Paresse : bien avant les déviations sexuelles et la masturbation, mon plus gros vice. Et sans doute le péché le plus grave - plus grave même que l'orgueil dont un auteur, dont j'ai oublié le nom, disait de la paresse qu'elle n'était rien d'autre qu'un orgueil passif. Je suis bien d'accord avec ça. Etre paresseux, en effet, c'est gâcher les dons que les fées nous ont donnés, c'est pourrir comme un fruit au soleil, c'est se dessécher intérieurement, c'est grossir (souvent) et devenir un porc, c'est n'avoir aucune charité pour les autres, ces autres qui vous aiment et qui attendent quelque chose de vous, c'est insulter Dieu enfin qui se demande pourquoi il vous a créé. Mais comme Dieu fait bien les choses, la paresse rend profondément malheureux les paresseux. Et leur donne parfois envie de mourir. Au fond, le suicidé n'est qu'un paresseux forcené.
Mais pourquoi Dieu m'a fait ainsi ? Pourquoi suis-je si douloureux à la tâche ? On a beau croire à la volonté, l'on sent très bien qu'entre un bourreau de travail et un velléitaire pathétique, la différence est toute ontologique. Si je n'ai pas la volonté de faire ce ce que j'ai à faire, est-ce ma faute ? Et si lui abat un boulot monstre, est-ce réellement son mérite ? Non, on est ce que l'on est, et rien de plus. Qui n'a jamais pensé que la volonté n'était, comme la beauté ou l'intelligence, qu'un privilège, me jette la première pierre, et on rigolera bien. La volonté ? C'est la manière qu'ont trouvé ceux qui avaient la chance d'en avoir de torturer les malchanceux qui n'en avaient pas.
Alors oui, je suis lâche, je suis pusillanime, je suis immature. Mais ce n'est pas de ma faute. C'est peut-être de la vôtre, c'est sûrement de la vôtre d'ailleurs, mais ce n'est pas de la mienne. Rien n'est de ma faute, vous comprenez ? Personne n'est responsable de ce qu'il fait, de ce qu'il est, de ce pour quoi il bande ou il ne bande pas. Personne n'est responsable de soi. Ah toutes ces idioties que j'adore dire ! Comme elles me ressemblent ! Et comme elles m'apaisent ! Une énormité et ça repart ! Car nous les paresseux, nous souffrons plus que les autres, vous savez ? Nous souffrons non seulement de la souffrance mais nous souffrons encore plus de l'agressivité de la vie - cette vie qui ne nous laisse jamais tranquille, qui nous tenaille, nous cisaille, nous écorche, nous force à agir, à choisir, à faire des trucs, à prévoir des choses, à aller voir là-bas si on y est. Laissez-moi tranquille, laissez-moi en moi, vous ne voyez pas que la moindre action m'est insupportable ? Que le moindre rendez-vous, amoureux, amical, professionnel, m'est une crucifixion ? Pourquoi me forcez-vous à vivre ?
Oh comme j'ai souvent eu l'envie de tuer ceux qui disaient sans rire : "je suis responsable de moi-même, je vais en avant, je franchis les obstacles, ma volonté, mes érections et mon goût fasciste pour la vie n'ont aucune limite. Toujours et partout, je fonce." Ah l'inique fonceur ! L'infâme vivant ! Le salopard qui va ! Puisse-tu voir ta maison brûlée, ta femme violée, et tes enfants assassinés ! Choix de Sophie ! On verra si tu seras toujours fier de bander pour la vie !
Orgueil : contrairement à ce que l'on pourrait croire, je ne suis pas si orgueilleux. Et pour une bonne raison : je souffre fort modérément, sinon jamais, de ces blessures dites d'orgueil. La preuve, je supporte avec une effrayante désinvolture les attaques enragées de ceux et ces derniers temps surtout de celles qui ne supportent pas d'avoir été révélées en moi, de s'être aperçues, les pauvres chéries, qu'elles étaient encore plus imbaisables que moi, et que, pire que tout, mon imbaisabilité en branle, qui m'a valu d'être aimé de tant de femmes souveraines, mettait bien à mal leur imbaisabilité imbranlée à elles qui ne connurent que la mouille douloureuse des trolls. Ainsi suis-je condamné à devenir la fumette des femmes sans fleurs et la racine à arracher des hommes sans tronc, l'obsession goûteuse des mauvaises herbes et des terres caillouteuses qui semblent constituer la seule nature d'internet - car lapider, ça, ils savent, je le reconnais. Mais peut-on lapider un fumier comme moi ? Ah, je suis orgueilleux je l'avoue !
Et pourtant, non. Surtout en amour qui me semble être le lieu le plus incompatible avec l'orgueil. Là-dessus, je crois être minoritaire, puisqu' à écouter les autres, il semble que les vexations amoureuses fassent bien plus mal que les chagrins proprement dits. Non, l'orgueil, le mien ou celui des autres, m'ennuie profondément (ou m'amuse, c'est selon). C'est que l'orgueil fait mal et que c'est un mal que l'ont peut tout à fait éviter. S' il y a une seule chose que je retiens pour ma pomme du stoïcime est qu'il faut apprendre à ne pas souffrir des choses qui ne dépendent pas de nous. Or pour l'orgueilleux, tout dépend de lui. C'est qu'il se prend pour Cléopâtre ou Sardanapale, ce con. Il prend au sérieux tout ce qui lui arrive, et en premier lieu, tout ce qui ébrèche son blason intérieur. Moi, je veux dire moi, moi donc, je déteste prendre au sérieux les choses qui seraient censées me faire mal. Je préfère aller boire un coup ou mettre un disque de Mozart (la musique la moins orgueilleuse du monde). Bien que plutôt compatissant avec les faiblesses des autres (enfin je crois), je n'ai absolument aucune pitié pour les souffrances d'orgueil - et aussi pour les erreurs de jugement (comme le suicide) qui me sortent par les yeux... Bon, en y réfléchissant, je ne suis pas si compatissant que ça. Pourtant, j'admets toutes les faiblesses, tous les délits, tous les crimes, tous les génocides, mais à condition qu'on les reconnaisse comme tels. L'horreur turque, ce n'est pas que les Turcs aient génocidé les Arméniens (cela arrive même aux peuples très biens de génocider), c'est qu'ils le nient. Je te fais mal et après je dis que c'est toi qui t'es fait mal tout seul, à moins que tu ne mérites ce mal que l'on te fait - combien de gens, turcs, trolls ou autres, qui raisonnent ainsi ! Cette pureté, cette candeur, cette innocence qui constituent l'orgueil... Rien que d'y penser, je comprends que Dieu ait inventé l'enfer. Enfin, "inventé". En bon libéral qu'il est, Dieu a plutôt laissé les orgueilleux inventer leur propre enfer. En vérité, s'il fallait compter sur Dieu pour envoyer les gens en enfer, il n'y aurait personne dedans.
A moins qu'il n'y ait qu'une catégorie de gens que Dieu envoie sciemment en enfer. Les gens qui se défendent. Les gens qui se croient assez important pour se défendre. Les gens qui pensent qu'entre eux et les méchants, il y a une vraie différence. Moi, je ne peux supporter les gens qui se défendent. C'est la honte, se défendre.
(En relisant ce texte, je me trouve plutôt hypocrite et d'un orgueil incommensurable et sournois, puisque ce que je dis, c'est que rien ne m'atteint, et que si l'on m'attaque, je ne daigne même pas me défendre. Quel enfant gâté je fais ! Mon orgueil, c'est mon orgueil mâté. Invexable, le Pierre-Antoine, je vous dis ! Le masochisme vient de là d'ailleurs. Frappez-moi, m'sieurs-dames, humiliez-moi. Non seulement c'est moi qui qui vous méprise, mais en plus je n'arrête pas de jouir de vos coups et de vos sarcasmes. D'ailleurs, c'est bien simple, quand je suis à terre, j'ai toujours l'impression que c'est mon adversaire qui est plus bas que moi. Alors je lui pardonne à ce pauvre diable. Comme le Christ ! Tout ce qui n'a pas l'air d'y toucher constitue mon orgueil secret. Que c'est bon de savoir ravaler sa rage et de la transformer en mépris contre les douleurs que les autres veulent nous faire. Que c'est bon de ne pas jouer le jeu de la physiologie sociale. Je vous encule tous, m'sieurs-dames. Na !)
Gourmandise : c'est ma tare principale, mon calvaire quotidien, le péché le plus répugnant et le plus grotesque, la boulimie. Car il faut prendre la "gourmandise" dans son sens théologique. La gourmandise, ce n'est pas l'amour de la bonne chère, mais plutôt l'addiction à la nourriture, à l'alcool ou même à la drogue. Un exemple ? Quand je fais saigner la côte du boeuf du Saint André avec des amis, je ne pèche pas, c'est clair. Le restaurant, c'est un acte amical ou social - et d'ailleurs, même si on reprend deux fois de la sauce béarnaise, on mange toujours moins que chez soi. Car chez soi, protégé de tout, emmuré de partout, on peut faire ce que l'on veut. Comme s'envoyer tout seul, sur son canapé à branlette, douze ou vingt-quatre gros escargots de Bourgogne, suivis d'une casserole de spaghetti avec une motte de beurre, un sachet de gruyère rapé et une vingtaine de gousses d'ail cru pillées qui font que personne ne pourrait supporter de manger dans mon assiette ! A un certain moment, la brûlure de l'ail est telle qu'elle remonte jusqu'aux oreilles et c'est là mon nirvana. La bouteille entière de rouge soulage tout ça, et le gâteau au noix Lenôtre pour six personnes (et que l'on finit sans problèmes après l'avoir fait fondre au micro-ondes) repose ensuite le palais. Reste le Taliker ou le Bowmore qui fait digérer tout ça et les trois cigares à la suite qui rendent aérien. Ma constitution est telle que je suis très rarement malade pendant la nuit. Même si quand ça dégueule, ça dégueule. Vous aviez raison, Jesse Darvas, le boulimique est un romantique. L'obèse du sous-sol, c'est moi. Boulet contre ano. Seul contre toutes - et non pas "tout contre" au sens de Guitry. Non, tout loin. Faire de son corps ce qui empêche de toucher le corps des femmes. Faire de son ventre ce qui empêche de voir son sexe. Moi, ma bedaine a recouvert pénis et couilles depuis bien longtemps. Et a fait que je bande en bas.
Alors pourquoi je bouffe ? Pourquoi je bande en bas ? C'est assurément un péché que de se mettre dans des états gastriques pareils. Homer, mon ami, qu'avons-nous fait ? (Oui, Les Simpsons accompagnent généralement ces soirées orgiaques). Bouffons-nous par plaisir ou par peur (des femmes ?), par lâcheté (devant l'existence ?), par paresse (de vivre ?). Et je me demande ce qu'elle en pense cette Alexandra Legrand qui semble encore plus souffrir que moi. Autant la paresse était un orgueil passif, autant la gourmandise est une paresse active. On déploie une énergie considérable à manger, boire et dormir. On ingurgite toutes ces énergies.... pour ne rien en faire. On bouffe, on boit, on bouffe, on boit, et on chie toute la journée. Comme je le disais un jour à Amélie Nothomb, on devient une usine à merde. Ce n'est pas du seulement du vin que j'ai dans mon sang, c'est du beurre frit. Et mon intestin grêle est si vaste, si labyrinthique, que les vers solitaires s'y perdent. Et donc, à la fin, on implose et on meurt. Car la gourmandise, de tous les péchés capitaux, est finalement le seul dont on peut physiquement mourir. Et mon père qui me prévoie une crise cardiaque depuis vingt ans !
Mais quoi ? "La nourriture est le susbstitut de la sexualité", disait Hitchcock. Et moi, ce n'est pas ma faute, ce n'est pas ma faute, ce n'est pas ma faute, CE N'EST PAS MA FAUTE.
Luxure : la sexualité, justement. Les excès. Les orgies. La jouissance comme principe de raison. Sade. Bataille. Marc Dorcel. L'éjac facial. C'est fou comme la pornographie m'ennuie. Sorti de mes petites histoires séguro-lambercières, je suis minéralement indifférent aux seins, aux fesses et aux chattes des femmes. C'est pourquoi il y a de bonnes gens qui me prennent encore pour un homosexuel refoulé. Mais on peut aimer les femmes sans pouvoir les prendre, je vous le promets. Et si l'impuissance est la pire des perversions, je me débrouille oralement pas trop mal. A moins que la malheureuse qui soit avec moi décide de me violer. Alors, là, oui, ça peut marcher. Mon problème, c'est l'actif. De tout mon être, je hais l'actif. Je préfère crever plutôt qu'être actif. C'est passif que je suis comme un Turc. Passif et jaillissant / actif et morne - mon chiasme à moi. Car l'impuissance, l'impuissance... J'ai beau en parler tout le temps en prétentieux qui veut se faire mousser, l'écarquillement qui va du gland au cerveau pendant qu'on envoie la purée, je connais très bien. L'orgasme masculin comme une montée qui recule, aussi. Je ne sais pas pour vous, mais je me suis toujours figuré l'éjaculation comme le célèbre plan de vertige de Sueurs froides : un zoom avant combiné avec un travelling arrière. Ca se dilate et ça se rétracte en même temps. Une sorte de présent antérieur ou de futur en arrière. Bizarre qu'on appelle ça petite mort, car c'est vraiment l'instant où l'on nie le plus le suicide. Mais le suicide, c'est cela la vraie luxure.
(Pour le coup, j'en fais pas assez dans le trop. Il aurait fallu développer plus. Et nuancer le "minéralement". Enfin, une autre fois.)
Avarice : je ne suis pas avare, je suis prodigue, ce qui du point de vue théologique ou clinique relève de la même tare. L'argent file entre mes doigts comme si je voulais absolument me mettre dans un état de dette. Comme si j'avais une dette perpétuelle (infernale) à rembourser. Comme si je me sentais profondément coupable de vivre - et qu'il fallait payer. Depuis quinze ans que je suis à Paris, je me punis tous les jours (presque tous les jours) en dépensant des mille et des cents dans les Fnacs et les magasins d'alimentation, me mettant dans les situations les plus absurdes et, disons-le, les plus douloureuses. Car, plus que l'amour ou l'écriture, rien ne me fait autant souffrir que ces trous financiers que je me vois, avec un masochisme abject et qui mériterait mille coups de cravache, creuser méthodiquement. Car je me VOIS me ruiner avec une lucidité qui dépasse l'entendement et me pousse parfois à des accès de rage qui peuvent aller jusqu'à l'auto-passage à tabac. Je me vois me faire mal exprès. Je me vois me détruitre en toute conscience. Par exemple tenez, si un jour, je me retrouve à trois cent euros de découvert, je fais tout pour passer dans les jours qui suivent à six cent euros de découvert. Et ainsi de suite. C'est comme un démon qui agirait en moi. Une compulsion qui m'enlèverait toute sagesse et précipiterait ma perte. Puisque je suis ruiné, autant l'être plus, comme ça, j'aurais des raisons de payer. Une éjaculation forcée en quelque sorte - et là qui donne pour de bon l'envie d'en finir.
En même temps, je suis d'une avarice étonnante quand il s'agit de s'acheter des choses utiles. Mes rideaux sont en lambeaux depuis des années mais pas question que je perde cinquante ou cent euros à les changer. Cinquante euros, c'est des huîtres et du Sancerre au Suffren. Cent euros, c'est le champagne, ou Bernanos en Pléiade ! Mais prenez donc le nécessaire et laissez-moi le superflu, comme disait Oscar Wilde.
(Bon, je dis ça, mais inutile d'organiser un Montalthon en mon honneur. Cela ne va pas si mal en ce moment. Et puis, l'écriture torturée vient toujours après la torture, hein... Si l'on pouvait au moins comprendre ça ! Que la tristesse et l'expression joyeuse de la tristesse ne se confondent jamais. Que la douleur sur papier vient toujours après la douleur sur corps. C'est quand j'écrivais sur Mozart que j'allais mal, pas quand j'écris sur mes mouches. C'est lorsque l'on va bien que l'on expose sa merde et c'est lorsqu'on est dans sa merde qu'on fait semblant de sentir bon. D'où le malentendu dans lequel mes très mimétiques ennemis veulent me perdre alors que ce sont eux qui se perdent en moi...)
Colère : les Lions sont souvent coléreux, mais pas moi. Non pas tant par vertu que par maîtrise de soi. Voilà au moins une chose dont je suis fier. Avoir appris à passer du chaud au froid et parfois même du brûlant au gelé. Cela ne signifie pas que je sois incapable d'enthousiasme, bien au contraire, je suis toujours en transe, mais dès que je m'aperçois que je risque de m'énerver pour de bon, je freine immédiatement. Et je fais le point sur la situation. La vérité est que je suis très mauvais dans la colère. A d'autres, elle donne de la verve, déploie leur puissance, leur est même une occasion d'extase sexuelle, à moi, elle me rend encore plus impuissant que d'habitude. Donc, pas de colère. Mais le plaisir extrêmement pervers de piquer la colère d'autrui, ça, je l'ai. Car je hais le coléreux ou la colèreuse. C'est même la seule chose que je hais, je crois. Car le colérique est quelqu'un qui s'octroie un droit qu'il vous refuse. Lui a le droit de dire tout ce qu'il pense de vous, mais pas vous de lui. Le colérique vous assène toute sa saloperie verbale tout en vous mettant une poire d'angoisse dans la bouche. Le colérique vous diffame et vous prend en otage. Aussi faut-il savoir se défendre vis-à-vis de lui. Et pour cela, ne surtout pas accorder de l'importance à ce qu'il dit. Pratiquer même la mauvaise foi et le mensonge qui parviendront immanquablement à le destabiliser. Car le talon d'Achille du colérique, c'est au fond sa sincérité. Il croit sincèrement à ce qu'il est en train de vous dire, le bougre, et il vous oblige à y croire aussi. N'y croyez pas une seconde et c'est vous qui renversez la vapeur. Le colérique ne s'attend en effet pas du tout à ce que sa colère, que lui prend tellement au sérieux (la colère est un esprit de sérieux poussé à son point le plus pathologique), ne soit pas reçue comme telle par vous, et du coup, ne va plus savoir quoi dire. Laissez le passer progressivement de sa puissance scatologique à une impuissance quasi sexuelle, et vous l'aurez vaincu. En bref, laissez-le se dégonfler, s'essouffler, puis comme avec le taureau (la colère est une corrida bien sûr), commencez le jeu des banderilles. Et surtout faites le souffrir au maximum, cela lui apprendra à avoir voulu vous tuer - car le colérique veut vous tuer, n'oubliez jamais ça.
Tant pis si tout cela n'est pas franc. Puisque le colérique vous assène son orageuse franchise, mieux vaut l'assommer avec votre ironie - lui faire comprendre que la franchise dont il se targue n'est qu'une méchanceté abjecte. Dès lors, tous les coups, c'est-à-dire les mots, vous sont permis. Il s'agit d'être le plus faux et le plus traître possible, lui sortir des choses injustes et absurdes - que lui, parce qu'il est en colère, prendra pour argent comptant. Comme il a pris au sérieux les saloperies cuisantes qu'il vous disait, il prendra au sérieux les saloperies glaciales que vous lui sortirez. Et il tombera bientôt. A vous de voir si vous lui portez le coup de l'estocade. Car un coléreux dont on vient de mortifier la colère risque de se flinguer (ou de vous flinguer). Lui qui se croyait si sain dans sa colère, le voilà enculé par votre calme malsain. Certes, loin de moi l'idée de faire la promotion des sophismes et du mensonge, mais face à un colérique, tous les moyens sont bons. Lui qui vous clouait ses quatre vérités, le voilà crucifié par vos huit mensonges. Il a voulu vous blesser avec sa vérité, vous l'avez mutilé avec vos sophismes. Tant pis pour lui ! Il n'avait qu'à se discipliner, se retenir, ne pas se prendre au sérieux comme ça.
(Mais là, je mens encore une fois. La vérité est que je suis très colérique concernant les petites choses. On peut me traiter de trou du cul toute la journée, je n'en ai cure, car je sais que les gens, au fond, ne font que parler d'eux, mais que mon ordinateur bugue, qu'une tâche de saleté résiste à mon nettoyage, ou que des lacets ne veuillent se dénouer, là, c'est moi qui suis prêt à me jeter par la fenêtre de rage. Une fois, je me suis vraiment fait mal avec des ciseaux rien que parce que je n'arrivais pas à délasser mes chaussures. Tout ma vie était projetée dans ce noeud, sûrement. Et puis, pour un obèse, c'est très dur de rester trop longtemps penché sur ses chaussures. Déjà que mettre des chaussettes me fait suer sang et eau, alors nouer des lacets, vous imaginez le supplice ! Depuis, j'achète des souliers sans lacets. C'est plus seyant, plus rapide, et ça me fait des ennemis en moins... )
Envie : De tous les péchés capitaux, l'envie est sans aucun doute le plus minable, le plus médiocre, le moins récupérable. Le paresseux était au fond un brave pacifiste, l'orgueilleux était un conquérant, le gourmand un type en manque d'amour, le luxueux une bite grandiose, l'avare ou le prodigue, un mélancolique obligé de survivre, le coléreux un grand tempérament. Seul l'envieux ne fait pas envie. Seule l'envie ne peut être ni une qualité supérieure, ni une maladie déresponsabilisante (paresse, avarice, gourmandise), ni une fêlure par laquelle passe la lumière. L'envie, le seul péché qui ne fasse pas jouir. Alors suis-je envieux ? J'aimerais dire non. J'avais en tête toute une rhétorique prête, mais il faut un peu vexer son orgueil de temps en temps, et moi qui n'en ai pas, ça ira. Ben oui, je suis envieux. J'envie les gens qui baisent sans problème (et d'ailleurs les gens qui baisent), j'envie les écrivains qui écrivent sans souffrance (et d'ailleurs qui publient). J'envie Amélie Nothomb, Patrick Besson et Gabriel Matzneff - et autant pour leur style que pour leur ligne. Ils sont maigres et ils ont un du talent - que demander de plus à la vie ? J'envie Celeborn et son putain de talent théâtral, sans compter sa facilité à draguer son voisin du haut alors que moi j'ai une voisine de rêve qui vit à mon étage et que je n'ai jamais osé aborder dans l'ascenseur. J'allais lui parler de quoi aussi ? De mes problèmes de lacets ? J'envie par dessus-tout le type qui daignera un jour plaire à la corse d'Orsay (même s'il ne sera pas toujours à la fête !). J'envie le petit garçon qui se prenait une fessée de la main de Nicole Kidman dans le Dogville de Lars von Trier (que j'ai fait semblant d'aimer rien que pour cette scène, putain de film nul et interminable !). Mais je n'envie pas du tout les trolls. Je n'envie pas du tout ceux qui, autour de moi, artistes ratés, écrivains en manque, faux stylistes, vraies envieuses, tentent d'exister par la seule tuerie symbolique, la honte de faire honte, l'instinct de vengeance développé jusqu'à la pituite, le ressentiment jusqu'à l'onanisme déchaîné. Non, je n'envie pas ceux qui m'envient. Mais qu' y puis-je ?
Je n'envie pas non plus ceux qui ont tout sacrifié à leur famille et ne vivent plus qu'à cause d'elle - en fait qui se sont données une raison de renoncer à leurs rêves. Je n'envie personne qui fait semblant d'être heureux dans la vie réelle. On me dira que la joie et l'orgasme relèvent aussi de la vie réelle. Eh non, justement ! Quand on est heureux, on a toujours l'impression qu'on rêve. Il y a une irréalité dans la joie qui vous donne la force de supporter la réalité de la douleur. Car le réel, la franchise du réel, au fond, c'est la mort. Etre malhonnête ou crever sur place, je ne peux pas mieux dire. La voilà la morale vaseuse de ces "menues souffrances". Ma malhonnêteté à moi est assez honnête alors que je trouve souvent que l'honnêteté des autres est plus que malhonnête. Je ne me suis jamais trahi. J'ai toujours été fidèle à mes désirs, à mes passions, à mon enfance. D'ailleurs, à mes yeux, l'enfance, c'était avant-hier, l'adolescence, c'était hier. La vie adulte (ha ha) a commencé ce matin. Hier (temps normal), je suis allé à Saint Séverin me confesser. Au-delà de mes saloperies habituelles, j'avais des choses à confier sur cette propension que j'ai de fuir le bonheur quand il se présente (et qui demande tellement de travail, d'efforts, d'action, et de lacets), cette haine stupide que j'ai pour l'amour et qui désespère mes anges - des stakhanovistes, ceux-là, et qui heureusement s'arrangent pour rattraper mes conneries comme ils peuvent ! Le prêtre m'a rassuré. Il m'a parlé de cette parabole où il est dit que lorsqu'on est tombé sur une perle, il faut savoir vendre les autres. C'était très beau et ça a suffi pour me rendre ma gaieté et notre espoir. Je me suis acheté un Partagas, je me suis attablé à la terrasse d'un bar, et j'ai commencé à fumer en regardant le ciel, le merveilleux ciel...
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[Dans une première version de ce texte, composé il y a quelques années, j'avais terminé celui-ci sur une complainte un peu affectée, bien dans ma manière de l'époque. Cela donnait quelque chose comme ça :
"J'envie tous les Serpentards qui sifflent sur ma tête, moi qui ne suis au fond qu'un piteux Cracmol. J'envie de mourir tiens ! Mais paraît-il, il y a des gens qui m'envient. Des aveugles sûrement dont je suis le roi borgne. Je vous bénis mes amis, vies ratées et même pas minuscules, oeuvres arlésiennes et chef-d'oeuvres fantasmés, occasions loupées en cascade, épuiseurs d'anges, décourageurs de fées, bourreaux de voeux, je vous bénis, bande de tarés sans bite et imbitables, je vous bénis, velléitaires merdiques, je vous bénis, moi, Pierre Porc marri, Mort parti, Tord martyr, Corps pourri, Poivre céleri, Saliéri !"
Maintenant, je vire "plus belle la vie", mais ce n'est pas ma faute.]
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[Publié une première fois le 7 mai 2009, relu et re-updated pour la bonne cause ce vendredi 10 juin 2011.]
Commentaires
Moi, j'aurais été Amélie Nothomb, je vous demandais illico en mariage !
Pour un commentaire, c'en est un !
Attention à ne pas confondre colère et méchanceté.
Il y a quelque chose de sain dans la colère, d'explosif, de non calculé, une
énergie défoulante qui conduit souvent à des maladresses et souvent mal interprétée
dans son expression..
La méchanceté suppose une délectation dans le fait de faire souffrir, dans le fait
de nuire (malveillance) et ne réclame qu'une seule réponse : l'anéantissement.
Tant qu'on y est : ...attention à ne pas confondre non plus colère et engueulade, colère et règlement de comptes, colère et autorité vivement exprimée, colère et ausecoursjenpeuxplusil(elle)m'emmerdece(cette)con(ne)delairetviteahhhh Etc.
Pas sûr non plus que la méchanceté réclame l'anéantissement, avec tout le respect que je dois à Boulard.
Et puis, moi, j'aurais été Montalte j'aurais demandé Amélie en mariage.
Votre texte est bouleversant.
Globalement : dans le genre Cormary ce n'est pas mal, il y a même quelques perles ici et là, exemple : "En vérité, s'il fallait compter sur Dieu pour envoyer les gens en enfer, il n'y aurait personne dedans." Bien vu. Cependant, en relisant ce texte, tout en écoutant le merveilleux hymne marial "Cuncti simus concanentes" du livre vermeille de Montserrat dans une toute récente interprétation de grand luxe, il m'est revenu en mémoire certain passage du Désespéré de Bloy sur les sept péchés capitaux... et je me suis dit qu'on était tout de même loin de cette profondeur, pour ne pas parler de celle des théologiens médiévaux. Enfin, on a les chrétiens qu'on mérite. (Et pas seulement les chrétiens, mais tout le reste à l'avenant, bien sûr).
Dans le détail :
Le passage sur la Paresse est de loin le plus vrai de l'ensemble. Bravo, (presque)rien à redire. Pour le reste, deux passages m'ont tout de même agacé, celui sur la Colère et celui sur l'Envie. Je m'explique, en espérant que quelqu'un, au moins le maître des lieux, aura la patience de lire ce que je me donne la peine d'écrire.
Colère : j'ai failli me mettre en colère en lisant ce que l'auteur disait de la Colère, mais par la suite je me suis ressaisi en constatant qu'il avait eu l'honêteté d'écrire : "La vérité est que je suis très mauvais dans la colère. A d'autres, elle donne de la verve, déploie leur puissance, leur est même une occasion d'extase sexuelle, à moi, elle me rend encore plus impuissant que d'habitude."
Par la suite, en examinant de près la rutilante cuirasse de ce gras matadore qui se vante (imprudemment) d'en découdre avec tous les colériques, j'ai eu la joie d'y repérer un tout petit défaut, dans lequel je m'engouffre illico avec joie. M. Cormary semble en effet considérer que toutes les coléres sont nécessairement vésuviennes, fulgurantes, pétaradantes. Ignore-t-il qu'il existe des colères froides ? Des colères glaciales qui n'explosent pas, mais se contentent de vous fixer avec beaucoup de tranquillité, un peu comme dans les beaux vers de Hugo:
Dante dit, l'oeil fixé sur un homme passant :
"Je t'ai vu dans l'Enfer". L'homme, pâle, y descend.
Et puis, le malheureux qui n'est pas sujet à la colère ne connaîtra jamais la volupté d'une bonne colère contenue. Sentir monter en soi les flammes de l'indignation et les réprimer soigneusement ; demeurer impassible en face de l'adversaire qui attend avec impatience l'explosion, qui s'en délecte d'avance, et le priver de cette petite jouissance perverse, le laisser user en vain son ironie... quelles délices ! Mais, j'en conviens, cela demande de l'entraînement, de la maîtrise, et dans bien des cas, une bonne gueulante dans le style Marchenoir, voire si l'on est pressé un grand coup de pied au cul reste la solution optimale.
Envie : là, j'ai du mal à cacher ma déception, mon dépit, à moins que ce ne soit tout simplement la marque d'une incompatibilité d'humeur inscrite dans notre eidos respectif, ce qui somme toute, (à nous, amateurs de litotes), n'a rien d'alarmant. Toujours est-il qu'il me faut le clamer de toutes mes forces : je trouve qu'il y a une certaine beauté dans l'Envie. Parfaitement ! une beauté paradoxale liée justement au fait qu'elle ne fait pas envie. Il faut pour être envieux, renoncer à faire envie. Quelle abnégation ! Quelle force d'âme il faut avoir pour accepter les sacrifices qu'impose un tel vice, le plus exigeant de tous ! Et l'on comprend que celui qui place la Paresse en tête du peloton, place logiquement l'Envie tout en bas, et vice-versa. Mais franchement, dans le film Amadeus que M. Cormary prend justement comme illustration, Salieri n'est-il pas de loin le personnage le plus sympathique, celui auquel du premier coup on s'identifie ? Pour moi la réponse est clairement : oui. Pourquoi ? Parce qu'il est celui qui souffre le plus et qu'il est absolument seul. Cela ne vous rappelle personne ? L'Envie, c'est le désespoir au sens de Kierkegaard. C'est le désir de ne plus être soi, et donc d'être autre que soi. Dieu me pardonne, voilà vraiment mon péché principal, celui que j'aurais, quant à moi, mis tout en haut de la liste, même avant l'Orgueil. J'envie à mort tout le reste de l'univers de ne pas être moi. C'est ce qui me perdra... ou me sauvera, ou peut-être les deux, affaire à suivre.
Dernière remarque : le titre parle de sept péchés, conformément à la tradition, or je n'en compte ici que six. Où est donc passée la Jalousie ? Un péché si esthétique, si cinégénique (et non cynégétique) !
Cordialement et surtout sans rancune j'espère,
A. M.
Et puis tiens, rectification : il y en a bien sept, et la Jalousie n'en a jamais fait partie.
C'est moi qui m'embrouille dans ma théologie et qui en prime ne sait pas compter. Cela m'apprendra à donner des leçons.
N'empêche... s'il en fallait un huitième (mais est-ce bien nécessaire ?), je confesse une certaine affection pour celui-là.
Le maître de céans (orthographe contrôlée) aura peut-être un jour quelque chose de saignant à nous livrer là-dessus...
En attendant, paix sur la terre etc. (cela devient dur de trouver des formules de salutations, alors j'en reprends de vieilles et consacrées que j'abrège à la Gainsbourg. Bref, bonsoir à tous),
A. M.
Merci, cher monsieur Limbes (car vous êtes monsieur Limbes, si je ne m'abuse), de ces précisions sur l'envie que malgré tout je ne partage pas. Saliéri peut faire pitié, il peut même émouvoir, mais on ne l'envie pas du tout. On le plaint. Cela dit, vous devez avoir raison : je suis trop paresseux pour être envieux ! Et même pire, car non seulement je n'envie pas l'univers, mais je pense sournoisement que c'est l'univers qui aurait envie d'être moi...
Bien à vous.
Sans compter que l'univers sans votre (et quelques autres..) conscience, existerait-il seulement ?
Salieri est un homme sérieux, minable, et ce n'est pas de sa faute non plus ! hélas ! Cela ferait tant de bien de hurler sur tant de médiocrité ! Ma dernière "hénaurme" colère, après avoir raccroché le téléphone... avec un sentiment d'urgence hurlée :
1°) je n'allais pas faire l'honneur de mon courroux à la personne responsable d'icelui justement !
2° )Dans l'impossibilité (orgueil ?) de plaider ma cause, je m'évite un ulcère, c'est bien connu !
3°) Une autre utilité de la colère : comme au théâtre ! Une autre façon d'accommoder l'ennui en société ! Comme on accommode les restes...
Je découvre vos textes ce jour, et je suis parfaitement ivre.
J'ai lu -plus jeune- NABE/POWYS/MATZNEFF/CIORAN/GONCHAROV (et j'ai toujours envié Oblomov d'avoir su se trouver quelqu'un pour lui faire des pâtés en croûte ! Le rêve !)
Tante Léonie
Toujours beaucoup aimé ce texte, et surtout le courage qu'il faut pour le mettre en ligne. (Même pas eu le courage de le commenter précisément quand je l'ai découvert il y a quelques mois).
Ce texte est sans doute un des plus intéressants et des plus brillants de votre blog. Rarement vu quelqu'un capable de se désengager de soi-même à ce point-là. Et là viendrait peut-être un léger reproche d'intellectuel : vous incarnez le Moi désengagé de la Modernité, ce Moi dont on peut se jouer, dont on peut faire une chose extérieure à soi. La première personne ne m'aura pas trompée, bien que votre personnalité reste fascinante. Mais ce qui vous rend fascinant dans cette analyse de votre Moi, c'est que tout le monde aura pu s'y lire, s'y retrouver, en se sentant très flatté de penser être comme vous (j'ai pu m'identifier à vous sur la colère, par exemple), flatté de se sentir l'intelligence d'une analyse aussi fine, mais aussi très agacé, voire choqué, tout de même. (Oh oui c'est bon, non, non, c'est pas vrai d'abord, c'est dégoutant, c'est pas bien!). Votre Je est le même que celui des Méditations métaphysiques, vous en êtes la version opposée, la version postmoderne, finalement. Dans vos lignes, tout le monde s'est retrouvé grâce à l'artifice du "Je", mais finalement, il n'y a rien de vous. Sur vous, vous auriez écrit à la troisième personne, ou avec un "on" impersonnel, comme je l'ai fait.
J'espère que vous produirez bientôt une extension de ce fabuleux le texte, celle du recul, de l'engagement?
Tu vires mon nom des épanchements poisseux qui te tiennent lieu de prose, et tu le vires maintenant, Gros-Lard. T'as pigé?
Cordialement,
Alexandra.
Lénifiant, nombriliste, chiant et pompeux.
Voyons, Alexandra Legrand, vous dites partout que ce nom est un pseudonyme et qui d'après ce que j'ai compris ("bougnoule, bougnoule ! hi hi") n'a que quelques semaines tant vous avez l'habitude de changer d'appellation et de profil au gré de vos déboires trollaïques. En tous cas, je suis ravi de rencontrer enfin l'une de mes plus terribles admiratrices même si je vous déconseille de continuer à me harceler et à me complimenter comme vous et vos amis le faites - trop de fans d'un coup, ce n'est pas bon pour l'égo, même le mien. Inutile non plus de tenter d'infiltrer mes "ex" ou mon entourage ni d'aller fouiller dans les poubelles de Google ou de Copaindavant afin de découvrir je ne sais quelle information sur moi, cela m'ennuierait de devenir trop vite le Vincent Lindon de votre Voici. Pour autant, La glace est rompue, c'est l'essentiel. Je vous souhaite une bien belle et bien bonne journée.
Dukan : encore ! encore ! encore !
Pleinement d'accord avec VS et Irina! Et ce n'est pas un texte nombriliste, tout au contraire. Le nombrilisme, c'est le fait des Trolls de toutes sortes qui ne parlent ou n'interviennent que pour se donner l'illusion narcissique qu'ils sont plus forts ou plus intelligents que les autres — illusion que suffit à dénoncer leur besoin de l'insulte.
Pas de narcissisme dans le billet ici publié, mais un effort de percée au-delà de soi-même: un texte perçant.