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"Aggraver le réel" (interview Atlantico sur Houellebecq à propos de Soumission)

Interview donnée sur Atlantico la veille du carnage Charlie Hebdo.

 

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Le journaliste Ali Baddou vient de déclarer que la lecture de Soumission "lui donnait la gerbe". Michel Houellebecq déteste les élites, qu'elles soient politiques, culturelles ou médiatiques. Il les provoque volontairement en publiant un tel roman. Houellebecq tente-t-il de piéger les polémistes en les emmenant sur le terrain glissant qu'est celui de l'Islam et de l'islamophobie ?

D'abord, je ne crois pas que Houellebecq "joue", ni même qu'il ait une "stratégie". Sa notoriété internationale, son Goncourt, et l'engouement de son public, qui en fait la seule rock-star de la littérature française, lui ont donné une liberté immense dont aucun autre écrivain français ne peut se gargariser. Il est aujourd'hui au sommet de son art, à la fois extra-lucide et subjectif, et entre deux films et un album pop avec Jean-Louis Aubert, continue son travail romanesque commencé avec Extension du domaine de la lutte en 1994. Il a donc autre chose à faire que de provoquer les média pour le simple plaisir de les provoquer, même si en effet ces derniers le sont - il faut dire qu'un rien les provoque, ces pauvres choux ! (Enfin, l'on parle là des media de gauche qui commencent à perdre la bataille culturelle et qui n'en reviennent pas !) Non, si l'on considère Houellebecq comme un grand romancier, eh bien, on dira qu'il se contente d'exposer sa vérité sur l'état de la France d'aujourd'hui - et qui est partagée par un grand nombre de gens du grand ou du petit public. C'est l'impact sur le public qui est la véritable provocation. Comme De Gaulle voulait s'adresser à la nation en passant par dessus les partis politiques, Houellebeq parle à ses lecteurs en sautant par dessus ceux qui voudraient régler la conscience de ces derniers. D'où les critiques qui reviennent sans arrêt sur la "responsabilité de l'écrivain" et qui sont toujours une façon de liquider la littérature par l'idéologique. En vain, heureusement.

Les polémiques se déchaînent de façon exponentielle par rapport au contenu du livre, lequel s'avère en fait plutôt nuancé. Il ne s'agit en vérité pas d'un brûlot de haine anti-Islam. En suscitant de grossières polémiques, Michel Houellebecq cherche-t-il à se positionner plus haut que les autres dans le débat ?

Encore une fois, je ne crois pas qu'il cherche à se "positionner" à la manière d'un intellectuel médiatique qui cherche la posture la plus avantageuse, et qui bien souvent, dans les milieux parisiens, est celle de l'ironie facile ou de la fausse hauteur de ton qui refuse le débat par mépris du débat (du genre "moi qu'ai fait quinze ans de socio en Sorbonne, j'peux vous dire que Houelleberk, c'est pas ça ! Ni Balzac ni Zola, d'ailleurs !"). Tristes sires qui snobent Houellebecq en refusant de le prendre au sérieux, au fond qui l'évitent, le fuient, et ce faisant, passent à côté et de leur époque et de l'écrivain qui l'a stigmatisée le mieux. Parce que voilà, ces Précieux Ridicules, ces Trissotin et ces Vadius (et je cite Molière sciemment car il ne faut jamais oublier que Houellebecq est un prodigieux auteur comique) ne veulent pas être stigmatisés. Et le bouffon sans vergogne qu'est tout écrivain digne de ce nom, et que lui est sans conteste, oblige à leur déculturation. Car c'est cela un grand écrivain : quelqu'un qui déculturalise, c'est-à-dire qui arrache, sans anesthésie, le vernis culturel, idéologique, déontologique des uns et des autres - et d'ailleurs tous "soumis" les uns aux autres. De ce point de vue, l'insoumission houellebecquienne est formidable.

On vient de le dire, Soumission n'est pas un appel à la haine des musulmans. C'est plus complexe. Ainsi une partie de la gauche ne s'est pas exprimée. Houellebecq ne porte pas dans son cœur la gauche qu'il qualifie de "bien-pensante", mais qui peut aussi le défendre en tant qu'artiste. Houellebecq veut-il aussi les mettre dans une position délicate et ambiguë de cette façon là ?

Soumission est en effet moins une livre sur l'islam que sur la dégénérescence de la France et d'ailleurs moins sur la France que sur la République. Le modèle républicain laïc a vécu autant que l'athéisme de masse imposé par le libéralisme depuis trois siècles. Houellebecq l'explique en ce moment un peu partout : 

« La seule théorie authentiquement perdante en ce moment, dit-il dans une interview publiée dans le Figaro-magazine dans quelques jours, c'est l'idéologie débutée avec le protestantisme, atteignant son apogée au siècle des Lumières et aboutissant à la Révolution, fondée sur l'autonomie de l'homme et le pouvoir de sa raison. Ça, c'est une idéologie qui est très mal partie ; je ne lui ai d'ailleurs même pas donné la parole dans mon roman. »


Vous avez raison de faire remarquer que toute la gauche ne s'est pas exprimée sur ce livre et que l'on a pas mal de raisons de penser qu'une partie de celle-ci, disons la partie "traditionnelle", orthodoxe, "intelligente" allais-je dire pour faire le malin, celle qui était sociale avant de virer sociétale, la gauche "chevènementiste" en un mot, appréciera le livre à sa juste valeur. S'il y a dissensus, ce sera donc entre la gauche Terra Nova et gauche tendance "Laurent Bouvet" (d'ailleurs souvent traité de réac par ses "amis" de gauche). En attendant que le président Hollande donne son avis lui aussi puisque paraît-il, on va le lui lire... Lui qui, disait-on, n'était pas très littéraire, le voilà bien servi depuis quelque temps.

S'il parvient à faire taire certaines critiques, est-ce pour demeurer, là encore, au-dessus des débats ? Afin de prouver qu'il a raison, s'entend.

Si certains s'étranglent ou s'étouffent dans leur "gerbe", eh bien, ce livre aura moins servi à quelque chose... Non, plus sérieusement, il ne s'agit pas, pour un romancier, d'avoir "raison" idéologiquement contre tel ou tel, mais bien de mettre en scène les idéologies dominantes et de bien montrer les filiations paradoxales qu'il peut y avoir, et contre toute attente, entre celles-ci : ainsi, par exemple, le fait que les musulmans soient naturellement et sociétalement "de droite", et comme la Manif pour tous l'a prouvé, et cela même s'ils votent pour l'instant encore à gauche pour de simples et compréhensibles raisons d'intérêt et de survie. Mais sur le plan des valeurs profondes, identitaires, musulmans et catholiques sont d'accord, et c'est ça qui fait s'étouffer de rage la gauche morale socialo intello. (Je ne suis pas trop méchant, là, même pour Atlantico ?)

Michel Houellebecq est un provocateur certes, mais il a des idées et pense sincèrement que l'Islam menace l'occident (qu'il critique aussi). Finalement ces stratégies n'ont-elles pas pour unique but de faire passer son message ? En court-circuitant ses ennemis, par la polémique ou le silence, le message reste présent et n'est pas souillé.

Cessons de parler de "stratégie" et de "provocation". Si Houellebecq s'est imposé comme le plus grand écrivain français, c'est parce qu'il a su saisir à a fois objectivement et subjectivement notre époque. Objectivement, parce qu'il faut être aveugle pour ne pas voir les forces en présence et les tensions qui animent la société française d'aujourd'hui et qu'il a su repérer comme pas un, quitte à "aggraver le réel", comme il dit - mais n'est-ce pas le travail du romancier, qui plus est naturaliste, de le faire ?  Subjectivement, parce que beaucoup d'entre nous, dont votre serviteur, se sont reconnus dans ses personnages depuis toujours. Le succès de Houellebecq, bien plus qu'un succès médiatique fondé sur la provocation est un succès intimiste fondée sur la consolation (et dont la "soumission" fait sans doute partie.) On aime Houellebecq non pas seulement pour le bordel qu'il provoque (et qui fait partie du plaisir, avouons-le) mais mais aussi et surtout par l'apaisement qu'apporte sa parole qui est une parole de vérité - car bizarrement, la vérité apaise. On l'aime pour cette écriture douce et dogmatique, subtile et imparable, apparemment neutre et ô combien personnalisée. On l'aime parce qu'il nous rend raison.

(Questions Jean-Sébastien Létang.)

 

 

 Une critique du magnifique Soumission, suivra, bien entendu, la semaine prochaine...

-------------------A PART CA-----------------------------------------------------------------ET APRES LA MARCHE DU DIMANCHE SEPT JANVIER, UNE "PREMIERE" POUR MOI,-------------- ----------------------------------------------------------------------------------------JE SUIS ET RESTERAI CHARLIE---------------

 

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Commentaires

  • A propos de ce roman de Houellebecq, je ne résiste pas au plaisir de partager cet extrait de l'article de Sylvain Bourmeau, publié le 2 janvier, au sujet du roman de Houellebecq. La parenthèse eu centre est particulièrement savoureuse :

    "La littérature est d’abord un mode de connaissance – c’était le sujet central du précédent roman de Houellebecq, La Carte et le territoire, un grand texte sur l’épistémologie spécifique à l’art, sa capacité singulière, complémentaire des autres modes de connaissance, (les sciences sociales, le journalisme, le droit, la philosophie), à représenter le monde, et nous au milieu. Il est donc d’autant plus rageant de voir un écrivain parfaitement au fait, au plan théorique comme pratique, de la nécessité de se forger les bons outils et de formuler les bonnes hypothèses pour être en mesure d’appréhender le monde, sombrer sans retenue dans les délires paranoïdes qui saturent quotidiennement nos écrans de télévision.

    (À titre d’illustration, la semaine précédant l’écriture de cet article, il a suffi à chaque fois de quelques heures pour que le prisme islam soit privilégié par les médias et les responsables politiques, lorsqu’il s’est agi d’informer à propos de trois événements survenus à Dijon, Joué-les-Tours et Nantes. Quelques jours plus tard, le prisme faits divers paraît s’imposer, et la coloration islam s’estomper radicalement.)

    S’il s’agissait de prendre ces juteux fantasmes épouvantails comme objets, la littérature avait tout à y gagner et notre compréhension du monde avec. Las, de romans-diagnostics écrits au scalpel, Michel Houellebecq passe avec Soumission au roman-symptôme écrit à la cire et truffé d’italiques ridicules en guise de preuves. Il participe (bêtement ?) d’un air du temps rance et explosif qu’il préfère prendre pour argent comptant plutôt que d’en débusquer les enfumeurs et d’en traquer les artificiers."

    Trouvé sur le blog de Bourmeau hébergé par Médiapart.
    http://blogs.mediapart.fr/blog/sylvain-bourmeau/020115/un-suicide-litteraire-francais

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