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Il faut sauver le soldat Naulleau, par Patrick Besson

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Voici le chroniqueur télé Eric Naulleau devenu, en quelques mois d'antenne sur France 2, la bête noire des éditeurs, la créature vomitive des hommes politiques, l'individu répulsif des philosophes, la persona non grata des écrivains, le raseur accablant des chanteurs. Il fait fuir les invités de Laurent Ruquier comme un clodo gueulard tombé d'une benne à ordures dans une présentation de lingerie fine. Dès que sa grosse bouche molle et dédaigneuse-qu'il tente en vain désormais de faire disparaître sous la barbe de Frédéric Beigbeder-s'ouvre, un frisson de dégoût parcourt le plateau, le public et les téléspectateurs. Du moins tous ceux qui me parlent d'« On n'est pas couché ». Eric Naulleau est en train de devenir l'Erich von Stroheim de la télévision française : le gnome que vous aimerez haïr. D'abord enivré par le nouveau statut de procureur général de la création artistique française que lui a offert la productrice Catherine Barma, il commence à comprendre que, si l'art est facile, la critique est difficile. Il en a marre de passer pour le salaud qu'il sait ne pas être, car ce n'est jamais soi, le salaud, ce sont les autres. Il croyait que ce serait courageux de dire publiquement à des artistes qu'on déteste leur travail alors que c'est la lâcheté même, car les autres ne peuvent rien répondre pour leur défense. Ça revient à gifler quelqu'un de plus fort que soi quand il a les mains attachées. Du coup, Naulleau a l'air d'un couard qu'il ne croyait pas être et qu'il n'était sans doute pas avant de cachetonner à « On n'est pas couché ». Il ne sait plus comment échapper au personnage odieux, boursouflé, fort et stupide qu'il s'est fabriqué dans l'euphorie d'une notoriété télévisuelle inattendue. Il s'est vautré dans sa soudaine puissance médiatique comme un hippopotame dans une mare, grognant et soufflant son mépris à tort et à travers, persuadé de faire oeuvre de salubrité publique alors qu'il ne fait aucune oeuvre, rien que des saletés. Il erre désormais d'un plateau de France 2 à un autre, embarrassé quand il se tait et gêné de parler. Il a peur de décevoir en disant quelque chose de gentil et d'exaspérer en disant quelque chose de méchant. Du coup, il croise les bras sur sa forte poitrine d'intellectuel sédentaire et toise les autres invités avec l'air entendu de qui n'entend rien sauf cette petite voix intérieure qui répète inlassablement aux anges déchus qu'ils sont des merdes. J'aimerais l'aider, mais je ne sais pas comment. La seule chose qui pourrait le sauver, ce serait d'être quelqu'un d'autre. A défaut, peut-être devrait-il essayer d'écrire un beau roman, de tourner un bon film, de composer une jolie chanson. Quelle obscure timidité retient Naulleau au bord de la création, lui qui s'essuie les pieds avec tant d'aisance sur celle des autres ? De quoi as-tu peur, Eric ? Pas de passer à « On n'est pas couché » et de subir les apostrophes vexatoires, les remarques sournoises et les sous-entendus visqueux de Naulleau puisque c'est toi, Naulleau. De toute façon, tu n'as plus le choix. « Après la critique doit venir l'affirmation inouïe. » C'est une phrase d'Henri Thomas (1912-1993), grand écrivain français qui ne passait pas à la télévision, car il avait compris que c'est inutile.

 

Publié le 12/03/2009 N°1904 Le Point
Il faut sauver le soldat Naulleau
Patrick Besson

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Commentaires

  • C'est amusant de voir que ce type de controverses n'intéresse finalement que cette "bulle" médiatico-parisianiste pour reprendre une idée de JF Kahn (une fois n'est pas coutume - cet homme à l'instar de Sartre est très intelligent mais il pense de travers). En bref, vu de loin, il ne s'agit que de télévision et rien de plus. Et pour un grand consommateur de télévision que je suis, Naulleau est très appréciable. Enfin pour être tout à fait honnête, le tendem Naulleau/Zemmour est appréciable, comme une sorte de juste équilibre. Les invités connaissent le principe, leur dernier livre ou film ou pièce ou album vont passer dans les fourches caudines des deux critiques, ils le font avec une ferveur certaine mais avec malice (dans les deux sens du terme). Pour un téléspéctateur moyen que je suis, c'est intéressant de voir un invité souvent bien protégé et bien conforté dans son statut, se faire un brin chahuter avec des arguments intelligents. Ils vont contre le bobo confortable, le bien pensant inattaquable, sachant que Ruquier fait souvent un peu de lèche derrière pour contre balancer. La critique d'un critique consiste toujours à dire qu'il s'agit d'un artiste râté qui ferait mieux de créer plutôt que de descendre les créations des autres mais c'est ainsi, tout le monde n'est pas artiste. Naulleau et Zemmour resteront en tant que polémistes et non en tant qu'écrivains, malgré des opus intéressants de Zemmour, Houellbecq restera en tant qu'écrivain et non en tant que polémiste. Donc je trouve le procès de Naulleau un peu simpliste et, en tant qu'observateur distant je dirai qu'avant de sauver le soldat Naulleau, il y a en a de la chaire à canon télévisuelle à sauver (Drucker, Cauet, Castaldi, voire même Ardisson qui fait aujourd'hui du Ardisson en nettement moins bien...). Les Naulleau et Zemmour sont en droite ligne de Montesquieu et contre-balancent le prétendu pouvoir intellectuel et culturel d'un ramassis de snobs pétris de certitudes. La nature reste bien faite donc ! Et je continue à penser que cela ne concerne (du verbe préoccuper) qu'une frange infime de la population, pour le reste c'est de la télévision ma foi bien divertissante ni plus, ni moins.

    Borderline

  • Il faut sauver le soldat Montalte ...
    Depuis qu'il pond de la critique littéraire tout le monde le quitte ou le déteste allègrement et en plus il n'est pas payé ! Aucune excuse donc si ce n'est pas pour bouffer qu'il écrit, c'est par pure méchanceté.
    Le pistolet ou se jeter au pied de la croix dans quelque monastère retiré au fond des bois, je ne vois rien d'autre pour sauver de lui-même ce mercenaire des lettres perdu de vices.
    Priez mes frères et soeurs pour lui ...

  • On aura beau dire, on aura beau faire, la critique littéraire télévisuel est toujours pathétique face à celle des revues, magazines et autres journaux.
    Du moins, je l'estime, étant donné que la télé reste un objet de plus en plus absent de ma petite vie.
    Si Naulleau semble insupportable que dire de son compère Eric Zemmour ? Il a beau avoir mille fois raison de mettre Mac Lévy au rang qui lui sied (celui de caniveau), chacune de ses apparitions est une invitation au meurtre.

  • Besson est effectivement un bon portraitiste. Je n'ai jamais vu Naulleau, supporter Ruquier est au-delà de mes forces, et puis à cette heure là je suis déjà couché, mais Besson le fait véritablement apparaître. Il s'inscrit d'ailleurs dans une tradition qui va de Saint-Simon à Mauriac.

  • Je résiste pas à citer le portrait Cocteau par Mauriac :

    Moraliste ? oui, bien sûr ! Mais pourquoi pas poète, romancier, cinéaste, peintre, dessinateur, metteur en scène, maître de danse? Car n'est-il pas un peu tout cela, et même beaucoup mieux qu'un peu? (...) L'ubiquité, voilà son don authentique et admirable: il est partout chez lui, dans tous les genres, et simultanément, sans même avoir besoin comme Frégoli de passer quelques secondes derrière le décor. Dans le Journal d'un inconnu il va même jusqu'à penser. C'est extrêmement fort. Voilà le moment où la musique s'arrête, où il ne faut pas applaudir, où nous retenons nôtre respiration...
    Heureusement, il y a le filet.

  • Pliée de rire par le titre suivi d'une photo qui relève du génie !

    Naulleau , le sauver , pourquoi ? Je suis contre l'acharnement thérapeutique . Étant athée , je ne peux même pas prier pour lui .

  • Patrick dénonce... Curieux tout de même cet acharnement (c'est le combientième de portrait-charge? Au moins le 3eme à ma connaissance... ). Curieux l'occultation systématique du métier de (très bon) éditeur qui est celui de Naulleau (même si sa présence médiatique exponentielle l'explique)... Cette haine semble surtout prouver que Besson a été réellement piqué par le pastiche de Jourde et Naulleau. Après qu'il soit un sale type c'est bien possible, prisonnier de son systématisme et de sa défroque de méchant, sans doute... Mais Besson ne vaut pas beaucoup mieux.

    Bien à vous Montalte.

  • Besson est bien embêté, lui qui depuis des années endossait le costume du rebelle/dandy fin et lettré mais incisif voilà qu'un autre le remet à sa place et lui montre qu'il n'était qu'un premier de la classe comme un autre visant les félicitations du maître, et finalement cette célébrité illusoire à laquelle tout le monde aspire de nos jours, même, et surtout, pour rien. Naulleau n'est pas méchant, Naulleau est lucide, il ne fait que constater. Dans le grand consensus mollasson de notre société spectaculaire et consumériste, c'est très mal la contradiction, la vraie, pas l'apparence de, car cela contredit cet accord qu'il y a pour maintenir le statu quo actuel.

  • "La seule chose qui pourrait le sauver, ce serait d'être quelqu'un d'autre". Peut-être est-ce un compliment de la part de quelqu'un que Montalte a nommé - si ma mémoire est bonne - le "gémeaux absolu".
    Si Besson veut que Naulleau écrive quelque chose, il n'a qu'a pondre un nouveau "Pour la critique". Besson s'empressera de répliquer par un "Contre Naulleau". Ou alors "l'hippopotame contre l'ange déchu" dans la vase à Fort Boyard, si l'on veut vraiment faire société du spectacle.

  • "Dans le grand consensus mollasson de notre société spectaculaire et consumériste, c'est très mal la contradiction, la vraie, pas l'apparence de, car cela contredit cet accord qu'il y a pour maintenir le statu quo actuel."

    C'est vrai.

    Mais est-ce que cela s'applique vraiment à Naulleau ?

    Car se moquer de Catherine Breillat, de Bernard Werber, de Marc Lévy, est-ce véritablement une posture héroïque, ou bien une autre manière de faire perdurer le statu quo ?

  • C'est vrai que cela ne remet pas en cause le statu quo, mais au moins quelqu'un remet en cause les élites auto-proclamées de ce pays, et sa frilosité littéraire et intellectuelle ou son rétrécissement. Finalement, le Nouveau roman et l'autofiction, ou les romans de gare de Marc L. ou Bernard W ne sont que ça, un rétrécissement du roman et de l'art romanesque.

  • Ludovic a raison - comme toujours - moi je m'attaque à Jean d'Ormesson, c'est mon côté archéologue, je viole les tombeaux des pharaons ... euh ! je veux dire les tombes des académiciens.

  • Il n'y a pas de sens à reprocher à celui qui ne crée pas (qui ne peut pas créer) de ne justement proposer aucune création, car la place d'un critique est précisément à l'intérieur de cette critique (donc du groupe communautaire qu'elle implique, avec ses obédiences théoriques et ses copinages bobo-mondains) et non à l'extérieur, dans cette objectivité que le public (qui est, par essence, lui, subjectif) réclame à corps et à cris. Naulleau a raison d'être Naulleau pour les mêmes raisons que Besson a raison d'être Besson : parce qu'on ne peut qu'observer l'autre sans pouvoir le devenir.

    Le "Fais donc un roman !", déclinable à l'infini des arts ("Fais donc un film!") est une fausse réponse à un mauvais problème.

    N'empêche : indépendamment de l'excellent portrait que fait de lui Besson, car j'aime particulièrement les chroniques de l'écrivain, je conseillerais bien à Naulleau de commencer tout bonnement à AIMER des choses plutôt que de toutes les DETESTER. Le critique a le devoir de critiquer, mais l'humain sensible à le droit de ressentir des émotions devant un livre, un film, un poème, une toile, un ballet. On croirait que Naulleau n'aime rien (ce qui n'est sans doute pas vrai), on penserait que Naulleau n'est même pas humain (ce qui ne l'est pas plus), et tout ça parce que Naulleau lui-même s'ingénie à nous en donner l'impression (fausse) pour les mêmes raisons que citées auparavant : parce qu'il veut être ce qu'il est. L'identité précède l'humanité : je suis critique avant d'être organique.

    Le futur de l'humanité : l'Homo Naulleaunus?

  • Vieille rengaine. Le critique, le contradicteur est forcément un atrabilaire, un misanthrope, et pas seulement depuis Sainte-Beuve, Eric Naulleau aime beaucoup d'écrivains, en particulier ceux d'Europe de l'Est. Il faut lire ses livres avec Pierre Jourde. En fait je crois qu'il aime surtout la littérature, plus que Patrick Besson qui reste dans la posture.

  • Certes, Amaury, mais comme nous en parlions, Raphaël et moi (et qu'on ne dise pas que nous sommes les Pierre et Gilles de la blogosphère littéraire), lorsque Naulleau s'en prend avec une férocité incongrue aux livres-confessions-aveux d'une Laurence Boccolini ou d'une Mimie Mathy, arguant qu'on tient la honte de la littérature et se référant à Kafka, Kadaré et Kundera pour mieux les démolir, il se fourre doublement le doigt dans l'oeil. Primo, parce que leurs auteurs ne se présentent pas du tout comme écrivains - inutile donc de les passer à la dissection exégétique. Deuzio, parce qu'à part quelques demi-intellos, il n'y a aucun public pour applaudir ce qui apparaît alors comme une boucherie inutile et somme toute méprisante. Les ménagères de moins de cinquante ans qui aiment la bonne bouille de Mimie et le le franc parler de Lolo, comme les lecteurs de Julien Gracq, se foutent complètement des performances naulliennes en ce domaine. C'est comme si un amateur de grand vin s'en prenait oenologiquement à la vodka orange.

  • "Deuzio, parce qu'à part quelques demi-intellos, il n'y a aucun public pour applaudir ce qui apparaît alors comme une boucherie inutile et somme toute méprisante." Montalte

    Au contraire c'est une chance de voir s'exercer un peu de cruauté sur des bons sentiments, dès lors que ceux-ci s'étalent complaisamment à la télévision, et
    sachant que la télé nous gave de bons sentiments.

  • "C'est comme si un amateur de grand vin s'en prenait oenologiquement à la vodka orange."

    Très bon, et cela résume, pour moi, Naulleau.

    (Et Jean d'O, qu'est-ce que c'est poussif...)

  • La photo résume à elle seule le personnage... Sans intérêt. Mais qui est le plus à plaindre? Le fade Naulleau, le Sachant Zemmour, les invités maso qui savent en venant qu'ils vont s'en prendre une quelque soit leurs talents ou bien encore les télespectateurs friands de ces joutes inutiles ?

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