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PARMENIDE - La quadrature du cercle

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1 - Être du néant
 
Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien - et surtout, y a-t-il quelque chose du rien ? Y A-T-IL UN ÊTRE DU RIEN ? Y A-T-IL UN ÊTRE DU NON-ÊTRE ? C'est la question des question, celle sur laquelle se fonde toute notre métaphysique occidentale, toute notre théologie, toute notre anthropologie - et c'est Platon qui la pose dans le Parménide, son dialogue sans doute le plus difficile, impossible et à nul autre génial puisqu'il ne s'agit rien moins que de concevoir l'inconcevable, de penser la contradiction absolue. Mieux, de s'installer dans cette contradiction absolue et insoluble qu'est l'être du néant.
 
On se le rappelle (ou pas), Parménide, ce présocratique, avait posé l'Être comme ce qui est et le non-être comme ce qui n'est pas - proposition qui a l'air d'être ultra-simple comme ça mais qui est en fait ultra-compliquée. Car s'il n'y a que l'Être qui soit, s'il n'y a que de l'Être, comment reconnaître celui-ci ? Comment s'installer en lui ? Vous me direz qu'il suffit d'être et le tour est joué. Non, justement, le tour n'est pas joué parce qu'on ne l'a pas vu. Remplacez "Être" par "Dieu", "Vie" ou même "Jour" et constaterez aussitôt que s'il n'y a que du Dieu, de la Vie ou du Jour, vous ne saurez jamais ce que sont ce Dieu, cette Vie ou ce Jour. En revanche, s'il y a une alternance du jour et de la nuit, de la vie et de la mort et de dieu et du néant, là vous verrez déjà plus clair - et vous comprendrez ma démonstration. Même si le non-être n'est pas, il faut que celui-ci ait un peu d'être, une sorte d'être pour justement dire qu'il n'est pas. Il faut le voir, au moins le nommer, pour constater qu'il n'est pas là. L'être participe donc à sa manière (une manière qu'il faudra définir et ce n'est pas de la tarte) au non-être et tout comme le non-être participe à sa manière (et ce n'est pas du gâteau) à l'être - et cela en évitant la symétrie que cette phrase suppose. Car la symétrie, le pair, nous replonge dans les ténèbres de l'être seul. Pour sortir de celles-ci (de la caverne !), il faut un impair, un tiers, un dissymétrique. On pourrait dire que toute la philosophie depuis Platon est l'introduction de cet impair (par le Parménide), la fondation de cet impair (par Le Sophiste). Pour l'heure, restons-en au premier qui est déjà bien assez compliqué comme ça et reprenons-le dans son détail ou plutôt dans son ensemble car je ne suis pas de taille à comprendre le détail de cette aporie des apories dont le maître mot, en tous cas, est "participation". Quelle participation de l'être au non-être et du non-être à l'être ?
 
Comme dans le Théétète, le problème est dans le passage du logique (l'être est, donc le non-être n'est pas) à l'ontologique (l'être est mais il va falloir un non-être pour constater qu'il est - et s'il va falloir un non-être, il va falloir un être du non-être.) L'approche de l'être se fait donc à rebours de celui-ci, négativement si l'on peut dire - apophatiquement en le disant encore mieux. L'apophatique ou théologie négative, ma méthode préférée de tous les temps et qui a tant de mal chez les croyants carrés, droits dans leurs bottes et un peu imbéciles sur les bords. L'apophatique comme solution totale au problème de l'Être et de Dieu. Et ce que voit très bien le vénérable Emile Chambry dans sa préface au Parménide. Si l'on veut éviter le "scepticisme absolu" auquel aboutit ce dialogue, il faut faire dans l'aphophatisme de l'être.
 
L'APOPHATISME DE L'ÊTRE COMME EPIPHANIE DE CELUI-CI.
 
Il faut penser le non-être malgré lui, si l'on peut dire. Et pour commencer, admettre qu'il y a un être à tout, y compris aux "choses communes et viles comme le poil, la boue, la crasse." L'être commence dans le fumier, les chiottes, la raclure. Comme la source commence aussi dans la pisse et la fontaine dans l'urinoir.
 

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2 - Enter L'un-multiple

"Comment entends-tu ceci, Zénon, que, si les être sont multiples, il faut par là même qu'ils soient à la fois semblables et dissemblables, ce qui est assurément impossible, vu que les dissemblables ne peuvent être semblables, ni les semblables dissemblables ? N'est-ce pas cela que tu veux dire ?"

C'est en effet cela ce qu'il veut dire - que dans la multiplicité (la vie), tout se mélange, se partage, s'altère, se modifie. Tout participe à tout. Si Être il y a, il est contradictoire, contradiction, multiple et un, même et autre, en mouvement et figé, ici et là-bas. Toute la démonstration (infernale) du Parménide est de montrer que tout est et que tout n'est pas ou plus exactement qu'il y a du "n'est pas" dans "l'est" et du "l'est" dans le "n'est pas".
 
Alors certes, "quand vous dites, l'un, que tout est un, l'autre, que le multiple n'est pas, et que vous parlez tous les deux de manière à sembler ne rien dire de pareil, quoique vous disiez à peu près les mêmes choses, CE QUE VOUS DITES PARAÎT PASSER AU-DESSUS DE NOS TÊTES."
 
Et c'est vrai, le Parménide est le dialogue de Platon dans lequel on se perd le plus, où l'on a l'impression de faire du surplace (et quel intérêt de faire du surplace, dites-moi, alors qu'il y a des choses tellement plus vitales et urgentes à faire dans la vie ?), où tout converge vers un concept fou, impossible, pire que celui de la quadrature du cercle : L'UN-MULTIPLE.
 
"Tout est un par la participation de l'unité, et [ce] même tout est multiple par sa participation à la pluralité." Chacun d'entre nous, chaque être vivant, chaque concept participe de ces deux formes : un et multiple Et c'est ce que, "comme les chiennes de Laconie", nous reniflons sans comprendre. Le maître-mot de la pensée, de l'être, du réel, de la vie et peut-être même du divin, c'est "participation". Dieu s'humanise et divinise. Dieu meurt et ressuscite. Dieu multiplie et unifie. Tout lui échappe et rien ne lui échappe. Il est l'en soi de l'autre et l'autre de l'en soi. C'est très simple, finalement : il suffit de croire en Dieu, c'est-à-dire en la Croix - en la contradiction. Verticale/horizontale. Centre partout et circonférence nulle part. Et certitude qu'il y a un en soi de la merde. "Là où ça sent la merde, ça sent l'être". Antonin Artaud ! Anne Putiphar !
 
Socrate a longtemps hésité à admettre qu'il pouvait y avoir une forme "du poil, de la boue, de la saleté ou de tout autre chose insignifiante et sans valeur". C'est qu'il était encore jeune et qu'il n'allait pas au bout de ses idées - en plus d'avoir peut-être un peu peur de la philosophie. Sacré Socrate ! 
 
 

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3 - Comment l'être s'être
 
Les démonstrations-contradictions dès lors se multiplient : si l'un existe, il est en dehors de tout, donc de lui-même et donc n'est pas (il existe mais il n'est pas) ; si l'un est, il participe de l'être, du temps, de l'autre, et donc participe alors au tout (il est tout mais n'existe plus en tant que soi) ; s'il est à la fois un et multiple, alors il doit être aussi non-être pour pouvoir passer de l'un à l'autre (et ce passage sera l'instant), etc. etc. En fait, ce qu'il faut comprendre, c'est que dès que l'on définit l'être, on est obligé de le définir comme n'importe quel autre être, n'importe quel autre "autre", n'importe quel "étant" mais qu'en même temps, c'est impossible de le faire car l'un ne saurait être ni étant ni autre - et encore moins être un non-être. A la lettre ou "logiquement", le non-être n'a pas d'être mais "ontologiquement", il en a un. La métaphore religieuse peut nous éclairer : logiquement, Dieu n'est pas homme, mais ontologiquement, si. Dieu s'incarne comme l'être s'être ou comme l'un se multiplie.
 
Disons les choses encore autrement (je vous disais que ça allait être compliqué, et moi-même je ne suis pas sûr d'avoir compris et je tente de comprendre avec mes pauvres moyens) et cette fois-ci avec l'un car le problème est le même (et même si être et un ne sont pas mêmes : l'être serait une lettre, l'un serait un nombre. Mieux, l'être serait celui qui permet tous les êtres, l'un serait le chiffre qui permet tous les nombres.)
 
L'un n'est ni deux ni trois, mais deux est deux fois un, trois est trois fois un, autrement dit, un participe au deux, au trois et même à tous les nombres, sauf que lui n'est pas nombre même si sans lui les nombres ne seraient pas. Je pense que vous commencez à piger. Tout le problème est donc de savoir : à quel niveau ou de quelle manière l'un, qui n'est pas deux, est dans le deux comme l'être, qui n'est pas l'autre (ni le même), est dans l'autre (et le même).  Par la participation. Le passage. Le non-être. Le non-être est un passage qui permet de saisir l'un et l'autre, l'autre et le même, le jour et la nuit, l'homme et la femme, sinon l'homme par la femme et la femme par l'homme, soyons pauliniens. Il y a donc bien un être du non-être, cette absurdité au coeur de la pensée. Cette quadrature du cercle - et qui pourrait aussi se définir comme l'orgasme, ce truc absurde de notre être. Le non-être comme petite mort et le passage comme coup de foudre amoureux. C'est ma part de néant (de non-être) qui tombe amoureux de l'être de l'autre. Faire l'amour, c'est faire deux en un, non ?
 
 

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Twentynine Palms (Bruno Dumont, 2003)

 

4 - Formelles formes

Tout aurait donc un en-soi, un être, une essence divine - au moins formelle.

Mais alors, toute cette affaire ne serait-elle au fond qu'une question de forme ?

"Peut-être, Parménide, reprit Socrate, chacune de ces formes n'est qu'une pensée et ne saurait se former ailleurs que dans l'esprit."
 
Voilà qui change la donne : si l'un (ou l'être, ou le dieu) n'est qu'une pensée formelle ou qu'une construction de l'esprit, sa réalité se liquéfie. A moins, à moins... "que tout soit fait de pensées, et mieux, que tout pense" ? Extraordinaire révélation ! Tout n'est que pensée et tout pense (et le "n'est que" est en fait de de trop, la pensée n'étant pas quelque chose à laquelle on se réduit.) Non, est affirmée ici dans son état chimiquement pur la Forme platonicienne par excellence. L'Être est pensé et Pensée. L'Un est formel. La forme est une.
 
[J'avoue ne jamais trop savoir si Platon parle de l'Être ou de l'Un ?]
 
Alors, d'accord, admettons qu'il y a des Formes. Mais qui nous dit que ces Formes participent aux choses ? Après tout, "les dieux ne sont pas nos maîtres et ne connaissent pas les affaires humaines, tout dieux qu'ils sont." C'est le cas de le dire, Parménide est formel - et presque pré-épicurien : les dieux existent peut-être mais ne s'occupent en aucun cas de nous.
 
Tout de même, reprend Socrate, "n'est-ce pas un paradoxe un peu fort que d'ôter à Dieu le pouvoir de connaître ?"
 
Qu'est-ce qu'en effet que ces dieux qui ne nous connaitraient pas ? Que sont-ces ces Formes qui ne participeraient pas aux choses ? Pourquoi dès lors les penser ? Si le soi-même ne participe en rien à l'autre, alors pourquoi distinguer celui-ci de celui-là ? "C'est là une étude immense", concède Socrate à Parménide tout en lui demandant, avec Zénon, de s'y coller. Parménide cède : "Il me faudra traverser à la nage un rude et vaste océan de discours", prévient-il avant d'entamer le dialogue proprement dit. Car oui, ayez peur, tout cela n'était qu'une introduction à ce qui va suivre - et peut-être devrait-on s'arrêter là.
 
Non, bien sûr. Place aux Formes pures et à leur participation. 
 
 

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2001 (Stanley, 1968)

 

 

5 - L'un ou le dieu caché
 
En quoi consiste exactement la méthode de Parménide ? A distinguer les choses de la manière la plus imparablement logique qui soit pour dire ensuite que cette logique ne suffit pas (du moins tel que moi, je le comprends ou veux le comprendre.)
 
Exemple : si l'un doit être un (unique), il ne sera pas un tout car un tout a des parties et l'un, par définition, ne peut en avoir. S'il n'a donc pas de parties, il n'a n'a ni commencement ni fin (car seules les parties en ont), il est donc illimité et par conséquent nulle part (car seul ce qui a des parties est limité et se se situe quelque part - chaque partie ayant sa part, si l'on peut dire). L'un est donc hors du temps et de l'espace. Ne va (et ne reste) nulle part, n'altère rien ni personne et reste hors des autres... et de lui-même. Car le même ne fait pas non plus partie de sa nature. Si l'un possédait le même en lui-même (je fais ce contresens volontairement), il aurait en lui quelque chose qui se rapporte au même comme le même a quelque chose en lui qui se rapporte à l'autre (le même suppose ce qui n'est pas même, le même suppose l'autre - le même est le début de la relation, de la dialectique, peut-être même, m'aime ?, de l'amour). L'un ne peut se rapporter à quelque chose par le même - même pas à lui-même. L'un est condamné à être lui sans être lui-même. L'un, en fait, échappe à toutes les catégories qui le ramèneraient à quelque chose d'autre y compris à lui-même. L'un échappe à lui-même. Il n'est ni en repos ni en mouvement, ni égal ni inégal, ni ici ni là. Il ne participe à rien. Il n'est pas participable. Il ne participe même pas à l'être.
 
Mais quelque chose qui ne participe pas à l'être est-il encore ? Si l'un n'a pas un peu d'être en lui, il n'est pas. Mais s'il n'est pas, il ne peut être un. Vous voyez le truc ? La définition logique de l'un aboutit à la dissolution de celui-ci. D'ailleurs, dire "l'un" est déjà de trop - car l'un, pas plus qu'il n'est spatialisable, temporalisable, identifiable, n'est nommable. L'un est sans nom. L'un n'a ni être ni nom.
 
Sauf.... Sauf.... Sauf... Sauf que puisqu'on l'on en cause depuis une demi-page, l'un a quand même une sorte de nom (l'un) et une sorte d'être (au moins conceptuel), sinon on n'en parlerait pas, on ne saurait même pas qu'il est là (ou pas). L'un ne saurait être rien puisqu'il est dans la phrase. Autrement dit, il participe quelque peu, à sa manière, à la phrase, au mot, au verbe, à l'être. L'un est et se nomme au moins le temps qu'on l'écrive. Et s'il est, alors il participe peut-être à toutes les catégories de l'être. ET DES LORS, CA REPART DE L'AUTRE COTE. Ca reprend toutes les catégories - et comme si l'on passait de l'apophatique (ce que l'un n'est pas) à l'ontologique (ce qu'il est.) Et du coup, voilà notre un qui devient tout ce qu'il n'était pas tout à l'heure : nommable, identifiable, composable, décomposable, spatialisable, etc. - autrement dit multiple. L'un est multiple. L'un est calculable. L'un est non seulement ontologique (être) mais numérique (nombre.)
 
Cette nouvelle définition de l'un est tout aussi logique que la première mais on sent quand même que quelque chose ne va pas entre les deux et qu'il faudra choisir... ou pas. La logique implique qu'il faille prendre les deux - ce qui est illogique. Car on ne peut pas définir l'un comme d'une part tout ce qu'il n'est pas et d'autre part comme tout ce qu'il est. En fait, le problème de l'un devient celui de l'être... et du non-être. En essayant de définir l'un on s'est rendu compte que celui-ci relevait de l'être et du non-être.
 
Remplacez l'un par Dieu et vous comprendrez peut-être mieux. Dieu relève du visible et de l'invisible, de ce qui est et de ce qui n'est pas - de l'être et du néant, comme dirait l'autre. Du néant dont il tire l'être.
 
Il faut donc tenir l'un par les deux bouts. Là et pas là. Tout et rien. Visible et invisible - ou plus exactement présent et invisible, présent et caché. L'un ou le dieu caché.
 
Ce qui est remarquable dans cette affaire est que celle-ci se comprend finalement beaucoup mieux sur le plan théologique que sur le plan philosophique. Même si on n'est pas croyant, on admet tout à fait la définition de Dieu comme lieu de l'être et du non-être - soit celui qui fait surgir le premier du second. Fiat lux, etc. Alors qu'en philosophie, domaine de la raison s'il en est, cette idée d'être et de non-être est d'abord incompréhensible car illogique.
 
MAIS LA VIE, LA VRAIE VIE, EST ILLOGIQUE, BORDEL !!! C'EST CA QU'IL FAUT COMPRENDRE !!! SURTOUT POUR UN CROYANT, D'AILLEURS. IL Y A LA LOGIQUE ET IL Y A L'ONTOLOGIQUE. ET L'ONTOLOGIQUE EST UNE DIALECTIQUE. ET LA DIALECTIQUE EST TOUJOURS UNE AFFAIRE D'UN ET DE MULTIPLE. C'EST CA, L'INTUITION PREMIERE !! LE FIAT LUX !!! T'AS COMPRIS, CONNARD ??! [ça me prend des fois].
 

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6 -  L'en même temps de l'être
 
L'un est donc là et pas là. Ni en mouvement ni en repos et en mouvement et en repos. Egal et inégal. Tout et partie. Nommable et pas nommable. Identifiable et pas identifiable. Même et autre. Parménide est formel :
 
"Donc l'un, en tant que tout, est dans autre chose que lui ; mais en tant qu'il est la totalité des parties, il est en lui-même, et ainsi l'un est nécessairement en lui-même et en quelque chose d'autre."
 
"ET" et non pas "OU".
 
"ET" - le mot de la dialectique par excellence qui naît avec Platon, qui continue avec Hegel, et contre laquelle Kierkegaard va s'opposer dans Ou bien ou bien. Contre la dialectique de "l'un et l'autre" (le fameux "en même temps", comme dirait l'autre), la mystique de "l'un ou l'autre".
 
Pour penser une chose, il faut penser son contraire ou avec son contraire. Celui qui ne pense que tautologiquement (A=A), même s'il a raison, est sûr d'aller dans le mur face à celui qui lui rétorque que A égale sans doute A mais renvoie à B, qui égale lui-même B, mais renvoie à C, etc. Et là dessus, on peut dire, comme Clint Eastwood dans Le Bon, la brute et le truand, que le monde se divise en deux, ceux qui croient qu'il ne se divise pas et ceux qui croient qu'il se divise.
 
Mais revenons au macronisme de Parménide :
 
"Ainsi l'un, à ce qu'il paraît, est à la fois différent des autres et de lui-même, et identique à eux et à lui-même."
 
Même si l'on ne comprend rien, on comprend quand même que ces contradictions infernales ne sont là que pour montrer qu'en toute chose il y a de l'être et du non-être. C'est cette contradiction infernale qui rend l'un possible, et peut-être mieux que l'un, la vie, le divin - sinon le réel lui-même. Le réel comme un-multiple. Le réel où l'on voit à la fois double et un comme dans l'expérience de l'ivresse chère à Clément Rosset ("une fleur, je vous dis que c'est une fleur !").
 
La contradiction infernale de l'un avec lui-même, véritable QUADRATURE DU CERCLE de la pensée, mène à la nécessité que la même chose soit et ne soit pas. Que l'être cède la place au non-être et le non-être à l'être. [Je me demande si la notion de décréation de Simone Weil, par laquelle Dieu se décrée pour créer l'homme, ne serait pas d'origine parménidienne.] Seul ce croisé entre être et non-être permet d'échapper au gloubi-boulga de l'un.
 
Encore une fois, l'ontologique prend le pas sur la logique. Au contraire de la logique qui ferme l'un sur lui-même (et même s'il n'est pas lui-même, etc.), l'ontologique ouvre l'un sur les autres (alors qu'il n'est pas les autres, etc.), le fait participer aux choses. L'un participe nécessairement à ce qui n'est pas lui-même. Il y a bien contact entre lui et les autres et même entre lui et lui-même.
 
Il ne faut donc plus s'affoler quand on lit des choses comme :
 
« l'un est donc égal à lui-même et aux autres, et plus grand et plus petit que lui-même et que les autres ».
 
L'un est en balance continuelle entre l'égal et l'inégal, le grand et le petit, le plus vieux et le plus jeune, le plus et le moins, le même et l'autre. L'UN EST UN AUTRE COMME JE EST UN AUTRE. L'un est un "en-même temps". 

 

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7 - En instance de l'instant
 
"Si l'un est tel que nous l'avons exposé, c'est-à-dire un et multiple, ni un ni multiple et participant du temps, n'est-ce pas une nécessité que tantôt, parce qu'il est un, il participe de l'être, et que tantôt, parce qu'il n'est pas, il ne participe point de l'être ?"
 
En clair : lorsque l'un est, il participe de l'être ; lorsqu'il n'est pas, il participe du non-être. Pléonasme ? Sans doute - mais pas au sens initial du tout ou rien. Non, ici, on est plutôt dans le tout et le rien, l'être et le néant. Comme Parménide va le dire un peu plus loin et plus clairement, l'un s'assimile et se désassimile. S'insère et se retire. S'enveloppe et se désenveloppe. Va et vient entre l'être et le non-être - et peut-être entre le temps et "le non-temps" si une telle chose existe. L'un change instantanément. L'un est dans L'INSTANT. L'un est, pour le coup, kierkegaardien - et non-kierkegaardien puisque dans le "et" et non dans le "ou bien". Ah ! L'instant ! Que de crimes on commet en ton nom !
 
"L'instant ; car l'instant semble signifier quelque chose comme le point de départ d'un changement DANS LES DEUX DIRECTIONS. Ce n'est pas en effet de l'immobilité encore immobile que part le changement, ni du mouvement encore mû qu'il se produit ; mais il y a cette étrange entité de l'instant qui se place entre le mouvement et le repos, sans être dans aucun temps, et c'est là que vient et de là que part le changement, soit du mouvement au repos, soit du repos au mouvement."
 
C'est dans l'instant qu'a lieu le changement, rapide comme l'éclair, du non-être à l'être, du logique à l'ontologique, de l'illimité au limité - ou le contraire. C'est dans l'instant que tout est en même temps avant de repartir de tous les côtés. C'est dans l'instant que se rencontrent l'horizontal et le vertical. L'instant comme croisée des chemins. L'instant comme croix. Mais je kierkegaardise Platon. Alors qu'on peut aussi le "kantiser", c'est-à-dire le limiter.
 
"Ainsi les choses autres que l'un, et comme touts et comme parties, sont illimitées et participent de la limite."
 
L'un comme tout et partie. L'un comme multiple. Cette contradiction insoluble est pour autant ce sans quoi on ne saurait rien comprendre ni même être. Cette contradiction insoluble constitue l'intermédiaire entre toutes choses que constitue l'un (je répète les mots exprès). Et là, on est au coeur de la dialectique : l'unité implique la diversité, la diversité n'est rien sans unité (ça marche aussi avec identité et métissage), l'être n'est rien sans non-être.
 
Faisons-nous peur une dernière fois :
 
"La condition pour que ce qui est puisse le plus complètement exister, et ce qui n'est pas ne pas exister, c'est que ce qui est participe de l'existence de l'être étant et de la non-existence de l'être non-étant, s'il doit exister parfaitement, et que ce qui n'est pas participe de la non-existence du ne pas être non-étant et de l'être de l'être non-étant, si ce qui n'est pas doit à son tour être un parfait non-être."
 
À quoi Aristote (qui n'est pas l'Aristote qu'on connaît mais passons) répond comme vous : "C'est donc on ne peut plus vrai." Tu l’as dit, bouffi !
 
Parménide peut donc conclure :
 
"Donc, puisque ce qui est participe du non-être et ce qui n'est pas, de l'être, l'un aussi, puisqu'il n'est pas, doit nécessairement participer de l'être pour ne pas être."
 
Pour ne pas être (car il n'est pas tout le temps), l'un doit participer au non-être – ET POUR QU'IL Y AIT NON-ÊTRE IL FAUT QU'IL Y AIT ÊTRE DU NON-ÊTRE. Toute la pensée occidentale se joue là. Il y a un être du non-être. Il y a un être et un non-être de l'un et c'est par le second que nous avons découvert les deux autres.
 
Et cette découverte me semble bien plus importante que la conclusion apaisante du dialogue, à savoir que "rien n'est si l'un n'est pas". Certes, mais tout le travail de ce dialogue allait dans la construction ou l'appréhension de ce "n'est pas". La question de l'un était en fait un prétexte pour arriver à la question de l'être, donc du non-être, donc de l'être du non-être. Ce sera au Sophiste (et non au sophiste) de désembroussailler tout ça.
 
Et là, j'ai fini. Merci de votre attention.
 
 
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