(A mi-chemin des Bienveillantes, et emporté par un plaisir de lecture que d'aucuns qualifieraient de coupable, voici quelques premières réflexions concernant le phénomène littéraire qu'est devenu à très juste titre Jonathan Littell.)
300 000 volumes vendus pour l'instant, un immense succès critique allant jusqu'au délire (le Tolstoï français !), le prix de l'Académie Française, le prix Goncourt... et comme il se doit quand on a trop de succès en France, les habituelles Malveillantes qui tentent de l'abattre. De ce livre qui s'impose comme l'un des plus puissants romans français sur la Shoah, sinon le seul, on a dit qu'il était révisionniste, puis apocryphe, puis copié collé, puis mal écrit, puis illisible, puis racoleur, puis révisionniste - le prix de la critique la plus perfide (et la plus ahurissante) revenant évidemment à Christine Angot qui lors de l'émission de FOG sur la Cinq [voir http://www.dailymotion.com/visited/search/christine%20angot%2C%20sarkozy/video/xg89n_chez-fog-nicolas-sarkozy], éructa que si Les Bienveillantes avaient autant de succès, c'était parce que son auteur était juif (!), et que "cela faisait jouir les gens d'avoir un nazi juif" (!!), qu'elle "ne jouissait pas" (!!!) mais considérait qu'un écrivain véritable n'a pas le droit d'écrire "ça" (!!!!), le tout face à un Nicolas Sarkozy éberlué, d'origine juive lui-même, et se retrouvant dans le rôle avantageux du défenseur de la liberté d'expression doublé de celui du lecteur éclairé !
En fait, le seul défaut que l'on pourrait trouver à ce roman de neuf cent pages, et qui m'a taraudé les deux cent premières, est qu'il était peut-être mieux édité qu'écrit (comme on dit d'un film qu'il est mieux produit que réalisé). Tout y est en effet trop parfait, trop équilibré, et donc apparemment trop attendu : le bruit et la fureur, le sang et la neige, les balles qui sifflent et le silence de la steppe, les massacres et les violons, les réflexions platoniciennes devant les exécutions, la petite fille de quatre ans qui prend la main du monstre, les secrets sexuels qui remontent, les madeleines en plein carnage, la déshumanisation de rigueur du héros principal - lui-même nazi exemplaire, Waffen SS, participant zélé des redoutables Einsatzgruppen puis cadre à Auschwitz, esthète, homosexuel, mélomane, linguiste, philosophe, moraliste, "viscontien" en un mot, tellement brillant et torturé d'ailleurs qu'il relève moins du nazi ordinaire, petit fonctionnaire du mal, cher à Hannah Arendt que de ce "nazi bien trop subtil" stigmatisé par Libération, qui semble comprendre en direct tout ce qu'il vit. Ce Maximilien Aue est en effet autant un nazi qu'un spécialiste du nazisme - qui parle comme s'il avait lu Raoul Hilberg, Ian Kershaw et Primo Levi, qui analyse l'hitlérisme mieux que ses collègues et qui vomit trop régulièrement ses intestins et son dégoût pour en être vraiment - donnant du coup l'impression que "les vrais nazis", les vrais barbares, sadiques et médiocres, ce sont toujours les autres et jamais lui. Lui est une sorte de Stavroguine ou d'Electre à la croix gammée, plus nihiliste que nazi, qui se répète toutes les trois cent pages la fameuse phrase de Sophocle, à savoir que "le seul bienfait en ce monde est de ne pas naître." Qu'importe alors ses rencontres "significatives" avec les stars de l'époque ! Qu'il prenne le thé avec Heydrich, soit décoré par Himmler, discute le coup avec Eichmann et, je n'en suis pas encore là, croise le Führer lui-même, il reste "l'étranger" de "l'équarrissoir", "l'intello compliqué" (p 223) des charniers, sans doute aussi criminel que les autres mais moins répulsif qu'eux et indéniablement plus "classieux" (qu'on le compare à l'hystérique Blobel ou bien à la brute Tureck, "un des rares antisémites viscéraux, obscènes" avec qui il risquera un duel) De plus, l'auteur a eu la bonne idée de faire de lui un franco-allemand, ce qui permet de lui faire fréquenter le tout Paris et rencontrer Céline, Rebatet et les autres. Bref, Aue apparaît comme un témoin trop chargé de son temps. Mais est-ce un défaut que de faire d'un unique personnage une figure tutélaire du mal ? Après tout, Céline n'avait-il pas fait de Bardamu le témoin idéal des tranchées, de l'Amérique, de l'Afrique et des banlieues parisiennes ?
L'autre accusation, plus morale que littéraire celle-là, serait que Littell confond douteusement la monstruosité singulière du nazisme avec la monstruosité particulière de son héros, incestueux et matricide, pour ne pas dire homosexuel [comment la communauté gay a reçu le roman, c'est ce que je voudrais bien savoir], réduisant par là-même les crimes du nazisme aux crimes "mythiques" de l'humanité. C'était déjà la polémique provoquée par le film d'Olivier Hirschbiegel sur Adolf Hitler, La Chute et dont le traitement tragico-mythique (madame Goebbels en Médée) apparaissait pour les plus mal embouchés de nos critiques comme un crime de déontologie culturelle. Quelle pitoyable idée de la culture ces cultureux n'avouèrent-ils pas là ! N'est-ce pas au contraire ce qui peut arriver de mieux à l'Histoire (c'est-à-dire à la souffrance des hommes) que d'être comprise sur le mode de la tragédie grecque ou celui de la Bible ? Est-ce révisionniste que de lire le récit d'un nazi à travers les Atrides, Oedipe ou le sacrifice d'Isaac par Abraham ? Et la littérature n'est-elle pas là pour affirmer, signifier, éterniser un événement de cette ampleur et de cette horreur ? La littérature, lieu de l'antinégationnisme par excellence ? Je le crois. Au contraire, dans Le Point de la semaine dernière, le philosophe juif autrichien, rescapé d'Auschwitz, Jean Amery, se plaint que "le IIIème Reich de Hitler sera bientôt simplement de l'Histoire, ni pire ni meilleure que d'autres époques dramatiques, un Reich sanguinaire, certes, mais qui avait aussi sa vie quotidienne. Hitler, Himmler, Goebbels, Heydrich deviendront des noms comparables à Napoléon, Robespierre ou Saint-Just". Comme Claude Lanzmann, comme tous les gardiens du temple du plus grand crime de l'histoire contemporaine, Amery croit que rendre la vie quotidienne du nazisme banalise ce dernier... alors que c'est le contraire qui est vrai ! Aujourd'hui, c'est l'Hitler des documents revus cent cinquante fois qui nous paraît banal et c'est l'Hitler qui prend son petit déjeuner qui nous réapparaît terrifiant ! Plus c'est normal, plus c'est atroce ! Plus le bourreau nous ressemble, plus nous ressentons ce qu'il est ! Et il a bien compris ça, Littell, avec sa première phrase, l'incipit le plus saisissant qui ait été donné de lire dans un roman contemporain :
"FRERES HUMAINS, LAISSEZ-MOI VOUS RACONTER COMMENT CA S'EST PASSE. On n'est pas votre frère, rétorquerez-vous, et on ne veut pas le savoir. Et c'est bien vrai qu'il s'agit d'une sombre histoire, mais édifiante aussi, un véritable conte moral, je vous l'assure. Ca risque d'être un peu long, après tout il s'est passé bien beaucoup de choses, mais si ça se trouve vous n'êtes pas trop pressés, avec un peu de chance, vous avez le temps. Et puis ça vous concerne : vous verrez bien que ça vous concerne."
Les voici les deux raisons scandaleuses (et toutes simples) des Bienveillantes : 1) la fiction qui donne plus de réalité à la réalité que la réalité, 2) l’emploi du "je" qui agit comme un "tu" ou un "vous" et qui en défrise certains. Re-création et introjection. Avec ce doublet, Littell réinvente la littérature, la vraie, celle qui nous donne à dépasser la connaissance "objective" de l'Histoire et nous force à voir celle-ci dans son innommable nudité. Dès lors, toutes les barrières tombent et Les Bienveillantes commencent à nous faire vibrer. On faisait la fine bouche ? On déclarait tranquillement que celles-ci n'étaient qu'une dissertation historico-philosophique de premier de la classe ? Un voyage au bout de la nuit en Orient-Express ? On prétendait que ce Jonathan Littell n'était rien d'autre qu'un "best of" de Robert Merle + Primo Lévi + George Steiner + William Styron ? Il faut se rendre à l'évidence. C'est la première fois qu'on lit un truc pareil ! Et qu'on lit avec avidité, fascination, répulsion, toujours étonné par ce que l'on était censé connaître. Chez Littell, le stéréotype devient prototype, le déjà vu une surprise, et la compile une savante symphonie à la Gustav Mahler, puissante, organique, obsédante... Parfois trop longue mais dont on se rend compte que les longueurs participent aussi à la narration, ne serait-ce que pour nous apaiser entre deux horreurs. Et l'on se met à adorer ce livre qui fut, faut-il le rappeler, un succès de librairie bien avant que la presse ne s'en empare. Comme si "le public" attendait quelque chose comme ça - "le grand roman français sur le nazisme" qui ne soit pas l’énième réflexion sur l'Holocauste et qui ose sans complexes et sans complaisance le point de vue du bourreau. Le plus incorrect mais aussi le plus humain. Cela aussi est faussement à la mode. On en parle souvent, mais on le réalise très peu. Car on a beau admettre du bout des lèvres, comme ça, théoriquement, que le nazisme, ça pourrait être nous, quand un auteur ose se mettre dans la peau d'un SS et nous interpelle comme "frères humains", bien de bonnes âmes ne sont plus d'accord. De Houellebecq à Littell, en passant par le Shakespeare de Richard III (et sans oublier l'Alex d'Orange mécanique qui nous appelait aussi ses "frères et seuls amis"), l'introjection du narrateur sur le lecteur n'est jamais allée de soi et pour nombre de coeurs purs (... purs pour eux), cette fraternité imposée est rédhibitoire. - Non, nous ne sommes pas votre frère de camp ni votre cousin de déprime, arrêtez de parler en notre nom, arrêtez de nous mêler dans votre mauvaise littérature, hurle de toute éternité le mauvais lecteur, celui qui refuse de se reconnaître dans un des personnages de la Divine Comédie ou de la Comédie Humaine. Insupportable d'être pris à partie par un salopard d'écrivain qui nous force à participer à son petit jeu pervers ! Aussi insupportable que l'autre grand thème du livre - la haute culture mélangée à la barbarie, "vieille" théorie steinerienne qu'on croit admise partout alors qu'elle n'a que rarement été mise en scène. Le scandale avant, c'était de dire que le bourreau était un homme ordinaire. Le scandale, aujourd'hui, c'est de dire que le bourreau est un intellectuel brillant. Regardez nos terroristes islamistes, que des universitaires ! Enfin, dans un monde déchristianisé comme le nôtre, si la culture n'est plus facteur d'hominisation et d'humanisme, que nous reste-t-il pour être des "frères humains" ? Ne serions-nous hommes plus que dans le mal comme semble ironiser Littell ? Tout cela est désespérant.
Et puis, il y a autre chose. Jusqu'à présent, seuls ceux qui avaient connu, sinon vécu, cette période, avaient autorité sur la question. Au risque de dire un "gros mot", ces Bienveillantes sont à leur manière le roman d'une génération, la nôtre, la mienne, celle qui a commencé à se débarrasser de tout le sacré que l'on a mis pendant soixante ans autour de cette affaire (Adorno, Lanzmann). C'est qu'on ne pouvait parler que d'une façon religieuse de la Shoah. Surtout pas de blague, pas d'oeuvre, pas d'image - c'était le seul événement interdit de représentation. Des films ébranlèrent ce pesant credo : La liste de Schindler, La vie est belle et La chute déjà citée. Littell est dans cette tendance. Avec lui, Auschwitz est enfin devenue une fiction, oserait-on dire - une fiction, c'est-à-dire une histoire éternelle, "un conte moral", une tragédie grecque, un poème de Celan. Loin de diluer le nazisme dans l'histoire indifférente, Littell assure au contraire la transmission artistique idéale, "eschyléenne", du XXIème siècle - sans laquelle le nazisme risquait précisément de devenir un événement comme un autre. Comme le dit l'excellent JLK sur son blog, nous avons affaire avec Les Bienveillantes avec "un changement de registre mémoriel". Le "devoir de mémoire" sera désormais de moins en moins officiel et de plus en plus romanesque et, contrairement à ce que pensent les nigauds "vingtièmistes" du sanctuaire, trouvera dans la recréation littéraire ou cinématographique sa pérennité. Il en fut toujours ainsi : qui se rappellerait de la guerre d'Espagne sans Guernica de Picasso ? Ou Napoléon en Russie sans Guerre et paix ?
Certes, il ne faut pas exagérer les comparaisons. Littell n'est sans doute ni Tolstoï, ni Céline ni Vassili Grossmann mais Thomas Mann, Boris Pasternak et Henri Barbusse ne le sont pas non plus, et c'est à leur côté que Littell trouve sa très éminente place. Ni métaphysicien révolutionnaire, ni styliste génial, ni blessé de l'histoire, mais un récitant hors pair qui a le sens de l'épopée comme de la dramaturgie, du réalisme comme de la fantasmagorie - qu'on relise le final hallucinant de la Courante (pp 375-395) et qu'on ose redire qu'il est un mauvais écrivain. De toutes façons, comme il le déclare lui-même dans Le monde des livres de cette semaine : "un texte très mal écrit peut se révéler de la grande littérature, quant un autre, pourtant très bien écrit, n'est pas de la grande littérature. Il faut juger un livre en fonction de ses objectifs, de ses exigences propres et non par rapport aux autres livres." Et de rajouter avec une humilité et un sens aigu de l'excellence littéraire qui l'honorent que le vrai combat d'un livre ne se situe pas contre les autres livres mais bien contre lui-même : "mon livre est contre lui-même, il travaille contre sa propre exigence, qu'il n'atteindra sans doute jamais". Chapeau Jonathan ! Sauf que si le style le plus accompli est celui qui se met au service de l'histoire et non au service de lui-même, alors vous êtes est le plus grand des stylistes. Enfin un écrivain qui ne se regarde pas écrire ou qui ne considère pas son écriture comme "pensante" ! Voilà qui nous change autant des petits nombrils germano-pratins que des gros méta-cerveaux cyber-incorporés ! Au diable cette littérature d'intention qui a plus d'idées que de mots ! Les seules intentions de Littell sont narratives et croyez-moi, il a les moyens de nous faire aimer son livre, ce petit ! Déjà des scènes inoubliables : le premier charnier de Aue (p 39), le petit juif Yakov que l'on garde parce qu'il est pianiste... et que l'on exécute après qu'il ait eu la main écrasée en maniant un cric (p 92 et 103), l'appel au secours déchirant des Juifs que l'on vient d'enfermer pour la première dans « le camion Saurer », chambre à gaz ambulante, « Chers Allemands ! Chers Allemands ! Laissez-nous sortir ! »(p 166), l'extraordinaire moment, "dostoïevskien" s'il en est, de l'érudit tchétchène qui vient se rendre aux nazis, demander son exécution et qui avant que Aue ne l'abatte, rappelle à celui-ci les trois attitudes possibles devant la vie :
"D'abord l'attitude de la masse, hoï polloï, qui refuse simplement de voir que la vie est une blague. Ceux-là n'en rient pas, mais travaillent, accumulent, mastiquent, défèquent, forniquent, se reproduisent, vieillissent et meurent comme des boeufs attelés à la charrue, idiots comme ils ont vécu. C'est la grande majorité. Ensuite, il y a ceux, comme moi, qui savent que la vie est une blague et qui ont le courage d'en rire, à la manière des taoïstes ou de votre Juif. Enfin, il y a ceux, et c'est si mon diagnostic est exact votre cas, qui savent que la vie est une blague, mais qui en souffrent." (p 267)
Un nazi qui souffre - quoi de plus obscène et quoi de plus réel ? Le réel, c'est ce qui est à la fois évident et scandaleux, immanent et immonde, tautologique et singulier. Ainsi du télescopage perpétuel (aussi naturel qu'o combien amoral !) que le héros fait entre l'holocauste et sa vie privée : ces photographies de déportés qui se mettent en écho avec les photographies familiales (p 122), ou ce groupe de juifs que l'on pend et qui lui rappelle le collégien abusé par les prêtres et qui s'était pendu dans son école catholique (p 161) - l'enfance plus traumatisante que les charniers ? Seuls ceux qui n'ont pas vécu ne seront pas d'accord. Où Kierkegaard dit-il que pour un individu les événements intérieurs importent plus que les événements extérieurs ? On peut exterminer vingt mille personnes (épisode Kiev) et pleurer sa soeur incestueuse. On peut être barbare et déprimer de sa barbarie. L'angoisse existentielle des SS qui finissent par n'en plus pouvoir de leurs propres tueries, obligeant Himmler, Eichmann et les autres à envisager quelque chose d'autre qu'ils ne peuvent encore nommer mais dont ils commencent à comprendre, non sans appréhension, qu'elle est l'aboutissement nécessaire, "ontologique", de leur système. Voilà ce que l'on a si rarement décrit. La progressive prise de conscience de la "solution finale" par les nazis eux-mêmes et qui leur fait peur.
"« Puis-je vous poser une question, Herr Doktor » - « Fais, fais mon petit. » - « Quel est votre rôle dans tout ceci, au juste ? » - « A Leland et moi, tu veux dire ? C’est un peu difficile à expliquer. Nous n’avons pas une position bureaucratique. Nous… Nous nous tenons aux côtés du Führer. Vois-tu, le Führer a eu le courage et la lucidité de prendre cette décision historique, fatale ; mais, bien entendu, le côté pratique des choses ne le concerne pas. Or entre cette décision et sa réalisation, qui a été confiée au Reichsführer-SS, il y a un espace immense. Notre tâche à nous consiste à réduire cet espace. Dans ce sens, nous ne répondons même pas au Führer, mais plutôt à cet espace. » - « Je ne suis pas certain de tout à fait comprendre. Mais qu’attendez-vous donc de moi ? » - « Rien, si ce n’est que tu suives le chemin que tu t’es toi-même tracé, et jusqu’au bout. » - « Je ne suis pas vraiment sûr de ce qu’est mon chemin, Herr Doktor. Je dois réfléchir. » - « Oh, réfléchis ! Réfléchis. Et puis appelle-moi. Nous en rediscuterons. » Un autre chat essayait de monter sur mes genoux, laissant des poils blancs sur le tissu noir avant que je ne le chasse." (p 422)
... Il y a une terreur froide qui émane de ces pages mais qui ne sombre jamais dans la complaisance. Justesse souveraine de Jonathan Littell. On n'a pas dit assez que Les Bienveillantes étaient un livre d'une rare probité qui arrive à respecter à la fois le détail et la distance. Par exemple quand il décrit une scène où un nazi fracasse la tête d'un nouveau-né contre le coin d'un poele (p 149). Tenez, moi-même en rapportant cette scène, il y a quelque chose d'un peu immature. Littell lui ne l'est jamais. A la manière d'un William Faulkner, son écriture atteint cet équilibre apollinien dans l'immonde. Aucun arrêt sur l'horreur. Le mouvement du texte l'emporte sur les morts. Et comme dans tous les grands livres, la mort renvoie à la vie, la représentation de l'horreur redonne de l'énergie, le dégoût du monde se transforme en amour. Les Bienveillantes assurent la transsubstantiation artistique de Thanatos en Eros. Alors, oui, impossible de ne pas devenir littellien.
------------------------
PISTES A SUIVRE :
Interview de Jonathan Littell dans Le monde : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3260,36-835008@51-835100,0.html
Livres et disques préférés de l'auteur sur le site de Gallimard : http://www.gallimard.fr/lesbienveillantes/
"Un nazi bien trop subtil" (Libération) : http://www.liberation.com/opinions/rebonds/215896.FR.php
"Un canular déplacé" (Le figaro) : ttp://www.lefigaro.fr/debats/20061108.FIG000000047_les_bienveillantes_un_canular_deplace.html
Critique (positive) de Télérama : http://www.telerama.fr/livres/M0608181443450.html
Carnets de JLK : http://carnetsdejlk.hautetfort.com/les_bienveillantes/
Commentaires
Nicolas Sarkozy juif (!!!!!!!!!!!!!!!!!!!). Un de ses grand-pères oui, le hongrois peut-être, en tout cas celui qui l'a élevé... Mais pas sa mère. Nombreux sont toutefois ceux à le croire... Mais cela est de peu d'importance et un peu hors-sujet par rapport à votre texte.
Montalte, votre référence à Sarkozy ici est à la fois incongrue et fausse. Sarkozy a seulement un grand père juif du côté maternel (originaire de Salonique) et a été élevé dans la religion catholique, la religion de sa mère et de sa grand-mère maternelle, son père appartenant à une famille de petite noblesse hongroise et protestante.
Votre texte sur Les Bienveillantes (que je suis en train de lire, en étant moins avancé que vous dans ma lecture) est intéressant, stimulant, assez juste, bien qu'outré par moments. On est surpris à la lecture à la fois par la force du détail et l'élégance de certaines formules, qui, évidemment, contraste avec la crudité du récit. Le caractère authentiquement littéraire du livre frappe le lecteur, sa réputation de roman documenté, à l'américaine, ayant tendance à l'écraser. Mais en effet, c'est l'évidence, nous ne sommes ni chez Tolstoï, ni chez Mann, plus près de Grossman sans doute.
J'en viens à deux points essentiels : la prétendue trop grande subtilité de Aue et l'effet dénonciateur ou esthétisant du livre. Il suffit de bien connaître le nazisme, sa sociologie, l'origine intellectuelle de ses cadres et non seulement de ses sympathisants, pour trouver absurde le premier reproche. Lanzmann n'a pas échappé à cette naïveté consistant à dire que Littell avait prêté une intelligence juive à un nazi. N'importe quel historien sérieux du nazisme en sourirait... Evidemment, c'est Steiner qui a raison contre Lanzmann.
La question de l'effet du livre sur le lecteur est plus difficile à apprécier. La distance n'est pas absente du récit, mais c'est une distance qui relativise et non qui dénonce. Et lorsque la distance est abolie par l'immédiateté du récit, l'esthétique l'emporte parfois sur l'éthique. Autrement dit, il y a dans le roman une ambiguïté qui semble échapper à l'auteur lui-même. C'est le danger de l'évocation du nazisme qui toujours est à double tranchant parce qu'il est double lui-même, comme la figure du diable. Il faut comprendre que la "flamme" du nazisme est aujourd'hui entretenue par des oeuvres qui veulent instruire ou prévenir. La fascination est coeur même de la dénonciation.
Sur Sarkozy, disons alors "d'origine juive"... Vous me répondrez que c'est encore forcer sur les origines ? Peut-être. Mais dans le contexte, face à Christine Angot et ses énormités, on ne pouvait qu'y penser.
Sinon, cher Ulhan, le problème du nazisme est qu'en parler de n'importe quelle façon pourra toujours apparaître comme équivoque. Et c'est vrai que Les Bienveillantes feront les délices de petits groupuscules nazillons, mais pas plus pour eux que "Nuit et brouillard" ou "Si c'est un homme". N'importe quoi peut exciter n'importe qui et même le sacrifice des innocents dans l'Evangile pourra aiguiser le sadisme de tel ou de tel taré.
Par ailleurs, où s'arrête et où commence ce que Stanley Kubrick appelait "l'horrible fascination pour le nazisme" ? Dans un film de Kubrick ou de Visconti précisément ? Ou même de Fritz Lang dont Hitler était un grand amateur ("Métropolis" l'avait parait-il "favorablement" impressionné)? Ou dans un opéra de Wagner ? Ou une symphonie de Beethoven ? Ou une phrase de Heidegger ? Qui enfin ne s'est jamais senti pris esthétiquement à partie, presque contre son gré, en portant son attention sur cette période ? A quelle moment l'attention au nazisme devient-elle douteuse ? Hitler, figure du mal absolu, a en effet quelque chose d'irrésistible - peut-être sa voix comme l'écrivait Steiner dans son "Transport d'A.H".
C'est très curieux. Hier soir, je prenais un pot avec ma meilleure amie et lui disais tout le bien que je pensais du roman de Littell et qui me rappelait aussi celui que je pensais du film "La chute". Un film qui, elle, l'avait profondément dégoûté, et qu'elle trouvait inutile, stupide, inconsistant. - Mais franchement, ai-je rétorqué interloqué, tu n'as pas été sensible à l'incarnation de Bruno Ganz ? Tu ne trouves pas intéressante la représentation d'un Hitler en chair et en os ? - Non. Du tout. Toi peut-être, mais pas moi.
Et sans doute ne lira-t-elle pas Les Bienveillantes pour les mêmes raisons car pour elle, le point de vue littéraire d'un bourreau nazi ne sert en rien à la connaissance du nazisme et ne risque au contraire que d'en faire l'apologie. Et de manipuler les esprits faibles comme moi.
Le problème n'est pas tant l'humanisation de Hitler -qui par définition est un faux problème- que l'esthétisation du nazisme. La Chute, en comparaison des Bienveillantes, est dans une simple négativité qui fait d'ailleurs l'impasse sur la négativité absolue du nazisme exterminateur. Les Bienveillantes sont dans une négativité esthétisante, en dépit de leur part de réalisme extrême, qui les rapprocherait plus des Damnés ou de Portier de nuit. C'est ce qui fait, esthétiquement, littérairement, la supériorité du livre de Littell sur celui de Merle (La Mort est mon métier) par ex.
Nuit et Brouillard et Si c'est un homme n'évoquent pas l'ambivalence fondamentale du nazisme, bien résumée par Benjamin (le nazisme comme esthétisation de la politique), mais demeurent dans l'horreur brute, brutale, bien que banale au sein des camps. Au reste, personne n'échappe, secrètement ou pas, à la fascination du nazisme. C'est d'ailleurs tout le problème du nazisme par rapport à tous les autres systèmes. Esthétiquement, et non seulement techniquement, le diable (entendu ici comme symbole) n'a jamais fait mieux.
Vous l'avez dit, Pierre, on n'a jamais lu un truc pareil. Et les lettreux français, tout pleins de leur sentiment sacré de la littérature, de faire la fine bouche et de s'interroger : est-ce de la littérature ou n'en est-ce pas ? Et les apprentis philosophes : est-ce éthiquement juste ?
Eh bien, c'est par-delà bien et mal, par-delà littérature et non littérature. C'est avant tout un geste, une opération, JLK a dit quelque chose d'approchant il me semble dans l'un de ces textes consacrés à ce grand livre - qui déclenche des hostilités a priori qui me semblent très proches du déni et du refoulement.
C'est un livre qui refoule, et pas en y mettant les formes comme d'autres l'ont fait avant lui, des chefs d'oeuvre littéraires pour le coup. Sa phrase n'est pas belle, elle est multiple et débordante, logorrhéique comme diarrhéique le corps du narrateur. Et il y en avait besoin parce que toute cette histoire si lourde, on ne l'a toujours pas digérée. Il a fallu deux millénaires pour que le ressentiment envers les juifs aboutisse à la Shoah, il ne suffit pas d'un demi-siècle pour clore la Shoah. Tout ça est en nous, intimement, et nous avons besoin d'une purgation, au sens spirituel du terme (la purgation, c'était justement le but des tragiques grecs). Parce que cette histoire continue dans l'histoire présente, et parce qu'elle nous habite aussi dans notre être, notre vie privée : la métaphysique de la vie privée et de la politique sont liées, comme l'a dit Kundera, sous tous ses aspects la vie de Aue est marquée par le nihilisme, et la nôtre aussi, à notre insu souvent.
Ce livre est aussi une épopée, vous l'avez dit, cela aussi a du sens. C'est Littell qui a été choisi pour faire passer par lui cette parole, j'allais dire il n'y est pour rien, et oui, je le pense, ça l'a traversé impérativement peut-être justement parce qu'il n'était pas un écrivain "de chez écrivain", qui aurait voulu faire de la littérature, seulement un type qui a vécu des choses, un type sensible et intelligent qui a écrit en grande innocence, comme on devrait toujours écrire.
... au fait, quand vous aurez fini le livre, vous remarquerez un détail commun avec le "Maos" de Sportès dont vous parliez il y a quelque temps - qui n'est lui qu'un petit livre amusant, mais tout de même, le thème amène... enfin, vous verrez...
Ah, et puis la musique aussi, jusque dans la trame du roman, c'est Dionysos qui est de la partie n'est-ce pas, la face sombre de Dionysos, le diable comme dit le Uhlan, bien sûr qu'il est là ! En plus il a très bon goût, Aue, comme si le Mal pouvait se trouver à l'extrême pointe de la lumière - tiens, j'ai déjà écrit ça l'année dernière... Evidemment puisque ça n'a pas d'âge.
Quand vous ferez une interview de votre nouvel ami Littell - quand vous serez dans ses petits papiers - vous lui suggérerez de nous raconter dans un prochain roman l'histoire de l'extermination des Indiens d'Amérique, ce sera son petit Nuremberg à lui ...
Ami des lettrés, je ne sais si vous vous adressez à Montalte ou à l'ensemble des intervenants, mais personnellement ça me plairait bien en effet, d'être dans les petits papiers de J.L, isn't he lovely ?
Non mais, sérieusement, reconnaissez que nous avons plus de chances avec cet Américain qui vient nous écrire que les Américains avec notre BHL qui est allé leur parler d'eux !
En plus, après Houellebecq l'année dernière et avec encore plus de succès, il fait enrager tout le petit milieu en partant avec la galette qu'ils s'usent depuis des décennies à garder pour eux, ceci sans même faire l'effort de séduire les médias ni "quiconque qui compte"... Si même Sarkozy n'est pas prêt à l'interdire pour complaire à Angot and co, vers qui se tourner pour empêcher un étranger de se mêler des affaires de notre bonne vieille France, patrie des donneurs de leçons au monde entier, où l'on préfère cependant laver son linge sale en famille - et c'est pas tous les jours lessive... ? Royal, peut-être ? A propos de saleté cachée...
http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=37074
A propos de Sportès, il faudrait peut-être que tu modifies, Pierre, le début du texte que tu as consacré à son roman.
Quelques articles sur les Bienveillantes :
http://propos-insignifiants.forumactif.com/index.forum
Il faut aller dans la rubrique "autres écrivains français". Je sais, c'est peut-être une faute de goût de ne pas l'avoir rangé avec ses confrères américains.
"Non mais, sérieusement, reconnaissez que nous avons plus de chances avec cet Américain qui vient nous écrire que les Américains avec notre BHL qui est allé leur parler d'eux !"
Y-a-t-il un sens précis à cette phrase ?
Alina, toujours aussi juste : ce livre en effet est une purge.
Disons qu'on peut préférer, non la tisane, mais les cachets.
( Ce Merle, qui d'autre l'a lu en fait ? )
Patrice, pas si constipé.
PS entre autres "détails" : comme le fait à juste titre remarquer Konop, un franco-allemand avait peu de chances d'occuper une telle place dans la hiérarchie. Tout français, même à demi, était un chien, au pire maltraité, au mieux utilisé, comme tel (témoin Céline).
"La mort est mon métier", lu dans mon adolescence, m'a laissé un souvenir de plongée dans l'abîme mais pas de beauté, contrairement à d'autres textes sur la guerre lus à la même période, je pense à Malaparte. La beauté, présente chez Littell mais pas par le style, reste froide, donc non complaisante.
Pour le détail : Max Aue n'est pas franco-allemand, ses deux parents sont allemands.
La mère de Aue est française en tant qu'Alsacienne, mais les Alsaciens étaient regardés par les nazis comme des Allemands de l'extérieur, devenus de l'intérieur par l'annexion de l'Alsace dès 1940.
La dimension esthétisante des Bienveillantes n'est pas dans le style somme toute classique de Littell, mais dans la mise en scène des situations, dans le mélange des références culturelles et du réalisme historique, dans l'ironie supérieure de quelques personnages clés.
Il n'y a pas de complaisance chez Littell, il y a seulement une fascination dont il n'est pas toujours maître.
Merci pour la précision sur la mère de Aue, j'ai parlé un peu vite.
Tout à fait d'accord sur la fascination, c'est aussi celle du lecteur. Pas tant, du moins de la part de l'auteur me semble-t-il, pour les nazis, que pour la plongée dans le Mal. La fascination pour la possibilité du Mal n'est-elle pas, au moins autant que le rire, le propre de l'homme ?
Bonsoir,
je découvre votre blog avec beaucoup de plaisir.
Quel billet ! Je répondrai sur quelques points seulement : oui, Max Aue est un intellectuel qui nous interpelle et qui se veut être notre reflet : qu'aurions-nous fait à sa place? Certaines personnes s'en sont offusquées car elles affirment qu'elles n'auraient fait les mêmes choix Peut-être. Moi, ça ne m'a pas choqué. Deuxièmement, Aue est un intellectuel. Et alors? Les nazis étaient-ils tous des crétins, sans cervelle ? J'en doute. Certains, beaucoup l'étaient. C'est ce que dit Aue lorsqu'il fait référence aux autres, ceux qu'il supporte et à qui il n'a rien à dire. Littell a répété à de nombreuses reprises qu'il s'était inspiré de sa propre culture pour évoquer et donner vie à son narrateur. A ce sujet d'ailleurs, certains passages sont extrêmemnt érudits, parfois hermétiques.
Enfin, les comparaisons à Tolstoï et pire Flaubert sont ridicules. Il faut prendre ce roman pour ce qu'il est.Parfois, les liens sont si hyperboliques qu'ils perdent toute leur force.
Je reviendrai régulièrement sur votre blog.
Au plaisir de vous relire
J'ajoute que j'écris moi aussi une chronqiue sur Les Bienveillantes (si le coeur vous en dit...)
Le coeur m'en dira, chère Anne-Sophie (enfin une Anne-Sophie du net aimable !) et j'irai vous visiter.
"La fascination pour la possibilité du Mal n'est-elle pas, au moins autant que le rire, le propre de l'homme ?" Oh que oui Alina, sauf qu'il nous arrive à tous encore de tomber sur des gens qui ne l'ont pas, cette fascination, qui, non, décidément non, ne trouveront jamais rien de sataniquement séduisant dans le mal, non pas qu'ils s'en défendent mais c'est leur métabolisme de cathare qui les prive de toute accointance avec l'impur. Aucune négativité en eux, aucune image séduisante du néant. Une sorte d'affirmation plénière du bon et du bien et qui rejette toute représentation, perverse ou non, du mal. Ce manque de "dostoïevskisme" ou de "viscontisme", j'appelle ça la "positive attitude" - le plus impropre de l'homme. Et d'ailleurs, ils ne rient pas. Et vous ferait culpabiliser de vos "complaisances"...
Mais comme on l'a dit, Littell n'est pas complaisant et ne "bande" jamais à l'esthétique nazie, d'ailleurs absente de son livre (voir ce que dit JLK sur cette question :
http://carnetsdejlk.hautetfort.com/archive/2006/11/19/quel-esthetisme-nazi.html
) et c'est pourquoi je persiste à penser que ce livre ne salit pas, pour parler comme un cathare, celui qui le lit et au contraire lui donne, comme le dit Kuffer "le goût de vivre et d'aimer". Les Bienveillantes sont parfois éprouvantes, le héros est d'une tristesse infinie, l'ensemble est d'un grand tragique, mais sans, me semble-t-il, attrister ou déprimer le lecteur. Au contraire, sa lecture donne une force et une joie incompréhensibles ou plutôt bien compréhensibles car fondamentalement il n'y que la vérité qui rende libre et joyeux. Et Littell nous donne un livre de vérité et de santé. Son héros est "viscontien" mais lui ne l'est pas du tout. On peut aller le plus loin possible dans la représentation du mal, du glauque, de l'immonde tout en restant probe. L'important est de garder ce fameux point de vue de la santé sur la maladie cher à Nietzsche.
Merci pour ce premier compliment...
J'ai découvert en fait votre blog grâce au lien que JLK a fait sur le sien. Il a écrit des ,billets vraiment très intéressants sur Les Bienveillantes ainsi qu'un abécédaire.
Je suis d'accord avec vous sur le fait que l'on puisse écrire la Mal sans être soi-même sali par tant d'ordures. Néanmoins, ce qui me fait tiquer ces dernières semaines, ce sont les réactions cyniques de Littell dans la presse. Il ne faut pas s'arrêter à ce constat et cela ne m'mpêche pas de lire ce roman complexe et d'y être fascinée... pas par le Mal, bien évidemment mais par l'atmosphère qui s'y dégage et surtout l'univers recréé.
Au plaisir de vous relire bientôt
OUps, je viens de m'apercevoir que j'allais vous retrouver plus tôt que prévu... Il se trouve que j'ai collaboré au Magazine des livres, comme vous...
So... Enchantée !
Attendez de me voir pour être enchantée... Mais c'est vrai, c'est mon grand retour chez Citizen Vebret. Cet ********** de ************ complètement *********** et que je ********** copieusement lui et ses ************ de ****************** et moi sommes rey con si lié (mais étions-nous vraiment fâchés ?). Bref, j'en suis de nouveau et c'est un grand plaisir, Ardennemuck ! Autant que celui de vous rencontrer....
Où donc avez-vous vu que Littell était cynique ? De ce tout ce que j'ai lu de lui, je l'ai trouvé humble, subtil, professionnel à souhait, presque trop intelligent, et comme Alina, extrêmement séduisant avec son air de Beatle qui a lu Hannah Arendt.
Et vive JLK ! LE littellien de la toile !
L'équivalent des *Bienveillantes* existe pour le système communiste, il s'agit de *L'Evangile du bourreau* des frères Vaïner. Un gros pavé de 770 pages, un peu moins que le Littell. Je ne l'ai pas lu mais j'en ai entendu parler.
http://www.polars.org/article227.html
Elle est interessante cette idée qui dit que les bienveillantes enracine l'holocauste dans l'histoire humaine au même titre que les grands mythes grecs.
Ainsi la shoah traversera les siécles à jamais, sans s'évanouir comme une leçon d'histoire.
On se souvient de la guerre de troie grâce aux poêtes et non grace aux historiens.
N'oublions jamais cependant que derriére tout cela il y a eu un fait humain.
Les voici les deux raisons scandaleuses (et toutes simples) des Bienveillantes : 1) la fiction qui donne plus de réalité à la réalité que la réalité, 2) l’emploi du "je" qui agit comme un "tu" ou un "vous" et qui en défrise certains. Re-création et introjection.
Mais non c'est faux ce n'est pas conforme au livre. Vous ne semblez pas passionné de l'histoire de la deuxieme guerre mondiale. Votre billet mentionne, mais ne cite aucune partie du morceau de bravoure du livre de Littell qui est evidemment la description de la bataille de Stalingrad. Or qu'est-ce qu'on y apprend? que les allemands souffrent plus que tous les juifs qu'ils ont executé. Oui cette bataille engagée sans vetement d'hiver sans nourriture est absolument atroce et ressemble a ce qu'on pourrrait appeller un genocide du peuple allemand. Voila la raison d'ecrire le livre. Elle est objective et non pas subjective. Elle ne tient malheureusement pas de la psychologie du heros. Pour Litell les allemands menent une guerre juste. Il faut s'en tenir aux faits et non pas a un mot creux comme le revisonisme. De plus cette idee ne vient pas du ciel mais de Soljenytsine lui-même. C'est un modele dont vous ne citez pas du tout la source. La precision de Littell n'a d'egal que la presicion avec laquelle le russe Soljenytsine s'est efforcé de decrire ce qui s'etait passé de l'autre coté pendant la meme periode.
Pour moi "les bienveillantes" n'ont donc pas du tout la valeur ethique que vous lui donnez. C'est un bon livre sans plus qui devient ennuyeux lorsqu'on en a passé la moitié. Le site d'exigence litteraire a ecrit que c'etait une sorte de Da vinci bis. J'en suis assez d'accord.
Le site d'"Exigence littéraire" me semble ni exigeant ni littéraire.
Où diable avez-vous vu que la bataille de Stalingrad serait la partie essentielle du roman ? Ou que la seconde guerre mondiale ne me passionnerait pas ? Dans Les Bienveillantes, ce n'est pas tant la guerre en elle-même que le processus exterminateur des Juifs d'Europe qui est le centre du récit. Et la souffrance des Allemands, quoique réelle et bien souvent oublié, n'est en rien le thème essentiel à celui-ci.
(Un de ces jours, c'est moi qui vais finir par fermer mes commentaires. Comment taire les cons menteurs, oui....)
grossière erreur de votre part concernant le casting de la page 267...
Je lui narrai l’histoire du vieux Bergjude*. « Un sage, ce Nahum ben Ibrahim, commenta-t-il lorsque j’eus fini. Nous pouvons l’envier. » – « Vous avez sans doute raison. » Notre table était placée tout contre une cloison ; derrière se trouvait une cabine privée, d’où émanaient des rires et des éclats de voix indistincts. Je bus encore un peu de vin. « Néanmoins, ajoutai-je, je vous avoue que j’ai du mal à le comprendre. » – « Moi, pas du tout, affirma Hohenegg. Voyez-vous, il y a à mon sens trois attitudes possibles devant cette vie absurde. D’abord l’attitude de la masse, hoï polloï*, qui refuse simplement de voir que la vie est une blague. Ceux-là n’en rient pas, mais travaillent, accumulent, mastiquent, défèquent, forniquent, se reproduisent, vieillissent et meurent comme des bœufs attelés à la charrue, idiots comme ils ont vécu. C’est la grande majorité. Ensuite, il y a ceux, comme moi, qui savent que la vie est une blague et qui ont le courage d’en rire, à la manière des taoïstes ou de votre Juif. Enfin, il y a ceux, et c’est si mon diagnostic est exact votre cas, qui savent que la vie est une blague, mais qui en souffrent. (…) »
* en italique dans le texte
Autant pour moi et merci de votre attention.
je vous en prie... et merci également, ce fut presque un plaisir de vous lire