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Je suis un blanc-bec.

Et je vous emmerde, car c'est comme ça que je suis au meilleur de moi-même. Dieu sait pourtant quel être inaccompli, inassouvi, assez inepte en fait, je suis. J'ai sans cesse peur de me dissoudre dans ma médiocrité. J'ai la terreur de ma petitesse. Dans mes particules on ne trouve que de la dérision ou de la raillerie à mon égard. C'est comme si tout en moi se foutait de ma gueule. Chaque fragment de mon corps et de mon esprit est comme une cruelle moquerie de ma personne et de mon identité. Tu parles d'une identité ! La vérité est que l'on est toujours un produit des autres, et surtout de ces vieilles tantes cucultivées qui nous assèchent et nous désidratent avec leur eau des familles.  Il est vrai que l'étroitesse d'esprit a tant de puissance sur nous - un peu "comme un soulier trop petit se fait mieux sentir qu'un soulier qui nous va". Avec nos parents, nos profs, tous ces vivants qui s'agitent autour de nous (qui peinent, enfantent et meurent sans jamais ne jamais haïr la vie) et en lesquels nous sommes obligés d'être contre notre être.  "Connaissez-vous cette sensation de rapetisser en dedans de quelqu'un ?". Comme Alice, je ne cesse de retrécir, le pays des merveilles en moins.

Pour m'en sortir, il n'y a que l'immaturité (c'est-à-dire l'écriture). La divine immaturité. Ma nouvelle catégorie. Areuh areuh. C'est un démon qui me pousse à chier partout sans jamais me torcher. C'est qu'il faut se battre tous les jours contre le cucul des adultes et leur maturité de merde. Ce que j'ai remarqué, c'est qu'on écrit toujours au nom du blanc-bec. Mieux, c'est toujours le blanc-bec qui écrit en nous et qui écrit contre l'adulte sérieux, administratif, marié, père de famille, l'homme familial et fonctionnel - "l'adhérent" comme je l'appelle. La vie est une question de choix adorent-ils tous dire. Justement. Entre être adhérent ou inadhérent à la vie, il faut choisir. Moi, je pense que toute personne qui dit oui à la vie se trahit. La maturité, c'est de la collaboration, rien de plus. Dès qu'on fait pipi proprement, on est foutu. "Quelle consolation votre blanc-bec tire-t-il de votre roi ?" est la question que je me pose continuellement. Tant que je suis con, ça va, je peux écrire. L'écrivain est le seul qui peut favoriser en lui ce qui le nuit en tant qu'homme sans dommages et avec beaucoup d'intérêts. L'écrivain est celui qui arrive à créer sa forme propre qui remplace celle qui vient de l'extérieur. Peu importe qu'il écrive mal ou qu'il soit minable du moment qu'il trouve sa gueule contre celle qu'on lui a donnée. Enfin ma gueule ! Enfin moi-même !

Encore que je n'ai jamais su de quel côté j'étais. Suis-je avec ceux qui m'apprécient ou avec ceux qui ne m'apprécient pas ? J'aime bien que l'on ne m'aime pas. Ca donne un cachet particulier à mon travail - et ça me fait bander. Mais j'aime aussi qu'on m'aime - ça me fait pleurer. Surtout quand ce sont les hommes qui ne m'aiment pas et les femmes qui m'aiment.

Au lycée où je reviens, je me retrouve dans les bagarres entre les Gaillards et les Adolescents. Deux sortes de cuculs bien distincts. Je crois que je préfère encore l'Adolescent. Plus éduqué, plus noble, plus coupable aussi. Alors que le Gaillard, c'est le manant innocent et brutal, c'est la vie incarnée - l'horreur absolue ! Il me cassait la gueule quand j'étais au lycée mais maintenant c'est moi qui l'envoie en première ligne se faire tuer pour sa patrie qu'il aime tant. Heureusement qu'on en a de ces Gaillards, remarquez, pour faire la guerre ! Car ce n'est pas les intellectuels, les pédés et les curés qu'on va persuader qu'il faut qu'ils se sacrifient pour le bien du drapeau. Pas fous les tordus ! Alors que les primaires, les prolos, les normaux, les bas du bas, ils les adorent les valeurs qu'on leur a foutu dans la gueule ! Ils sont prêts à tuer père et mère et à nous vendre leurs enfants pourvu qu'ils aient une médaille ! C'est leur forme d'immaturité mature alors que moi je suis plutôt un mature immature. Tant pis si vous ne me suivez pas. Ne me suivent que ceux qui sont comme moi. Je fais dans le communautarisme happy few. L'élitisme égotiste.

Avez-vous au moins deviné qui je suis ?

Je suis le nouveau livre culte de l'imbécile qui écrit ces lignes et qui d'ailleurs n'a pas compris que je me bats contre l'immaturité qui est l'état dans lequel veulent nous plonger nos tantes et nos profs. Mais lui prend cette immaturité comme une résistance. Oui bon, ok, je vois ce qu'il veut dire, mais c'est un joli contresens. Encore plus tordu que je ne le pensais. Ses fantasmes contre les miens, ça fait du gloubi-boulga. Tant pis, il m'a pigé à l'envers mais je le repige à l'endroit. Ah ! ce qui s'en passe des choses entre l'auteur et le lecteur ! C'est à celui qui manipulera le plus l'autre. Il est vrai que c'est si compliqué d'écrire. On veut écrire quelque chose et on écrit toujours quelque chose d'autre.  "Nous avons l'impression de construire. Illusion : nous sommes en même temps construits par notre construction." Peut-être en me lisant mal on me fera retomber sur les pattes. On me comprendra malgré moi. On me redonnera ma forme initiale - celle que paradoxalement, je n'ai jamais eue. Tant de gens qui croient qu'ils s'expriment naturellement alors qu'ils ne font que répéter des réflexes sociaux ! Le cucul fait si facilement de celui qui assassine un assassin ou de celui qui pleure un malheureux ! Ces gueules que l'on exige des gens. Alors que deux secondes d'observation suffisent à faire remarquer l'on ne s'exprime jamais selon sa nature mais selon les circonstances qui ont aliéné celle-ci. Notre être n'a jamais la forme qui lui convient, c'est ça que les Gaillards, les primates, les du bas d'en bas ne comprennent pas. La forme est tout. "O puissance de la Forme ! Par elle meurent les nations. Elle provoque des guerres. Elle fait surgir en nous quelque chose qui ne vient pas de nous." Il faut le savoir et en profiter. Ne plus s'écouter à tout bout de champ, se méfier de ses sentiments et de ses émotions comme de la peste, ne plus croire en sa pseudo foi - et voir ce qui se passe quand vous lâchez tout. Hi han ? c'est un bon début.

Peu importe d'être un âne, c'est ne plus être bâté qui compte. Le pire, c'est l'âne qui veut se faire passer pour un pur-sang. Le contraire absolu de moi. Je sais que " j'ai écrit des sottises, mais je n'avais signé aucun engagement de produire uniquement des ouvrages sages et parfaits. J'ai pu exprimer ma sottise et je m'en réjouis parce que la critique et l'aversion que j'ai suscitées agissent sur moi, me façonnent, me recréent en quelque sorte, et me voici naissant à nouveau." Seuls les minables veulent cacher leur minablerie. Quand on écrit, il ne faut pas avoir peur d'avoir honte. Il faut tout faire pour que les autres vous atteignent dans ce que vous avez de pire. Une oeuvre qui vous évite les crachats ou les rires ne vaut pas le coup. Plus ils vous vomissent, plus ils se rendent justice. Ce que j'aime, moi, c'est jeter ma faiblesse dans la faiblesse des autres et voir comment ils réagissent. Ou jouer à l'hypocrite, j'adore. Je suis le faux hypocrite typique. Je joue franc jeu le double jeu. Ils ne supportent pas ça, les Gaillards. Ils voudraient qu'on soit ou sincères ou sournois, pas les deux. Pauvres chéris ! Je suis leur miroir du Goûdé. Exhiber ma laideur, ma grosseur, mes bourrelets qui m'empêchent de voir mon sexe, sans oublier la pourriture de mes érections - comme de mes idées d'ailleurs, non tout cela est permis à l'écrit. Ne reste plus qu'à se faire photographier (comme la bouchère) pour faire gerber tout le monde. Vous m'imaginez nu ? En pourceau ?

Non, ne jamais lâcher prise avec "les forces inférieures", voilà ce qu'il faut. L'âne, le pourceau, pourquoi pas le ver de terre non plus ? Le cloporte ? l'acarien ? Lecteur naïf qui me lit, fais-toi Noé comme moi et découvre les bêtes que tu transportes dans l'arche qui te sert d'âme. "Et au lieu de meugler : - voilà ce que je crois, voilà ce que je sens, voilà ce que je soutiens, dis plutôt avec humilité : - quelque chose en moi a parlé, agi, pensé... Le poète inspiré aura honte de ses chants. Le chef tremblera devant ses propres ordres. Le prêtre aura peur de l'autel et la mère inculquera à son enfant non seulement des principes, mais aussi l'art de les détourner afin qu'ils ne l'étouffent pas." Chaque chose ne vaut que par son contraire. C'est pourquoi les caractères francs et entiers... Beurk, à mon tour de vomir.

Vous n'avez toujours pas deviné qui je suis.

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Commentaires

  • [********** ?]

    *Hirek, jeszcze polska nie zginela ...

  • Eh bien ! si je m'attendais à toi ! Le premier à deviner évidemment, et le premier à répondre ! Trop facile pour toi et c'est pourquoi tu ne m'en voudras pas de te mettre hors jeu d'office...

  • Je connais ce livre grâce à Benoît Duteurtre, qui l'a recommandé souvent, je crois même que c'est son livre préféré :

    Ferdydurke, de Gombrowicz

    Mais je connaissais cet auteur depuis longtemps, grâce à Dominique de Roux.

    A ce propos, je n'ai guère vu ni entendu ce dernier nom dans l'exposition Christian Bourgois, à Beaubourg. Pourtant il est le confondateur des éditions Bourgois. On se rappelle que, profitant d'un déplacement de son associé à New York, Bourgois envoya des sbires dans les librairies pour trancher au rasoir une page du livre de De Roux, "Immédiatement", qui risquait de déplaire à Genevois, auteur vedette du groupe de la Cité, auquel appartenaient les éditions Bourgois.

  • Bon. J'aurais dû préciser que tous ceux qui connaissent Ferdydurke ou sont des gombrowiczien dans l'âme ne participent pas à mon petit jeu. Mais bravo Herold et bien à vous !

  • Il y a longtemps que je n'ai pas relu Gombrowicz, mais je le voyais un peu comme un H.H. qui cherche, poursuit et adore perversement, douloureusement, désespérément, sa Lolita en lui-même.

  • Maurice Sachs est plus authentique que cela ...

  • "Bon. J'aurais dû préciser que tous ceux qui connaissent Ferdydurke ou sont des gombrowiczien dans l'âme ne participent pas à mon petit jeu."

    C'est pourquoi je n'ai pas participé...

  • Oh pardon, je n'aurais pas dû jouer, je suis désolé. Mais juste une petite question innocente : comment quelqu'un qui n'a pas lu Gombrowicz, et Ferdydurke en particulier, aurait-il pu trouver ? Il y a là quelque chose qui m'échappe !

  • C'est qui gombrovitch ?

  • Un auteur pour toi.

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