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Ecrivain dans l'âme

Au Salon littéraire

 

le lâche du bac à sable,christophe ollivier

Christophe Ollivier (voir interview du 31 janvier dernier dans Ouest France.)

 

 

"Le pont est fini mais je n'arrive pas à passer de l'autre bord."

 

Si un écrivain n'est pas quelqu'un qui écrit bien mais quelqu'un qui ne peut vivre sans écrire, alors Christophe Ollivier en est un - et qui fait dans le survival. Dieu sait ce qu'il a souffert et attendu pour donner ses soixante pages improbables et qui risquent de rester sans doute son seul livre, à la fois aboutissement et tarissement de sa vie. Avec son esquisse d'autobiographie, son acharnement à la vocation littéraire, son obsession d'écrire l'écriture, Le lâche du bac à sable (titre fabuleux) relève de la bouteille jetée à la mer, de la planche de salut, de la tentative désespérée d'exister par, pour et dans les mots - et de risquer de s'y enfermer sans pour autant y avoir fait entrer le lecteur. Etre brûlé par le feu sacré plus que l'avoir - tel est l'affreux destin de celui qui n'a de l'écrivain que la volonté obsessionnelle et dont ce livre martyr témoigne.

Pourtant, la première partie du texte (maladroitement titrée "partie I" et suivant une introduction elle-même titrée "introduction") faisait son chemin. La description de cette famille de petits bourgeois cotentinois, avec ses figures de père tyrannique et réactionnaire et de mère malheureuse et obstinée, retenait l'attention. L'histoire de cet enfant faible et rebelle qui maudissait dans son lit toutes les valeurs qu'on lui inculquait et qui jurait que jamais, jamais il ne serait courageux, volontaire, fidèle, "comme son père et sa mère", qu'au contraire, il serait toujours décevant, passif, étranger au monde, seule manière pour lui de rester libre, pouvait toucher. "Prisonnier" et donc maître de sa "nullité" revendiquée, Christophe Ollivier se débattait entre ses origines et son être - et son texte trouvait son sens. On était sensible à ce refus de participer au monde, ce refuge dans le vide, sa tentation de l'imbécillité, tout étant bon bon pour fuir le réel paternel, toujours terrorisant et rabaissant - comme dans ce souvenir où le père se mettait en tête de corriger l'incontinence quasi attardée de son fils :

« Quant à l'assurance de mon père, elle en était à ce point ébranlée, que seules quelques gouttes de pipi égarées sur le rebord du siège des cabinets ou le simple fait de marcher pieds nus en ramasse-poussière sur la moquette ou le parquet, dépassaient les limites de la fatalité ou de l'indifférence. Je me rappelais enfin à sa mémoire ailleurs que dans une église. "Je vais t'apprendre moi à pisser correctement."J'entrais de nouveau dans le monde fatidique du possible et a fortiori de l'inévitable, bref, des ennuis." »

De même quand, dans ce qui est peut-être sa plus belle page, il se rappelle les raclées maternelles qui ne lui faisaient mal que parce qu'il sentait que sa mère se faisait elle-même mal en les lui administrant, honteuse d'en arriver là, mais s'acharnant encore à tenter d'ouvrir ce fils aboulique au monde. Alors, pour faire plaisir à sa mère, il faisait parfois semblant d'y revenir :

"... plié sous la contrainte, incapable de résister à la pression, il m'arrivait de sortir épisodiquement la tête hors de l'eau, vaincu de peur ou de pitié. Comme un affront, je me mettais un tant soit peu à l'écoute, puis replongeais bientôt, asphyxié, vidé de tous mes sens. Alors, j'avançais péniblement d'une classe à l'autre, sans réelle motivation, juste poussé par quelques sursauts d'orgueil pour perpétuer le temps qui passe et qu'on attend. Comme les fleurs, je m'ouvrais au printemps, coutumier d'un troisième trimestre à l'agonie, j'en oubliais ma vie."

Hélas ! A force d'en oublier sa vie, l'écrivain survival finit par en oublier les mots. Et au lieu de nous raconter la pisse, le fouet, la mère, au lieu de creuser la douleur, au lieu de touiller l'intime, au lieu, surtout, de chanter ce qui lui tient à coeur, le musée Rodin où il officie depuis des années, la ville de Lisbonne pour qui il a, on le sent, un attachement mystique, et, par dessous tout, cette Anna de Sesimbra, qui apparaît au détour d'une phrase, et semble avoir été sa Béatrice, il préfère se tourner vers l'abstrait, le work in progress, l'écriture qui n'a d'yeux que pour elle-même, la mise en abîme perpétuelle du livre qui se fait livre -  et qui dans son cas tourne vite à la platitude surréaliste. Car Ollivier semble ne pas se rendre compte que ce qu'il écrit avec toute son âme et tout son sang a déjà été écrit mille et mille fois et que l'aboli bibelot d'inanité sonore est un exercice hautement périlleux.

A force de s'effacer devant les choses et les êtres, ses mots ont aboli le monde, liquéfié la vie et tournent en rond sur eux-mêmes, ravis de la banalité et du ressassement innocent dans lesquels ils tombent, desservis qui plus est par une ponctuation approximative. En partant des siens pour arriver à lui (et ce "lui" trouvait encore son intérêt, puisque lui, c'était moi, etc), puis en allant de lui à son écriture en soi, ce qu'il a conçu comme une hypostase s'est révélé un effondrement. On ne parle pas de l'écriture de l'écriture sans progressivement annuler celle-ci. Paradoxalement, c'est cet effondrement et cette annulation qui font de ce Bac à sable une curiosité littéraire doublée d'un cas tragique. Ecrivain dans l'âme, Ollivier l'est indéniablement - mais seulement dans l'âme.

 

 

Le lâche du bac à sable, Christophe Ollivier, Editions Velours, 60 pages, 12, 70 euros.

 

le lâche du bac à sable,christophe ollivier

(Christophe, au lieu de nous parler de l'écriture qui parle de l'écriture, parle-nous de Lisbonne, parle-nous d'Anna. Fais de ta première partie ton prochain livre.) 

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