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"L'homme le plus courageux que j'aie jamais rencontré"

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Cet article, paru dans Le magazine des Livres n° 7, de novembre 2007, est la seconde monture d'un portrait du cher Séverus, écrit à l'époque de la sortie du sixième tome, et intitulé "défense de Rogue"Dans cette "sanctification", je reprends une grande partie du post précédent, supprime les passages d'avant la révélation finale, et conclus d'après celle-ci. Lus l'un après l'autre, ces deux textes se répètent, se complètent, s'éclairent, mais par dessus-tout, témoignent de la ferveur portée au personnage essentiel de la saga HP.

Severus Rogue, c'est le petit garçon aux cheveux gras qui pleure dans son coin pendant que ses parents se disputent. C'est l'enfant mal aimé d'une mère neurasthénique et d'un père déficient qui a le nez crochu. C'est l'ado incapable d'aimer et de se faire aimer, et dont les belles brutes blondes se moquent, par excès de vie, en l'envoyant tournoyer dans les airs au risque de le tuer. C'est le juif symbolique qui décide un jour de renier le sang impuissant de son père, et d'exister par le sang aristocratique de sa mère née Prince. C'est l'élève brillant en potions et en magie noire qui jure de se venger des barbares qui l'ont tourmenté. Et pour cela, qui choisit le camp du Seigneur des Ténèbres, ce Tom Jedusort, lui-même ex-enfant malheureux mais sorcier surpuissant, et qui s'est rebaptisé Lord Voldemort. Cruauté de Dieu qui laisse ses enfants perdus devenir des salauds et qui les punit après coup. Drago Malefoy aussi a failli en devenir un. Condamné par Voldemort à devenir un meurtrier, il n’a pu se résoudre à tuer Dumbledore, et est apparu, dans les toilettes des filles où Mimi Geignarde l'a surpris, comme "le garçon qui pleure". Depuis, ses parents et lui sont en disgrâce auprès de leur maître. Si Jeanne Rowling n’a pas eu la cruauté d’abandonner son trio aryen et l'a fait bénéficier au final d’un « non-lieu » ahurissant sur le plan moral et juridique, mais, somme toute, très dumbledorien (car non seulement les Malefoy s’en sortent sains et saufs mais semblent encore ne pas être « inquiétés » par la justice des sorciers), c’est parce qu’elle a sans doute voulu montrer que le mal peut aussi dégoûter ses adeptes. Le mal est une cause ingrate. Et difficile à servir quand on préfère son enfant à son maître. Lucius (quand même !), et surtout Narcissa, trahiront de fait Voldemort, au nom de Drago. Après la bataille de Poudlard, les trois Malefoy apparaîtront « serrés les uns contre les autres, comme s’ils ne savaient pas très bien si leur place était ici », pitoyables, déclassés, mais sauvés et peut-être s’aimant davantage.

Depuis le début, Harry Potter est une quête du passé, une recherche des origines - on serait même en droit de dire que toute l’oeuvre est une aventure de la mémoire. Au fond, et c'est là, me semble-t-il, la raison de leur succès phénoménal, ces romans d'initiation sont avant tout des romans d'archéologie familiale. L'enfant, on le sait, est l'égyptologue de ses parents et de ses grands-parents. Que s'est-il passé avant ma naissance ? Comment papa et maman se sont-ils rencontrés ? Pourquoi sont-ils morts ? Comment, moi, suis-je encore vivant ? Est-il possible que papa ait été à mon âge aussi cruel avec Rogue que Rogue l’est avec moi aujourd'hui ? Est-il vrai que ce Rogue ait été…secrètement amoureux de maman depuis l’enfance ? Est-ce concevable de penser qu’il aurait pu être mon père ? Tout l'intérêt dramatique des Harry Potter, et qui fait qu'on ne peut littéralement pas en décrocher une fois qu'on s’y est plongé, réside dans ce suspense œdipien des origines.

Donc, Rogue s'est donné le nom de sa mère. On dira que ce fut plus pour des raisons de pouvoir que pour des raisons affectives et l'on aura sans doute raison. Seulement dans Harry Potter, les transmissions vont souvent plus que loin que prévu. Il n'était pas prévu que Voldemort transmette son don du Fourchelang à Harry en voulant le tuer. Il n'était surtout pas prévu, même dans un monde magique, qu'Harry survive au maléfice mortel de Voldemort. Or, en se sacrifiant pour son fils, Lily Potter lui transmet une sorte d'invulnérabilité qui fait que Voldemort n'a pu, ne peut et ne pourra tuer Harry. Mystique de l'amour maternel - le grand thème de Jeanne Rowling. Dès lors, pourquoi ne pas croire qu'Eileen Rogue née Prince est la meilleure partie de son fils ? Significatif que celui-ci ait repris le nom de jeune fille de sa mère, c'est-à-dire sa mère à l'état pur, non salie par le père, non ensemencée par l'homme, sa mère virginale, sa mère mariale ! Dans sa Présentation de Sacher-Masoch, Deleuze a bien montré que le rêve de l'homme (masochiste ou non) est de se faire réaccoucher par la mère, soit de naître sans père, sans Joseph, sans sang moldu - de naître comme un Christ.

235848347.jpgRogue christique ? Pas exactement. Trop équivoque pour l'être, trop chargé d'anciens péchés, trop en conflit avec lui-même aussi - et pourtant comme il accède à l'exigence folle et pourtant légitime de Narcissa Malefoy qui lui demande pour protéger son fils de faire le Serment Inviolable. N'a-t-on pas vu que ce serment entre la mère de Drago et son professeur était  déjà une trahison envers Voldemort ? Que Rogue jure de donner sa vie pour une cause qui n'est pas celle du Prince des Ténèbres ? Que l'amour d'une mère pour son petit salaud de fiston et la complicité d'un « oncle » providentiel dépassent largement les intérêts de ce Dernier et sont presque en contradiction avec ceux-ci ? Pauvre Rogue, quand on y pense, détesté de tout le monde, qui depuis le début doit protéger Harry malgré la haine qu'il lui porte et qui désormais se retrouve le tuteur héroïque et sacrificiel de Drago. On imagine ce que le magnifique Alan Rickman pourra faire dans ce rôle qui est devenu presque le second personnage principal de la série - le  sixième tome se décryptant précisément "Harry Potter et Rogue".

Alors, cette mort de Dumbledore à la fin du sixième tome. Ce choc absolu. Non seulement la perte du personnage le plus rassurant de la saga mais aussi et surtout la preuve que Rogue, sur qui l'on comptait tant, n'était qu'un traître de la pire espèce. Les primaires avaient raison ! Les méchants sont méchants, les gentils sont gentils - et un peu bêtes car ils font confiance aux méchants. Quant aux intellos, encore plus bêtes, toujours à vouloir sauver l'insauvable ou à défendre l'indéfendable, les voilà pris en flagrant délit de déni de réel et de complaisance avec le mal. Que le faux méchant se révèle un vrai méchant est dans l'ordre des choses et c'est tant mieux si les pro-Rogue vont se taper la tête contre les murs. Il est bon de revenir à une saine orthodoxie et de mortifier un peu tous ceux qui ont perverti leur intelligence et dévoyé leur sensibilité à force d' « attirance » pour le salaud. La morale de l'histoire, c'est qu'il faut cesser de plaindre Judas.

Evidemment, c'est se faire violence que d'écrire comme cela. Pour nous qui avons décidé depuis longtemps de croire en Judas autant qu'au Christ, ce manichéisme angélique ne se peut. Insoutenable que Rogue ait tué Dumbledore mais intenable que Rogue soit coupable. Ce serait comme si dans Les Misérables Jean Valjean redevenait voleur de poule, abandonnait Cosette et Marius et se faisait le complice de Thénardier. Non, cette morale puritaine ne nous intéresse pas. Et nous dirons les choses nettement : si Rogue avait été coupable, alors Jeanne Rowling aurait écrit un mauvais livre qu'il aurait fallu jeter aux ordures.

D’abord, il aurait été un peu fort que Dumbledore se trompe à ce point sur son professeur des potions. Ensuite, rien de plus fort et de plus littéraire que la jouissance de la vertu. Rogue innocent est une bénédiction pour l'âme.  Une réconciliation du bien avec la volonté. Une promesse de paradis. Et pour le personnage, une montée en héroïsme sublime. En acceptant de tuer Dumbledore comme celui-ci le lui demandait, Rogue aura pris le risque de se retrouver totalement isolé dans « le camp du bien » - aussi incompris et haï que Judas.... à qui sans doute Jésus demanda un jour qu'il Le trahisse. Judas, l'homme qui accomplit les Ecritures, qui prépare la résurrection, Judas qui a le rôle le plus difficile et le plus ingrat mais qui fait partie du plan de la miséricorde. Judas, l'homme de Jésus jusqu'au bout. Rogue, l’homme de Dumbledore jusqu’au bout – par amour pour Lily.

Dans une interview, Jeanne Rowling a avoué qu’elle avait fondu en larmes en terminant un chapitre de son livre. Parions que c’est celui intitulé Le récit du prince et que l’on ne peut en effet lire sans sangloter. Rogue et Lily enfants, adolescents, Rogue et Lily, les meilleurs amis du monde et les plus complices – de cette complicité originelle qui naquit ce jour où le petit Severus dit à la petite Lily, bien avant tout le monde, qu’elle était une sorcière. Rogue, celui qui a nommé le sang de la mère de Harry Potter. Et qui mourra pour un fils qu’il n’a pas eu !

Comme elle est belle cette mort ! Comme elle nous poursuivra longtemps ! Voldemort vient de le tuer. Il agonise. Harry entre dans la pièce. Rogue perd son sang mais aussi ses ultimes pensées que Harry, aidé par Hermione, recueille dans une flasque et qu’ils liront plus tard. Puis, il demande à Harry de le regarder dans les yeux. « Les yeux verts de Harry croisèrent les yeux noirs de Rogue… » Depuis le début, les potteriens se demandaient pourquoi Jeanne Rowling avait précisé que les yeux verts de son héros allaient avoir un rôle déterminant à la fin. Non qu’ils soient l’occasion d’un nouveau sortilège ou d’un ultime retournement de situation. En fait, c’est d’amour fou qu’il s’agit. Pour la dernière fois de sa vie, Rogue voit dans les yeux de ce garçon qu’il a tant haï et tant sauvé ceux de sa mère qu’il a tant aimée et qu’il a laissée mourir. Il est là l’ultime secret du Prince et d’une certaine manière celui de toute la saga : c’est parce que Rogue a aimé qu’il a trahi le mal.

Ah Rogue... Corbeau sublime !  Il est l'une des plus fortes créations de la littérature populaire. « L’homme le plus courageux que j’aie jamais rencontré », dira en forme de canonisation Harry aux dernières pages du livre. A mettre entre le Chat Botté et Golum, Claude Frollo et Jean Valjean. Il est l'enjeu dramatique, moral et littéraire de toute la saga Harry Potter. Celui sans qui une lecture « adulte » de celle-ci ne serait pas possible. C'est grâce à lui que les enfants pourront se poser leurs premières questions morales. C’est grâce à lui qu’ils comprendront que l’amour est plus fort que la mort. Dommage que ce excellent Serdaigle de Benoît XVI n'ait pas vu ça.
(21 mai 2008)
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Commentaires

  • "Dommage que cet excellent Serdaigle de Benoît XVI n'ait pas vu ça"

    Tu ne crois tout de même pas que Benoît XVI va faire l'éloge d'Harry Potter, dont le héros est un sorcier. Pas très catholique, tout ça.

    Deux notes sur le sombre Rogue, je constate que tu es accro à ce personnage. Normal, de Rogue à Drogue, il n'y a qu'une lettre de différence.

  • Personnellement, il me semblait plus qu'évident que Rogue avait tué Dumbledore à sa demande. La lecture de la fin du tome six me semblait lumineuse. Bien sûr, le doute persistait, car certaines phrases de Rowling laissait entendre que Rogue avait participé à des meurtres depuis son passage plus "intégré" dans le monde de Voldemort.

    Sinon, le fameux chapitre sur l'enfance de Rogue et ses rapports avec Lily et Pétunia est celui qui m'a semblé le moins bien écrit de tout le tome. Rupture de rytme, redite, redondance. Il y avait moyen de faire passer le même message en racourci.

    N'empêche, sur le reste, je suis d'accord, la qualité de la saga HP vient du fait qu'il n'y a pas de bons et de méchants. La déconstruction partielle de Dumbledore qui égrène - comme un dernier abandon de protection envers Harry - le dernier tome en est la preuve.

  • Je trouve quand même ce chapitre à propos du Prince trop rapide, bâclé, et stylistiquement faible (comme le reste du livre)... Un tel personnage aurait mérité un livre entier, plus développé. C'est vraiment dommage, je l'aimais beaucoup, Rogue.

  • Très beau commentaire sur un personnage qui à toute son importance !

  • Benoït, bien que corbeau, n'est pas un Ravenclaw ; c'est un Slythering, - ce qui n'est pas une insulte (quoique...)
    Pour le reste : tout bon... pour un sujet de prédilection.

    Patrice Row(en)ling(a)

    PS : à lire "Harry Potter ou l'anti-Peter Pan : Pour en finir avec la magie de l'enfance", Isabelle CANI

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