, comme on le sait depuis peu, l'inventrice géniale de la télécommunication pendant la guerre. La Surfemme, c'est elle.

 

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7 – Michas et les guerres d’Ephraïm

De mémoire biblique, ça n'est jamais allé aussi mal.  À aucun moment de son histoire, Israël n'avait régressé à ce point. Là, tout n'est plus que chaos, anarchie, sauvagerie, antivax. Dieu n'en peut plus de ce peuple qui ne l'écoute jamais et retombe à chaque fois dans le pire. Dieu est dépassé par la méchanceté des hommes et ne songe même plus à les punir. Dieu arrête les frais et se retire de l'Histoire, laissant son peuple s'autodétruire. Peut-être va-t-Il pleurer dans un recoin du cosmos, on ne le saura jamais. Sur terre, les événements sont tellement violents qu'on en oublie son absence – et c'est la grande singularité de ces dernières pages (sinon du Livre des Juges en son entier) : Dieu a disparu de la Bible ! Dieu n’est plus (là). La fameuse phrase « Si Dieu n'existe pas, tout est permis » n'a jamais été aussi vraie – et à ceux qui pensent que le religieux a sadisé le monde, il faut répondre que sans lui, le monde serait pire.

La corruption a atteint un tel niveau qu'elle a pulvérisé les liens les plus sacrés : histoire d'argent entre mère et fils, idolâtrie décomplexée, rivalité tribale, vol d’idole, rixes, outrages (et quels ! le mari qui donne sa femme à ses ennemis pour qu'on la viole à mort.... à sa place !!!), massacres en veux-tu en voilà –  et à la fin, lorsqu'il n'y a presque plus personne et qu'il faut bien repeupler, rapts de femmes que l'on se distribue entre vainqueurs et vaincus afin de se reproduire.

 

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Et tout cela parce qu'il n'y a pas de roi. Telle est la parole qui revient quatre fois dans ce final des Juges et qui constitue sa leçon politique et morale :

« En ce temps-là, il n'y avait point de roi dans Israël mais chacun faisait tout ce qui lui plaisait. » 

Me lancerais-je dans un résumé lisible des événements ? Essayons.

Tout commence avec Michas d'Ephraïm qui, avec de l'argent volé à sa mère, se construit son idole avec culte et sanctuaire privés. À un Lévite qui passait par là, il lui demande s'il voudrait être le prêtre de ce sanctuaire, moyennant bon salaire. Celui-ci accepte.

Un peu plus tard, six cents hommes de la tribu de Dan, en quête de territoire, passent à Ephraïm, sont séduits par l'idole et son culte et obligent, moyennant meilleur salaire, le Lévite à les rejoindre dans leur conquête. Celui-ci emporte l'idole de Michas et les suit. Les Daniens arrivent à une ville qui ne leur paraît pas si mal, la détruisent avec ardeur et fondent la leur. De privée, l'idole est devenue publique. Dieu a donc bel et bien disparu du paysage et il n'est pas interdit de voir en cet épisode une sorte de meurtre de Celui-ci. Le Livre des Juges ou la mort de Dieu.

Dès lors, tout est possible et surtout le pire.

Ainsi de ce Lévite (pas le même, un autre) que sa femme quitte sans doute parce qu'il la prostitue – et même si cela n'est pas dit comme ça dans le texte et comme le suggère André Wénin, grand spécialiste du Livre des Juges (toujours savoir lire entre les lignes, c'est-à-dire toujours deviner la violence et l'horreur des non-dits). Conscient d'être un peu responsable de l'échec de leur mariage, le Lévite se rend chez son beau-père chez laquelle sa femme s'est réfugiée et tente une réconciliation avec elle. Le beau-père, pas clair non plus, retient son gendre une petite semaine afin de festoyer avec lui. Au bout de cinq jours d’agapes, le couple reprend la route. À mi-chemin de chez eux, ils s'arrêtent à la ville benjaminite de Gabaa et vont crécher chez un vieux taulier. Apprenant qu'il y a un nouveau couple en ville, tous les Orange mécanique de la région s'invitent à l'auberge exigeant que le vieillard leur livre le Lévite pour des jeux qu'on devine sodomites. Celui-ci leur rappelle que les lois de l'hospitalité sont sacrées et qu'il ne saurait livrer cet homme. En revanche, il ne voit pas d’inconvénient à livrer sa propre fille vierge ainsi que la femme du premier – « en compensation ». L'ayant entendu, le Lévite leur amène sa femme lui-même et la malheureuse est violée toute la nuit par toute la bande. Au matin, son mari la retrouve morte. Il l'emporte alors avec lui – et arrivé chez eux la découpe en plusieurs morceaux qu'il envoie aux onze tribus d'Israël afin que celles-ci se réunissent autour de lui pour se venger de la douzième, celle de ces fameux Benjaminites. Commence alors une guerre sans pitié entre les tribus coalisées (400 000 hommes) et les Benjaminites (26 000). Contre toute attente, ce sont les seconds qui l'emportent contre les premiers dans les deux premières batailles. Mais à la troisième, ce sont eux qui sont décimés, femmes et enfants compris – et avec une telle férocité qu'à la fin il ne reste plus que six cents hommes parmi eux.

 

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Devinant qu'ils ont un peu merdé en exterminant une de leur propre tribu, les coalisés cherchent alors à aider leurs « frères » benjaminites à se repeupler (très important, la reproduction dans la Bible depuis la Genèse). Mais comme faire puisqu'on a trucidé toutes leurs femmes ? Certes, les tribus victrices (ça se dit, paraît-il) pourraient donner quelques-unes des femmes à la tribu de Benjamin mais un serment que jamais une de leurs femmes n'épouse un des leurs les empêche de le faire.  Pour autant, un autre serment selon lequel la ville qui ne se serait pas jointe aux coalisés serait punie après la guerre résout le problème. On en trouve rapidement une qui est restée neutre pendant le conflit, on la taille en pièce ne gardant que les vierges qu'on ramène tout content aux Benjaminites. Sauf que ces derniers sont six cents, comme on l’a dit, et qu'on n’a que quatre cents filles. Qu'à cela ne tienne ! Il y a une Fête-Dieu pas très loin où des filles vierges dansent en l'honneur du Seigneur. Que les Benjaminites aillent en cueillir deux cents et le compte sera bon. Un peu hésitants, ces derniers finissent par trouver l’idée performante et vont procéder à l’enlèvement des Sabines. Après quoi, chacun retourne dans ses terres. Mais on sent bien que quelque chose ne va pas et ne peut durer : 

« En ce temps-là, il n'y avait point de roi dans Israël ; mais chacun faisait ce qui lui plaisait. »

 

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A SUIVRE : LE LIVRE DE RUTH

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