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Genèse I - Adam et Eve, Caïn et Abel

 

 

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Genèse 1 - Séparations

Lumière et séparation.

Lumière sacrée.

Lumière sexuelle.

(Ne jamais oublier que l'étymologie de sexe est la même que celle de sacré et que le sacré, comme le sexe, c'est ce qui est séparé.)

Et pour créer, il faut d'abord séparer. La ténèbre de la lumière. Le ciel de la terre. La terre des eaux. Les étoiles du soleil et de la lune. Le jour de la nuit. Le matin du soir.

"Il y eut un soir et il y eut un matin : premier jour."

La création, c'est d'abord les semences et les espèces - chaque graine, chaque fleur, chaque fruit "contenant sa semence selon son espèce", l'expression apparaissant au moins une douzaine de fois en une page. L'important est que ça grouille, que ça prolifère, que ça croisse, que ça (se) multiplie. Insectes, oiseaux, monstres marins. La vie déborde de partout. La vie est fondée sur la séparation des sexes via une hétérosexualité divine (qui n'est rien d'autre que le triomphe de la biologie).

"Dieu créa l'homme à son image,

A l'image de Dieu, il le créa,

mâle et femelle, il les créa."

Et ce petit tercet, d'ailleurs mis en évidence dans le texte par son style et sa mise en page, n'en est rien moins que le premier poème de l'humanité. Les trois mots importants, bien sûr, sont "homme", "femme" et "image".

L'homme et la femme à l'image de Dieu.

L'être à l'image de Dieu.

Et c'est pourquoi il sera ensuite si compliqué d'interdire les images.

La cinématographie initiale de la Genèse.

Dieu, l'arroseur arrosé.

Pourtant, "Dieu vit que cela était bon" (sept fois). On aurait pu dire "penser" - Dieu pensa que cela était bon.

Non, on dit "voir". On n'est pas chez Platon et les intellos. On est dans la vie, le voir, l'image, la lumière.

Oui, il risque d'être impossible, le second commandement. Et c'est bien fait.

 

 

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Genèse 2 - Eve, la vivante.

 Si le travail est une chose nécessaire et sérieuse, le repos est une chose légitime et sacrée. Le repos est sanctifié par Dieu.

Dieu qui lui-même se repose au septième jour, épuisé d’avoir séparé tous les éléments, donné lieu à toutes les semences et, surtout, avoir créé celui-ci, l'homme, avec la poussière de la terre et son souffle à Lui (d'autres traductions parlent de glaise, mais je préfère la poussière. On sent mieux l'air dans la poussière, le vent dans les cheveux, l'haleine divine dans les particules.) Et puis, un peu d'air dans ce monde de terre et d'eaux, ce n'est pas mal.

Ce sont en effet les fleuves qui les premiers constituent la carte et le territoire du monde primal. Pishôn, Gihôn, Tigre, Euphrate.

Tous ces fleuves descendent de celui qui vient du Jardin d'Eden, là où Dieu a installé son bonhomme, et où deux arbres singuliers ont été plantés. L'arbre de la vie et l'arbre de la connaissance. Et la connaissance est d'abord celle du bien et du mal.

Mais cela n'est pas vraiment cela qui fait tiquer.

Non, ce qui crée d'emblée une petite réflexion est que s'il y a un arbre "de vie", alors le second ne peut être qu'un arbre de "mort". D'ailleurs, Dieu prévient Adam : "si tu manges du fruit de la connaissance, tu crèves."

Autrement dit, la connaissance, le savoir, la morale, c'est la mort.

Et Adam, comme Ulysse chez Calypso, choisira la mort.

L'humanité choisit toujours la mort - non pas tant par "nihilisme primitif" ou esprit de vengeance contre son Créateur (encore que....) mais parce que c'est la mort qui va rendre intéressante la vie. C'est la mort qui rend conscient, qui donne envie d'aimer, de désirer, de faire des choses. La mort, c'est la vie.

En attendant, Adam, un peu désoeuvré, tue le temps en nommant toutes les bestioles qu'il y a autour de lui. Et chacun de ses noms signifie "être vivant".

Encore une fois, la Genèse est avant tout biologie.

Problème : Adam a-t-il une dimension biologique ? Ce qui est sûr, Dieu s'en aperçoit tout de suite, c'est qu'il déprime tout seul au milieu de son bestiaire et de ses deux arbres dont il n'a pas très bien compris pourquoi le second était là s'il ne peut pas le toucher. A ce propos, Adam se touche-t-il ? Ce serait une raison pour Dieu de lui créer une compagne et encore plus de voir l'homme si heureux quand il se réveille, une côte en moins, et qu'il voit sa copine. A cet instant, il exulte :

"Pour le coup, c'est l'os de mes os et la chair de ma chair !

Celle-ci sera appelée femme car elle fut tirée de l'homme, celle-ci !"

Et c'est le second poème de l'humanité. Celui du bonheur de l'homme d'avoir une femme.

Au fond la situation s'est répétée. Même s'il ne dit pas "image", on y pense tout de même : l'homme a été fait à l'image de Dieu et la femme à l'image de l'homme. La différence entre les deux est que l'homme a été tiré de la poussière (du néant) alors que la femme a été tirée de la chair, du sang, de la viande - du vivant.

Impossible dès lors de ne pas considérer que la femme est plus proche du vivant que l'homme et que si ce dernier est le premier "existant", elle est la première vivante. Et c'est sans doute cela qui ravit l'homme. Car même si lui n'a pas eu de parents (et pour cause), il pense déjà à quitter ceux-ci s'il en avait eu, afin de ne faire qu'une seule chair avec cette adorable créature qui vient de lui mais qui a l'air bien mieux que lui.

 

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Genèse 3 - Chute dans le savoir

Mort - savoir - liberté.

Nudité - honte - conscience.

Malédiction divine - condition humaine - guerre éternelle.

Dieu a menti par omission. Manger du fruit de la connaissance, ce n'est pas mourir tout de suite, c'est faire le choix de connaître le bien et le mal, c'est-à-dire devenir libre, et comme rajoute le serpent, "être comme des dieux". Lui ne ment pas.

A peine Adam et sa femme (qui n'a pas encore de nom) ont-ils goûté de ce fruit que leurs yeux s'ouvrent aussitôt. Ils se découvrent nus et, de honte, se font des pagnes avec des feuilles de figuier. Mais qu'est-ce que la honte sinon la découverte de la sexualité, c'est-à-dire de ce que l'on est, de ce que l'on désire et de, si j'ose dire, la découverte de l'autre ? Adam et sa femme sont passés de l'enfance à l'adolescence, de l'innocence à la conscience, de l'insouciance au souci de soi. Ca fait mal mais ça valait le coup. Et s'ils se cachent de Dieu par crainte des représailles, ils ne semblent à aucun moment regretter.

Dieu fulmine et, si j'ose encore dire, révèle sa véritable nature d'irascible punitif sadique.

"Tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie, beugle-t-il au serpent. Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre sa descendance et la tienne. Elle t'écrasera la tête et tu l'atteindras au talon."

La guerre éternelle entre le diable et l'humanité est déclarée. L'Histoire est cette guerre, faite par les hommes mais ordonnée (pour ne pas dire voulue) par Dieu.

Puis, comme dit Philippe Muray, "le cahier des charges" infligé à l'un et à l'autre sexe.

A la femme, la douleur d'accoucher, le désir malheureux pour l'homme, sa soumission à celui-ci.

A l'homme, le douleur du travail perpétuel, la sueur de son front, les amertumes sans fin de l'existence ("épines et chardons"), la promesse de la mort ("tu es poussière et tu retourneras à la poussière"), et peut-être même la soumission.... aux mensonges de la femme ("parce que tu as écouté la voix de ta femme....").

Sur ce passage, Muray est lumineux (Sortie de la libido, ES III, p 27) : la mort n'est pas du côté de la femme mais du côté de l'homme. Tout s'acharne à rappeler à l'homme sa condition de mortel alors que

"rien n'indique que la femme doive mourir, ni surtout qu'elle ait une connaissance directe de cette fin".

Comme si la femme avait conservé quelque chose de sa condition à Eden alors que l'homme avait tout perdu.

Au fond, Dieu préserve la femme.

C'est que la vie dépend de la femme. Et c'est ce dont se rend compte tout de suite son compagnon. La femme est "la vivante" par excellence et par définition, c'est-à-dire L'EVE. L'homme baptise la femme du nom qui veut dire "vie". La femme, c'est la vie. Donc, l'homme, c'est la mort. CQFD.

Mais le plus important est à venir : après avoir vêtu Adam et Eve de peaux de bêtes (Dieu est couturier, entre autres), il déclare :

"Voici que l'homme est devenu comme L'UN DE NOUS par la connaissance du bien et du mal. Maintenant qu'il ne tende pas la main pour prendre aussi de l'arbre de vie, en manger et vivre à jamais."

Et de barricader le jardin.

N'empêche. En désobéissant à Dieu, l'homme s'est élevé au statut d'être céleste, ange, archange, "l'un de nous". Le serpent avait raison : "mange de ce fruit et tu seras comme les dieux". Il n'aurait suffi à Adam que de remanger du fruit de l'arbre de vie pour avoir, en plus de la connaissance, l'éternité. Alors, il aurait été confrère de celui qui eut les deux en son temps : Satan.

 

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DISCUSSION

 Francis M. - Mouais.

Tu me donnes plus l'impression de plaquer tes propres fantasmes sur la question, avec Murray comme cache sexé.
Dieu est moins père fouettard que père tout court. Sa défense de manger le fruit peut autant se lire comme une mise en garde que comme un interdit. Enfin, cela fait un moment qu'on ne lit plus le péché originel comme la découverte de la sexualité...

 

Pierre Cormary - Mon approche est avant tout littéraire. C'est typique qu'à chaque fois que l'on essaye de rendre la perspective tragique d'une oeuvre ou d'une pensée, on est confronté à des "pudeurs de gazelle", comme dirait l'autre.

La Genèse est le livre des séparations. Séparations de la lumière et de la ténèbre, du ciel et de la terre, des éléments entre eux, de l'animal et de l'homme, de l'homme et de la femme, de l'état de grâce et de l'état de péché.

Ce n'est pas plaquer ses "fantasmes" que de constater que la chute est la sortie manu militari du Jardin d'Eden, et que l'homme bienheureux et éternel se retrouve mortel et jeté dans une vie de douleurs. Dieu, à ce moment-là n'est pas un bon papa gâteau mais un créateur qui, à plusieurs reprises, est tenté de détruire sa création (déluge) ou de la refréner (épisode de Babel). Lui-même apprendra avec le temps son propre amour pour l'homme. Lui-même aura sa "révélation", si j'ose dire (et ce sera le Christ). Mais au début, la relation avec l'homme est passionnelle et violente.

Ce que Dieu dit au serpent, à la femme et surtout à l'homme est terrible. Il ne s'agit que de mort, de peine, de sueur, d'angoisse - ce qui fait, si je ne m'abuse, notre condition humaine.

"Mise en garde" ou "interdit" revient dans ce contexte au même : si tu manges le fruit, tu crèves. Ce n'est pas un commandement moral mais une condition métaphysique et physique. Mais si tu manges le fruit, dit le serpent, tu seras conscient, connaissant, et peut-être même moral (l'arbre de la connaissance du bien et du mal). Et l'homme choisit la conscience. Et la conscience, c'est la honte (Hegel, Levinas, etc), et la honte, c'est la découverte de soi. Et le soi, c'est le sexuel, la nudité. "Ils se virent nus et ils se couvrirent". Et quand Dieu les surprend, Adam bégaye "j'ai eu peur , parce que je suis nu et je me suis caché". On ne peut pas être plus clair sur la réalité de la chute : honte, peur, culpabilité, mais aussi liberté, autonomie - et sans doute aussi plaisir. Comme Ulysse chez Calypso, Adam et Eve ont choisi d'être mortels. Et à peine sont-ils hors du paradis qu'Adam "connut" sa femme. Le besoin de procréer suit la nouvelle condition mortelle. La mort prochaine provoque l'instinct sexuel. Ce n'est pas mon "obsession", mais l'obsession de l'humanité - et même si on peut y voir aussi l'histoire de chacun d'entre nous : enfant, adolescent, adulte. La Bible, c'est l'histoire de nos vies, aussi.

A condition, évidemment, de lire vraiment et de ne pas avoir froid aux yeux. De ce point de vue, Muray est un maître.

 

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Genèse 4 - Frérocité

 Quand Eve enfante Caïn, elle exulte :

"j'ai acquis un homme de par Yahvé !"

(Remarquons qu'elle semble avoir plus joui de Dieu que d'Adam, comme ce sera le cas plus tard, et de manière encore plus directe, de la Vierge avec, ou plutôt sans Joseph.)

Quand elle enfante Abel, elle ne dit mot.

L'aîné, devenu cultivateur, reste son préféré - alors que le cadet, bientôt pasteur, sera le préféré de Dieu. Adam, lui, est parti à la pèche. Comme Joseph, il n'intervient plus dans l'histoire.

Un jour, les deux frères se présentent à Yahvé et montrent leurs offrandes.

"Or Yahvé agréa Abel et son offrande. MAIS IL N'AGREA PAS CAIN ET SON OFFRANDE."

Je ne connais pas de phrase plus injuste, plus abominable, plus pousse-au-crime que celle-là. Comme on comprend Caïn ! L'injustice absolue qui lui est faite. Le divin qui se détourne de lui. Il y a vraiment quelque chose de pourri au royaume de Dieu.

Caïn tue Abel car Caïn a été mortifié par Dieu.

Pourtant, Dieu va se rattraper. Après le meurtre, et une vague gronderie que le Très-Haut fait au fils rejeté, il décide de protéger quand même celui-ci.

"Si quelqu'un tue Caïn, on le vengera sept fois."

Je tiens cette protection pour le premier acte d'amour direct (et la première volte-face - elles seront légion) de Dieu.

L'amour de Dieu pour les hommes commence par le signe de Caïn.

En même temps, d'un point de vue légal et moral, c'est hautement scandaleux. Dieu protège le méchant et lui laisse vivre sa vie.

Dieu a été injuste deux fois : en se détournant de Caïn et en ne punissant pas le meurtre d'Abel.

Mais cette injustice est la chance de l'homme.

Il y a donc un espoir pour tous, même pour les tueurs.

Et du coup, Caïn devient un bâtisseur, un urbain, un civilisé.

Caïn est le premier civilisé.

Il construit la première ville de l'humanité.

La première civilisation est caïne.

Il prend une femme, a des enfants, des petits-enfants, et parmi ceux-ci un certain Lameck.

Ce Lameck continue le travail de son père de plus belle et se donne deux femmes et trois fils qui seront respectivement bédouin, musicien et forgeron. Une civilisation est "en marche", comme dirait l'autre.

Lameck ou les origines de la culture.

Mais le sang ne ment jamais - et Lameck avoue un jour à ses femmes qu'il a tué un homme et que comme son illustre grand-père aurait été vengé sept fois s'il lui était arrivé malheur, lui-même devra être vengé septante-sept fois dans le même cas. Hérédité, quand tu nous tiens !

Quoiqu'il en soit, la fraternité est une "frérocité", la civilisation se fait dans le sang et le sang revient toujours. Dieu qui s'en aperçoit commence à intervenir dans la vie de ses créatures - et c'est une bonne nouvelle.

La Genèse raconte la lente prise de conscience de Dieu envers l'homme. Et qui aboutira un jour au Christ.

De son côté, Eve a un troisième fils, Seth, qui lui aussi fonde sa civilisation et dans laquelle "on commence à évoquer le nom de Yahvé".

Ce Seth, c'est un peu le retour d'Abel, non ?

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(Illustrations tirées de Mektoub my love, d'Abdelattif Kechiche, le plus beau film du monde depuis A Tree of life, de Terrence Malick.)

 

 

A SUIVRE

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