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Barbie contre Barbie

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Patrick Besson le disait un jour : les bons écrivains ne pensent pas, ils ont déjà suffisamment à écrire. C’est quand un écrivain se met à penser qu’il se met à dire des conneries et à ridiculiser son oeuvre. Ainsi Amélie Nothomb qui, pendant cette rentrée littéraire, déblatéra les plus immenses inepties que l’on ait entendues à propos de la télé réalité. La voilà qui découvrait la Star Ac et s’en offusquait comme la dame patronnesse qui a toujours pointé en elle et qui ressurgit de temps en temps. Qu’avait-elle besoin d’aller dire partout que ces émissions sont ignobles, honteuses, que ceux qui les regardent sont d’horribles voyeurs, que ceux qui les critiquent tout en les regardant sont des collabo infects, qu'elle au moins ne les regarde jamais - d’ailleurs c’est pour cela qu’elle écrit un livre dessus - qu’il faut boycotter tout ça et qu’"il est temps qu’une résistance se dresse comme en 1940. »[1]
Pauvre petite fille modèle qui découvre les jeux du peuple et qui s'étouffe qu'on ne savoure pas comme elle un lieder de Schubert ! car elle, l’écrivaine la plus douée et la plus populaire de sa génération ne comprend pas ce qu’il y a de plus populaire, en plus de ses livres, auprès des jeunes et moins jeunes gens qui la lisent, elle, voyez-vous, lectrice de Saint Jean, Nietzsche ou Mishima, trouve à redire de ce fameux « droit à la camelote » inhérente aux démocraties, qu'avait déjà stigmatisé Georges Steiner. Si au moins elle en comprenait le fonctionnement !

Un roman raté mais pas nul.

Sur ce point, tout le monde est d’accord, elle a raté son sujet. Le scandale, sinon le mystère de la télé-réalité, réside moins dans le « sadisme » des spectateurs qui regardent ces programmes et y participent en votant contre l’un ou l’autre des candidats, que dans le masochisme de ces derniers qui se sont portés volontaires. Que des gens s’engagent en masse dans ces émissions, prêts à souffrir tous les quolibets, voire tous les sévices, pour un quart d’heure ou un mois de célébrité ne manque pas d’être troublant. C’est la souffrance consentie, réclamée, vécue comme un effort glorieux, qui attise la curiosité du public – et qui interroge l’humanité. Si un jour l’on assassine en direct, ce ne seront pas de malheureuses victimes enlevées de force dans la nature, mais des candidats qui ont tout fait pour en être et qui sont très fiers de mourir devant des millions de fans.[2]
Or, dans Acide sulfurique, seuls les kapos sont volontaires et non leurs prisonniers. Ces derniers ont réellement été raflés et n’ont aucun désir d’être là. Du coup, la démonstration nothombienne retombe comme un soufflet et l’on se demande bien ce qu’elle va pouvoir nous raconter à la place. D’autant qu’à ce mauvais départ s’ajoute une omission de taille et qui est presqu’une erreur romanesque – à savoir qu’on ne nous dira jamais la raison qui fait qu’on a enlevés ceux-ci plutôt que ceux-là. Ses six mots d’explication, « être humain était le critère unique » ne suffisent pas. Dans un roman d’anticipation, la règle est de ne jamais négliger le « cadre juridique » de la situation. Quel est donc ce pays dont les lois permettent qu’on fasse un camp de concentration à audimat ? Mystère et boule de gommes.
Alors, que penser de ce quatorzième roman d’Amélie Nothomb ? Et bien… qu’un Nothomb reste un Nothomb[3] – c’est-à-dire une petite sotie bâclée mais qui délivre toujours une ou deux mini-fulgurances et agit sur nous comme un aphrodisiaque. Soyons honnêtes, nous qui sommes l’un des gardiens du culte, entre le pire et le meilleur de Nothomb, la différence n’est pas extrême. On retrouve dans cet Acide les mêmes ingrédients qui ont fait nos extases : attirance sado-lesbo entre une gentille et une méchante, nourriture rédemptrice, amour salvateur de la littérature, magie des noms, etc. (mais pas le mot « pneu » cette fois-ci). Certes, elle commence à bien faire, Amélie, avec son chocolat qui rend le moral, sa rhétorique de Mafalda, et sa manie de se prendre pour Dieu toutes les cinq minutes. En fait, c’est le choix du camp de concentration qui ne se prête guère à ces facéties et la font passer pour une ado attardée qui vient de lire Primo Lévi (Pietro Livi dans le roman !).

De la bêtise et de la méchanceté.

Qu’importe ! Nous l’aimons, nous la défendrons. Car, abstraction faite de tout ce qui fait de ce roman un objet inacceptable pour intellectuels, Acide sulfurique est bien moins nul qu’on ne l’a dit et s’il s’était passé dans sa cour de récréation habituelle, personne n’y aurait trouvé à redire.
Réussi le personnage de Zdena, la brutale kapo qui doute un peu de son intelligence et se demande depuis toujours "si elle avait des idées" et qui après avoir donné une interview grotesque à la télévision, est "épatée de ce qu'elle avait dit. Elle ne savait pas qu'elle pensait tant de choses." Pour qui s'intéresse à la bêtise, Nothomb, très flauberienne, continue de plus belle ses figures d'imbéciles triomphantes dont Antéchrista demeure le modèle achevé. La bêtise, ce n'est pas seulement un manque d’intelligence, c’est aussi un sapage d’intelligence. Chacun d’entre nous, du moins au Journal de la culture, a fait un jour la douloureuse expérience d’être intellectuellement mis au pied du mur par un sombre crétin. C’est que la force du crétin est de vous sortir, telle Fubuki dans Stupeur et tremblements, la réplique la plus superficielle, c’est-à-dire la plus bêtement littérale, qui prend à la lettre ce que vous avez dit et ignore scandaleusement le sens de ce que vous vouliez signifier. A sa manière, Nothomb illustre la fameuse phrase d’Adorno, que « le littéral, c’est le barbare ».
Face à elle, Pannonique est la sainte-martyr comme les aime Nothomb. Dans un monde (réel et littéraire) qui brille par sa médiocrité et son caractère "moyen", houellebecquien, une héroïne aussi pure, aussi parfaite, aussi invraisemblablement univoque que celle de Nothomb est un contraste absolu et ma foi hygiénique. C’est que Nothomb aime les prototypes, les jeunes filles farouches, les chevaliers servants, les Jeanne d'Arc fières, les Cauchon odieux, elle aime le Christ et Simon de Cyrène que voulez-vous ! Sa littérature est médiévale, édifiante, morale et de ce point de vue-là, Acide sulfurique est son livre le plus exemplaire. Zdena la SS contre Pannonique la belle vierge au cœur pur, c’est Juliette contre Justine, ou plutôt, dans leur cas, Barbie contre Barbie. Et avec rédemption finale puisque la gentille convertit la méchante sans même coucher avec.
Mais la grande trouvaille d’Acide sulfurique, c’est "ZHF 911", l’horrible vieille à la bouche plissée, du « pli caractéristique des lèvres mauvaises » - sans conteste le monstre le plus saisissant de toute l’œuvre nothombienne. N’ayant que mépris pour la vie humaine, la sienne comme celle des autres, cette fée Carabosse n’a aucun mal à en faire à ceux qui tentent de survivre, trouvant la vulnérabilité de chacun pour le blesser. "Ses nuisances n'étaient que verbales : elle était une preuve des puissances maléfiques du langage." La Parole corrompue, si ce n'est pas une thématique théologique, ça... Et un peu plus loin : « Si elle donnait une impression d'intelligence, c'était à cause de la méchanceté de ses réparties qui semaient les larmes et le désespoir. Il était terrible de se rendre compte que l'être le plus mauvais du paysage appartenait au camp des détenus et non pas au camp du mal. C'était logique : le diable est ce qui divise."
Du Bernanos en socquettes ? Et alors ? C’est encore ce que l’on peut dire de plus juste sur je le sujet. Et Nothomb (qui a précisément un diplôme de philologie sur Bernanos) n’est jamais plus à l’aise que dans les manifestations langagières du mal.
La vieille démoralise le jour, mais en plus hurle la nuit, empêchant tout le camp de dormir. "Pourquoi est-ce que je la hais davantage pour ses cris que pour les saloperies dont elle nous accable ? pourquoi suis-je incapable d'être juste ?" se demande Pannonique à bout. L'enfer, c'est ce qui vous oblige à ne même plus pouvoir être juste, c'est ce qui brise la loi morale en vous. Et ne plus être moral, c'est ne plus être humain. Non, non, très très forte cette ZHF 911 ! Décidément, la grand-mère détestée d'Amélie continue d'être sa grande inspiratrice...
Impossible enfin de passer sous silence la réplique du livre, celle de Pannonique clamant aux téléspectateurs leur complaisance : "Vous faites le mal en toute impunité ! ET MEME LE MAL, VOUS LE FAITES MAL !". Faire mal le mal, faire le mal sans le faire exprès, ou le faire sans sentir qu'on le fait, ou le faire à moitié - tels ces SS qu’observait Bruno Bettelheim quand il connut le camp et dont le manque d’imagination, l’absence de malice, le sadisme effectif et limité en même temps ne cessaient de l’étonner. Non, des abîmes, je vous dis...
Finalement, Zdena sauvera tout le monde en brandissant son bocal d'acide sulfurique qu'on nous décrit, o l'allusion politique !, comme "un liquide brun-rouge". Le message est passé, le mal, c’est le nazisme et le communisme, et ma foi, c’est toujours bon de le faire savoir, surtout à des lecteurs de quinze ans.

Et bien voilà, j’ai défendu le dernier livre d’Amélie Nothomb. On m’avait dit que c’était impossible.



[1] Interview dans le Figaro-magazine, 03 septembre 05

[2] John de Mol, le fameux président fondateur d'Endemol qui est à l’origine de toutes ces émissions, avait même dit un jour que s’ il créait une émission se passant dans un avion qui se crashe à la fin, avec dix passagers et neuf parachutes, il était sûr d’avoir des centaines de candidats potentiels qui se battraient aux entrées pour y participer.

[3]Alors que le fan ne reste pas toujours un fan et finit bien souvent par se lasser d’une œuvre dans laquelle il s’est investi outre mesure depuis le début et dont les ficelles commencent à lui peser. Il dit alors que son idole a changé, alors que c’est lui a changé et que c’est elle qui continue son bonhomme de chemin.

(Cet article est paru dans Le journal de la culture n°17)

 

 

PS : Il y a peu, le Transhumain avouait qu'il avait été amoureux d'Amélie Nothomb. Comme nous tous. Comme nous toutes (enfin "nous" - on se reconnaîtra....). Evidemment, il se rattrapait dare dare en ajoutant aussitôt, de peur de faillir à sa mission, qu'il ne pouvait adhérer au dernier opus de celle-ci. Pour un jedi de la résistance critique comme lui, c'eut été de la collaboration pure et simple. Dénué comme je suis de cet instinct de probité qui fait le statut des vrais critiques et prêt à manger à tous les rateliers tel l'opportuniste de base, je vous propose, en attendant mon prochain léchage de bottes de l'hygiéniste assassine l'année prochaine, une petite mise au point sur celle-ci.

Il y a deux sortes de lecteurs d'Amélie : ceux qui la traitent comme Bernanos et ceux qui la traitent comme... Bernanos. Les premiers l'adorent. Les seconds la conspuent. Les premiers disent qu'elle le vaut. Les seconds disent qu'elle ne le vaut pas et que c'est pour cela qu'elle est la honte de la littérature. Dans les deux cas, ils raisonnent par référence, les premiers par excès, les seconds par défaut. Dans les deux cas, ils sont à côté de la plaque. Ainsi de notre ami Olivier qui titra pompeusement "Amélie N ou la mort (du Verbe) est son métier" et dont l'argumentation tenait au fait que ne disposant pas du Verbe, Celui qui creuse les abîmes, abîme le néant et néantise les ténèbres, Amélie usurpait le droit de parler de la Shoah.

La belle affaire ! Pourquoi tout le monde n'aurait-il pas le droit de parler de la Shoah d'abord ? Il n'y a pas de sujet réservé en littérature que l'on sache. Rien que pour avoir osé franchir cet "interdit" et énervé les professionnels de l'indignation, elle a eu raison d'écrire ce livre. Et tant pis pour Arnaud Viviant et Jean-Louis Ezine qui au Masque et la Plume la traitèrent de "révisionniste" (!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!) D'autant que dans Acide sulfurique, la Shoah n'est pas évoquée en tant que telle - et si l'on y pense, ce n'est pas parce que Nothomb fait dans sa "banalisation" mais tout simplement parce nous ne pouvons qu'y penser. Auschwitz est devenue pour nous, si j'ose dire, plus qu'une réalité - une structure de pensée, un archétype mental, le paradigme historique et éternel du mal. Sauf qu'Acide sulfurique se veut moins "le livre de la mémoire" qu'un roman d'anticipation sur un jeu télé concentrationnaire. Ce n'est pas tant une énième réflexion sur le nazisme qu'une description futuriste assez banalement pessimiste du fonctionnement de nos démocraties.

Et puis, ils se trompent de hiérarchie, nos mystiques lettreux, ou plutôt ils font moins dans la hiérarchie que dans la sélection. On peut écouter Mozart et Cadet Rousel comme on peut lire Bernanos et Nothomb sans les mettre du tout au même niveau mais sans pour autant exclure le niveau mineur. Encore une fois, Amélie fait moins dans la "grande musique" que dans la variété. Seulement une variété qui donne envie de faire de la musique (ses livres donnent indéniablement à lire), et qui par bien des aspects vaut largement une certaine musique savante. Sur des thèmes aussi éculés que la belle et la bête, le double, la création littéraire, le récit d'enfant ou même l'autobiographie, un livre de Nothomb apporte toujours une surprise. Son monde, trash et précieux, se reconnaît entre mille - ce qui est la marque d'un auteur. Et l'on peut parier avec Jean-Edern Hallier que l'on la lira encore dans cent ans. Quel dommage que nos littérateurs n'aient que du mépris pour sa petite rengaine ! Ah leur exigence parménidienne de la littérature ! Au début, on se dit qu'on est content de voir enfin des défenseurs de la vraie parole. Sauf que sous leur plume celle-ci se transforme en impératif totalitaire. Plus royalistes que le roi, ils n'ont de cesse d'islamiser le verbe chrétien. Ils seraient de vrais Judas au fond - des chrétiens de choc qui voulant faire trop bien et trop vite finissent par galvauder leur cause.

Qu'importe ! Superficielle par profondeur, classique par autorité, légère par politesse, Améliea a su réélectrisé la littérature française. Ses livres ont un charme fou. Facile ? sans doute, mais o combien érogène ! Comme l'a dit Se7th dans un commentaire à la note du Transhumain, "cette fille a du génie, un génie tout à fait inégal, qui marche par fulgurances, qui n'est pas très contrôlé, mais qui est indiscutablement là. Peut être que Biographie de la faim est le seul de ses livres où cela transparait sans doutes possibles." On ne peut mieux dire.

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Commentaires

  • HELLO A TOUS. POUR DES RAISONS DE NON ENREGRISTREMENT DE DATE, J'AI DU RECOPIER-COLLER CE POST, PLUS VOS PREMIERS COMMENTAIRES QUI N'EN FONT PLUS QU'UN MAIS QUI SONT TOUS FIDELEMENT RESTITUES.

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    Comme d'habitude, Pierrot, tu déformes mes propos outrancièrement... Sur le choix du sujet, aussi casse-gueule soit-il, j'ai justement écrit le contraire de ce que tu me fais dire : l'idée de base, écrivais-je, "n’était pas plus stupide qu’une autre". Autrement dit, je prône, comme je l'ai toujours fait, la liberté totale de l'écrivain, et j'appuyais même le choix de l'auteur ! Le problème n'était donc pas dans le sujet lui-même, mais dans la faillite (la déroute) formelle. Je copie ici, avec ta permission, la conclusion de mon texte, vierge de toute ambiguïté :

    "Il y avait là, j’en suis sûr, une piste à creuser, en s’intéressant par exemple aux nouvelles soumissions, aux valeurs contemporaines susceptibles, par des voies détournées, d’aboutir à de pareils désastres – ce qu’ont fait, à leur manière, Maurice G. Dantec et Michel Houellebecq dans leurs derniers romans. Or Acide sulfurique, au style étrangement absent – et faible –, étréci par son obsession du sadisme des subalternes, est d’emblée contaminé, malgré lui, par la logique industrielle que son auteur prétend pourtant dénoncer. C’est à mon sens cet échec, rarement signalé, non la qualité intrinsèque du roman, non son postulat de départ, qui est impardonnable. George Orwell l’avait parfaitement compris, qui dans 1984, chef d’œuvre qui me hante et dont je décèle de passionnants échos dans Cosmos Incorporated, écrivait l’agonie d’une humanité dépossédée de ce qui la distinguait des machines."

    Tu peux parfaitement ne pas partager cet avis Montalte, mais ne feins pas, je te prie, de ne pas comprendre que ce que je reproche avant tout à cette merde est d'être vraiment médiocre. Ton propre papier me laisse d'ailleurs entendre que toi aussi, Montalte, tu l'as trouvé nul, ce bouquin, avec son héroïne au nom de club de foot grec, mais tu refuses de l'avouer. Erogène, Acide putride ?!? Plutôt crever, tiens. Et laisse donc Bernanos en paix, lui qui n'a rien à voir, de près ou de loin, avec la daube d'Amélie. On en reparlera quand elle aura écrit son Monsieur Ouine.

    Ecrit par : Transhumain | 15/12/2005

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    Ben.. c'est pas le propre des Transformables d'être transformés ?

    Ecrit par : Léthée | 15/12/2005

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    Je ne peux que rejoindre le Transhumain dans sa critique de ce livre. Quelque chose de précis me choque cependant dans la votre, Montalte:

    "Dans un roman d’anticipation, la règle est de ne jamais négliger le «cadre juridique» de la situation. Quel est donc ce pays dont les lois permettent qu’on fasse un camp de concentration à audimat ? Mystère et boule de gommes."

    Non.

    Je vous renvoie par exemple à "Enfer vertical en approche rapide" de S. Brussolo ou "Avance rapide" de Michaël Marshall Smith.

    C'est bien au contraire l'absence de "cadre juridique" qui, parfois, fait le sel d'un roman d'anticipation.

    Quand à fixer aussi arbitrairement les "règles" d'un genre littéraire...

    Ecrit par : un lecteur | 15/12/2005

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    Cher Olivier, à vrai dire, j'ai, dans mon post-scriptum, un peu mélangé les griefs contre Amélie. Je sais pertinemment que celui du "révisionnisme" n'était pas du tout de ton fait mais bien d'une critique bien pensante, politiquement coincée et qui voit du révisionnisme à tout bout de champ. Et ta conclusion est très claire. Non, ce que je voulais stigmatiser précisément dans tes propos était cette exigence un rien incongrue par rapport à ce que peut proposer tel ou tel écrivain - Amélie en l'occurrence, et qu'il me semble bizarre de dire d'une oeuvre qu'elle est une merde sous prétexte qu'elle ne vaut pas Shakespeare, bref, de lire le mineur à l'aune du majeur et de fait de ne plus rien comprendre. Un peu comme si tu disais "la BD c'est nul car Rembrand et Velasquez, c'est meilleur !" J'ajoute qu'il y a des majeurs qu'on peut chahuter (comme Bernanos par exemple) et des mineurs qu'on peut célébrer.
    Erogènes, oui, des romans d'Amélie le sont. Que veux-tu ? La rose qu'elle m'avait jetée, etc.
    Enfin, que je ne veuille avouer qu' Acide sulfurique est un roman plus faible que les autres sous prétexte que je suis un grand amoureux d'Amélie peut paraître complaisant et hypocrite - indigne d'une vraie critique ! Mais ce qui m'intéresse moi, c'est précisément d'exprimer cette ambivalence, ce conflit entre des valeurs supposées et des inclinations qui s'imposent malgré soi. Un papier clair et net m'amuse beaucoup moins qu'un papier louvoyant, qui tente de jouer sur les deux tableaux, qui oscille entre une déception non avouée et une proximité secrète, et qui, à mon sens, en dit beaucoup plus que la critique objective - que je ne pratique pas. Car c'est l'effet que fait un livre, la sensation qu'il provoque, qui me passionne bien plus que son statut. D'autant que je m'investis toujours dans ce que j'écris, dangeureusement même (ça me retombe parfois sur la gueule), et que j'ai même souvent peur de le publier sur mon blog ou dans le Jidécé, car je me dis "oh là là, à mes confusions volontaires, ils vont rajouter les leurs, involontaires." Mon style, si je peux avoir cette vanité, est de marcher en biais, en crabe, en cancer, d'essayer des choses dont je me demande ce qu'elles vont donner, d'envoyer des sorts que parfois je ne maîtrise pas et qui ont un effet boomerang, mais aussi celui d'une flèche qui manque rarement son but. C'est pour cela que j'écris. Bien ? Mal ? Peu importe. Ca, c'est un souci de critique. L'important est que je ne peux m'en passer et que depuis que je le fais, je sais ce que je peux être "une église, un quatuor ou la rivalité de François Ier et de Charles Quint" (comme l'autre dans son lit).

    A propos du cadre juridique, je voulais dire que dans le cas d'Acide, l'absence de celui-ci est pour le coup un manque réel. On ne comprend pas trop pourquoi ça se passe comme ça, et cette incompréhension n'ouvre pas sur des abîmes métaphysiques (comme sans doute ce qui se passe dans les livres que vous avez cités, ou même dans Kafka), mais bien sur une incohérence dramatique.

    Ecrit par : montalte | 15/12/2005

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    Ce qui m'a vraiment ennuyée dans ce livre, plus encore que le fait qu'il soit relativement mauvais ( tout du moins beaucoup moins nécessaire que certains de ses livres ont pu l'être), c'est le battage médiatique autour.

    C'était déjà assez de voir que mon Amour était capable de pensées aussi raz-du-plancher, alors voir un Beigbeider se trémousser d'aise à l'idée que Nothomb crée le scandale au lieu de Houellebecq, lire tous ces demeurés qui, n'ayant retennu que ce mot, Camps, ont piaillé en choeur Shoah, Shoah, Shoah, alors que non seulement ce n'était pas le sujet, mais surtout qu'ils n'ont fait que s'entre-alimenter dans leurs circularité idiote, sans même s'intéresser au bouquin, tout à leur joie d'une polémique dont ils ont pour leur propre plaisir inventé le parfum sulfureux.

    Ce livre n'est pas sulfureux. Heureusement, il contient tout de même bon nombre de merveilleuses petites saillies, que Montalte a pointées, mais globalement, malgré la réunion qui tient quasi de l'auto-plagiat de tous les éléments nothombiens, la mayonnaise ne prend pas.

    Ecrit par : Se7th | 15/12/2005

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  • C'est le "Dasein" qui m'intéresse chez Nothomb ! Car il y a "tombe" dans Nothomb ... c'est le "ça" profond !

  • La télé-réalité me fait penser aux jeux du cirque dans l'Antiquité plus qu'aux camps de concentration. Les spectateurs de ces jeux étaient appelés à voter à certains moments, pour épargner ou condamner un gladiateur. Les gladiateurs étaient volontaires pour une part, comme les candidats de la Star-Academy. Ce type de divertissement rencontre le succès quand la démocratie devient une coquille vide. Les spectateurs, frustrés que leur vote réel ne change rien au système politique, prennent leur revanche dans un simulacre de vote, qui doit décider de la vie ou de la mort d’un être humain. Dans sa version soft, il s’agit d’exclure ou de garder un candidat. Mais l’objectif est le même : donner l’illusion que le vote sert à quelque chose.

    Je n’ai pas lu le livre d’Amélie Nothomb mais en lisant ta critique, Montalte, on se rend compte qu’elle s’est plus intéressée aux candidats, victimes d’une monstrueuse barbarie, qu’aux téléspectateurs qui les regardent et décident de leur sort. En comparant, même indirectement, la télé-réalité à la Shoah, elle est plus dans le registre de l’indignation que dans celui de l’explication. Comme tu dis, on ne saura jamais la finalité d’un tel jeu dans ce roman, pour la raison qu’il s’agit de délivrer un message moral, comme l’a fait l’auteur quand elle a assuré la promotion de son livre sur les plateaux de télévision.

  • Tu veux encore du fromton, Sébastien, pour la route ? Enfin chapeau quand même, tu as bien vu ce qui se cachait sous l'abat-jour ! Un morceau de tartiflette ...

  • Je n'ai pas aimé Acide Sulfurique. C'est la première fois que je n'aime pas un Nothomb. Je n'aime pas non plus ses propos moralisateurs contre la TV réalité. Pourtant, l'idée de départ me semblait excellente.

  • Excellent article que le vôtre ! c'est avec un vif plaisir que je viens de le débusquer au hasard d'une googlerie et de le déguster surtout avec mon thé matinal !
    Même si Acide Sulfurique est loin d'être le plus remarquable de la "progéniture" littéraire d'Amélie Nothomb, elle n'en a pas moins traité le sujet avec son talent et les traits de génie qui la caractérisent.
    Quant à décréter qui a autorité pour parler ou même détourner tel ou tel fait, je trouve cela effectivement abhérant. S'ériger en autoriter bien pensante pour fustiger Amélie Nothomb de faire référence à certain fait ou réalité me semble vraiment bête ou mesquin. A ceux-là, j'ai envie de dire "écrivez comme elle, tentez d'atteindre ne serait-ce que le centième de son talent, et là vous aurez droit au chapître" !
    Quant à ce qui est de la comparer à Bernanos (en l'y associant ou en l'y opposant), cela me paraît extrêmement réducteur, dans un sens comme dans un autre. Chacun a sa plume, son génie, ses topoï et ses propres angles de perception ou d'approfondissement. Bien entendu l'on peut penser à nombre d'auteurs en lisant Amélie Nothomb (Mauriac, le Giono de la période sombre, etc. ... y compris Bernanos), mais pourquoi réduire à des comparaisons aussi simplistes et dénuées d'imagination de simples faits d'intertextualités (conscientes ou non) que l'on retrouve imanquablement chez tout bon auteur ? Il est vain et stérile de mesurer Bernanos et Nothomb, de même qu'il est vain de comparer Bach et Schoenberg, ou Praxitèle et Michel-Ange...

  • Amélie Nothomb est une sombre bouse. Illisible, en plus

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