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Marie Noël, ma soeur I

 Tomber amoureux d'un livre pour une phrase.

Ma nouvelle Simone Weil, je crois.

Une Dante en jupon.

 

Marie Noël Notes intimes.jpg

 

 

1 - Mal endogène

« En vous, le mal est endogène », me disait un jour Gabriel Cloutier non sans raison. Mon catholicisme (si catholicisme il y a encore) a toujours été existentialiste, c'est-à-dire engagé directement dans mes contradictions, mes insuffisances, mes manques, mon immaturité, ma souffrance lamentable de mec velléitaire qu'il a fallu extirper du ventre de sa mère aux forceps (c'est dire si j'étais motivé !). Je ne suis pas doué pour la vie, l'amour, la foi - et peut-être même l'écriture. Mais il faut faire avec ce que l'on a ou pas et se consoler avec la phrase de Pascal qui disait qu'il n'approuvait que ceux qui cherchent en gémissant. Alors gémissons et survivons.

  Il est vrai que mille choses me rebutent dans cette religion aberrante si contraire à ma nature vicieuse, perversive, lâche, compliquée.  La « Loi de Dieu » m’horripile, la « justice du Christ » me donne envie de faire un massacre. Jésus lui-même parfois me dégoûte. Enfant, il me faisait peur. Je l’insultais dans mon lit et je croyais que j’allais aller en enfer – j’étais déjà possédé. Mon père me rassura un soir – une des belles et bonnes choses qu’il ait faites avec moi.

 Pourtant, Dieu m’a sauvé et je ne pourrai jamais oublier ça.  En mars 96, j'avais 26 ans, j'allais très mal et j'ai tenté un soir, ivre mort, de faire le grand jeu du rasoir. Grâce à Dieu, je me suis à peine égratiné. Mais le lendemain de cette piteuse affaire, j’ai eu le besoin d’aller me confesser à Saint-Léon, là où j’avais été baptisé en 1970. La première fois de ma vie de soi-disant adulte où je me rendais de moi-même devant un prêtre. Le vendredi de la semaine, j’allais à l’office du bois (parce qu’on était en pleine semaine sainte, si ce n’était pas un signe, bordel de Dieu !) et le dimanche, j’assistais à la messe de Pâques. Là aussi, premières Pâques de ma vie d’adulte. Le soir, je craquais de joie. J’avais retrouvé Dieu, son putain d’amour et sa chier d’espérance. J’étais réconcilié. JE CROYAIS EN SON AMOUR DE MERDE.  Tout mon esprit changea - même si ma vie resta plus ou moins la même.  On ne change pas comme ça. Le corps restait obèse et impotent mais l'âme allait mieux. Dieu m’avait sauvé de moi-même. Et cela, je le lui redevrai à vie, le Con !

Et aujourd’hui (en fait l'an dernier à la même époque), je découvre Marie Noël, ma nouvelle amie. Ma sœur de foi. Une Simone Weil vivable. Et qui pose "mes" questions à la lettre. Comment supporter Dieu ? l’enfer ? le mal ? Comment réformer sa vie ? Comment être sauvé ?

« Aux âmes troublées, leur sœur », écrit-elle. Coucou, me voilà !

« Vous revenez d’un grand voyage, lui disait l’abbé Mugnier. Vous êtes allée en Enfer. D’autres, plus nombreux que vous ne croyez, s’y débattent encore. Vos notes de route les aideront. »

 Oui !

A moi, le croyant pessimiste, l’espérant désespéré, le chrétien antichrétien, l’appelé mortifié, le baptisé « qui a mûri dans le mauvais arbre », privé de « la rosée du cœur » (et de la chair des femmes), le tiraillé entre les deux étendards - ces Notes intimes, chaînon manquant entre les Pensées de Pascal et La pesanteur et la Grâce de Simone Weil.

Dieu – j’y crois mais je n’y arrive pas.

Comme avec le sexe.

Je suis comme un personnage de Tchékhov qui attend que ça se passe.

Je regarde Dieu, sans le vivre vraiment. Mais je ne sais pas vivre.

Mais j’aime sa présence, sa puissance, sa prégnance.

J’aime qu’il soit là, même si moi pas.

« Soit cet homme croit avoir péché et il est pour vous, soit il ne peut pas et il est pour moi », dit le psy au curé dans un dessin génial de Sempé. Moi, c’est les deux. Je crois avoir péché et je ne peux pas pécher - mais l'intention est bien là.

Surtout en mars, anniversaire de ma reconversion de 96, et mois le plus violent de l'année où je tente de me purger de mes démons - toujours en vain.

Une manière de vivre le Golgotha à mon "niveau".

« Pourquoi, Seigneur, m’avez-vous mis en opposition avec vous ? », demande Job, VII 20, cité en exergue des Notes.

Il n’y a que des doutes,  des scrupules, des reniements, des angoisses, des rechutes. Mais tant pis, il ne faut jamais renoncer – même si on reste toujours au seuil (comme K.)

 Le fiasco fait partie de la foi. On retombe toujours. On se relève quelques minutes, quelques jours, c'est déjà ça. 

Cette Dante en jupon de Marie Noël m'aidera, m'aide déjà.

 

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08 février 2018, 19h44, au Suffren

 

2 - Ciguë

 "L'AME

Seigneur ! Seigneur ! que pensez-Vous de mes chansons ?

J'ai bien peur qu'elles ne soient proches parentes des péchés.

Elles devraient être en moi, louange à Vous, prières, cantiques, mais non ! il ne me vient en tête que des chimères, des folies, des amours sans nom ni figure, des tendresses sans feu ni lieu, des idées sans maître qui font l'école buissonnière, des jeux, des bonds désordonnés, des cabrioles, des chants qui ne se soucient ni de Vous, ni du Paradis, toute une danse de jeunes démons qui n'ont pas encore l'âge de raison.

Ils n'ont pas fait de mal jusqu'ici mais peut-être Vous offensent-ils par leur liberté, comme je Vous offense moi-même en jouant et chantant à ma fantaisie.

 LE SEIGNEUR

Moi aussi, j'ai joué en créant. Et le monde est beau de ma fantaisie. Je ne me suis pas réduit, par vertu, à la candeur des fleurs blanches. J'en ai semé sur la terre de toutes les couleurs. J'aurais pu me contenter des bonnes fleurs honnêtes, la camomille, la bourrache, la sauge, la mauve, la fleur de tilleul, le mille-pertuis, toute la confrérie des plantes salutaires en qui tout le monde a confiance, mais j'ai inventé aussi la digitale, l'aconit, la ciguë, l'ellébore, la stramoine, la mandragore, les champignons vénéneux, toute la bande des plantes malignes qui n'ont pas bonne renommée.

Pourtant, elles ont, elles aussi, leur bien à faire que je leur ai confié en secret, qu'elles recèlent en cachette et que les mages, les savants - j'aime leur préparer des surprises - découvriront en cherchant bien.

Simplement je dis à l'homme : N'y goûte pas sans conseil. Mais aux bêtes, je ne dis rien. Elles sont plus près de moi. Elles savent."  (Notes intimes, pages 15 et 16)

Voilà. Tout est bon dans la création. Même le champignon vénéneux, même la mauvaise herbe, même le serpent - créatures de Dieu comme les autres. "Le mal" est un autre sorte de bien - ou qui le provoque par réaction. Le mal qui sert le bien. La ciguë qui révèle la vérité. La souffrance qui provoque le moi.

 

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3 - Un blasphème pieux de Marie Noël

"Deux principes contradictoires.

Un seul bien - l'Amour.

Un seul bien - l'Orgueil.

L'Amour, celui que nous appelons Dieu.

L'Orgueil, celui que nous appelons Lucifer, le Prince du Monde, la Puissance des Ténèbres... Puissance - Prince - Force - Lumière noire.

L'Amour - l'Etre qui donne, qui se donne, ne s'enrichit qu'en donnant pour donner toujours davantage.

L'Orgueil - l'Etre qui en convoite, prend et détruit tout autour de lui s'accroître - soi seul.

Le Ciel - ou l'Enfer - n'est pas un lieu mais un état d'âme.

Le Ciel : l'Amour qui continue. Eternel.

L'Enfer : l'Orgueil qui continue. Eternel.

Par l'Amour et par l'Orgueil, le Ciel et l'Enfer sont Ciel et Enfer dès ce monde où chaque âme choisit et édifie sa béatitude ou sa damnation.

La Mort arrête l'édifice. Le Jugement enregistre le choix.

Dieu n'y peut rien.

Et pourtant, il faut que Dieu puisse, s'Il veut rester Un, il faut que Dieu veuille gagner sa guerre éternelle et ramène au Royaume d'Amour tous Anges et toutes âmes, hors de l'Orgueil anéanti."  (p 26)

Au début, cela commence de manière un peu normative, manichéenne, désespérante. Après, cela semble se terminer comme prévu, dans la morale de la responsabilité, le soi-disant libre arbitre et ses conséquences de merde, le Jugement dernier et tout ce qui donne envie de se flinguer.

Et puis.... Et puis... la future sainte se met à blasphémer. Là voilà qui raisonne comme Victor Hugo, Origène, saint Grégoire de Nysse. La liberté (c'est-à-dire le mal) ne peut avoir le dernier mot. L'amour, si. Pour cela, il faut que Dieu choisisse - soit la liberté, la justice et l'enfer, soit l'amour réconciliateur total.

Dieu au supplice de lui-même. Dieu en croix. Dieu en nous. Dieu ne peut rien contre notre liberté - "et pourtant il faut qu'il puisse." Là est la vraie miséricorde. Dieu peut en dépit de lui-même ou plutôt en dépit de nous-mêmes. Un peu comme Prospéro à la fin de la Tempête qui préfère passer sur les insuffisances des uns et des autres (car sinon on n'en sortirait pas, ni lui ni nous.)

C'est le rôle du Fils de convaincre le Père de ne pas perdre sa création.

Le Fils contre le Père. Qu'elle est bonne, celle-là ! La loi du père liquidée par le pardon inconditionnel du fils. Car oui, nous ne savons pas ce que nous faisons - nous sommes plus cons que méchants, plus inconscients qu'orgueilleux. Il faut donc nous sauver, ne serait-ce que pour Dieu reste Un. Parce que si par malheur, l'un de nous ne revenait jamais à lui, son Un à Lui ne serait jamais total. Si Dieu veut rester lui-même, alors il faut qu'il rappelle toutes ses âmes. Et la seule manière pour que cela arrive est que son Amour soit plus grand que notre liberté, sa miséricorde plus infinie que notre "libre arbitre" (mais qui a cru que nous étions totalement libre ? Celui-là, seul ira en enfer.) Pour rester Un, c'est-à-dire Lui-même, il faut que Dieu nie ce qu'il a de Sartre en lui et qu'il a mis en nous. L'enfer, pour Lui, c'est nous. Nous sommes les "autres" infernaux de Dieu. Nous sommes les autres libres de Dieu. C'est pour cela qu'il faut restreindre notre liberté le plus possible - avec son aide. C'est pour cela qu'il ne faut pas trop se croire libre. C'est pour cela que je n'ai jamais cru en la liberté. Pas fou, moi, je veux être sauvé. Et je sais que s'il n'en tenait qu'à moi, ce serait impossible. Donc, je compte sur Dieu qui pourvoira à mes insuffisances. C'est Lui qui est responsable de moi, après tout, bien plus que je ne le serais jamais de moi. Dès que l'on se convainc de ça, on est déjà un peu soulagé, on ne se braque plus. On se laisse aller en Lui. On se laisse prendre en Lui.  Car comme toujours c'est dans le laisser aller ou le lâcher prise que se situe le salut, la joie ou même l'être - Gelassenheit, comme dirait Heidegger. Se détendre et aimer. Qu'en ai-je pris de la graine !

 

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Jean-Louis Bessède -  DESSIN 130 CM X 97 CM, Sapiens m'a tué, acrylique craie crayon de couleur mine de plomb.

 

 

4 - La vérité se rend libre

 "Quelle idée étrange, étroite, nous faisons-nous parfois de la Vérité de Dieu ?

Par quelle présomption nous la représentons-nous comme un domaine de lumière limité dont les propriétaires de droit divin ont, une fois pour toutes, placé les bornes.

Par quel entêtement fidèle veux-je la concevoir immuable, fixe, telle qu'une seule variation de mon esprit me semble à l'égard d'elle un sacrilège ?

La vérité de Dieu, une fois révélée, telle qu'une fois elle a tenu tout entière - tout entière ? - dans la tête de douze hommes et de quelques autres, doit s'arrêter là au mot qui fut dit.

(...)

Mais Dieu vit, ressuscite, s'échappe malgré le sceau, la pierre, les gardes, et son Esprit souffle où il veut dans la campagne.

Il me semble qu'une vérité est d'autant plus vraie qu'elle est plus vivante, qu'elle bouge, évolue, porte à chaque saison des fruits nouveaux ; qu'elle est d'autant plus divine qu'elle nous fuit sous une apparence pour réapparaître un peu plus loin sous un autre rayon, d'autant plus éternelle qu'elle reste à jamais inachevée en nous, finis,et change à nos yeux avec l'heure du jour, l'âge de l'homme, le pas des siècles et demeure au fond, pour tous - siècles et hommes - toujours illuminatrice, toujours nourricière.

Comme celle-ci, Lumière des Lumières :

Aime Dieu de toutes tes forces et ton prochain comme toi-même." (page 30)

 "Aime ton prochain comme toi-même", c'est évidemment problématique car il n'est pas sûr que l'on s'aime bien soi-même. "Aime ton prochain comme tu voudrais qu'on t'aime", ou "aime ton prochain comme Dieu t'aime" me semblent plus efficients. Pour aimer, il faut sortir de soi et se faire platonicien - c'est-à-dire imaginer le meilleur. Croire que le meilleur existe et qu'il peut avoir affaire avec nous. La Forme pure. La Beauté pure. L'amour pur. Même si l'on n'est qu'une merde, on a ça en soi - Mozart, Dieu, la Joconde.

 

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Jean-Louis Bessède - MONA LISA 116 CM X 89 CM

 

 

 5 - Le combat de Dieu contre lui-même

A quoi reconnaît-on un penseur chrétien ? A ce qu'il rend le christianisme impossible, invivable - et indispensable à l'être. Personne ne peut être gentiment chrétien. On reste toujours sur le seuil. On cherche en gémissant. On chute à chaque pas. On se détourne même. On maudit ce dieu caché. Mais on revient en tremblant. On revient toujours. Et peut-être un jour, on ne s'en va plus - ou sans trop s'éloigner.

Marie Noël n'a cessé de le dire - Dieu donne du tourment.

Dieu se bat contre lui-même.

Le texte fondamental, c'est "le combat de Dieu contre Dieu".

"Celui qui a créé le monde n'a donné à l'être vivant qu'une seule loi : MANGE, et celle-ci qui est la même : POUR MANGER, TUE ! 

SI TU ME DESOBEIS, SI TU REFUSES CE QUE TU DOIS A TON VENTRE, TU MOURRAS.

CAR TELLE EST MA VOLONTE, TOUTE CREATURE SERT DE PATURE A L'AUTRE." (p 31)

C'est le premier dieu, ou la première figure de Dieu. Le dieu créateur et cruel qui donne la vie et les conditions de possibilité de la vie : la chasse, le sang, la mort.

Pour vivre, il faut tuer. Réellement ou symboliquement.

Bien sûr, Dieu n'en reste pas là. Tout se complique bientôt.

 "Celui qui a racheté les hommes leur a révélé une autre loi :

AIME.

L'Amour refuse de manger son prochain. L'Amour refuse de tuer l'homme, la bête, la plante. Tout est son prochain. Aux extrêmes limites de l'Amour, l'Amour sans limites est péril de mort.

L'Amour est une désobéissance à la loi du Créateur.

Selon l'ordre du Créateur, le seul devoir de l'être vivant est de vivre et de propager la vie. S'il arrête la vie en soi (inanition, chasteté), il pèche contre le Créateur - contre le tout Puissant Etre. Et son châtiment est d'abord dans la rébellion de son instinct.

L'instinct, cette conscience obscure du corps qui transmet au corps le commandement de l'Etre et qui, si l'homme le transgresse, proteste en lui par le remords, implacable, désespéré de la chair et du sang.... le remords que l'ascète appelle tentation et contre quoi il lutte et prie.

Il lutte contre le Créateur.

Il prie pour le Rédempteur.

Dieu opposé à Dieu.

Prie plutôt qu'en toi, ils se concilient." (page 32)

Cette conciliation, bien sûr, ne peut avoir lieu totalement. On peut la frôler un instant. La concevoir sur papier. Tendre vers elle. Mais on sera toujours déchiré.

La vie VS l'Amour.

La survie VS la vérité.

L'être VS l'âme.

Le ventre VS le coeur.

Nous oscillons tous entre ces multiples étendards.

Etre chrétien, c'est être conscient de ce combat de Dieu en nous.

Plus tard, Marie Noël ira jusqu'à dire que même le démon est nécessaire.

 "Pour travailler à son âme, l'homme a besoin d'un ange. Il a aussi besoin d'un démon" (p 61)

Cette conciliation, pour autant, peut être vécue transsubstantiellement. Le moment où Dieu devient nourriture - au sens littéral (oui, pour une fois.)

Cette conciliation s'appelle eucharistie.

Comme la mère a de la joie à allaiter son enfant, le Christ se donne à nous comme chair à manger.

 "L'Être et l'Amour s'opposent en l'homme. Non en Dieu.

L'Être doit manger pour se conserver et s'accroître. Il détruit pour se nourrir la substance d'autrui qu'il transforme en sienne. Sa loi est donc : "Sois fort, pends, consomme, sois fort, le plus fort."

L'Amour veut nourrir, se détruire soi-même pour nourrir un autre, se changer en l'autre, pour fortifier l'autre et, de deux, devenir un seul.

Sa loi est : Donne.

Ainsi, la mère dont le lait devient en son petit, sang et vie. Et le lait de la mère en a joie.

Ainsi, le Christ à nous donné, dont la chair en nous devient vie par le Pain eucharistique. Et la Chair du Christ en a joie.

L'Amour-Dieu transfigure la Loi créatrice de Dieu. Il trouve son bonheur à être mangé.

Et peut-être au commencement, chaque être, animal ou plante, se donnait à l'autre dans la joie.

Ainsi s'accomplissait - en Une - la double loi de Dieu :

MANGE - AIME." (p 33)

La contradiction au centre de l'être.

Le sang au service de l'esprit.

Le tourment, condition de la grâce.

Derrière la merde, l'amour.

Il faut s'y faire.

 

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Jean-Louis Bessède - ROMANE 116 CM X 89 CM ACRYLIQUE CIMENT PAPIER CRAYONS

 

 

6 - La communion pauvre

Dieu est l'époux.

L'Eglise, la belle-mère.

En son sein, il y a les "zélés", ceux qui forcent la foi, et les autres, hésitants, faibles, indifférents - dont Marie Noël dit faire partie.

Le drame de l'homme, et de Dieu, c'est la liberté. Dieu a fait l'homme libre à ses dépens et même aux Siens (page 35). Dieu a donné à l'homme la possibilité de lui dire fuck.

Dieu s'est inscrit dans l'Histoire, c'est-à-dire dans le passage.

Tout passe - même Lui.

 "Jamais jusqu'à la fin ! la route va. L'homme passe.

Un jour, inéluctable, sonne l'heure des adieux.

Par l'homme - ou par la vie - la mère quitte son enfant, l'ami se sépare de son ami, le médecin s'éloigne du malade, le consolateur abandonne l'âme non guérie. L'homme passe.

Et l'Homme-Christ - visage, regard, voix- a passé comme les autres. (...)

O Dieu, la présence de l'Amour n'est pas plus tôt survenue qu'à peine sa douceur goûtée, elle se retire.

Malgré l'Amour." (p 37)

 Passages, parenthèses, intermittences.

Un ami chrétien, Pascal Otav, (qui m'a défriendé depuis) me reprochait d'être "chrétien lundi, athée mardi, païen mercredi, etc".

Mais oui, vieux, cela marche comme ça.

La foi, l'amour et la charité ne sont pas des états permanents. La liberté, non plus. On est libre de temps en temps (ou du moins, on le croit de temps en temps.)

L'important est d'allonger ces moments de grâce.

L'important est de faire que la bonne phase dépasse la mauvaise.

L'important est de gérer au mieux son intermittence.

On se bat en permanence contre soi. On est souvent vaincu mais on est aussi vainqueur de temps en temps et c'est ça qui compte.

Au bout de cinq ans, j'ai réussi à écrire un livre. Avril 2013 - Avril 2018. Après l'autoflagellation de l'écriture, le Golgotha des éditeurs. Peut-être le livre sera-t-il accepté dans un mois, un an, jamais. On verra bien. Parmi mes vertus, la patience n'est pas la moindre.

Pour le reste, je ne suis que passivité, incontinence et inertie. Et c'est pourquoi Marie Noël, cette Simone Weil vivable, est pour moi une révélation. Rarement je ne me suis senti autant en osmose - en paraphrase - avec une âme pieuse.

Ce genre de piété.

"LA COMMUNION PAUVRE.

Mon Dieu, je ne Vous aime pas, je ne le désire même pas, je m'ennuie avec Vous. Peut-être même que je ne crois pas en Vous.

Mais regardez-moi en passant.

Abritez-Vous un moment dans mon âme, mettez-la en ordre d'un souffle, sans en avoir l'air, sans rien me dire.

Si vous avez envie que je crois en Vous, apportez-moi la foi. Si Vous avez envie que je Vous aime, apportez-moi l'amour. Moi, je n'en ai pas et je n'y peux rien. Je Vous donne ce que j'ai : ma faiblesse, ma douleur. Et cette tendresse qui me tourmente et que Vous voyez bien... Et ce désespoir... Et cette honte affolée...

Mon mal, rien que mon mal...

C'est tout !

Et mon espérance !" (p 41)

 Mon Dieu, faites votre boulot.

Donnez-moi désir de vous - et désir tout court.

 

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Jean-Louis Bessède, Désir cinabre 140 X 97, CM acrylique craie glacis mine de plomb enduit

 

 

7 - Communion

 

"Vous voilà, mon Dieu. Vous me cherchiez ?

Que me voulez-vous ? Je n'ai rien à vous donner.

Depuis notre dernière rencontre,

je n'ai rien mis de côté pour vous.

Rien... pas une bonne action. J'étais trop lasse.

Rien... Pas une bonne parole. J'étais trop triste.

Rien que le dégoût de vivre, l'ennui, la stérilité.

- Donne !

- La hâte, chaque jour, de voir la journée finie, sans servir à rien ;

le désir de repos loin du devoir et des oeuvres,

le détachement du bien à faire, le dégoût de vous, ô mon Dieu !

- Donne !

- La torpeur de l'âme, le remords de ma mollesse

et la mollesse plus forte que le remords...

- Donne !

- Le besoin d'être heureuse, la tendresse qui brise,

La douleur d'être moi sans recours.

- Donne !

- Des troubles, des épouvantes, des doutes...

- Donne !

- Seigneur ! Voilà que, comme un chiffonnier,

Vous allez ramassant des déchets, des immondices.

Qu'en voulez-vous faire, Seigneur ?

- Le Royaume des Cieux." (p 42)

 

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Jean-Louis Bessède, L'arbre bleu 100 x 70 cm acrylique cire crayon papier

 

 

8 - Le plus difficile...

 

"RESOLUTIONS DE MALADE.

Etre loyale avec mes nerfs. Ne jamais en tirer parti pour attirer l'attention, exciter la pitié, obtenir la douceur d'être consolée.

Ne jamais nuire volontiers à moi-même.

Surtout, ne jamais nuire aux autres, ni par violence, ni par faiblesse. Eviter de les aigrir par mon amertume, de les abattre par mon abattement.

Faire une bonne action, tous les jours, coûte que coûte."

(...)

"Respecter l'émotion d'autrui.

Ne la provoquer par aucune fraude." (p 44)

"Avoir assez d'amour et jusqu'à deviner, à aimer la beauté des êtres laids, le trésor des pauvres choses ; découvrir la merveille secrète du jour de pluie, de la plate campagne, du taudis, de l'infirme, de la vieille fille mal habillée... Avoir assez d'amour".

 Ou du moins de beauté. Un artiste peut voir tout ça. Et surtout un caricaturiste. La laideur, il faut la décrire et l'aimer. Hugo, Rabelais, Vélasquez, Bacon, Tod Browning. L'essentiel, c'est de ne jamais nier, de ne jamais voiler, de ne jamais se couper. L'art rend beau le laid.

Compenser l'amour par l'art.

Prendre garde au vice de la pureté. Préférer la vertu de l'impur.

"Il faut accepter la complexité, le mélange, le chaos de la vie. L'ivraie et le bon grain s'entrelacent", lui disait l'Abbé Mugnier. 

 "S'accepter soi-même, imparfait, tantôt saint à demi, tantôt à demi coupable, avec les remous incessants d'ombre et de lumière qu'est une âme vivante, lui répondait-elle.

Il ne faut pas s'épuiser à être trop pur.

Les âmes les meilleures, les plus nourricières sont faites de quelques grandes bontés rayonnantes et de mille petites misères obscures dont s'alimentent parfois leurs bontés comme le blé qui vit de la pourriture du sol." (page 48)

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Jean-Louis Bessède, La Source et le loup, 115 cm x115 cm acrylique mine de plomb glacis craie cire

 

  

9 - Judas - "comme un éclair noir"

 « A dix ou onze ans, je me rappelle avoir été terrifiée brusquement par l'injustice affreuse du sort de Judas.... Judas forcé de trahir pour accomplir les Ecritures. “Il est nécessaire que le scandale arrive mais malheur à celui par qui….“

Nous étions à table, en famille, pour le déjeuner, quand cette parole de l’Evangile me traversa la cervelle comme un éclair noir. Je repoussai mon assiette. Je vois encore ce qu’il y avait dedans : du colin, de la sauce aux câpres. C’était bon ! Mais je n’ai pas pu manger davantage ce jour-là. Et me voilà partie en courant chez grand-mère – mon théologien d’alors – avec ma difficulté toute grosse : Judas forcé au mal, Judas nécessaire, Dieu injuste…. Je n’en vivais plus.

Mais grand-mère ne fut pas du tout embarrassée :

“Laisse donc ça, ce ne sont pas nos affaires, ce sont les affaires de Dieu. Il s’arrange.“ (p 57)

DIEU S'ARRANGE - La parole qui soulage, console, et donne la vraie espérance, l'inconditionnelle. Celle qui nous incite à penser qu'il ne faut pas trop s'en faire, que les lois du ciel ne sont pas aussi exactes que nous le pensons (comme dit Don Juan à Sganarelle), qu'il faut se détendre en Dieu (c'est-à-dire oublier un peu les saloperies de la Loi et du Jugement), qu'Il pourvoie à tout - y compris à Lui-même. Et que si Judas était nécessaire, peut-être le sommes-nous aussi. Comment d'ailleurs penser le contraire ? Ne sommes-nous pas tous nécessaires au dessein de Dieu et nécessaires les uns aux autres ? "Aimez-vous les uns les autres", n'a-t-il jamais voulu dire autre chose que "soyez nécessaires les uns aux autres" ?

Etre "libre" ne signifierait alors que savoir (et admettre) notre nécessité. Et donc l'affirmer. Et dans ce cas, les éclairs noirs ne seraient là que nous en rendre conscients.

Un peu comme l'angoisse - ou l'enfer. La peur de l'enfer, technique de Dieu ?

C'est toujours le même problème : la terreur est-elle un moyen ou une fin ? L'angoisse est un aiguillon ou un abandon de Dieu ?

"Peut-être mon angoisse religieuse est-elle la grâce amère qui me conserve la foi. Avec l'espèce de pensée que j'ai, si Dieu ne m'avait pas divisé l'âme, je me serais peut-être établie tranquillement dans le doute serein de mon père et de bien d'autres. Mais je souffre. Et c'est beaucoup ma façon de croire."

 Qui n'est certes pas celle des mystiques.

 "Les mystiques, ces fous admirables qui se coupent les pieds pour se faire pousser des ailes. Moi, j'aurais peur." (page 59)

 Avoir peur, tergiverser, accuser, partir, revenir, interroger, se torturer soi-même (et les autres aussi), se faire plaie et couteau, chair et clou - sans le vouloir d'ailleurs. On ne veut jamais souffrir, ou faire souffrir, mais on le fait quand même, comme si on y était obligé. Mais bien entendu qu'on l'est. Depuis la naissance. Depuis l'accouchement. Depuis les forceps. Tout au forceps. Et ensuite la couveuse.

Toute une vie entre les forceps et la couveuse.

Mais peu importe... DIEU S'ARRANGE, on vous dit.     

 

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Jean-Louis Bessède - MÉTÉORITE MYTHIQUE Théodore Monod 115 X115 CM acrylique mine de plomb craie glacis

 

 

 

10 - Mal-Dieu

« Le monde, mouvement éternel d'un Dieu brisé qui tend à se ré-unir.

Le monde, unité rompue dont l'Amour essaye de rassembler les morceaux. » (p 68)

La question, la seule, l'éternelle, est de savoir s'il y aura des déchets, des amputations, des morceaux de chair et d'âme abandonnés (ou brûlés) à jamais. Et dans ce cas, qui emporteraient quelque chose de Dieu dans le néant (ou l'enfer) ? C'est ici que l'argument de saint Grégoire de Nysse (repris par Marie Noël) s'impose : à la fin des fins, Dieu ne peut laisser quelque chose de Lui hors de Lui. Autrement dit, tout reviendra à Lui, même les méchants - et l'Apocatastase aura bien lieu.

 « O Vous qui m'avez conduite par la main dans mes chemins d'angoisse, Vous qui jetiez un pont entre Vous et moi sur l'abîme, sauvez-moi ! Je suis en danger. Sauvez-moi du Mal-dieu, qui derrière Vous, me guette. »

(…)

« Délivrez-moi du Mal, qu'il fasse de moi ce qu'il lui plaît et que Vous le laissez faire, mais empêchez-le de m'ôter de vous où je ne suis que vôtre. » (p 70)

 Tout est dit. Le "mal-dieu" pourra tout avoir de moi, sauf une miette. Si la foi, c'est vingt-quatre heures de doute moins une seconde, le salut, c'est un être tout péché sauf à en endroit. Une sorte de talon d'Achille salvateur.

 « Il ne faut pas compter sur Dieu pour nous épargner tel malheur.

Non plus que pour nous cacher du Malheur total : la mort.

Car malheur n'est pas malheur, mort n'est pas mort aux yeux de Dieu.

Nous boirons sans rémission le coup du mauvais quart d'heure, le coup de Gethsémani, le coup du Golgotha.

Mais vienne le malheur, vienne la mort, demandons à Dieu ses yeux qui nous délivreront du mal. » (p 71)

 Cette vision de Dieu peut sembler terrible. Elle l'est. Dieu ne nous épargnera aucun malheur comme il n'a rien épargné à son Fils ! Quel monstre ! Quel père odieux ! De Johnny Hallyday à lui, aucun pour rattraper l'autre.

Pourtant, si on sait lire Marie Noël, l'on sent que ce malheur "l'arrange". Gethsémani, c'est affreux mais c'est beaucoup moins affreux que le Jugement. Au fond, le destin est moins tragique que la loi. La mort est moins pire que la morale.

Délivre-nous du mal = délivre-nous de la morale.

A un certain moment, la miséricorde chrétienne prend des airs d'Amor Fati. Et c'est un scandale génial ! C'est un scandale qui nous délivre des juges et de la culpabilité.

La journée sera rude mais elle ne sera pas de mon fait.

Dès lors, la prière peut se révéler.

« Mais vienne le malheur, vienne la mort, demandons à Dieu ses yeux qui nous délivreront du mal.

Je le prierai comme un petit enfant.

Quand l'enfant prie, la foi demande : “épargnez-moi... donnez-moi.... sauvez-moi...“

La soumission ajoute : “s'il vous plaît“.

Et l'expérience - le doute - en tremblant murmure :

“Souvent, presque toujours, il ne Vous plaît pas.“

L’espérance se voile mais l’adoration s’incline :

“Comme Vous voudrez.“

Et l’Amour – tristement – achève :

Deo gratias. » (p 72)

 Pourquoi aime-t-on Marie Noël ? Parce que c'est une chrétienne qui vit Dieu dans son impossibilité humaine. Parce que Dieu est un délice comme un tourment. Parce que l'Amour ne va pas de soi. Parce qu'on s'en passerait volontiers mais qu'on ne peut pas.

 

 

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A suivre

 

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