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Emmanuel Carrère - Faire effraction dans le réel.

Tout va bien, Emmanuel Carrère va mal. On est en 2005, et il déprime sec. La crise existentielle la plus sévère de sa vie. Il a l’impression de ne pas être à la hauteur de son destin d’homme et d’écrivain, de mal aimer tout le monde, de se perdre dans le ricanement parisien et de n’être qu’un méchant raté doublé d’un horrible malchanceux à la Pete Best, le batteur oublié des Beatles. Il manque même de se suicider pour de bon – et c’est à ce moment-là, en retombant sur d’anciens carnets consacrés à l’Évangile, qu’il se rappelle avoir eu la foi. De 1990 à 1993, il se la joua en effet ultra-catho avec tout le ridicule possible mais aussi avec toute la profondeur dont lui, fils à maman, écrivain bientôt en vue et bobo douloureux, était alors capable. De ses anciennes notes, mélange de commentaires théologiques et de prières personnelles, est tirée la première partie, et disons-le tout de suite, la meilleure de ce gros livre, à la fois passionnant et indigeste, sincère au risque d’en être décevant, mais qui fait, ou veut faire, précisément, de la déception son enjeu ontologique : celui de quelqu’un qui s’est cru croyant. Entrons y pas à pas.

De l’avantage mondain de se proclamer chrétien

À l’auteur de L’Adversaire, la redécouverte de l’Évangile permet d’abord, et avec cette délectation masochiste dont de livre en livre il a fait sa spécialité, de « rabattre son caquet d’intellectuel porté à tout juger de haut ».

Car la foi sert d’abord à ça – à mater son intelligence, et notamment la sienne qualifiée ironiquement par lui-même de « redoutable » et qui lui a permis jusqu’ici d’avoir le désespoir avantageux et de mettre en échec toutes ses tentatives psy, mais aussi à dépasser son inconscient par la grâce, à redevenir, au moins pour quelque temps, humble et heureux. Et à se rendre compte que Dieu est peut-être plus présent dans « la plus tarte des saintes vierges en plâtre » vendues à Lourdes que dans une toile de Rembrandt ou de Piera della Francesca « qui sont à la portée du premier esthète venu ».

La suite, ici....

 

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