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LE KITSCH, C'EST LA NEGATION DE LA MERDE.



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Depuis toujours, il y a dans ma vie des formules, des aphorismes, des versets qui n'ont cessé de m'accompagner, de m'aider à vivre, de contribuer à ma quête intellectuelle et spirituelle mille fois plus que que la lecture de gros livres. Ces phrases, ces pensées sont des points de repère, des fulgurances, des fêlures par lesquelles passe la lumière. Parmi celles-ci :

"Seigneur, ne sois pas avec mes péchés contre moi, mais avec moi contre mes péchés" (Kierkegaard)

"L'enfer existe mais il n'y a personne dedans" (André Frossard)

"Car, mis à part le fait que je suis un décadent, j'en suis aussi le contraire" (Nietzsche)

"Les indemnes aussi en chient" (Nabe)

"Tout est bon quand c'est excessif" (Sade)

"Ce n'est pas un enfant mais un père qui est battu" (Deleuze à propos de Masoch et contre Freud)

"Soyez abject, vous serez vrai" (Houellebecq)

"Je fais ce que je ne veux pas, je ne fais pas ce que je veux" (Saint Paul)

"Il faut que cela soit gai, gai, gai jusqu'aux larmes" (Bruno Walter à ses musiciens en train de répéter L'enlèvement au Sérail)

"Le Christ n'est pas venu abolir la souffrance mais l'emplir de la présence" (Claudel)

"Tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas d'être" (Pascal)

"Il vaut mieux prendre ses désirs pour des réalités que son slip pour une tasse à café" (Pierre Dac)

Et voilà que je tombe la semaine dernière sur la définition du kitsch par Milan Kundera. En neuf mots, celle-ci résume l'époque contemporaine, constitue une synthèse de toute la critique contre-moderne, contient tout Muray. "Le kitsch, c'est la négation de la merde". Oui, alors là, oui. Le reste jaillit de lui-même.


Extrait d'un discours prononcé lors de la remise du prix Jérusalem en 1985 :

"Le mot kitsch désigne l'attitude de celui qui veut plaire à tout prix et au plus grand nombre. Pour plaire, il faut confirmer ce que tout le monde veut entendre, être au service des idées reçues. Le kitsch, c'est la traduction de la bêtise des idées reçues dans le langage de la beauté et de l'émotion... Vu la nécessité impérative de plaire et de gagner ainsi l'attention du plus grand nombre, l'esthétique des mass media est inévitablement celle du kitsch, et au fur et à mesure que les mass media embrassent et infiltrent toute notre vie, le kitsch devient notre esthétique et notre morale quotidienne".


Passage de "l'Insoutenable Légèreté de l'Etre" :


Parlant d'un sénateur américain ému par la vision d'enfants heureux jouant sur une pelouse, Kundera écrit :

"Comment ce sénateur pouvait-il savoir que les enfants signifiaient le bonheur ? Lisait-il dans leur âme ? Et si, à peine sortis de son champ de vision, trois d'entre eux s'étaient jetés sur le quatrième et s'étaient mis à le rosser ?

Le sénateur n'avait qu'un argument en faveur de son affirmation: sa sensibilité. Lorsque le coeur a parlé, il n'est pas convenable que la raison élève des objections. Au royaume du kitsch s'exerce la dictature du coeur.

Il faut évidemment que les sentiments suscités par le kitsch puissent être partagés par le plus grand nombre. Aussi le kitsch n'a-t-il que faire de l'insolite; il fait appel à des images clés profondément ancrées dans la mémoire des hommes : la fille ingrate, le père abandonné, des gosses courant sur une pelouse, la patrie trahie, le souvenir du premier amour.

Le kitsch fait naître tour à tour deux larmes d'émotion. La première larme dit : Comme c'est beau, des gosses courant sur une pelouse !
La deuxième larme dit : Comme c'est beau d'être ému avec toute l'humanité à la vue de gosses courant sur une pelouse !
Seule cette deuxième larme fait que le kitsch est kitsch.

La fraternité de tous les hommes ne pourra être fondée que sur le kitsch.

Nul ne le sait mieux que les hommes politiques. Dès qu'il y a un appareil photo à proximité, ils courent après le premier enfant qu'ils aperçoivent pour le soulever dans leurs bras et l'embrasser sur la joue. Le kitsch est l'idéal esthétique de tous les hommes politiques, de tous les mouvements politiques.

Dans une société où plusieurs courants coexistent et où leur influence s'annule ou se limite mutuellement, on peut encore échapper plus ou moins à l'inquisition du kitsch ; l'individu peut sauvegarder son originalité et l'artiste créer des oeuvres inattendues. Mais là où un seul mouvement politique détient tout le pouvoir, on se trouve d'emblée au royaume du kitsch totalitaire.

Si je dis totalitaire, c'est parce que tout ce qui porte atteinte au kitsch est banni de la vie : toute manifestation d'individualisme (car toute discordance est un crachat jeté au visage de la souriante fraternité), tout scepticisme (car qui commence à douter du moindre détail finit par mettre en doute la vie en tant que telle), l'ironie (parce qu'au royaume du kitsch tout doit être pris au sérieux), mais aussi la mère qui a abandonné sa famille ou l'homme qui préfère les hommes aux femmes et menace ainsi le sacro-saint slogan "croissez et multipliez-vous".

De ce point de vue, ce qu'on appelle le goulag peut être considéré comme une fosse septique où le kitsch totalitaire jette ses ordures."


"Si, récemment encore, dans les livres, le mot merde était remplacé par des pointillés, ce n'était pas pour des raisons morales. On ne va tout de même pas prétendre que la merde est immorale ! Le désaccord avec la merde est métaphysique. L'instant de la défécation est la preuve quotidienne du caractère inacceptable de la Création. De deux choses l'une: ou bien la merde est acceptable (alors ne vous enfermez pas à clé dans les waters !), ou bien la manière dont on nous a créé est inadmissible.

Il s'ensuit que l'accord catégorique avec l'être a pour idéal esthétique un monde où la merde est niée et où chacun se comporte comme si elle n'existait pas. Cet idéal esthétique s'appelle le kitsch.

C'est un mot allemand qui est apparu au milieu du XIXe siècle sentimental et qui s'est ensuite répandu dans toutes les langues. Mais l'utilisation fréquente qui en est faite a gommé sa valeur métaphysique originelle, à savoir: le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde; au sens littéral comme au sens figuré: le kitsch exclut de son champ de vision tout ce que l'essence humaine a d'essentiellement inacceptable."

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Commentaires

  • En fait c’est simplement sur la définition même du mot Kitsch que je me pose des questions. Le Kitsch étant justement en termes de décoration notamment, par essence les choses « dites » de mauvais goût (kitsch quasi objectif : le clown en point de croix au mur) et l’utilisation du kitsch consiste à braver ce mauvais goût avec une distance ironique comme pour dire c’est tellement laid que ça en devient beau.
    Dès lors l’analyse de Kundera dans la définition de Kundera, Kitsch = mauvais goût, alors justement que le mauvais goût dont il parle est de nature totalement subjective et traite essentiellement du mauvais goût de cet émotionnel « travaillé », c'est-à-dire en trois temps (comme vous l’avez souligné justement – « oh c’est mignon » et « n’est-il pas tout aussi mignon que je trouve ça mignon » avec « quelqu’un oserait-il ne pas trouver cette superposition de choses mignonnes non mignonne ? »). Antagonisme de toujours entre raison et émotion avec la dictature de l’émotion.
    Mais pour revenir au Kitsch, le Kitsch est donc ce qui est « objectivement » de mauvais goût pour certains – la critique du Kitsch correspondant ni plus ni moins qu’à la critique du blaireau de mauvais goût, le Kitsch actuel serait un mec en marcel qui fait du tuning en écoutant du Thunderdome volume 18 pendant qu’il insulte sa femme Jessica devant ses deux gamins Brian et Dylan sur un parking de Super U) – en 1860, on imagine que les canons du Kitsch différaient quelque peu.
    Dès lors, le travers du Kitsch pris en ce sens conduit à la même conclusion car c’est en faisant du Kitsch, un art, même pris au deuxième degré (je pense que contrairement aux bobos massifiant il n’y a que 2 degrés de compréhension et l’expression « faut le prendre au 12ème degré » part d’un désir de se rassurer donc n’est qu’un aveu d’impuissance), passons…si le Kitsch devient un art et que le filtre du second degré n’est plus alors le beau n’est plus le beau et la merde n’est plus la merde et c’est de ce nivellement des valeurs de l’esthétique ou de l’art en général que la négation de la merde prend tout son sens. Cela dit ce sont des procès qui ont déjà été fait à Badelaire ou à l’Art Populaire. Le Kitsch ne devenant que le pendant artistique de la lutte des classes… « je ne vois pas pourquoi mon cheval mordoré qui boit dans un joli lac violet avec un pierrot posé sur la lune en fond de toile ne prendrait pas toute sa place à côté de ton Nicolas Poussin ! ».

    Borderline

  • Mais enfin tu n'as nul besoin de Milan Kundera, c'est toi le roi du kitsch ! Je te lis exprès pour cela en me remplissant la tête tous les jours grâce à toi de ma dose de kitsch dégoulinant et de premier choix, tu es le Gilles&Pierre de la littérature en croix, tu es la cerise sur le chapeau d'Amélie Nothomb, tu es le digest idéal de la philosophie d'Harry Potter !
    Mon cher vade-mecum sans lequel je ne pourrais pas affronter les dures épreuves de ma vie quotidienne : le commerce et sa séquelle de clients.
    Groupons-nous et demain ce sera la merde finale ...

    Je compte que dans ton beau livre sur papier glacé où il y aura autant de croix que de pages, autant de fouets que de maîtresses à la fourrure, tu ne nous décevras pas et que les énormités y seront au rendez-vous !
    Je vais demander à Raphaël Juldé de te surveiller, c'est sa spécialité, il tient un Journal littéraire où il note toutes les déviations les plus intimes.

    Et que la grâce de Dieu soit avec tous les écrivains ... est-ce assez kitsch ?

  • "Ecrivain : un terrible métier où dès que l'on ouvre la bouche l'on se compromet. Je ne sais pas si cela rassure les imbéciles ..."

    Tu es rassuré ? En tous cas, je te remercie d'être l'auteur de cette phrase pas si imbécile que ça.

  • Nous sommes presque d'accord ... ça ne va plus être drôle !


    PS J'ai vu pour la première fois il y a quelques jours le film de Claude Autant-Lara avec Danielle Darrieux, bon, je t'aurais bien vu dans le rôle d'Adonis le frère caché d'Amélie.

  • Je ne sais pas si Kundera est kitsch ou non, je ne l'ai jamais lu ; pourtant sa définition du kitsch est fort intéressante. Il ne s'agit pas en effet de "mauvais goût", mais d'un goût consensuel : on pense tout le bien que pensent les autres. Car le kitsch se définit par le qu'en dira-t-on. L'homme politique n'est pas kitsch car il embrasse un sale moutard, mais parce qu'il sait que les mères de familles vont s'attendrir du fait qu'il embrasse le sale moutard. Le kitsch est en fait une absence total de goût. Car le goût est une opinion esthétique. Or le kitsch n'a aucune opinion esthétique. Il fait les choses comme il faut, sans s'occuper du pourquoi ni du comment.

    Montalte n'est jamais kitsch quoique souvent de goût douteux ; Pierre et Gilles ne sont jamais de mauvais goût mais baignent dans le kitsch. C'est une insulte de considérer que Montalte est le Pierre et Gilles de la littérature (pourquoi en croix?)

  • Serait-ce que le kitsch ne peut être perçu qu'au second degré? A savoir : non pas l'objet lui-même mais, selon Kundera, la façon consensuelle que l'on a de considérer un objet que l'on sait universellement aimé.
    Mais le kitsch serait aussi la dictature : dans une dictature les hommes de pouvoir visent à établir le consensus en marginalisant, puis en détruisant, toutes les formes d'impulsions individuelles.
    Est-ce à dire, donc, que l'image d'Epinal serait le summum du kitsch dans une société fondée médiatiquement sur le contrôle absolu des masses?
    Peut-on être consensuel ("la bombe atomique et les enfants qui meurent, c'est très mal") sans pour autant devenir kitsch?

  • De belles disputes en perspective ....

  • Est-ce que tu as défilé hier pour demander le promotion du kitsch dans tous les musées de France ? Un beau Pierre&Gilles au milieu des Impressionnistes du musée d'Orsay, cela aurait de la gueule (tiens ! juste à côté de "l'Origine du Monde").

    Moi je ne pratique mes lavements qu'à l'eau bénite c'est ma manière de lutter contre la crise de foi du monde moderne.

  • "Là où ça sent la merde, ça sent l'être" .

    Antonin Artaud.

  • Tu ne crois pas si bien dire, Pidiblue, car il y a deux ans, Orsay avait invité Pierre et Gilles à exposer une de leurs oeuvres dans le cadre d'une correspondance entre oeuvres classiques et oeuvres modernes. On y voyait une sculpture très belle de Vincent Feugère des Forts, La Mort d’Abel, entourée trois très laids tableaux de Pierre et Gilles sur le même thème d'Abel. Bien sûr, j'allais gribouiller sur ces toiles à chacune de mes pauses.

    http://www.argol-editions.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=22

    Artaud, oui, oui, Raimbault...

  • "Bien sûr, j'allais gribouiller sur ces toiles à chacune de mes pauses." Montalte

    En prison ASSASSIN !

  • Mieux que "le kitsch est la négation de la merde" : le kitsch est la négation de l'absurde.

    Le kitsch est l'ultime subterfuge qu'ait trouvé la culture pour se donner l'illusion
    de circonscrire l'absurde.

    (l'absurde est un outrage à la connaissance et à la culture)

  • Si je peux me permettre quelques rappels :
    1)L'esthétique kitsch, caractérisée par "l'usage hétéroclite d'éléments démodés" (petit Robert), s'est d'abord appliquée au maniérisme de Louis II de Bavière. C'est la surenchère décorative au service d'une conception populaire ou petite-bourgeoise du "beau" : somptuosité toc (Disneyland), signes superficiels de richesse, dits aujourd'hui "bling-bling" et vus comme symptômes de bonheur (poupées Barbie, films de Bollywood), effets surannés (boules à neige, paillettes disco), religiosité fétichiste (statuaire saint-sulpicienne, Lourdes), etc.
    2)Ne pas confondre le "kitsch" avec le "camp", qui est volontaire et conscient (Jeff Koons, Austin Powers), ce qui n'exclut pas la sincérité : Pierre et Gilles à leur façon sont des naïfs, au sens pictural, ils mettent en scène des fantasmes assumés comme tels, par exemple "et si on était des cosmonautes sur une gentille planète fleurie ?"
    http://www.institutfrance.bg/IMG/jpg/pierre_gilles_photo_taille_3_pour_site-2.jpg

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