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ROMÉO ET JULIETTE ou Les noms coupables

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1595 - Une histoire qui vient de loin. D'un autre Anglais, Arthur Brooke (1562), lui-même inspiré d'un Français, Pierre Boaitsuau (1559), qui aurait commis une Histoire de deux amants dont l'un mourut de venin et l'autre de tristesse, et, paraît-il, lourdement morale et punitive, accablant les deux amants - elle-même provenant d'une sombre et très violente histoire sous la plume d'un italien, Mathieu Bandello (1554) et qui nous ferait remonter jusqu’à Ovide et son Pyrame et Thisbé (1er siècle)Sans oublier Dante qui dans son Purgatoire au chant VI fait apparaître des Capuleti et Montecchi, familles rivales dans le cadre du conflit entre gibelins et guelfes, quoique sans histoire d'amour. 

De toutes ces versions, Shakespeare va donner la plus belle, exaltante, éternelle - car avant tout innocente. Roméo et Juliette sont en effet des innocents sur lesquels le hasard s'abat avec acharnement, sans aucune raison morale ni tragique. Car tout est gratuit dans ce qui arrive à ces jeunes jeunes gens qui au début ne s'en sortent pas si mal. Dès leur première rencontre, ils s'embrassent goulument. A la fin du second acte, se marient en secret. Alors certes, Roméo est banni pour avoir tué Tybalt mais comme le lui dit le frère Laurent dans un discours aussi fort que celui d'Antoine et qui renverse la situation, il n'a pas été condamné à mort, Juliette l'aime toujours et Mantoue n'est pas si loin de Vérone. Alors qu'il arrête de pleurnicher !

« Relève toi, l'homme ! Elle vit, ta Juliette, cette chère Juliette pour qui tu mourrais tout à l'heure, n'es-tu pas heureux ? Tybalt voulait t'égorger mais tu as tué Tybalt : n'es-tu pas heureux encore ? La loi qui te menaçait de la mort devient ton ami, échange la sentence en exil : n'es-tu pas heureux toujours ? Les bénédictions pleuvent sur ta tête, la fortune te courtise sous ses plus beaux atours, mais toi, maussade comme une fille mal élevée, tu fais la moue au bonheur et à l'amour. Prends garde, prends garde, c'est ainsi qu'on meurt misérable. »

Quant à Juliette, elle n'hésite pas une seconde à suivre le plan "résurrection" de ce même Laurent et à avaler sa drogue pour mourir quarante-deux heures.

Du reste, la drogue est un élément important de la pièce. On en parle tout le temps. Le frère Laurent est un herboriste plutôt trouble à la Séverus Rogue, maître des potion ; l'apothicaire vend des poisons mortels - et il est question de feuille de plantain dès le début. On peut même se demander si l'effervescence et la violence de ces jeunes gens ne sont pas liées à certaines substances - s'ils ne sont pas tous sous acide ou exta. Quoi d'étonnant dans un monde où l'amour est si souvent associé au philtre (Tristan toussa) ?

Non, tout aurait bien pu se terminer si la lettre était passée.  En arrivant trop tard, elle fait fait que Roméo arrive trop tôt au caveau de sa bien-aimée et avale son poison cinq minutes avant que celle-ci ne se réveille. Laurent arrive à ce moment-là, découvre le cadavre du garçon pendant que la fille se réveille dans ses bras. Il lui promet de la sauver, au moins, elle. Mais à cause d'un bruit suspect, il doit ressortir du caveau et donner le temps à celle-ci de se poignarder et de mourir à son tour sur le corps de son amant. On ne saurait imaginer contretemps plus tragique. Et d'autant plus tragique qu'il n'y avait rien de tragique en eux - sauf le nom, c'est vrai. Mais pour le reste, ils étaient purs, insouciants, divinement immatures et d'une ingratitude réjouissante. Et c'est cela qui les rendait si émouvants. Nul problème cornélien à résoudre, nulle névrose racinienne qui les rongeait..

Quand Juliette apprenait la mort de son cousin, elle n'en faisait pas un drame à la Chimène. Elle osait même dire qu'elle aurait préféré la mort de ses parents plutôt que le banissement de Roméo. 

« Ce seul mot banni a tué pour moi dix mille Tybalt. Que Tybalt mourût, c'était un malheur suffisant, se fût-il arrrêté là. (…) [Que] n'a-t- elle pas ajouté “ton père aussi“, ou “ta mère aussi“ ou même “ton père et ta mère aussi“ ? Cela m'aurait causé de tolérables angoisses. Mais à la suite de la mort de Tybalt, faire surgir cette arrière-garde : “Roméo est banni“. Prononcer seulement ces mots, c'est tuer, c'est faire mourir à la fois père mère, Tybalt, Roméo et Juliette. »

 Juliette était une punk de toute façon, aimant autant l'amour que la mort, et le sexe, petite mort s'il en est, ô combien ! parlant de tuer son amant à force de caresse (le supplice de la caresse !)

« Il fait presque jour. Je voudrais que tu fusses parti mais sans t'éloigner plus que l'oiseau familier d'une joueuse enfant : elle le laisse voleter un peu hors de sa main, pauvre prisonnier, embarrassé de liens, et vite elle le ramène en tirant le fil de soie, tant elle est tendrement jalouse de sa liberté. »

Et Roméo de répondre : « Je voudrais être ton oiseau. »

Alors, Juliette : « Ami, je le voudrais aussi ; MAIS JE TE TUERAI À FORCE DE CARESSES. »

Plus tard, elle appellera six fois de suite son Roméo d'un « come ! » qui, comme on sait, signifie autant « viens ! » que « jouis ! ». Sans parler de sa confusion entre « gentle night » (douce nuit)  et « genital knight » (chevalier génital). 

Du reste, sur ce point, pas de doute. Ils l'ont fait ! Comme on le devine au début de la scène 5 de l'acte III, "la chambre à coucher de Juliette", au matin.

« Veux-tu donc partir ? Le jour n'est pas proche encore : c'était le rossignol et non l'alouette dont la voix perçait ton oreille craintive. Toutes les nuits, il chante sur le grenadier, là-bas. Crois-moi, amour, c'était le rossignol. »

Encore des histoires d'oiseaux...

Juliette et le sexe. Juliette et la mort. Jusqu'au macabre.

« Oh ! Plutôt que d'épouser Pâris, dis-moi de m'élancer des créneaux de cette tour là-bas ou d'errer sur le chemin des bandits ; dis-moi de me glisser où rampent des serpents ; enchaîne moi avec des ours rugissants ; enferme moi la nuit dans un charnier sous un monceau d’os de morts qui s'entrechoquent, de moignons fétides et de crânes jaunes et décharnés ; dis-moi d'aller dans une fosse fraîche remuée, m'enfouir sous le linceul avec un mort ; ordonne-moi des choses dont le seul récit me faisait trembler. »

Et quand elle se retrouve seule dans sa chambre avec sa fiole et qu'elle sait qu'elle doit jouer « seule [son] horrible scène ». Et si le breuvage n’agissait pas ? Ou agissait trop ? Et si le moine voulait vraiment m'empoisonner pour cacher notre mariage ? Et si je me réveillais vivante dans sa tombe ? Comment je suffoquerais ! Comment je sentirais tous les os de mes ancêtres dans mes côtes ! Comment tous les mauvais esprits me tourmenteraient !

« Peut-être alors, insensée, voudrai-je jouer avec les squelettes de mes ancêtres, arracher de son linceul Tybalt mutilé, et, dans ce délire, saisissant l’os de quelque grand-parent comme une massue, en broyer ma cervelle désespérée !  »

Rien de tout cela n'arrivera mais son courage ne sera pas récompensé - et c'est cela qui indigne. En même temps, on est content pour eux. Ils sont allés jusqu'au bout de leur passion. Ils ont sublimé leur "pas de chance". Ils ont emmerdé tout le monde, viellards ridicules et brutes épaisses. Et c'est pourquoi ils restent un modèle d'amour héroïque (gothique ?)

 

[A part ça, on ne fera jamais mieux que la version BBC de 1978 - avec Alan Rickman, déjà impressionnant, dans le rôle de Tybalt.]

 

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Etonnante photo prise pendant le tournage de ce Shakespeare's BBC Romeo and Juliet d'anthologie avec Patrick Ryecart, Rebecca Saire et Alan Rickman - le genre de photo acteurs-amis (alors qu'ennemis dans la pièce) qui me touche beaucoup.

 

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Le Prologue (John Gielgud)

 

Acte I

 « Je mords mon pouce, monsieur ». Le doigt d'honneur de l'époque.

Les obscènités en rafales de Grégoire et Samson au début de la pièce et dont on pourrait faire une anthologie anti-woke. 

Tybalt, le violent. « Ce mot [paix], je le hais, comme je hais l’enfer ! » 

Le Prince outré : « Trois querelles civiles, nées d’une parole en l’air… ». Querelles dont, notons-le bien, on ne saura jamais les causes. 

Roméo le mélancolique qui « à force de soupirs ajoute des nuages aux nuages. »

Roméo éperdu d’amour et des dédains de celle qu’il aime, Rosaline, déjà une Capulet. Comme quoi, n'être attiré que par les femmes qui ne sont pas notre genre, notre clan, notre race - mais qui nous font rêver à mort, allez savoir pourquoi, et nous font nous ramasser devant elles. Sabotage amoureux, nous voilà !

Roméo oxymorique : « O amoureuse haine ! O tout créé de rien ! O lourde légèreté ! Vanité sérieuse ! Informe chaos de ravissantes visions ! Plume de plomb, lumineuse, fumée, feu glacé, santé maladive ! Sommeil toujours éveillé qui n'est pas ce qu'il est ! Voilà l'amour que je sens et je n'y sens pas d'amour... Tu ris, n'est-ce pas ? »

Juliette, 13 ½ ans.

La lettre d’invitation qui arrive par erreur dans les mains de Roméo – comme celle qui n’arrivera pas à temps à la fin.

La thématique du poison qui parcourt la pièce – « la feuille de plantain est excellente pour cela. »

La Nourrice effrayante : « parce que j’avais mis de l’absinthe au bout de mon sein » + la blague obscène : « quand tu auras plus d’esprit, tu tomberas sur le dos. » 

La nouvelle esthétique théâtrale selon Benvolio : « Ces harangues prolixes ne sont plus de mode. Nous n'aurons pas de Cupidon aux yeux bandés d'une écharpe portant un arc pain à la tartare, et faisant fuir les dames comme un épouvantail ; pas de prologue appris par cœur et mollement débité à l'aide d'un souffleur pour préparer notre entrée. Qu’ils nous estiment dans la mesure qui leur plaira ; nous leur danserons une mesure et nous partirons. »

Roméo baroque : « Sombre comme je suis, je veux porter la lumière. »

Mercutio encore plus : « Un masque sur un masque [son visage] ».

Mercutio et la reine Mab : « Oh ! Je vois bien, la reine Mab vous a fait visite. Elle est la fée accoucheuse et elle arrive, pas plus grande qu’une agate à l’index d’un alderman, traînée par un attelage de petits atomes à travers les nez des hommes qui gisent endormis. Les rayons des roues de son char sont faits de longues pattes de faucheux ; la capote, d’ailes de sauterelles ; les rênes, de la plus fine toile d’araignée ; les harnais, d’humides rayons de lune. Son fouet, fait d’un os de griffon, a pour corde un fil de la Vierge. Son cocher est un petit cousin en livrée grise, moins gros de moitié qu’une petite bête ronde tirée avec une épingle du doigt paresseux d’une servante. Son chariot est une noisette, vide, taillée par le menuisier écureuil ou par le vieux ciron, carrossier immémorial des fées. C’est dans cet apparat qu’elle galope de nuit en nuit à travers les cerveaux des amants qui alors rêvent d’amour sur les genoux des courtisans qui rêvent aussitôt de courtoisies, sur les doigts des gens de loi qui aussitôt rêvent d’honoraires, sur les lèvres des dames qui rêvent de baisers aussitôt ! Ces lèvres, Mab les crible souvent d’ampoules, irritée de ce que leur haleine est gâtée par quelque pommade. Tantôt elle galope sur le nez d’un solliciteur, et vite il rêve qu’il flaire une place ; tantôt elle vient avec la queue d’un cochon de la dîme chatouiller la narine d’un curé endormi, et vite il rêve d’un autre bénéfice ; tantôt elle passe sur le cou d’un soldat, et alors il rêve de gorges ennemies coupées, de brèches, d’embuscades, de lames espagnoles, de rasades profondes de cinq brasses, et puis de tambours battant à son oreille ; sur quoi il tressaille, s’éveille, et, ainsi alarmé, jure une prière ou deux, et se rendort. C’est cette même Mab qui, la nuit, tresse la crinière des chevaux et dans les poils emmêlés durcit ces nœuds magiques qu’on ne peut débrouiller sans encourir malheur. C’est la stryge qui, quand les filles sont couchées sur le dos, les étreint et les habitue à porter leur charge pour en faire des femmes à solide carrure. C’est elle… »

La scène domestique des valets : « Lui, soulever une assiette ! Lui, frotter une table ! Fi donc ! »

Shakespeare pas très woke : « Oh ! Elle apprend aux flambeaux à illuminer ! Sa beauté est suspendue à la face de la nuit comme un riche joyau à l'oreille d'une Ethiopienne ! ».

Capulet complaisant avec le fils de son ennemi quand il sait que celui-ci est de la fête.

Le baiser-prière entre les deux amants.

Juliette prophétesse : « Mon cercueil pourrait être bien mon lit nuptial ».

Juliette spirituelle : 

La Nourrice : « Que dites-vous ? Que dites-vous ? »

Juliette : « Une strophe que vient de m’apprendre un de mes danseurs. » (réplique fabuleuse, je trouve.)

 

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Juliette (Rebecca Saire)

 

Acte II 

Mercutio platonicien : « quand le roi Cophetua s’éprit de la mendiante. » 

Juliette, ciel étoilé de Roméo et fantasme à la Woody Allen (qui rêvait d'être le collant d'Ursula Andress) : « Deux des plus belles étoiles du ciel, ayant affaire ailleurs, adjurent ses yeux de vouloir bien resplendir dans leur sphère jusqu'à ce qu'elles reviennent. Ah ! Si les étoiles se substituaient à ses yeux, en même temps que ses yeux aux étoiles, le seul éclat de ses joues ferait pâlir la clarté des astres, comme le grand jour une lampe ; et ses yeux, du haut du ciel, darderaient une telle lumière à travers les régions aériennes que les oiseaux chanteraient, croyant que la nuit n’est plus. Voyez comme elle appuie sa joue sur sa main ! OH ! QUE NE SUIS-JE LE GANT DE CETTE MAIN ! » 

Juliette nominaliste : « Ton nom seul est mon ennemi. Tu n'es pas un Montague, tu es toi-même. Qu'est-ce qu'un Montague ? Ce n'est ni une main, ni un pied, ni un bras, ni un visage, ni rien qui fasse partie d'un homme… Oh ! Sois quelque autre nom ! Qu’y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sur notre nom. Ainsi, quand Roméo ne s'appellerait plus Roméo, il conserverait encore les chères perfections qu'il possède… Roméo, renonce à ton nom ; et à la place de ce nom qui ne fait pas partie de toi, prends-moi tout entière. »

[Le nominalisme, rappelons-le, est cette "doctrine philosophique qui considère que les concepts et les noms qui s'y rapportent ne sont que constructions de l'esprit et conventions de langage. Les choses et les idées ne sont pas intrinsèquement porteuses des concepts par lesquels nous les appréhendons" (Wikipédia). En clair, les mots ne sont pas les choses. Il n'y a pas d'essence poétique du réel comme réaliste du langage. Cratyle et Heidegger se plantent et on est très mécontent car on aurait voulu y croire.]

 

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Le nom et l’amour, selon Daniel Sibony

« Qu'est-ce qu'une origine si on est tenu d'y rester ? Un départ en forme d'arrivée ? Un chiffre qui empêche de compter la suite, de compter ensuite ? »

L'origine comme ce qui empêche le l'altérité, l'amour, la vie. L'origine que l'on se jette à la gueule, soit comme dette, entre parents et enfants ("tu nous dois la vie !"), soit comme insulte sociale ou raciale, entre conjoints ou amis.

En réalité, l'amour est toujours hors-nom.

Roméo et Juliette ou les noms coupables.

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Juliette troublée : « Ah ! Je voudrais rester dans les convenances ; je voudrais nier ce que j’ai dit. »

Roméo, écolier : « L’amour court vers l’amour comme l’écolier hors de la classe ; mais il s’en éloigne avec l’air accablé de l’enfant qui rentre à l’école. »

Laurence, le moine herboriste, maître des potions… et des paradoxes. « Avant que le soleil, de son regard de flamme, ait ranimé le jour et séché la moite rosée de la nuit, il faut que je remplisse cette cage d'osier, de plantes pernicieuses et de fleurs au suc précieux. (…) Oh ! Combien efficace est la grâce qui réside dans les herbes, dans les plantes, dans les pierres et dans leurs qualités intimes ! Il n'est rien sur la terre de si humble qui ne rendent à la terre un service spécial ; il n'est rien non plus de si bon qui, détourné de son légitime usage, ne devienne rebelle à son origine et ne tombe dans l'abus. La vertu même devient vice étant mal appliquée, et le vice est parfois ennobli par l'action. »

Il accepte de marier Roméo et Juliette pour raison d’état.

Mercutio gay : « Je vais te mordre l’oreille pour cette plaisanterie-là. » Puis « avec un pouce d’ampleur on en fait long comme une verge. » Puis « l’index libertin du cadran est en érection sur midi. »

Roméo blasphémateur : « [je suis] un mortel que Dieu créa pour se faire injure à lui-même. »

Juliette rhétorique : « Comment peux-tu être hors d’haleine quand il te reste assez d’haleine pour me dire tu es hors d’haleine ? L’excuse que tu donnes à tant de délais est plus longue à dire que le récit que tu t’excuses de différer. »

 

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Acte III

Lascars en ville, Mercutio et Benvolio.

Mercutio querellologue : « S’il existait deux êtres comme toi, nous n’en aurions bientôt plus qu’un seul, car l'un tuerait l'autre. Toi ! Mais tu te querelleras avec un homme qui aura au menton un poil de plus ou de moins que toi ! Tu te querelleras avec un homme qui fera craquer des noix par cette unique raison que tu as l'œil couleur noisette : il faut des yeux comme les tiens pour découvrir là un grief ! Ta tête est pleine de querelles comme l'œuf est plein du poussin ; ce qui ne l'empêche pas d'être vide, comme l'œuf cassé à force d'avoir été battu à chaque querelle. Tu t'es querellé avec un homme qui toussait dans la rue parce qu'il avait réveillé ton chien endormi au soleil. Un jour, n'as-tu pas cherché noise à un tailleur parce qu'il portait un pourpoint neuf avant Pâques, et à un autre parce qu'il attachait ses souliers neufs avec un vieux ruban ? Et c'est toi qui me fais un serment contre les querelles ? »

Juliette désirante et mortifère : «  Et que Roméo bondisse dans mes bras, ignoré, inaperçu ! Pour accomplir leurs amoureux devoirs, les amants y voient assez à la seule lueur de leur beauté ; et si l'amour est aveugle, il s'accorde d'autant mieux avec la nuit... Viens, nuit solennelle, matrone au sobre vêtement noir, apprends-moi à perdre, en la gagnant, cette partie qui aura pour enjeux deux virginité sans tâche ; cache le sang hagard qui se débat dans mes joues, avec ton noir chaperon, jusqu'à ce que le timide amour, devenu plus hardi, ne voit plus que chasteté dans l'acte de l'amour (…) Et quand il sera mort, sera mort, prends-le et coupe-le en petites étoiles, et il rendra la face du ciel si splendide que tout l'univers sera amoureux de la nuit et refusera à son culte à l'aveuglant soleil.… »

Roméo qui voulant s'interposer entre Tybalt et Mercutio est à l'origine de la mort de ce dernier.

 

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Juliette pas très Chimène (quand elle apprend la mort de Tybalt, puis le bannissement de Roméo auquel elle aurait préféré la mort de ses parents !) : « Ce seul mot banni a tué pour moi dix mille Tybalt. Que Tybalt mourût, c'était un malheur suffisant, se fût-il arrrêté là. (…) [Que] n'a-t- elle pas ajouté “ton père aussi“, ou “ta mère aussi“ ou même “ton père et ta mère aussi“ ? Cela m'aurait causé de tolérables angoisses. Mais à la suite de la mort de Tybalt, faire surgir cette arrière-garde : “Roméo est banni“. Prononcer seulement ces mots, c'est tuer, c'est faire mourir à la fois père mère, Tybalt, Roméo et Juliette. »

Laurence, consolateur cosmique : « prends courage ; le monde est grand et vaste. » + « Je vais te donner une armure à l’épreuve de ce mot. »

Aussi fort que le discours d’Antoine. Laurence renverse la situation : tu as tout, la vie, la liberté, Juliette et tu veux tout briser sous prétexte de bannissement ! « Relève toi, l'homme ! Elle vit, ta Juliette, cette chère Juliette pour qui tu mourrais tout à l'heure, n'es-tu pas heureux ? Tybalt voulait t'égorger mais tu as tué Tybalt : n'es-tu pas heureux encore ? La loi qui te menaçait de la mort devient ton ami, échange la sentence en exil : n'es-tu pas heureux toujours ? Les bénédictions pleuvent sur ta tête, la fortune te courtise sous ses plus beaux atours, mais toi, maussade comme une fille mal élevée, tu fais la moue au bonheur et à l'amour. Prends garde, prends garde, c'est ainsi qu'on meurt misérable. »

Dans la chambre à coucher de Juliette au matin (début de la scène V) : ILS L’ONT FAIT !

Roméo, optimiste : « Et toutes ces douleurs feront le doux entretien de nos moments à venir. »

Les lapsus (ou désirs secrets) de Juliette avec sa mère à propos de Roméo – qu’elle voudrait qu’il soit dans ses bras… pour le torturer.

La scène avec le père. « Salope ! »

Juliette, rompant avec la nourrice : « Va-t’en, conseillère ; entre toi et mon cœur, il y a désormais rupture. »

On n'imagine pas un Roméo et Juliette français.

 

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Acte IV 

Juliette ontologique et déterminée : « Ce qui doit être sera. »

Le plan occulte « résurrection » du curé. Le faux suicide calculé. « Si tu as l’énergie de vouloir te tuer ».

Le problème de la date. « C’est demain mercredi ». Autrement dit, ils sont à mardi. Et c’est donc jeudi que doit avoir lieu le mariage avec Paris. Pourtant, rentrée chez elle, Juliette apprend que celui-ci aura lieu le lendemain, mercredi. À moins qu’ils ne soient déjà à mercredi et que l’on parle de jeudi.

Juliette face à elle-même dans un monologue hamlétien : « Il faut que je joue seule mon horrible scène ». Et si le breuvage n’agissait pas ? ou agissait trop ? Et si le moine voulait vraiment m’empoisonner pour cacher notre mariage ? Et si je me réveillais dans la tombe ?

 

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Le (très grand) Michael Hordern (Capulet).

 

Acte V 

La lettre qui n’arrive pas à cause d’une épidémie de peste.

L’apothicaire ruiné. L’argent, vrai poison de l’humanité.

Roméo qui se tue avant que Juliette ne se réveille.

« Car jamais aventure ne fut plus douloureuse que celle de Juliette et de son Roméo ». On aime cette réplique finale où c'est Juliette qui est désignée comme le premier personnage de la pièce et où Roméo apparait comme son objet. 

 

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