Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

JEAN XXI - "Que t'importe ?"

résurrection,pierre,jean,que t'importe

La Terre tremble (Luchino Visconti, 1948)

 

Curieux chapitre que ce XXI ème, dont on a dit qu'il avait pu être rajouté, du reste, annoncé comme un appendice à l'Evangile et son dernier paragraphe lui-même présenté lui-même comme un « nouvel épilogue ». 

« Plusieurs interprètes voient dans l'emphase avec laquelle Jean est désigné (grec,  ce disciple-là que Jésus aimait) une preuve que l'Appendice n'a pas été écrit par l'apôtre lui-même », lit-on dans la Bible de Neuchatel. D'autres commentateurs estiment au contraire que c'est bien parce que Jean se définit tel, en toute intimité et humilité, qu'il est bien l'auteur de ce récit.

Peu importe au demeurant. Ce qui retient notre attention dans ce chapitre est la façon dont les disciples ne reconnaissent toujours pas le Christ même après que celui-ci leur soit apparu. Ou mieux – comment ils le reconnaissent à chaque fois comme si c'était la première.

Ainsi, ce matin de pêche.

 

résurrection,pierre,jean,que t'importe

 

 

« Au lever du jour

Ieschoua se tenait sur le rivage,

Les disciples ne voyaient pas que c'était Lui. »

 

Il faut qu'il leur conseille de tendre le filet à droite de la barque pour attraper les poissons pour que Jean, « le disciple que Ieschoua aimait » le reconnaisse brutalement : « c'est le Seigneur ! », le dise à Pétros, ce dernier se rhabillant en vitesse et plongeant pour arriver le premier à la plage et vérifier si c'est bien lui. 

Les autres arrivent peu après (avec leurs cent cinquante-trois poissons !), semblent se souvenir que c'est lui mais sans oser le lui demander.

 

« Ieschoua leur dit :

Venez et mangez.

Personne n'osait lui demander :

Qui es-tu ?

Ils savaient que c'était le Seigneur.

Ieschoua prit le pain et le leur donna,

de même avec le poisson.

C'était la troisième fois que Ieschoua

se montrait à ses disciples

depuis sa Résurrection des morts. »

 

Trois fois et ils ne percutent toujours pas, enveloppés qu'ils sont par « une curieuse étrangeté », et comme l'écrit Benoît XVI avec sa délicatesse habituelle. La Résurrection est tellement inconcevable qu’on l'oublie même après coup.

C'est qu'on ne reconnaît pas Jésus de l’extérieur – de par sa simple matérialité. Le doigt, la plaie, la bouffe, OK, mais ce n’est pas suffisant. On ne reconnaît Jésus que de l'intérieur. Son apparence compte moins que sa vérité. Cette vérité qui est une nouvelle réalité dont on n'a pas encore (et dont on n'aura en fait jamais) la catégorie mentale pour la comprendre définitivement.

ON NE CROIRA QUE PAR À-COUPS

Ce qui est à la fois inquiétant (l'oubli coupable) et enthousiasmant (les retrouvailles permanentes). Un peu comme lorsque l’on revoit l’être aimé et que l’on se sent, à chaque fois, défaillir de bonheur. La Résurrection comme Éternel Retour de la Révélation.

 

résurrection,pierre,jean,que t'importe

 

À la lettre, donc, le Christ ne cesse d’apparaître et de disparaître. « Leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent…Mais il avait disparu de devant eux. » (Luc, 24, 31). Distribution et rétraction de la Lumière. On ne le reconnaît pas quand Il est là, mais on le reconnaît dès qu’Il disparaît – ce qui est chrétien en diable, c'est-à-dire paradoxal. Christ est corporel mais non soumis aux lois de la corporéité. Vivant mais au-delà de la vie. Même et autre. La Résurrection comme choc de l'identité et de l'altérité, reconnaissance, oubli et reconnaissance nouvelle – et joyeuse. Nouveau mode d'existence. Nouvel existentialisme.

Et aux esprits forts qui arguent que tout cela est tout de même bien confus, vu les « contradictions » qui existent entre les quatre Évangiles, il faut répondre, comme Benoît, que ce sont précisément ces « contradictions », et pire ces maladresses dans le récit, qui prouvent la véracité du truc.

« Si on avait voulu inventer la Résurrection, écrit notre pape, toute l’insistance se serait portée sur la pleine corporéité, sur le fait d’être immédiatement reconnaissable et, en plus, on aurait peut-être imaginé un pouvoir particulier comme signe distinctif du Ressuscité. Mais dans les aspects contradictoires de ce qui est expérimenté, caractéristique de tous les textes, dans le mystérieux ensemble d’altérité et d’identité, se reflète un nouveau mode de rencontre, qui, d’un point de vue apologétique, semble plutôt déconcertant, mais qui justement pour cela se révèle avec d’autant plus de force comme une description authentique de l’expérience faite. » 

Et de rappeler les multiples théophanies de l’Ancien Testament (où Dieu apparaît à Abraham, Josué, Gédéon, Samson, etc.) qui annoncent celles du Fils auprès des Apôtres et qui ont en commun le fait qu’à chaque fois on commence par se demander à qui on a affaire. « Dans le langage mythologique se manifestent en même temps, d’une part, la proximité du Seigneur qui apparaît comme un homme et, d’autre part, son altérité grâce à laquelle il est en dehors des lois de la vie matérielle. »

La différence de taille qui existe cependant entre ces apparitions et celles de Jésus ressuscité est que dans les secondes, Jésus apparaît comme homme qui précisément a été soustrait à la mort. Qui a vaincu la mort. Et c’est là qu’il ne faut pas se leurrer sur le sens de la prière : Jésus ne revient pas du monde des morts comme s’Il était mort tel un pékin moyen. Il ne revient pas du monde des morts même s’Il y est descendu afin, justement, de libérer les morts. Si l’on voulait faire le « timing » de ses « 24 h chrono », soit ce qui se passe entre l’instant de sa mort et sa première apparition en tant que jardinier, temps qui « outrepasse l’humain », temps du « trasumanar » aurait écrit Dante, on pourrait dire qu’après avoir expiré, Il monte directement au ciel (comme l’annonce d’ailleurs Sa dernière parole sur la Croix : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit », Luc, 23, 46), se repose un instant (car tout de même…), embrasse sa mère qui le lui avait bien dit qu'il ne fallait pas jouer avec ses petits camarades, signe des autographes aux anges, prend sa douche de Saint Esprit, puis fonce aux Enfers, bénit tout le monde, annonce que tout va s’arranger, remonte aux cieux, met au point les dernières formalités avec le Père, puis s’en retourne sur terre, prenant l’apparence d’un jardinier et fait que Marie Madeleine a un orgasme cosmique en le reconnaissant. Bref, même s’Il est passé au royaume des morts, Il ne revient pas, proprement dit, de la mort. Bien au contraire, Il revient de la vie pure, de la vie divine, de l’essence de la vie, de cet Amour qui meut le soleil et les autres étoiles.

Suit le célèbre dialogue avec Pierre où par trois fois (qui correspondent aux trois reniements de Pierre) Jésus demande à celui-ci s'il l'aime – au risque de le mortifier. Mais enfin, il faut voir ce que celui-ci a dans le ventre si on a décidé que c'est lui qui paîtrait les agneaux.

On apprécie la triple réponse de Pierre :

 

« Seigneur, tu sais toute l'amitié que j'ai pour toi ». 

« Seigneur, tu sais bien toute l'amitié que j'ai pour toi. » 

« Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t'aime. »

 

Pierre suppose que Jésus sait qu'il l'aime. Mais en le présupposant, il tente aussi de se protéger lui-même. Car il connaît aussi ses faiblesses, ses volte-face son reniement. Il espère que son Seigneur le connaît mieux que lui. « Tu sais que je t'aime» est moins une affirmation de son amour pour lui, Jésus, qu'une confiance que ce dernier aurait en lui, Pierre. Pierre, au fond, compte sur l'omniscience de son Seigneur pour ne pas avoir trop à compter sur lui-même. Pierre s'en remet à Dieu de manière à la fois très authentique mais aussi préventive. Peut-être pressent-il que le rôle que Jésus lui assigne ne sera pas de tout repos.

Et en effet, Jésus a cette prédiction terrible :

 

« Amen, Amen, je te le dis

quand tu étais jeune

tu mettais toi-même ta ceinture

et tu allais où tu voulais.

Quand tu seras vieux

tu étendras les mains,

un autre te mettra ta ceinture

et te mènera où tu ne voudrais pas.

Ieschoua disait cela pour

signifier par quelle genre de mort

Petros devait glorifier Dieu. »

 

Là, il lui annonce bel et bien sa future crucifixion. Et c'est ce que sans doute Pierre avait pressenti – et peut-être même déjà au moment où il le renia.

Pierre est toujours le premier à suivre Jésus mais le premier à être aussi directement menacé. Et c'est quand il prend conscience de son destin qu'il recule – pour se rattraper ensuite. Dire qu'il est un lâche et un pleutre, c'est ne rien comprendre à son destin et à son extra-lucidité.

 

résurrection,pierre,jean,que t'importe,visconti,la terre tremble

 

Comme le destin de Jean semble plus doux à côté ! Et comme Pierre le perçoit de même. Certes, il n'en prend pas ombrage (quoique....) mais tout de même, il se demande pourquoi Jean et pourquoi lui, Pierre. Pourquoi tel destin et tel autre. Pourquoi ces choix du Seigneur. Et c'est là que Jésus a sa plus belle réplique :

 

« QUE T'IMPORTE ? »

 

Oui, que nous importent les destins plus heureux ou plus malheureux que les nôtres ? L'important, c'est d'aimer son sort, quel qu'il soit, d'en être digne. Sans se comparer. Il faut prendre ce passage très sérieusement. C'est le plus fort et le plus beau. Le plus pénétrant et le plus juste. La meilleure définition de soi jamais donnée. Et la seule « leçon de vie » valable – et de « droite », s'il en est.

Jamais Jésus n'est apparu aussi foncièrement anti-gauchiste, anti-égalitariste, anti-social, que dans ce passage.

 

« Pétros se retournant aperçut

marchant à leur suite le disciple

que Ieschoua aimait, celui qui

durant le repas s'était penché

vers sa poitrine et lui avait dit :

Seigneur, qui va te livrer ?

Le voyant, Petros dit à Ieschoua :

Et lui, Seigneur ?

Si je veux qu'il demeure

jusqu'à mon retour,

QUE T'IMPORTE ?

Toi, suis-moi. »

 

Oui, suis-le et sans te poser la question de savoir où vont les autres.  Seul ton chemin compte. L'enfer, le social, c'est quand on commence à se comparer, à s'envier, à se croire inférieur (ou supérieur), inégal.

Or, comme dit un sutra bouddhiste, cité par Emmanuel Carrère dans plusieurs de ses livres (dont Yoga, page 61) :

 

« L’HOMME QUI SE CROIT SUPÉRIEUR, INFÉRIEUR OU MÊME ÉGAL À UN AUTRE HOMME NE CONNAÎT PAS LA RÉALITÉ. »

 

Donc, que t'importe ?

Sois et suffis-toi.

 

Le reste...

 

 

À REPRENDRE – JEAN XX Epiphanies

À REPRENDRE DEPUIS LE DEBUT –  JEAN I Au commencement, le Verbe

 

Et aujourd'hui, mon blog a 19 ans.

 

résurrection,pierre,jean,que t'importe,visconti,la terre tremble

Lien permanent Catégories : Croire, Evangile de Jean Pin it! Imprimer

Écrire un commentaire

NB : Les commentaires de ce blog sont modérés.

Optionnel