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Marie Noël, ma soeur II

11 -  Dieu tourmente

"Dieu sous la forme Christ : Pitié, Douceur, Paix.

Dieu sous la forme Zeus... Zeus au bec de vautour qui dévore Prométhée.

Rejoindre ces deux figures.

Tous les Saints ont été dévorés de Dieu, détruits - humainement - par Dieu.

Et moi qui ne suis pas sainte, mais tant livrée depuis dix ans aux combats presque sans espoir de l'espérance, je sais bien que Dieu est Grâce, mais que Dieu est aussi tourment." (page 73)

 Croire et se faire mal. Croire pour se faire mal. Dès lors, à quoi bon croire ? Mais est-on libre de croire ou de ne pas croire ? La vérité est qu'on n'est libre ni de croire quand on ne croit pas ni de ne pas croire quand on croit. La seule liberté, encore et toujours, c'est admettre son être, ses possibilités, ses limites. Pour le reste... Il y a un désespoir de l'espérance, un tourment de la grâce, une torture de la charité. Dieu ne nous lâche pas. Et c'est peut-être la meilleure chose qui pouvait nous arriver. Mais que de douleurs ! C'est comme crever de soif et être rongé par l'eau. Ma mauvaise nature religieuse. Ma mauvaise nature sexuelle. Ma mauvaise nature tout court. Il faut faire avec.

"Contradiction...

Dieu infini.

Toutes les religions : Dieu défini." (page 75)

 La tentation (gnostique ?), ce serait de ne s'en tenir qu'au premier : un dieu infini et qui à force d'infini se révèlerait indéfini. La douceur de l'indéfini par rapport à la dureté du défini. C'est que le défini contraint, éprouve, oblige. Le Dieu défini renvoie à l'homme défini. Or, bien souvent, nous ne voulons pas être définis - nous ne voulons pas être réels. Et nous ne nous tournons vers l'infini que pour échapper au fini - ce que nous sommes malgré nous. Mais le fini, le défini nous rattrape toujours. Il faut donc l'admettre et même l'approuver.

Pareil pour Dieu. Si je crois en Lui, je dois admettre la définition qu'en donne mon église - et avec toutes les contrariétés que cela va impliquer. Un peu comme l'être aimé dont  il faut admettre et même aimer les défauts. Et d'un point de vue humain, Dieu a plein de défauts (d'exigences, de contradictions, de violences). Dieu est éprouvant. Mais c'est ça ou rien (et parfois, on préfère le rien.... Mon Dieu, délivre-moi de toi.)

 "Qu'il est petit celui qui ne s'est jamais perdu en soi-même comme dans un désert sans route ;

Celui qui vient à une place et dit : je suis là, je ne suis pas ailleurs...

Mais celui qui traverse le monde et ne peut pas gagner son propre rivage,

Celui qui fait plusieurs fois naufrage en soi-même,

Celui que Dieu ébranle et ne laisse pas reposer comme la lune qui fait son sans cesse osciller la mer,

Celui-là est l'homme...

Une grande misère." (p 79)

 Misère pascalienne s'il en est de Marie Noël. Et qui rappelle aussi les catégories du désespoir selon Kierkegaard : celui qui ne veut que de l'infini, celui qui ne veut que du (dé)fini. J'ai un collègue au musée, chrétien fervent, qui ne veut que de l'infini dans le défini et du défini dans l'infini. Qui ne sait pas faire la part des choses et des registres, comme l'Ecclésiaste. Qui n'est pas athée avec la partie de son être qui est athée (et comme dirait Simone Weil). D'où ses troubles à ce pauvre bougre que je soutiens.

Pascal. Kierkegaard. Simone Weil.

Angoisse. Désespoir. Pesanteur. 

Il n'y a que les auteurs chrétiens pour déprimer à ce point.

La déprime chrétienne du monde.

C'est pourquoi on a parfois envie de tout laisser tomber et de se remettre aux atomistes, à Spinoza, Montaigne, Nietzsche - et Heidegger. Ah la clairière de l'être ! Tellement plus détendant que l'autel.

La foi, c'est le travail, le pal, la peine et les larmes. La philo, c'est le club Med.

On a besoin des deux, sans doute.

Croix et soleil.

 

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Joos van Craesbeeck, La tentation de St Antoine, vers 1650, 78x116cm, Staatliche Kunsthalle Karlsrhe

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12 - Ami(e) imaginaire

"J'ai tellement besoin d'un ami que je l'invente." (p 82)

Jusqu'à quel point Judas n'est-il pas un ami imaginaire ? Un ami rêvé qui va faire le sale boulot à votre place ? Et qui sera le premier sauvé - avant même le bon larron ?

 

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Joos van Craesbeeck, La tentation de St Antoine, vers 1650, 78x116cm, Staatliche Kunsthalle Karlsrhe

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13 -  Malice et miel de Dieu

"A dix-huit ans, j'ai vendu mon esprit à Dieu comme d'autres vendent leur âme au Diable.

En ce temps-là, j'étais gauche, laide, chétive, honteuse comme le vilain petit canard, mais j'avais de l'esprit... un esprit clair, gai, vif, aigu qui piquait, mordait sans miséricorde.

Dès qu'un pauvre ridicule se risquait à ma vue, je le happais au vol et je le fixais d'un mot drôle comme on fixe d'une épingle un insecte sur un bouchon.

(...)

Remords.

Je m'en expliquai un matin avec Notre Seigneur dans la petite chapelle de la Vierge à Saint-Pierre.

Renoncer à mon esprit ? Sans lui, que me restait-il ?

Je n'avais ni beauté, ni charme, rien pour plaire. Le sacrifier ? Je ne pouvais m'y résoudre. Il m'en coûtait trop. Il m'en coûtait tout.

Dans ma conscience, Dieu attendait avec un air de reproche. C'est alors que me vint l'idée - peut-être, Il me la souffla - de Lui céder mon esprit contre indemnité." (page 83)

 Renoncer à son esprit. A son style. A son talent (à son génie !) Il est évident que personne ne s'y résoudra - sauf à faire un pacte diabolique avec Dieu. C'est en ce sens que nous sommes tous le Jeune Homme Riche. Nous ne pouvons renoncer à nos richesses (matérielles mais aussi surtout spirituelles, intellectuelles, artistiques) pour suivre le Christ. Pire, nous espérons que le Christ sourit à nos richesses et nous encourage à les exploiter. Nous espérons que Dieu suscite le Mozart en nous. Après tout, si Mozart avait renoncé à être Mozart (et s'il est possible de le faire ?), n'aurait-il pas trahi Dieu Lui-même qui l'a fait Mozart ?

Mais d'après certains chrétiens justiciers, il paraît que Dieu se fout de Mozart, qu'il ne s'intéresse qu'à l'Amour et la Justice - et pas du tout au "don" des uns et des autres qui est toujours suspect. Ma belle-mère dit des choses comme ça, "que Dieu s'en fout des brillances mondaines et des réussites intello-artistiques, seul le coeur et l'action réelle comptent pour lui." Alors, dans ce cas-là, Mozart ira en enfer - comme Don Juan devant la statue du Commandeur. Parce que "repens-toi", pour un artiste, signifie "renonce à ton art". Et l'artiste répond : "Bien sûr que non, vieillard infatué !" L'artiste vendrait son dieu au diable pour pouvoir mener à bien son oeuvre.

Personne ne renonce à être Don Juan ou à écrire Don Juan. Même pas Marie Noël.

Non, ce que l'on veut bien faire, c'est agencer son génie. Non pas mettre de l'eau dans son vin (quelle horreur !) mais plutôt le faire fermenter par Dieu, puis le faire vieillir en Lui.

 "Vingt ans passèrent. Vint le succès, singulier, inattendu... Indemnité ? Compensation ? Qui sait ce que m'a donné Dieu en échange de ma malice ?

Pas l'amour, pas le bonheur.

Le don de Poésie ? Mais je l'avais d'enfance.

Je croirais plutôt que c'est un don de nouvelle vue pour apercevoir du premier coup d'oeil, au lieu de leur ridicule, la fleur et le miel des gens, même en ceux qui n'en ont pas.

Si bien qu'à présent je les aime tant, même ridicules, sots et médiocres, que je puis de nouveau jouer avec ma malice simplement pour m'amuser, sans faire de mal à personne." (page 84)

 Autrement dit, Dieu donne du sens à notre malice, de la bonté à notre esprit, de l'amour à nos talents. Il aime nos talents. Il approuve notre style. Il aime autant nos rires que nos pleurs. Il arrange nos rires ou nos pleurs. Il met notre côté diabolique à son service. Il nous fait Merlin ou Judas. Il exhorte Judas à être Judas. 

 

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14 - La seule espérance valable.

"Je me suis prodiguée en offrandes contradictoires.

Il eût fallu viser un seul but, choisir une seule voie : Dieu seul, et rejeter tout le reste... Mais, le reste, je l'aimais trop, je n'ai pas voulu rejeter rien... j'ai suivi à la fois toutes mes routes, tantôt le ciel, tantôt la terre.

Et je n'ai fait que vagabonder entre terre et ciel." (p 85)

Que celui qui n'a jamais suivi que la voix droite lève la main. Que celui qui a toujours été fidèle à son dieu et orthodoxe dans sa foi nous jette la première pierre. Qu'un tel nigaud se désigne.

 "Il y a dans le catholique un être satisfait, supérieur - celui qui possède la vérité - plein de sécurité et de certitude. S'il s'incline vers l'autre pensée - il s'incline - c'est pour la sauver, c'est-à-dire la circonvenir, la séduire, la gagner à Dieu. Elle n'est pour lui qu'un objet de compassion ou de conquête. Il l'aime par miséricorde. Il la méprise par foi.

Aucun échange possible. Un catholique donne. Il ne reçoit pas.

C'est en quoi je suis mal catholique. Toute âme est mon égale. J'ai donné de mon mieux à tous le peu de lumière que j'avais, mais j'ai aussi - et de toutes sortes de gens - beaucoup reçu.

Avais-je bien la foi ?" (p 86)

 La chose la plus grave que l'on peut dire contre le christianisme : je ne veux pas être aimé par miséricorde mais par désir. Je ne veux pas être sauvé, je veux pouvoir baiser (Faust). Je ne veux pas que ta volonté soit faite, je veux que la mienne le soit. Je veux vivre comme je l'entends, pour mes passions, mes plaisirs et mes amours - et après mourir tranquillement, sans vie éternelle, surtout pas. La vie éternelle se passe dans l'instant. Seras-tu capable de me donner ça, Dieu ? Non ? Alors, va au diable et laisse-moi tranquille.

"Je n'ai pas confiance dans la Mort. A cause de la Vie.

Qui a épargné les vivants ?

Qui épargnera les morts ?

La Mort et la Vie ne sont que l'endroit et l'envers de la même trame." (p 87)

 En langage "cormaryen", Dieu qui nous a torturés pendant notre vie (liberté, choix, gna gna gna) risque aussi de nous torturer pendant notre mort. Après les douleurs temporelles, les douleurs intemporelles et éternelles (et avec la justification du jugement : "parce que t'as été méchant et que t'aurais pu agir différemment et gna gna gna.")

ALORS QUE LA SEULE ESPERANCE VALABLE EST QUE LA SOUFFRANCE (MERITEE OU IMMERITEE, ON S'EN FOUT) S'ARRETE. La seule espérance pour Damiens, c'est le néant. Que tout cesse après son écartèlement ou pendant - mais il était prouvé qu'il était encore vivant quand on a jeté son tronc au feu. Cette image, cette image...

(Blasphémer pour s'adresser à Dieu. Parfois, je voudrais changer de méthode mais c'est plus fort que moi. Je fonctionne de manière apophatique. Je tente de mettre à plat mes terreurs. Et quant à mes douceurs, je les garde pour moi et Lui, le soir, avant de me coucher. Car on dirait pas comme ça, mais je prie souvent le soir, au pied de mon lit, et à la bougie ! Je suis un enfant qui a mal grandi - ou qui ne pouvait pas.

Ne jamais oublier, comme dirait Céline Albin-Faivre, que Peter Pan est l'enfant non qui ne voulait pas mais qui ne pouvait pas grandir.

 "L'enfant est le seul don de l'homme à Dieu.

Mettre un enfant au monde est le seul sacrifice.

Tout ce que nous donnons d'autre, dans notre adoration - aumônes, encens, fleurs ou cierge - est inutile à Dieu.

Mais l'enfant Lui est nécessaire pour continuer l'oeuvre de sa création. Et il ne peut le tirer que de la volonté de l'homme.

L'enfant est la seule victime vouée à Dieu, du consentement sans cesse renouvelée de l'homme, vouée à un destin douloureux et fatalement rompu.

Offrir un vivant, c'est offrir un mort." (p 88)

 Et notons que Marie Noël, pas plus que Simone Weil, n'a eu d'enfants - ni d'ailleurs de vie amoureuse, allant pour la seconde jusqu'à s'enlaidir exprès.

Ne pas avoir d'enfants, serait-ce insulter Dieu ? Lui dire "je ne te donnerai personne d'autre à torturer. Ton enfer n'aura pas mes enfants. Ta soif de souffrance s'arrêtera à moi."

Enfant pour ou du diable.

 

martin scorsese,la dernière tentation du christ,silence

 

15 - Migrants

"AIME TON VOISIN, MAIS PLANTE TA HAIE." (page 89)

(Proverbe wallon cité par Marie Noël qui n'était donc pas non plus une sotte en politique.)

 

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 16 - Noms d'élus ou de damnés.

"Certains disent qu'au Paradis, Dieu nomme chaque élu du nom de sa vertu essentielle.

Vous ne pourrez pas m'appeler Espérance : je n'ai attendu aucune joie sur la terre ni au ciel ; ni Foi : je n'ai pas été sûre ; ni Charité : je n'ai pas Dieu et mon prochain qu'avec parcimonie ; ni Générosité : j'ai compté, pesé, mesuré tout ; ni Zèle : je n'ai pas cherché à conquérir ; ni Pauvreté : je me complais en mon bien-être ; ni Humilité : je me complais en mes pensées ; ni Sincérité : je ne suis pas vraie ; ni Science : je n'ai pas de mémoire ; ni Piété : je n'ai pas d'ardeur.

Vous serez obligé de m'appeler d'un pauvre nom d'âne. Vous m'appellerez : Patience."  (p 94)

Et moi, vous m'appellerez "rage et déficience", c'est clair.

 

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  17 - La tentation grecque

L'âme intranquille de Marie Noël.

L'âme, justement - "immortel danger, tourment de qui se sauve, gouffre de qui se perd. Ah ! N'avoir pas d'âme ! N'être qu'une bête fidèle, un chien qui suit Dieu, son maître, sans perdition ni salut !"

Etre le chien fidèle de Dieu et être sûr d'être sauvé. Seulement voilà, nous avons une âme et avec elle la possibilité de l'enfer.

Et cela dès le commencement. Adam. Le serpent. La Chute.

Mais sommes-nous responsables de cette chute ?

Absolument, répondent les moraux.

Pas si sûr répond Marie Noël.

 "Qu'est-ce qu'une faute quand il n'y a nulle part encore de conscience ?

Qu'est-ce qu'un péché quand il n'y a nulle part encore ni bien ni mal ?

L'homme ne savait ni bien, ni mal, avant d'avoir goûté le fruit de l'Arbre.

Désobéissance d'enfant avec l'âge de raison." (p 95)

 Voilà. La Chute est un acte d'enfantin.

En même temps, c'est dans celle-ci que se révèle la conscience.

Pas de conscience sans faute.

Pas d'innocence du devenir.

Il y a un regret nietzschéen chez Marie Noël. Mais je me demande si ce regret nietzschéen n'est pas la pierre de touche de tout chrétien véritable.

Le chrétien véritable, celui qui quelque part regrette de l'être.

Le chrétien véritable, celui a la nostalgie païenne.

La mélancolie d'avant la souillure.

L'âge d'or de la non-souillure.

Dieu nous a fait nous souiller pour nous révéler.

 "De Moïse qui n'est pas Dieu, sont sorties la honte de la chair, les impuretés, les souillures.

De Moïse sont sortis les purifications, les voiles, les refoulements, les hypocrisies.

De Moïse est sortie LA LOI QUI SANS CESSE SALIT ET NETTOIE... qui lave l'extérieur du plat et le dehors du sépulcre.

Le Christ, notre Seigneur, nous a affranchis de Moïse.

Mais nous sommes restés imprégnés de la vieille angoisse judaïque. Et les peuples, mangeurs de Bible, portent des habits plus clos, des yeux plus secrets et des turpitudes mieux cachées que les autres.

JE SONGE AU PEUPLE D'ATHENES SI CLAIR, SI SEREIN, SI NU !

Et au petit Pauvre d'Assise si joyeux, si franc, si libre." (p 96)

 Athènes - complément de Jérusalem (pour ne pas dire compensation à Jérusalem.)

Saint François d'Assise - le seul chrétien joyeux, franc, libre - innocent ? Le seul chrétien accompli (mille fois plus que les apôtres, ces psychopathes névrotiques parano schizophrènes.) Le seul corps glorieux ?

Prier son corps pour alléger son âme.

 "O mon corps, tant que tu pourras, garde-moi de mon âme.

Ne meurs pas, sois vivant, ne m'abandonne pas à elle seule.

(...)

Mange, bois, engraisse, sois épais afin qu'elle me soit moins aiguë.

Protège-moi contre elle tant que tu pourras. (...) Sauve-moi d'elle !" (page 96)

 Sauve-moi de l'âme, corps !

Il est clair que l'âme ne suffit pas. Ni Dieu ni le ciel ni les anges. 

"Dans l'enfance habituelle de mes pensées, je ne peux pas me contenter, pour Paradis, de Dieu tout sec. J'ai besoin de retrouver des gens. Et aussi des plantes et des bêtes... Je ne sais quels petits enfants, quelles bruyères, quels oiseaux... et mon vieux chien fidèle." (p 97)

 Argos.

Etre grec plutôt que chrétien. Sylvain Tesson a développé ce genre de choses.

Parce que le christianisme, à un certain moment, on n'en peut plus.

 

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18- Marie Noël défend Montherlant !

"Montherlant. Il y a une quinzaine d'années, il fut attaqué devant moi.

Il venait d'écrire un violent article contre ses maîtres de Sainte-Croix et l'abbé Petit de Julleville.

Les dames qui en parlaient avaient de jeunes parents, élèves à Sainte-Croix. Elles aimaient la maison et s'indignaient à qui mieux mieux.

Montherlant !... révolte, orgueil, impureté, doute, blasphème, ingratitude, jeune homme perdu, jeune homme damné...

- Peut-être, dis-je, sa nature exceptionnelle ne fut-elle pas très bien comprise.

- Pas comprise ! L'abbé Petit de Julleville ! Le grand éducateur catholique ! cette expérience ! Il a deviné Satan. Il a rompu.

- Dieu n'a pas rompu.

- Mais qu'espérez-vous ?

- Rien. Je crois que Montherlant est de l'espèce d'étoffe dont Dieu fait parfois Augustin, Rancé, le Père de Foucauld. Dieu attend au tournant l'Homme de Désir.

- Vous croyez qu'il reviendra, qu'il se convertira ?

- Je ne crois rien. Je prie pour lui. Il a une rude montée à faire avec sa croix.

- Quelle croix ?

- Lui-même. IL EST GRAND." (page 98)

 Si Montherlant est sauvé, alors moi....!

 

marie noël,notes intimes

 

19 - Plumes de paon

"Je n'ai pas envie d'être parfaite comme l'homme parfait est parfait. Je n'ai pas envie d'entretenir en moi cette conscience policière qui épie tous les sentiers pour saisir le péché qui passe. (...)

Je voudrais être parfaite comme le Père est parfait. En Lui est la Loi, mais en Lui, le Jeu. Son oeuvre est séraphin, mais papillon aussi. (...)

Il s'amuse à des fleurs. Il a inventé pour rire (si ce n'est pas pour rire, pour quoi est-ce ?) les queues d'écureuil, les plumes de paon, les pattes de cigogne, les trompes d'éléphant, les bosses de chameaux et de dromadaires. Et s'Il trouve du plaisir - peut-être - à ce qu'un saint moine tenté se donne, de nuit, la discipline, Il bénit aussi d'un sourire le chevreau qui danse, la poule qui pond et le bouc à la longue barbe qui court sus à sa biquette.

Je voudrais que mon âme aussi - et mon oeuvre aussi - fût ordre et fantaisie." (page 99)

"ORDRE ET FANTAISIE", dit Marie Noël.

"SOLEIL ET CROIX", disait Simone Weil.

Je les adore, ces bonne femmes.

Leurs forces, leurs faiblesses. Leur humour.

 "Ma faiblesse.

Quand je fais mal, je ne suis jamais sûre que ce soit mal.

Quand je fais bien, je ne suis jamais sûre que ce soit bien.

Quand je parle, quand j'affirme, je ne suis jamais sûre que ce soit vrai.

En souffrir, seul, j'ai confiance." (p 100)

 Avoir confiance en sa souffrance - c'est peut-être cela, être chrétien.

Ce qui ne veut pas dire la rechercher ! Le masochisme est la perversion chrétienne par excellence.

Encore qu'avoir confiance en sa souffrance a quelque chose d'un peu païen, d'un peu Amor Fati.

Mais Dieu n'est-il pas le suprême garant de l'Amor Fati ?

Ce que l'on s'en pose des questions.

 DIEU CONTRE DIEU - la grande affaire de Marie Noël.

Le Créateur contre le Commandeur.

Le Naturel contre le Moral.

L'Amoureux contre le Justicier.

 Et la sexualité...

 "La chasteté du jeune homme : le combat de Dieu contre Dieu." (page 100)

 "DIEU PERE" ? A Luna Delsol qui me disait un jour qu'il fallait que je comprenne que Dieu est d'abord un "père" et que c'est censé être rassurant ! Alors qu'un père, de Saturne à Johnny Hallyday (en passant par Pierre Le Grand qui fit torturer jusqu'à la mort son fils qui s'opposait à lui), on sait aussi ce que c'est... Et Marie Noël le savait aussi :

 "Père ?

Qu'y a-t-il d'essentiellement rassurant dans le fait que Dieu soit Père ?

Il fut un temps où le Père était Roi, le fils, esclave plus ou moins opprimé dans sa vie, dans son désir, dans sa pensée ; où la fille était donnée à l'époux le plus offrant, contre son corps, contre son coeur.

Puissance paternelle, puissance redoutable dont l'enfant avait tout à craindre et beaucoup plus que d'aucun ennemi, étant la plus forte, la plus sacrée et aussi, la plus proche, la plus étroite, qui ne laisse pas échapper.

A toutes les époques de tous les pays il y eut des pères bons et justes, de bons et justes rois dont le souvenir est doux à la mémoire humaine.

Mais il y eut tous les autres, les durs et médiocres propriétaires de fils et de filles, les maîtres sans autre valeur que l'autorité, sans autre raison que le bon plaisir.

Les pères bourgeois du XVII ème siècle, les redoutables pères de Molière, le terrible aïeul paysan de Restif et son compère, Thomas Dondaine ; tels pères de notre famille, mon grand-oncle T.

(...)

J'ai confiance en Dieu non parce qu'Il est Père, mais parce qu'Il est Dieu et pas Homme." (p 101)

 Je me demande ce que les curés et les bonnes soeurs pensent vraiment de Marie Noël. Ou François de Martin.

 

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En novembre 2011, rencontre du pape François et de Martin Scorsese venu à Rome présenter Silence.

 

20 - Enfer en Dieu

"Il n'est pas bon d'avoir trop souci de Dieu" (page 102).

Pour la petite fille qu'était Marie Noël et qui entend un jour son père parler de "survie de l'âme", Dieu devient immédiatement une menace. Une possibilité de supplice. Un synonyme de perdition et de damnation.

"Un soir - mon père parlait de la survie de l'âme - quel mot entendu ? Quelle foudre heurtée parmi les pensées noires et dangereuses qui dorment ? Quel éclair ? ... Quel tremblement ?...

Dieu s'écroula en moi comme un édifice de nuages.
Dieu écroulé. Toute lumière renversée. Mort de tout.

Mort de moi-même qui étais Dieu au plus profond de moi-même. Deuil sans espoir. Perdition éternelle... Le Dam.

Dieu écroulé. Trois jours durant, trois nuits, j'essayai de le reconstruire. Avec quoi ?

(...)

Trois jours durant, combat désespéré, vaine sueur pour ressusciter, pour sauver Dieu. Agonie, obsession... Lucidité acérée qui tue l'une après l'autre toutes les lumières. Cris de l'âme, cris le jour et la nuit, cris derrière les paroles, cris dans l'église vide, cris dans la communion vaine....sacrilège peut-être.... et sacrilège serait l'espoir ! Cris aux pieds de toutes les croix devant ce Mort inutile." (page 103)

La foi en Dieu qui devient une peur en Dieu - une peur de Dieu.

"J'ai peur de réveiller Dieu qui dort." (page 105)

Le sentiment religieux qui devient le sentiment tragique - ils sont tous passés par là, Blaise, Sören, Simone.

L'âme comme lieu de tourments continuels.

"Il y a des jours où je n'ai pas d'âme.

Jours de jeu... jours de poésie... jours de congé."

On en vient à se dire que le néant serait bien plus doux que Dieu. Le doux néant plutôt que le dur Dieu. L'endormissement assuré plutôt que le paradis (ou l'enfer) conditionnel. Pourquoi faire de la mort une épreuve encore plus douloureuse (et sans fin) que la vie ? Pourquoi espérer en une vie éternelle qui soit pire que la vie mortelle ?

"Saint-Thomas. Les commentateurs l'accablent de leur mépris. (...) Parce qu'il n'a pas cru sans avoir vu." (page 107)

  N'empêche que c'est grâce à lui qu'on a un témoignage de la résurrection réelle. Les bienheureux n'en ont peut-être pas besoin, mais nous, les faibles, les médiocres, les sceptiques, si. L'apôtre qui a cru après avoir vu est notre frère. Dieu a eu besoin de lui comme il a eu besoin de Judas et de Pierre. Le doute, la trahison, le reniement - les voix impénétrables de Dieu.

Les voix artistiques impénétrables de Dieu.

Car merde ! L'artiste est quand même plus proche de Dieu que n'importe quel juste.

 "L'artiste communie plus naturellement au Père qu'au Fils ;

A l'oeuvre des six jours qu'à l'oeuvre de la Croix ;

A l'Etre en ses créatures qu'à la Grâce en ses élus.

C'est pourquoi le Saint et l'Artiste s'accordent peu, et quand ils luttent dans le même homme, presque toujours il y a une oeuvre d'art sacrifiée." (p 109)

Est-ce à dire qu'en l'artiste le diable l'emporte ?

Le Jeune Homme riche était un artiste. Il n'a pas voulu renoncer à ses biens - matériels peut-être, spirituels et intellectuels, sûrement.

Etes-vous prêt à renoncer à ce qui fait le sens et le bonheur de votre vie au nom de Dieu ?

Non, bien sûr.

Ces dames pieuses qui se croient toujours du bon côté du Christ et qui sont persuadées qu'elles l'auraient suivi, elles aussi, à l'époque. Tu parles !

"L'aurais-je suivi, moi ? Je n'en suis pas sûre. Je ne l'aurais pas suivi, non !" (p 110)

Elle aurait pleuré pour lui, certes, oui, mais elle serait restée du côté de Caïphe, et plus tard, du côté du Grand Inquisiteur.

On est toujours du mauvais côté. 

Mais c'est cela, la grandeur de Marie Noël. Scruter l'impossibilité non de croire en Dieu mais de le suivre. De se mettre non pas du bon côté du Christ, mais du mauvais.

Le mauvais côté du Christ.

Le nôtre, à presque tous.

Le mien, à coup sûr.

Prétentieux que je suis.

 

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A SUIVRE

 

 

 

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