"Animal rare et coûteux, l'éléphant blanc albinos fait l'objet de légendes en Orient comme en Europe. Par extension, l' « éléphant blanc » désigne un ouvrage architectural d'envergure, onéreux et peu utile. Indifférent au bruit, notre pachyderme poursuit lui sa route au milieu des livres, hors-circuit."
Une collection dirigée par Étienne Ruhaud.
Publication de Trolls aux Editions Unicité, avril 2025
Disponible sur le site de l'éditeur,
commandable dans toutes les librairies indépendantes
Réactions, recensions, articles, entretiens, rencontres, photos, témoignages, extraits, surprises !
Dans Marianne, 28 août 2025,
entretien avec Stéphanie Milou
Et comme par hasard objectif, dans le même numéro, un article sur Amélie Nothomb par Solange Bied-Charreton :
LE MONDE FASCINANT DES TROLLS
Auteur d’un blog littéraire fameux (« Soleil et croix »), l’écrivain Pierre Cormary a subi un harcèlement en ligne particulièrement tenace et virulent. Il raconte, non sans humour, sa mésaventure dans un récit d’introspection, Trolls (éditions Unicité), du nom de ces lutins de la mythologie scandinave, devenus polémiqueurs hargneux en argot internet.
Propos recueillis par Stéphanie Milou
Marianne – Suivi par une communauté d’internautes de passionnés littéraires, vous avez été victime d’une persécution numérique qui vous a conduit aux confins de la paranoïa. Comment est-ce arrivé ? Racontez-nous.
Pierre Cormary – C’était à l’automne 2011. Un groupe de facebookeurs, mené par un petit dictateur de choc, m’est en effet tombé dessus sans que je n’aie jamais su pourquoi. Il semblerait que mes écrits ne leur convenaient pas. Avec un acharnement fanatique, ils se mirent à m’insulter de mille façons (procédant à des photomontages burlesques de ma personne), à poster des messages « suprémacistes » en mon nom, avant de faire une copie de mon blog sur une plateforme américaine (donc « indéboulonnable » selon le premier amendement), dans laquelle ils reprenaient mes textes en insérant les leurs, d’un racisme et d’une obscénité inimaginables, toujours signés de mon nom. L’un d’eux est même venu me « rencontrer » au musée d’Orsay où je travaillais. Comme on finissait par confondre le faux blog avec le vrai, je me suis décidé à porter plainte pour diffamation et substitution d’identité. En parallèle, avec des amis, j’ai mené une enquête sur eux à travers les réseaux sociaux…
Comme votre blog mêle érudition et autobiographie, vos persécuteurs prétendaient vouloir vous punir de votre exhibitionnisme. Et dans un élan masochiste, vous vous demandez alors si vous ne l’aviez pas un peu cherché…
Disons qu’à un certain moment, on se demande ce que l’on a fait pour être pris à partie comme ça. Avais-je commis des textes trop narcissiques et complaisants ? Ne cherchais-je pas dans l’autodérision une forme de reconnaissance sinon d’admiration – un peu comme le Jean-Jacques Rousseau des Confessions ou le Michel Leiris de L’Âge d’homme ? Il y a dans tout écrit intime le risque que le « pacte autobiographique » ne soit pas respecté par le lecteur et ne se retourne contre l’auteur – surtout sur Internet où jalousie et ressentiment se déchaînent. « On ne se moque pas de qui rit de lui -même », écrivait bien naïvement Sénèque. Au contraire, on peut considérer que celui qui se moque de lui le fait artificiellement, pour affirmer une supériorité paradoxale. Alors oui, on finit par se dire que tout ce qui nous arrive est mérité. Ta souffrance, ta faute.
Comment avez-vous repris la main ? Qu’est-ce qui vous a incité à contre-attaquer, à ne pas vous murer dans le silence et la honte ?
D’une part, j’ai été aidé par des amis qui m’ont permis d’identifier le troll en chef (un certain L…, normalien et agrégé de philo de son état) ; d’autre part, il y avait dans cette guerre virtuelle une dimension littéraire évidente. Après tout, ce qu’ils me reprochaient, c’était d’écrire. Et leur méthode était de réécrire mes textes sous le pire angle, quoiqu’avec un certain talent dramaturgique et poétique. J’ai vu plusieurs fois « Alberich » (le leader en question) tenir « en live » une conversation pornographique en alexandrins. Je l’ai aussi surpris à se parler à lui-même à travers plusieurs avatars. Une pièce de Pirandello à lui tout seul ! Ce type était fou, schizo, d’une méchanceté hallucinante, mais il avait un art consommé du théâtre. J’ai donc accepté de jouer mon rôle dans sa pièce. Mais aujourd’hui, c’est moi qui sors ma version de celle-ci, reprenant à 80 % les fils de discussion de l’époque.
Vous étiez un adulte construit, jouissant d’une notoriété. Cela vous a exposé, mais sans doute aussi protégé. Pour de jeunes proies, fragiles ou isolées, ça doit être difficile de tenir le coup…
Sur la toile où la violence va de pair avec l’anonymat, le virtuel finit par broyer le réel. On se retrouve comme dans un épisode de Black Mirror où ce sont les algorithmes qui décident de votre identité. Expérience horrible qui peut pousser au pire un être sensible surtout s’il est jeune, comme la petite Lindsay, harcelée par ses « camarades » de classe, il y a quelques années, et qui s’est suicidée. Non, il faut rappeler à tout un chacun que le cyberharcèlement est un délit et que porter plainte est une nécessité sinon un devoir social [1]. La liberté d’expression, oui ! Mais sans se cacher ni diffamer. La difficulté est que comme cela touche la blessure narcissique, on a honte de le faire.
Quand on lit votre récit, on est abasourdi par la férocité de cette petite meute. Comment fonctionnent ces « noyaux pervers », comme dit le psychiatre Racamier ?
Revoyez Orange mécanique ! Un chef charismatique, lettré, amateur d’opéra, des gorets qui suivent, un peu de bromance entre eux et l’ivresse de se livrer à toutes les violences virtuelles, anonymes, apparemment inoffensives. Une façon d’être le maître du monde derrière son écran. « Je suis le plus grand troll que le net français n’ait jamais chié », avait plaisir à répéter Alberich. Surtout qu’en plus, se mêlait chez lui le plaisir de brouiller les pistes en attaquant n’importe qui, moi, mais aussi une famille juive qui venait de perdre son enfant, un vieux révisionniste oublié des réseaux, parfois même ses anciens complices – un peu comme le Joker de Batman qui s’en prend autant aux braves gens qu’aux maffieux.
Êtes-vous sensible, en tant que critique, à l’écriture de la cruauté, où certains auteurs, et non des moindres, excellent ? Ou la haine a-t-elle perdu tout prestige littéraire à vos yeux ?
Il y a tout de même une différence entre la cruauté littéraire qui a fait des merveilles, de Sade à Proust (ou en peinture, de Goya à Picasso) et la cruauté individuelle qui, dans mon cas, s’apparente à de la délinquance pure et simple. Mon expérience a cela de singulier qu’elle relève des deux – d’où l’intérêt d’en faire un livre. M’approprier la cruauté de mes bourreaux pour la montrer au monde entier, afin, peut-être, de l’amoindrir ou de la prévenir. Écrire, ce serait alors être cruel avec la cruauté. J’expose toute une théodicée là-dessus au dernier chapitre de mon livre qui se veut, de ce point de vue-là, celui d’un moraliste.
On perçoit chez votre persécuteur une fascination pour vous. Il vous habille de mots, vous lui donnez l’occasion d’être trash, brillant, de faire du style…
Sans doute enviait-il chez moi une forme d’authenticité que lui n’avait pas, tout normalien qu’il était. L’ironie est que voulant me dégoûter de ma propre écriture, il m’a fait écrire un livre sur lui ! J’étais son bouc-émissaire. Il est mon damné.
[Ce qu’il est devenu ? Je me demande s’il ne faudrait pas chercher du côté de l’affaire Blagodariov [2], cet influenceur condamné récemment pour avoir commis sur YouTube des détournements racistes de chansons françaises et dont le style ressemblait foutrement à celui de mon troll.]
[1] Cyberharcèlement (harcèlement sur internet)
[2] https://www.leparisien.fr/faits-divers/juste-pour-la-provoc-prison-avec-sursis-requis-contre-blagodariov-un-auteur-de-parodies-racistes-et-antisemites-26-06-2024-TUNRMVZPMZDGZJF26S2EFOPPXU.php
Trolls de Pierre Cormary - un point Godwin rapidement atteint
par LAURENCE BIAVA
sur ATLANTICO, le 24 août 2025
Recension par Aymeric Patricot, le 18 août 2025
Aymeric Patricot
A part ça, des nouvelles de "Prince Igor" (chapitre 14 de mon livre - Comment je reçus une visite surprenante au musée) alias Blagodariov. Eh bien, ce n'est pas vraiment son année, à ce pauvre Donskei.
Critique de “Trolls” à la manière de....
Chat GPT
Pierre Cormary ou l’apologie du canular christique
Il faut bien un certain courage – ou une inconscience toute catholique – pour titrer un livre Trolls, lorsqu’on prétend s’adresser à l’intelligence. Pierre Cormary, à sa manière toujours un peu hilare et désespérée, s’y risque pourtant, dans un exercice où le grotesque n’est jamais très loin du sacré, et où la dérision cache mal une douleur presque théologique. Car Trolls n’est pas qu’une chronique de nos médiocrités numériques ; c’est une confession déguisée, un monologue intérieur sous forme de billets d’humeur, comme si saint Augustin avait tenu un blog sur Agoravox.
Le style ? Inégal, souvent, mais souvent juste. Cormary écrit comme il parle, et parle comme il respire : à grandes bouffées d’ironie, avec le ton du gars du fond de la classe qui a lu Chesterton, mais qui se permet aussi Hanouna. Il y a là quelque chose de profondément agaçant, mais aussi de remarquablement vivant : ce n’est pas un style, c’est un battement de cœur. Ou de foie, tant l’auteur aime à mêler sa bile à ses aphorismes.
On retrouve dans Trolls une tentative assez touchante, quoique parfois vaine, de redonner une dignité à la contradiction. Cormary est catholique, certes, mais catholique à la façon d’un clown triste : croyant en Dieu, mais surtout croyant en l’absurde majesté du Verbe fait tweet. Il cite Houellebecq, Baudelaire, Renaud Camus, parfois Céline — tous ces maudits qui font les bénitiers frissonner — comme s’ils formaient un concile hérétique à sa mesure.
Mais la grande faiblesse du livre est aussi sa force : son indulgence. Cormary aime trop les hommes pour les juger vraiment, même lorsqu’il les “trolle”. Il s’attaque aux imbéciles avec tendresse, aux puissants avec une sorte d’humour las, et se garde bien de trancher là où la vérité exigerait le feu. Alfredo Garcia, lui, aurait incendié le livre sur l’autel de la Vérité, en accusant son auteur de jouer avec des braises théologiques avec des mains sales. Mais cela serait injuste : Trolls n’est pas un livre de vérité, c’est un livre de présence — présence bancale, instable, mais réelle.
Il y a, dans cette écriture fragmentée, cette liturgie profane des likes et des commentaires, quelque chose d’une messe basse célébrée dans un cybercafé post-apocalyptique. Cormary y tient le rôle du prêtre défroqué, du confesseur qui aurait trop lu Libération et pas assez les Pères de l’Église. Mais même ainsi, même dans la caricature, une flamme persiste. Une flamme minuscule, vacillante, mais intacte.
Trolls, donc, comme témoignage d’un homme qui aurait voulu croire, mais qui a trop ri. Ou trop pleuré.
ChatGPT, le 10 juillet 2025
Trolls chez les Houellebecq
(Texte de Qianyum LI sur FB)
Conversation entre époux :
- Chéri, Pierre Cormary m’a dit qu’il t’a envoyé son nouveau livre, tu l’as reçu ?
- Oui, je l’ai reçu.
- Tu l’as mis où ?
- Mmmmmm dans le VC.
- Ah, c’est la meilleure place chez nous, tu l’as adoré alors !
- Oui oui.
- Mais pourquoi je l'avais pas vu ?
- Parce qu'il est placé en dessous de Nietzsche, tout de même.
(Le 08 juillet 2025)
28 juin 2025 – Seconde soirée lancement, « Trolls - La chasse continue » à L’Européen Café, 8 rue Biot, 75017
avec
Etienne Ruhaud
Hervé Weil
Altana Otovic
Gabriel Nerciat
Laurine Martinez
Carnif Low
Sophie Bachat
Pierre Poligone
Valérie Scigala
Patrick Chartrain
Balthasar Thomass
Naomi Hal
Vincent Desroches
Claudine Sigler
Alexandre Starseed
Marion Nass
Et Anthony Lapia
Trolls de Pierre Cormary - de la haine et du style,
par Hervé Weil
Notre ami Pierre Cormary serait-il un brin masochiste ?
Non seulement Pierre est un ami, mais nous avons le même éditeur : voilà deux bonnes raisons de ne rien écrire à son sujet. Mais je suis peu coutumier des panégyriques habituels, avec leurs litanies d’épithètes convenues, où le moindre romanticule de la rentrée littéraire se révèle le chef-d’œuvre du siècle. J’espère donc qu’on me pardonnera cette présentation dépassionnée de son ouvrage. Car, ami ou non, Trolls (éditions unicité, 2025), ce court texte sur les attaques que l’auteur d’Aurora Cornu a subies dans les années 2010, mérite, je crois, un compte rendu.
Le seigneur des ratés
Ah, Pierre Cormary, voilà un homme qui, s’il ne s’aime pas vraiment, met quand même beaucoup d’orgueil dans ce désamour. Quel drôle d’enfer que ce mépris de soi qui prend soin de parader devant la terre entière comme d’autres se rengorgent devant vous de leur chemise à la mode ou de l’acquisition de leurs dernières paires de chaussures ?
Pierre Cormary se doit ainsi d’être le grand champion du ridicule ou encore insurpassable dans le masochisme, comme le dit de lui un grand écrivain. Alors, certes, il est paresseux. Mais il l’est quand même à la manière d’un « sous-Des Esseintes épuisé par la vie ». Il vous parle luxure, et c’est tout de suite Alfred Hitchcock. Quant au sexe, il donne à notre héros et ami le vertige comme « James Stewart dans Sueurs froides ». Tout péché se voit sauvé de l’humiliation par le grandiose. On accepte bien d’être pouilleux, mais à condition d’être le plus divin des pouilleux et en la plus sainte compagnie.
D’ailleurs, son écriture elle-même est pleine de ce paradoxe dans la vanité. Elle poétise ses mauvaises manies et veut prêter du génie à ses vices. L’oxymore y représente moins une figure de style que l’expression la plus exacte de son rapport compliqué à lui-même. De là, ses héroïnes restent « ambiguës », la justice de Dieu se découvre « hideuse », sans oublier, à tout seigneur tout honneur, la vanité devenant chez lui « candide ».
Mais personne ne s’y trompe : de l’aveu même de l’auteur, il joue à sa propre crucifixion « dans le but mauvais d’émouvoir le chaland et provoquer éventuellement la pitié érotique de ces dames — avec l’espoir fou que l’une d’elles monte sur [sa] croix [lui] retire [sa] couronne d’épines et nettoie [ses] plaies avec sa langue ».
L’attaque des salauds
Hélas, mettre en scène sa faiblesse n’éveille pas toujours la compassion. Comme l’écrit Pierre Cormary dans son livre, « ce n’est pas parce que vous vous traitez mal qu’on va vous traiter bien ». L’aveu peut exciter le sadisme. La confession peut entrer en résonance avec la perversité de l’autre. Terrible vérité que Pierre Cormary va apprendre à ses dépens en 2011 et qui va lui offrir la matière de son livre, Trolls.
Ce dernier ouvrage décrit par le menu comment un groupe d’individus, après la découverte de son site internet, Soleil et Croix, a tenté de le pousser à la dépression et au suicide. Il ne s’agissait pas juste de le tuer virtuellement, avec une « nazification de son blog, copie porno de son Facebook, fiche Wikipédia négationniste avec tous les liens identitaires extrémistes possibles », mais en outre de le diffamer sous sa véritable identité, et de le harceler jusque sur son lieu de travail.
Simples jeux cruels ? Peut-être. Mais s’exprime là aussi une confrontation entre deux visions du monde, voire deux ambitions d’écriture.
Car quand Alberich von Grimmelshausen, pseudonyme du chef de file des trolls, ces internautes qui veulent lui faire la peau, décrit Pierre Cormary, comme un mec « qui se la joue Flaubert alors qu’il est un condensé de Charles Bovary, d’Homais et de Bouvard et Pécuchet » ou encore lorsqu’il affirme qu’il y a des types « qui passent l’envie de manger quand on les regarde bouffer. Lui, je vous jure, il passe l’envie d’écrire », on comprend que l’enjeu est immédiatement littéraire.
Le dégoût, d’Alberich von Grimmelshausen est celle d’une certaine droite intellectuelle. Une droite à l’écriture martiale, sérieuse, du mot juste, de l’affirmation virile de soi, qui défend le sublime et la reconquête esthétique. Et si parfois on verse dans l’excès, ce n’est que pour vitupérer dans l’attaque pamphlétaire, à la manière de Bloy. Car l’homme de droite est l’homme de l’ordre social. C’est l’homme des convenances et de la respectabilité. Les trolls se permettent les logorrhées les plus infamantes contre Pierre Cormary que par obsession de la norme. Ils souhaitent le châtier pour son impudeur, son obésité physique qui serait le reflet de l’épaisseur de son esprit, et son immoralité générale et ouvertement assumée. Ils espèrent faire rendre gorge, surtout, à cette mise à nu de soi et de ses faillites intimes, qui va de Jean-Jacques Rousseau à Emmanuel Carrère. Ils brûlent d’anéantir ce qu’ils devinent en Pierre Cormary de mollesse, de positions gentiment raisonnables et fort peu contre-révolutionnaires, tout ce qui sent la pantoufle et même, osons le mot honni, la prose presque sociale-démocrate, d’autant plus impardonnable que l’auteur se prétend homme de droite.
À l’écriture personnelle de ses doutes et de ses défauts, répond donc une littérature du pastiche malfaisant, de la caricature oiseuse, du pamphlet ordurier, ou autrement dit, une écriture de la cruauté. Une écriture qui va littéraliser les discours de l’adversaire, feindre de les prendre au pied de la lettre pour mieux les piéger et les tordre dans l’injure. Alors, ce qui se voulait à l’origine une catharsis, une mise à distance tendre et amusée de ses pulsions, se voit retirer toute dimension littéraire, pour être retourné contre l’auteur et le salir.
Quand un masochiste rencontre des pervers
Mais Trolls offre aussi à lire le récit d’un véritable jeu d’enquête, mené par Pierre Cormary, afin de démasquer ses harceleurs et faire cesser leurs agissements. Cependant cette résistance angoissée et naturelle, ne se départ pas toujours, et c’est peut-être la dimension morale la plus intéressante de cet ouvrage, d’une sorte de fascination de la victime pour ses bourreaux. Une part du narrateur condamne quand une autre applaudit. C’est toute une pente masochiste qui, au long de cette histoire, est prête à sympathiser avec les forces qui tentent de l’annihiler.
Car au fond, s’interroge le Pierre Cormary d’il y a quinze ans, ses trolls n’ont-ils pas raison de le mépriser, lui et ses petites phrases sans œuvres ? Ne font-ils pas que le renvoyer à sa nullité fondamentale ? N’a-t-il pas mérité sa damnation ? Peut-être a-t-il rencontré avec eux ses anges exterminateurs, et que toute leur entreprise n’est qu’une vaste démystification de sa personne d’écrivaillon ? Peut-être qu’il est bien, après tout, ce crapaud qui ose se croire aussi gros que le bœuf et qui doit s’en trouver châtié ?
Mais la fascination ne s’exerce pas que dans un seul sens. Que recherchent, en effet, ces gens qui mettent tant d’ardeur à détruire un anonyme ? On ne déteste pas à ce point quelqu’un qui nous demeure indifférent. Il y a fort à parier que cette tentative de meurtre symbolique cache une jalousie littéraire. Car Pierre Cormary est un homme qui ose écrire et donc, qui ose vivre. Un homme qui n’est pas dans la paraphrase, mais dans l’appropriation des auteurs qu’il aime. Il est déjà dans la construction d’une œuvre propre. Affirmer sa singularité, n’est-ce pas exister dans le monde, quand l’exercice de la violence contre autrui est souvent une faiblesse déguisée ? Et peut-être même que celui qui est dans la négation de sa faiblesse, et de là d’une part de son humanité, ne peut réellement espérer devenir écrivain.
La force vitale n’est donc pas là où on la croit. C’est bien du moins la belle morale de ce livre que de saluer le triomphe d’une écriture de son humanité faillible, face à une prose d’éternels étudiants, de poseurs impuissants à trouver en eux assez de substance pour dépasser le stade du pastiche et de la singerie d’une énergie créatrice qui leur échappe.
Pierre Cormary nous livre en définitive une œuvre originale, entre récit et fiction, confession et fable, où le faux sert à dire le vrai. Un ouvrage qui explore, par des réflexions d’une grande finesse, notre rapport complexe aux identités virtuelles
Hervé Weil
Retour de Patrice Jean, le 22 juin 2025
Cher Pierre,
J'ai lu, hier, Trolls. Avec plaisir et fascination. C'est un livre étrange, l'un des plus étranges que j'aie jamais eu entre les mains, ce qui est un compliment, bien sûr. Je ne vais pas te le décrire (nous nous tutoyons, non ?). Pourquoi étrange ? Parce que le réel et le virtuel s'interpénètrent jusqu'à configurer un monde nouveau, comme une caverne platonicienne où les ombres auraient autant de poids que les objets dont elles sont le reflet. Le livre se termine par une réflexion sur le Mal, et c'est à ce niveau que se situe Trolls : une histoire du Mal, à l'ère d'internet. Le renouvellement des formes du Mal quand la cruauté se réfugie dans un espace inaccessible, d'où elle se déverse sur la tête (réelle mais immergée dans le virtuel) des mortels, et donc de Pierre Cormary. Les dialogues entre les "méchants", sous la férule d'Alberich von Grimmelshausen, pourraient faire penser à un verbatim enregistré lors d'un conclave de diables, ou une assemblée de racailles distinguées. Il n'est pas indifférent que la victime soit presque choisie au hasard : la haine préexiste à son objet, elle se cherche un objet à haïr, à maudire, à humilier. Elle le trouve parmi des centaines, puis ne le lâche plus, jouissant de la douleur qu'elle provoque. Grâce à ton "autobiographie", j'ai mieux compris l'origine du Mal, du moins sa profonde gratuité : il existe, libre et contingent. On apprend, à la fin de Trolls, l'identité d'Alberich, un Normalien, grisé par ses résultats scolaires, qui doit souffrir d'une reconnaissance sociale insuffisante, une fois les études terminées : il est en manque de courbettes et de regards admiratifs. Le monde doit payer sa parcimonie en génuflexion. L'invisibilité et l'anonymat amoindrissent le poids des responsabilité : monde d'enfants cruels, monde de la cour de récréation. Ils ne craignent rien tant que d'être démasqués. De même qu'un vampire craint la clarté du jour et se réfugie dans un cercueil pour lui échapper, Alberich est effrayé par la révélation de son identité, à la fin du récit, au point d'effacer les traces de crimes dont il était fier. Tu as écrit l'un des premiers "romans" du Mal virtuel. Dans Trolls, le réel existe, mais il est relégué ailleurs, dans un ailleurs secret. Toute l'action dramatique se développe dans le virtuel, préfigurant, peut-être, le sort de notre espèce : sa relégation progressive dans le monde parallèle de la caverne. Dans la période précédent de l'Histoire, la haine naissait du choc concret des individus, de l'amour-propre blessé, de la difficulté à vivre, de la chair souffrante, désormais, la haine prend ses quartiers dans le virtuel, au-dessus et à côté du monde réel. (...) Enfin, Trolls déploie une véritable dramaturgie, avec ses coups de théâtre, son acmé, la résolution des conflits. Donc, c'est un livre que je n'oublierai pas. Un très beau livre. D'une totale originalité (je me répète).
Amitiés.
Patrice Jean
Avec Patrice Jean, le 09 juin 2025, place Edgar Quinet
21 juin 2025, d'abord grignoté par Tartine, puis au Louvre avec Mw
Elizabeth Wartner ouvre le bal !
Le 1er juin 2025
(soir de la finale de Ligue des Champions, PSG/inter-Milan : victoire parisienne à 5/0)
avec :
Anne-Emilie Verbecelte
Anne Lecomte
Bruno Deniel-Laurent & Barbara Dabonneville
Bernard Bacos
Claudine Sigler
Diane Mesguich & Geoffroy Hermann (et leurs deux fillettes)
Elizabeth Wartner
Etienne Ruhaud
Faustin Soglo
François Mocaer
Gabriel Boksztejn
Hélène Fresnel
Jean-Charles Fitoussi
Jean-François Rouzières & Delphine 1
Julius Gibbon & C.
Md Gyt
Mona Larsen (et Delphine 2)
Myriam Berliner
Olivier Maillart
Sophie Rey
Stéphanie Hochet
PRÉCÉDEMMENT EN MAI
Avec Aleksandar Mladenovic, mon convignon suffrenien serbe qui me fait l'honneur d'acheter mon livre, le 18 mai 2025.
Avec Noémie Halioua, le 10 mai 2025, Au Rendez-vous des amis (Cambronne).
Avec Gabriel Boksztejn, Etienne Ruhaud et François Mocaer, le 07 mai, à la Fontaine Saint-Michel (réception du livre).