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Vol d'une flamme à l'extrême Occident de désirs

dasein 2021

Alessandre Allori  - Christ dans la maison de Marthe et Marie, 1605 (détail)

 

La chevelure vol d'une flamme à l'extrême

Occident de désirs pour la tout éployer

Se pose (je dirais mourir un diadème)

Vers le front couronné son ancien foyer 

Mais sans or soupirer que cette vive nue

L'ignition du feu toujours intérieur

Originellement la seule continue

Dans le joyau de l'oeil véridique ou rieur 

Une nudité de héros tendre diffame

Celle qui ne mouvant bagues ni feux au doigt

Rien qu'à simplifier avec gloire la femme

Accomplit par son chef fulgurante l'exploit 

De semer de rubis le doute qu'elle écorche

Ainsi qu'une joyeuse et tutélaire torche 

Mallarmé.

 

 

Il n'avait pas le langage de l’amour – ni du reste la pratique, le corps, le courage. Aussi se sentit-il fort démuni quand elle lui demanda de faire un portrait d’elle. « Soyez libre », lui avait-elle dit pour le mettre à l’aise. Autant demander à un hippopotame de faire le poisson volant ou à un crabe de rugir comme un lion. Elle-même Vierge ascendant Sagittaire avait tout pour le perturber. Trop présente et généreuse, généreusement présente, même à trois mille kilomètres, elle lui donnait l’impression qu’elle le transperçait de son regard et de ses flèches. Pourtant, c’était avec elle qu’il se sentait le mieux depuis un an. Malgré tous ses manques, ses blancs et ses vides (140 kilos de vide, quand même), il ne se trouvait plus si nul que ça – et comme cela se passait souvent avec une femme qu’il jugeait supérieure à lui (à moins qu’il ne pense secrètement qu’une femme « supérieure à lui » ne soit en réalité son égal). Au fond, seule une Wonder Woman pouvait le comprendre et lui pardonner toutes ses déficiences réelles ou fantasmées au contraire d’une fille commune qui ne lui pardonnerait rien. Aussi se mit-il au travail avec une certaine facilité.

Trop banal de dire qu’elle était belle. Il fallait plutôt insister sur son corps compact, son visage excessif à la chevelure de flammes, au front couronné, aux yeux en diadème plein d’effroi dominé. C’est d’abord ce que l’on aimait en elle : cette expressivité sans fard, cette façon d’assumer instantanément ses sentiments et ses pensées et qui obligeait à faire de même avec les nôtres – et donc de nous mettre à mal en cas de tergiversations. Impossible de tourner en rond devant cette torche qui obligeait à l’exploit psychique. Et lui n’attendait que ça – qu’on le sorte de ses complications inutiles, qu’on lui écorche le doute au rubis et qu’on le rende à lui-même. Tant d’hommes qui rêvent d’être simplifiés par une femme. Et par une femme comme elle ! À l’extrême droite des courants tendres mais d’une tendresse extrême, infinie et droite.  

Et pourtant, cela avait commencé par un malentendu. Pour des raisons qui auraient mérité le fouet, ils crurent qu’ils ne pouvaient s’emboiter. Pire, ils se persuadèrent d’un mépris mutuel. Comment, pensait méchamment celui-ci, une femme comme elle, journaliste tout terrain, ambitieuse et guerrière pouvait trouver un intérêt quelconque à sa nudité décevante d’écrivain raté ? Comment, se disait-elle, un type aussi sensible et douloureusement doué, et dont elle lisait les textes depuis dix ans sans n’avoir jamais osé le contacter, pourrait-il considérer une journaleuse aussi cosmétique qu’elle ? Pour lui, elle avait déjà publié, parcouru le monde, arpenté la cour des grands et en passe d’en devenir une – alors que lui n’était bon qu’à alimenter son blog comme son ventre, se contentant de sa catégorie C pour survivre et des largesses insensées de son oncle de Belgique pour organiser ses vacances. Pourtant, c’est grâce à ce blog qu’elle avait eu accès à certaines choses d'ell-même, approfondi ses lectures et peut-être été émue pour la première fois de sa vie. Bref, chacun se regardait en chien de faïence. Elle le considérant comme une sorte de Schopenhauer dédaigneux n’ayant pas de temps à perdre avec une mijaurée de son genre, lui comme une Esther biblique ayant d’autres chats à fouetter qu’un blogueur troglodyte.

Ce fut un soir de juin 2017 qu’ils se rencontrèrent enfin grâce à leur amie commune, Gladis Depaigne, qui les avaient invités, avec quelques autres, pour un de ses soupers monstres dont elle avait le secret et qui faisait sa gloire germanopratine – et si mes souvenirs sont bons, car j’en étais aussi, ils se plurent tout de suite quoique sans s’en rendre compte. Tout à leur ancienne méfiance, ils ne comprirent pas qu’ils avaient tout pour s’adopter (Houellebecq, la méditerranée, les cicatrices) et peut-être même une vague ressemblance physique, un moulage commun. Mais l’évidence de leur foyer ne fit pas tilt comme cela arrive souvent lorsque tout est trop clair. Il y avait encore entre eux quelque chose de la lettre volée. La soirée n’en fut pas moins délicieuse et ils se jurèrent de se retrouver un jour ou l’autre. Du moins à son retour à elle qui quelque temps plus tard s’exilait dans sa terre natale, la plus héroïque de la galaxie – tandis que lui s’en retournait à ses posts houellebecquiens.

Encore une fois, le temps passa et les ramena à leurs anciennes méfiances. Hors quelques « likes » laissés sur leur mur Facebook respectif (et qui leur donnaient des spasmes), ils n’interagissaient pas, se re-persuadant qu’ils étaient de monde et de genre trop différents. Il est vrai qu’elle se sentait fort bien à prendre le soleil au milieu des bombes avant ou après avoir pointé dans les endroits les plus dangereux de la région. « Quelle femme ! » se disait-il en regardant ses reportages sur la chaîne française de son pays et en pensant que toute sa vie à lui s’était toujours passée derrière un écran.

Il fallut une plaie d’Égypte, ou plutôt chinoise, pour qu’ils se retrouvent enfin. Le confinement n’avait pas commencé mais était dans l’air depuis déjà quelques semaines. Ce fut elle qui prit les devants un beau soir de février 2020 en lui demandant comment il allait. Au début, il hésita à lui dire qu’il sortait de l’histoire la plus désastreuse et la plus burlesque de sa vie et que pour la première fois de celle-ci il était sous anti-dépresseurs – mais le burlesque l’emporta et il lui raconta cette déconfiture sentimentale insensée et comment il s’était retrouvé dans la situation la plus fausse de son existence, croyant aimer une femme qu'il n'aimait pas et pas plus qu'elle ne l'aimait, mais se persuadant qu'ils pouvaient le faire l'un avec l'autre et s'abusant tous les deux. « Comme vous aimez les complications ! », lui répondit-elle en éclatant de rire – c’est-à-dire en agrémentant son commentaire d’émoticônes rieuses. Sa moquerie le mit en confiance. Sa confiance suscita la sienne. Il n’était pas dédaigneux, elle n’était pas méprisante et ils tombèrent dans les bras virtuels l’un de l’autre (car tout cela se passait bien sûr sur MSN.) Débuta une idylle épistolaire, puis audiophonique, où, sans vraiment savoir ce qu’ils faisaient et où ça les amènerait, ils se raconteraient leur vie, rêvant leur avenir et mangeant en direct leurs pâtes à l’ail et falafels en faisant semblant de se faire les goûter.

En accord théologico-politique quasi total, ils pourfendirent l’infantilisme perversif des complotistes, la stupidité décomplexée des dissidents, l’imbécilité régressive et droitière des « rebelles » - même s’ils ne vivaient pas le confinement de la même façon, elle s’y résolvant par dure raison mais lui s’y vautrant avec un contentement qui provoqua son ire (à elle) et lui valut (à lui) une belle correction verbale et publique qu’il s’empressa, avec son consentement, d’éditer sur son blog.

À l’automne 2020, elle fit un aller-retour à Paris et ils se revirent enfin, d’abord chez lui pour un champagne préparé depuis six mois, ensuite chez Aurora Cornu, sa grande amie roumaine qui vivait les derniers jours de sa vie. Elle fut heureuse de connaître la muse de son auteur, lui fut béat d'assister à la rencontre de ses deux femmes et comme s'il était donné par la première à la seconde. Après ce passage mystique, ils retournèrent chez Gladis chez qui tout avait commencé trois ans auparavant. Désormais, c’était certain, ils étaient sûrs d’eux. Amitié amoureuse ou amour platonique, peu importe, ils coïncidaient. Elle, force de la nature, torche tutélaire, le grandissait. Lui, être amoché quoique d’un feu toujours intérieur, s’envolait dans sa flamme. Quel que soit l’avenir, l’histoire était faite.

(Pour autant, il s’aperçut à la fin de ce texte - un rien ridicule mais il faut bien parfois s'essayer au sentiment - qu’il avait parlé autant d’elle que de lui, ce qui n'était pas si sentimental et se promit d’en refaire un autre où il ne parlerait que d’elle.)

 

 

St. Justina, Venerated by a Patron par Moretto da Brescia.jpg

Sainte Justine à la Licorne et un dévot, par Alessandro Bonvicino, dit Il Moretto da Brescia (1498-1554), école vénitienne.

 

 

(En ce jour de la sainte Noémie).

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